Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur les grandes orientations de la loi d'orientation agricole, notamment le rôle économique, social et environnemental de l'agriculture, Paris le 5 octobre 1998.

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Circonstance : Présentation de la loi d'orientation agricole à l'Assemblée nationale le 5 octobre 1998

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés,
La France est une grande nation agricole.
Les Français le savent. Chacun de nous, chacun de nos concitoyens sait que notre histoire, notre culture, notre avenir se sont dessinés et se dessineront encore avec les couleurs de nos paysages, les typicités de nos terroirs, les inimitables saveurs de nos produits.
Nos partenaires comme nos concurrents, en Europe et ailleurs à travers le monde le savent aussi. La France est la première puissance agricole de l'Union européenne, et le second pays exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires.
Elle exploite à elle seule quelques 20 % de la surface agricole utile de l'Europe et se place en tête des quinze pays de l'Union pour la plupart des grandes productions agricoles.
Mais y aura-t-il encore demain des agriculteurs en France pour assurer l'accomplissement de cette vocation ? Que seront demain ces paysans auxquels nous sommes tous attachés, c'est-à-dire des agriculteurs indépendants, travaillant sur des exploitations à taille humaine, et responsables de leur conduite .
Une grande puissance agricole sans agriculteurs, c'est en effet le paradoxe auquel nous pourrions être confrontés dans un proche avenir si rien n'est fait pour modifier le cours des choses.
Bien sûr, la France produira toujours des denrées agricoles et des produits agroalimentaires. Mais la question est de savoir dans quelles conditions. Cette production sera-t-elle assurée demain par une poignée de grandes exploitations n'occupant que les zones les plus productives de notre territoire, et dont l'activité sera totalement intégrée à celle des industries d'amont et d'aval, ou serons-nous capables de préserver ce que nous appelons le " modèle agricole européen " ?
Ce qui est en jeu, c'est tout simplement la pérennité d'un certain mode d'organisation sociale du monde agricole, et des rapports entre le monde rural et le reste de la société.
C'est à cette question là, essentielle pour la Nation toute entière, qu'une loi d'orientation agricole doit répondre en 1998.
Le Premier ministre Lionel Jospin s'est engagé devant vous, lors de son discours de politique générale de Juin 1997, à présenter cette loi d'orientation agricole, en soulignant l'importance qu'elle revêtait à ses yeux.
Le Président de la République lui-même avait souhaité une telle loi lors du cinquantième anniversaire de la FNSEA, célébré il y a maintenant un peu plus de deux ans. Et mon prédécesseur, M. Philippe Vasseur s'était attelé à la tâche, et avait même achevé un premier projet. J'ai pris en considération le travail engagé, même si j'ai jugé nécessaire de reprendre la réflexion et la négociation avec l'ensemble des partenaires, pour élaborer le texte que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.
Le Président de la 'D'autres lois agricoles ont déjà jalonné l'histoire de la cinquième République, l'ont précédée. Jje pense à celles de 1960 et 1962, qui ont permis la restructuration foncière de l'agriculture française, la modernisation des exploitations agricoles souvent synonyme de leur agrandissement, et conduit finalement à la disparition d'un grand nombre d'entre elleset le développement spectaculaire de la production.
La loi de 1980, ensuite, qui entendait surtout favoriser l'intégration des productions agricoles au secteur agroalimentaire, et améliorer la compétitivité du secteur à l'exportation, prolongée par les lois " d'adaptation " et de " modernisation ".
Il nous revient aujourd'hui de tirer le bilan de ces lois, de réfléchir aux évolutions passées, d'en tirer des leçons, et de voir dans quelle mesure ces politiques restent pertinentes, dans quelle mesure nous souhaitons les prolonger ou les infléchir.
En effet une loi d'orientation a bien pour vocation de fixer les directions nouvelles, et non pas de redire ce qui l'a déjà été depuis de longues années.
C'est pourquoi, après avoir réfléchi avec vous à ce bilan de trente années de politique agricole, je vous indiquerai pourquoi à mes yeux une nouvelle politique publique en faveur de l'agriculture est nécessaire.
C'est d'abord aux préoccupations des femmes et des hommes qui vivent et vivront de ce métier, que cette loi d'orientation doit répondre. Je vous propose de le faire :
- en jetant les bases d'une politique qui permette à l'agriculture de remplir son triple rôle, économique, social, et environnemental, de façon équilibrée ;
- en fixant les règles d'une répartition juste et équitable des soutiens publics entre les agriculteurs, condition indispensable au maintien d'une agriculture faite par des chefs d'exploitation nombreux, responsables et présents sur tout le territoire.
- en encourageant une agriculture qui produise pour des marchés solvables, qui crée des emplois, et qui participe à la préservation des ressources naturelles, car c'est là la triple fonction de l'agriculture .
- enfin, en donnant un contenu concret à ce nouveau contrat entre l'agriculture et la nation que beaucoup appellent de leurs vux, grâce aux contrats territoriaux d'exploitation.
Avant de vous présenter de façon plus détaillée les grands axes de mon projet, je souhaite vous dire les raisons pour lesquelles à mes yeux la politique agricole doit être profondément réorientée.
1-Je veux vous inviter, pour cela, à réfléchir au bilan de la politique suivie jusqu'à présent, et à ses conséquences pour l'agriculture elle-même, mais aussi pour l'ensemble de la société.
a- S'agissant de l'agriculture proprement dite, les effets de la politique agricole instaurée depuis les années 60 sont connus.
Elle a permis une formidable croissance de la production agricole en volume, une restructuration de la propriété foncière et des exploitations agricoles considérable, et un bond en avant de la productivité du travail dans ce secteur.
Les exemples de cette " révolution silencieuse " sont innombrables.
En quatre décennies, la productivité agricole a été multipliée par 7,5, c'est à dire bien plus que pendant les huit ou neuf millénaire séparant la naissance de l'agriculture de la seconde guerre mondiale.
Le volume des productions végétales a été multiplié presque par 4 entre 1960 et 1995, celui des productions animales par 2, et le volume des productions de l'élevage hors sol a doublé depuis 1980.
La production de céréales a été multipliée par 5 en 40 ans
Ces efforts ont permis à la France et à l'Europe de parvenir à l'autosuffisance puis de devenir de grands exportateurs mondiaux de produits agroalimentaires.
Mais le prix de ces bouleversements a été lourd et l'on peut se demander si l'agriculture a tiré les fruits de cette croissance.
En quarante ans, la France a perdu 4 millions d'actifs agricoles et l'Union européenne 20 millions.
Entre 1980 et 1989, 25 000 exploitations disparaissaient chaque année, et le rythme s'est encore accéléré, puisque depuis 1989 ce sont 40 000 exploitations qui disparaissent chaque année en France. Pour une exploitation créée, cinq disparaissent.
C'est dire l'importance de la restructuration qui a lieu.
Quant aux prix alimentaires à la consommation, exprimés en monnaie constante, ils sont restés stables de 1960 à aujourd'hui. Dans le même temps les prix à la production des produits agricoles ont été divisés par 2. Cela signifie que la part du produit agricole dans le produit final est devenue de plus en plus secondaire.
Le prix du blé a été divisé par 4 en 40 ans, il a perdu 60 % de sa valeur depuis 1980. Et cela ne date pas de la réforme de la PAC, la tendance est constante depuis 1960.
Plus grave encore, en dépit de cette formidable croissance de la production en volume, la "ferme France" s'est appauvrie dans les 25 dernières années.
Une récente étude de l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture nous indique que le chiffre d'affaires de l'agriculture française, exprimé en francs constants, a stagné de 1975 à 1983, il a ensuite régressé de façon continue.
Quant à la valeur ajoutée produite par l'agriculture, elle a été divisée par 2 en 25 ans.
Ces évolutions globales recouvrent naturellement des différences régionales marquées. La baisse de la valeur ajoutée produite semble d'autant plus forte que les départements sont spécialisés sur les grandes productions encadrées par la politique agricole commune.
C'est ainsi que le département de l'Eure et Loir a vu son chiffre d'affaires agricole baisser de 52 % dans les 15 dernières années, tandis que celui de la Gironde progressait de 62 %.
Dans le même temps, la place des produits agricoles dans les échanges mondiaux n'a cessé de se réduire. Ils représentaient encore 48 % de la valeur des exportations agricoles mondiales en 1950, ils n'en représentent plus aujourd'hui que 12 % du commerce des marchandises.
De plus le commerce se concentre de plus en plus sur les produits transformés. A titre d'exemple les échanges mondiaux de céréales sont restés stables en volume autour de 200 millions de tonnes de 1980 à aujourd'hui, tandis que celui des produits transformés progressait fortement.
Au bout du compte si l'un des objectifs de la politique agricole, celui de la parité entre le revenu des agriculteurs et les autres catégories sociales a pu être presque atteint en moyenne, c'est grâce à l'abandon de leur profession par des millions d'agriculteurs
Si les choses continuent ainsi, les agriculteurs auront bientôt perdu toute capacité à peser dans la production, et dans le rapport des forces au sein des filières agricoles et agroalimentaires.
Nos industries agroalimentaires auront-elles profité de toutes ces transformations ?
Incontestablement, nos IAA ont connu une très forte croissance favorisée par cette offre de matières premières abondantes et à faible prix.
Mais on doit se demander si elles en profiteront encore autant demain.
En effet, je constate que la capitalisation boursière moyenne de l'ensemble des Industries agroalimentaires est restée stable, autour de 110 milliards de francs entre 1992 et 1996, alors que dans le même temps, la valeur des 3 plus grandes chaînes de distributions côtées en bourse a été multipliée par 3 pour atteindre 150 milliards de francs.
Après avoir évolué en défaveur des agriculteurs, la modernisation ne jouerait-elle pas contre les industries agroalimentaires ? Nous devons au moins nous poser la question.
Il est temps de dire que l'avenir de notre agriculture, et surtout celui de nos agriculteurs ne se trouve pas dans la course sans fin au prix de production le plus bas. Ni la France ni l'Europe ne sont des pays en voie de développement, condamnés à brader à bas prix des matières premières sur le marché mondial.
Les secteurs les plus dynamiques à l'exportation, qui sont aussi ceux qui ont permis un enrichissement de certaines branches de l'agriculture, sont ceux qui fournissent des produits à forte valeur ajoutée, dont les prix sont élevés.
La compétitivité d'une économie développée réside dans la qualité de ses infrastructures, dans la formation des hommes, dans sa capacité à proposer sur le marché des produits présentant des qualités spécifiques, susceptibles d'être valorisés dans de bonnes conditions. Elle se trouve aussi dans la qualité des relations qui peuvent être nouées entre l'ensemble des maillons d'une filière. C'est dans ce sens là que nous devons travailler.
b- On peut aussi s'interroger sur l'efficacité pour l'ensemble de la société, de la politique agricole passée
A mesure que la production se concentrait dans certaines zones géographiques, la difficulté à concilier un certain mode de valorisation de la production agricole et la préservation des ressources naturelles est apparue de plus en plus grande. La pollution des eaux, la dégradation des sols, les nuisances de toutes sortes sont devenues autant de sujets de préoccupation pour les agriculteurs eux-mêmes, comme pour l'ensemble de nos concitoyens.
Nous savons maintenant que l'eau est un bien rare que nous devons aussi préserver.
Nous savons que les sols ne sont pas inépuisables, et que certaines pratiques agronomiques peuvent se révéler à terme très néfastes pour les agriculteurs eux-mêmes.
Les effets négatifs sur l'environnement d'un modèle poussé à l'extrême ne seront pas durablement supportés par l'ensemble de la société. Le coût en reviendra à l'agriculture elle-même et portera atteinte à sa compétitivité.
La crise de la vache folle a déclenché une crise de confiance des consommateurs, et les a amenés à mettre en question des méthodes d'élevage dont les conséquences à long terme ne paraissent pas totalement maîtrisées.
La récente épidémie de peste porcine en Europe a mis en évidence la fragilité d'un élevage exagérément concentré.
L'agriculture joue de plus en plus difficilement son rôle dans le maintien de l'équilibre territorial, car la présence d'une activité agricole sur l'ensemble du territoire n'est pas inscrite dans le libre jeu du marché. La surexploitation de certaines régions s'accompagne de l'abandon d'autres zones. Cet abandon n'est pas une fatalité, il est aussi le résultat d'une politique. Il n'est pas de régions condamnées, mais il est des atouts non valorisés.
Ce divorce territorial est certes un problème de société, mais c'est aussi un problème de politique agricole.
Et puis, il faut le dire, la politique de soutien à l'agriculture apparaît souvent injuste.
Le niveau de soutien entre les filières, les régions et les exploitations varie de façon considérable.
Votre commission, a présenté dans son rapport un certain nombre de documents très éloquents à ce sujet . Le revenu moyen par exploitation en 1997 s'échelonne de 631 000 francs en Gironde, à 574 000 francs en Côte d'Or, 400 000 francs en Seine-et-Marne. Il tombe à 70 000 francs dans le Lot ou en Corrèze, et même à 60 000 francs en Haute-Vienne.
En ne prenant que la moyenne des revenus, nous avons un écart de 1 à 10. Si nous prenions non plus les moyennes, mais les revenus de chaque exploitant, cet écart irait de 1 à 100.
Les aides publiques ne corrigent pas ces inégalités de revenus, bien souvent elles les renforcent même. Cela n'est plus acceptable, et l'intervention publique en faveur de l'agriculture ne peut être justifiée que si elle vient conforter les plus faibles, compenser les inégalités liées aux conditions naturelles d'exercice du métier, favoriser des modes de production respectueux de l'environnement, bref conforter une agriculture équilibrée et riche de ses hommes autant que de ses productions
Voilà pourquoi, sans même évoquer les projets de réforme de la politique agricole commune discutés actuellement à Bruxelles ou bien les menaces que pourraient faire porter sur notre agriculture les futures négociations multilatérales de l'Organisation Mondiale du Commerce, la politique agricole, nationale et communautaire, est menacée. Elle ne sera viable durablement que si nous sommes capables de lui donner une nouvelle légitimité et un sens.
c- Le contexte international ne fait que renforcer l'urgence de cette réorientation.
Une réforme de la PAC se prépare actuellement à Bruxelles.
J'ai eu souvent l'occasion de dire pourquoi je n'acceptais pas le projet de la commission tel qu'il est actuellement conçu.
Alors qu'il faut changer les règles du jeu pour inverser les tendances que je viens de décrire, la commission ne propose pas un nouveau projet pour l'agriculture, elle se contente de prolonger les orientations de 1992. On nous invite à continuer dans la même direction, en allant encore plus vite et en généralisant les baisses de prix garantis compensées par des aides au revenu des agriculteurs.
La régulation des marchés agricoles ne peut pas se faire uniquement par les prix, sauf à accepter la poursuite du mouvement de disparition des exploitations, et d'appauvrissement de l'agriculture que j'ai rappelé tout à l'heure.
Cette politique présentée comme réaliste me paraît en fait à courte vue. Le scénario risque fort d'être le suivant : on baisse aujourd'hui les prix garantis pour accepter demain une nouvelle réduction de la protection du marché communautaire, et après demain la réduction imposée des aides directes aux agriculteurs. Car n'en doutons pas, les contraintes budgétaires européennes, devenues un sujet majeur de négociation entre européens, jointes aux contraintes des négociations de l'OMC auront tôt fait de remettre en cause ce qui aura été présenté comme durablement acquis.
N'oublions pas en effet que d'ici un an, les négociations commerciales multilatérales reprendront. Notre devoir est d'anticiper en définissant les contours d'une politique agricole qui permette à l'Europe d'être offensive et non le dos au mur dans ces négociations.
C'est dans cet esprit que le gouvernement propose cette loi d'orientation, qui doit être l'affirmation de la volonté politique de la France de préserver une agriculture puissante, grâce à une nouvelle orientation de la politique agricole française et européenne.
2- Quels sont les grands axes du projet de loi d'orientation du gouvernement ?.
a- Je considère tout d'abord que la politique agricole ne sera efficace, légitime et durable que si elle place l'homme au cur de ses préoccupations.
Bien entendu personne ne dira le contraire, mais il faut passer des déclarations d'intention aux mesures qui permettent de traduire concrètement cette volonté.
a 1- Une politique faite pour les hommes doit privilégier réellement l'installation des agriculteurs, en particulier celle des jeunes, sur l'agrandissement des exploitations.
C'est pourquoi le projet que je vous présente comporte un important volet relatif à ce que l'on appelle le " contrôle des structures agricoles ".
Mon projet donne aux commissions départementales d'orientation agricole les moyens de mettre fin à l'agrandissement sans fin de la taille des exploitations.
Il étend le régime d'autorisation préalable d'exploiter à toutes les mutations, et permet de contrôler l'agrandissement des exploitations sous forme sociétaire, ce qui n'était pas possible jusqu'à maintenant. Le développement du phénomène sociétaire en agriculture avait, de ce fait, vidé de tout contenu pratique, ce qui restait dans notre droit en matière de contrôle de l'agrandissement des exploitations.
L'information des candidats à l'installation sur les départs à venir, dans des délais suffisants, et la transparence sur la réalité des évolutions départementales, grâce à un rapport annuel départemental sur l'installation, viendront conforter l'efficacité des moyens de contrôle créés par la loi.
Enfin, la suppression du régime des sanctions pénales, peu efficace et son remplacement par un régime de sanctions administratives, permettra d'en faire réellement respecter la loi.
Cette volonté de limiter les possibilités d'agrandissement des exploitations, de faire prévaloir l'installation sur l'agrandissement, est-elle passéiste, voire anachronique, comme certains le disent?
Je ne le pense pas.
Contrairement à ce que l'on dit souvent, les grandes exploitations ne sont pas nécessairement les plus compétitives. Les économies d'échelle, dans ce secteur comme dans d'autres, ne sont pas sans limites. Et l'on peut parfaitement démontrer, en dehors de toute préoccupation éthique ou morale, mais simplement en prenant en compte des considérations économiques, que l'agrandissement des exploitations n'apporte aucun gain supplémentaire au-delà d'une certaine taille.
En outre, je suis convaincu que l'archaïsme se trouve davantage du côté de ceux qui prônent un libéralisme sans contraintes qui broie les femmes et les hommes.
a-2- Une politique faite pour les hommes doit permettre d'améliorer la protection sociale des agriculteurs, des conjoints d'exploitants, des salariés et des retraités d'agriculture.
Afin d'achever l'uvre entreprise par les précédentes lois pour reconnaître la parité des actifs agricoles avec les autres catégories sociales, je vous propose de créer un statut de conjoint collaborateur d'exploitation agricole, pour celles et ceux qui ne sont ni associés ni coexploitants.
Ce statut permettra, notamment, à ceux qui le choisiront d'améliorer très substantiellement leurs droits à retraite.
Par ailleurs, vous le savez, le Gouvernement s'est engagé dans un plan pluriannuel de revalorisation des retraites agricoles. Les mesures prises en 1998 et celles annoncées pour 1999 constituent un effort sans précédant qui sera prolongé, comme un amendement adopté par votre commission nous y invite.
Je n'oublie pas les salariés agricoles dont je souhaite encourager le recrutement, en simplifiant les formalités à accomplir par les employeurs à l'embauche, sans que soit porté atteinte aux garanties sociales des employés. C'est le sens de la généralisation du " titre emploi simplifié " qui est proposée.
Je vous propose également de prendre un certain nombre de dispositions permettant d'améliorer les conditions de représentation et de défense des intérêts matériels et moraux des salariés du secteur, grâce à la création de commissions d'hygiène et de sécurité au niveau départemental, ainsi qu'à celle de comités départementaux d'uvres sociales et culturelles.
b- La politique agricole ne sera légitime et pérenne que si elle permet le plein développement des trois fonctions de l'agriculture : production, emploi, entretien de l'espace agricole et forestier.
La multifonctionnalité de l'agriculture, n'est pas une idée à la mode qui permettrait de donner un supplément d'âme à une politique agricole contestée, pour faire taire les critiques. Il ne s'agit pas de donner une légère couche de vernis environnemental et social aux soutiens publics à l'agriculture pour en assurer la respectabilité.
La multifonctionnalité de l'agriculture correspond tout simplement à la réalité d'une activité agricole bien conduite, qui contribue en même temps à la production agricole, mais aussi à la protection et au renouvellement des ressources naturelles, à l'équilibre du territoire et à l'emploi.
C'est une vision de l'agriculture dans laquelle environnement, bien-être des animaux, qualité et identification des produits ne sont plus des contraintes pesant sur l'activité agricole, mais des atouts permettant de valoriser cette production agricole sur le marché national, communautaire et mondial.
Les consommateurs demanderont de façon croissante à savoir d'où viennent les produits qui leur sont proposés, et dans quelles conditions ils ont été élaborés. Dans ces conditions le respect de l'environnement deviendra un atout et un facteur de compétitivité sur les marchés.
L'évolution du commerce du bois témoigne dès aujourd'hui de cette évolution. Le respect de conditions de production respectueuses de l'environnement est devenu un critère important de la fixation des prix.
Les politiques publiques doivent reconnaître cette évolution. Les règles de répartition des aides publiques en faveur de l'agriculture, qu'il s'agisse des concours nationaux aujourd'hui, mais aussi demain des concours européens, doivent être adaptées. Les soutiens aux agriculteurs ne devront plus être répartis proportionnellement au volume de la production qu'ils réalisent. Mais ils devront inciter les agriculteurs à prendre en compte l'ensemble des dimensions de leur métier.
c- Les contrats territoriaux d'exploitation seront les outils de cette nouvelle politique agricole.
Un contrat territorial d'exploitation sera la traduction d'un projet global de développement de l'exploitation, conçu par l'agriculteur qui le signera. Il fixera les engagements respectifs de l'Etat et de l'agriculteur.
Quand je dis engagements, je ne pense pas à une longue suite de contraintes administratives, mais à un ensemble d'actions couvrant tout le champ d'activités de l'exploitation.
Certains craignent que la démarche que je défends n'aboutisse à une " suradmininstration de l'agriculture ". Ils doivent ignorer comment est gérée aujourd'hui la politique agricole. L'importance des aides publiques dans la formation du revenu des agriculteurs à conduit à un enchevêtrement de réglementations et de contrôles de plus en plus opaques. C'est une des raisons pour lesquelles la politique agricole doit être réorientée à travers une approche contractuelle qui me paraît la forme la plus moderne, la plus responsable et la plus transparente de gestion d'une politique publique.
C 1-Le champ de la production, bien entendu.
L'agriculture que je veux encourager à ce titre, c'est une agriculture diversifiée, créatrice de richesses et de valeur ajoutée.
Le revenu des agriculteurs ne doit pas dépendre de leur habileté à utiliser au mieux de leurs intérêts les règles de distribution des aides publiques.
La politique publique doit au contraire les inciter à produire de la richesse sur leur exploitation, à valoriser les terroirs dans lesquels s'inscrit leur action, à fournir des produits de qualité bien valorisés sur les marchés, et dont le prix soit le gage d'un revenu durable, plutôt que les aides liées à telle ou telle production.
J'y insiste, car c'est tout le sens des contrat territoriaux d'exploitation. A mes yeux, ils doivent permettre de redonner à l'initiative et au goût d'entreprendre des agriculteurs toute leur place. La politique actuelle les conduit trop souvent à identifier projet d'avenir avec spécialisation et agrandissement de leur exploitation. La politique que je vous propose a pour ambition d'encourager notre agriculture et nos agriculteurs à s'écarter de cette vision réductrice et appauvrissante, pour tourner leurs efforts vers les marchés réellement rémunérateurs qui assureront la pérennité de leur exploitation.
Vous constaterez que mon projet fait une place importante à la politique de qualité et d'identification des produits agricoles
Ce projet permettra de clarifier la gestion des signes d'identification des produits. Il distingue trois caractérisations qui sont aujourd'hui trop souvent confondues à tort :
*les signes d'identification de la qualité que sont les labels et les certifications de conformité,
*Les signes d'identification de l'origine que sont les appellations d'origine contrôlées et les indications géographiques protégées.
*Les signes d'identification d'un mode de production qui sont l'agriculture biologique, l'agriculture de montagne.
La gestion des signes d'identification de l'origine, qu'il s'agisse d'AOC ou d'IGP sera confiée à l'INAO, alors qu'elle est partagée aujourd'hui entre deux instances. A cette fin, un comité sera créé au sein de l'INAO, qui remplacera l'actuelle commission mixte. La composition de ce comité sera déterminée avec le souci de rassembler les compétences nécessaires, à l'instar de ce qui a été fait jusqu'à maintenant.
Si la loi rend possible l'accession à l'IGP sans lien avec un label agricole, elle n'en fait pas une obligation, et ceux qui voudront promouvoir une démarche unissant une demande de protection d'une IGP et une demande de reconnaissance d'un label pourront bien sûr le faire.
Enfin, cette loi ne disposera que pour l'avenir, ce qui signifie que les IGP et les labels déjà reconnus ne seront pas réexaminés, et leur statut actuel ne sera pas modifié.
c-2- Le deuxième axe du CTE sera constitué des actions positives conduites par les agriculteurs pour préserver les ressources naturelles, et entretenir l'espace.
La durabilité de l'agriculture dépend de la richesse des milieux naturels dans lesquels elle s'inscrit. Il n'y a donc pas d'opposition entre le premier chapitre du CTE que je viens de décrire, et le second qui sera tourné vers les pratiques agronomiques respectueuses de l'environnement, et la définition d'actions d'intérêt général contribuant à l'occupation du territoire et à l'entretien de l'espace.
Il y a au contraire complémentarité, et traduction concrète de la multifonctionnalité de l'agriculture. Projet économique et projet territorial se renforceront mutuellement pour donner au métier d'agriculteur tout son sens.
Mais j'entends dire que reste pendante la question du financement.
Comment allons-nous financer cette réorientation de l'agriculture ?
Très simplement en réorientant en même temps les dépenses publiques en faveur de l'agriculture. Il ne s'agit pas de dépenser plus pour l'agriculture, mais de dépenser mieux, et ainsi de rendre sa légitimité à l'effort public en faveur de l'agriculture, légitimité contestée en France comme à Bruxelles.
Je commencerai dès 1999, en redéployant une partie des crédits de mon ministère sur le fonds de financement des CTE. Je poursuivrais en me battant pour que la réforme de la PAC soit l'occasion de réorienter une partie des crédits publics au profit de ces actions.
A terme, le CTE a vocation à regrouper l'essentiel des aides aux exploitations, dans un cadre cohérent, au service d'un projet.
d- Conforter la place des agriculteurs dans les filières.
Je ne suis pas un adepte du libéralisme sauvage, et je n'ai jamais pensé que les marchés agricoles n'ont pas besoin d'être organisés, et que la libre confrontation de l'offre et de la demande suffira à tout régler.
J'ai toujours expliqué le contraire, et les marchés agricoles tout particulièrement justifient l'existence de moyens d'organisation des marchés au service des filières, et justifient parfois l'intervention publique.
J'ai le souci que les agriculteurs puissent prendre toute leur part dans les efforts d'organisation des marchés et puissent en tirer les fruits.
C'est pourquoi je propose notamment de créer des interprofessions spécifiques à chaque signe de qualité. Elles permettront de structurer les démarches d'identification des produits dans un cadre qui assure la représentation de tous ceux qui ont intérêt à son succès. C'est de cette façon que pourra être assurée une juste répartition de la valeur ajoutée entre les agriculteurs et les entreprises d'aval.
C'est dans le même esprit que la loi d'orientation agricole donne un certain nombre d'outils aux partenaires des filières pour prendre les mesures nécessaires à la régulation des marchés pour faire face aux crises conjoncturelles.
e- Mobiliser l'enseignement et la recherche agricoles dans le cadre de ces orientations.
De la même façon que l'on a su hier construire un grand appareil de formation et de recherche capable de prendre à bras le corps les questions liées au nécessaire développement de la production, nous avons aujourd'hui à édifier une recherche scientifique et une formation capables de prendre en compte les grandes questions de notre époque : celles du clonage et des organismes génétiquement modifiés, celles de la sécurité sanitaire et de l'environnement, celles du plein emploi et de la cohésion sociale.
Les questions posées sont autant scientifiques et techniques qu'économiques et éthiques.
Notre appareil de formation et de recherche doit garder l'excellence scientifique qui est la sienne dans la communauté scientifique internationale. Il doit comprendre et maîtriser ces grandes questions qui sont aussi des grands enjeux, et permettre au plus grand nombre de s'approprier et de maîtriser ces savoirs nouveaux, et rendre chacun capable d'évaluer les conséquences pour l'avenir de notre société des découvertes scientifiques et de leurs applications.
La politique agricole que je propose doit pouvoir s'appuyer sur la mobilisation de notre appareil d'enseignement, de recherche et de développement, afin d'inventer de nouveaux savoir-faire, de mieux utiliser ceux qui existent déjà, de mettre nos agriculteurs en situation de réelle compétitivité sur l'ensemble des marchés.
Dans cette perspective, je propose que la recherche et l'enseignement supérieur constituent de façon structurée des pôles régionaux bien reliés aux universités et aux établissements de recherche qui les entourent. Je souhaite continuer la modernisation de notre enseignement technique, et parvenir à unifier les statuts de nos établissements. Je souhaite enfin que le pluralisme qui s'est instauré dans les conseils des offices et qui est un principe républicain auquel nous sommes tous attachés trouve sa traduction dans l'appareil de développement.
C'est à cette condition que nous franchirons une nouvelle étape dans l'ouverture, la citoyenneté et l'efficacité de nos outils de recherche, de formation et de développement.
Je suis convaincu que c'est par ces objectifs et avec cette méthode que nous préparerons l'avenir de la politique agricole.
C'est en affirmant haut et fort cette nouvelle orientation que nous serons capables de faire entendre notre voix à Bruxelles, d'infléchir le cours des négociations actuelles autour du Paquet Santer.
Alors bien sûr on va me poser la question de la compatibilité entre cette loi d'orientation agricole française et ce qui se prépare à Bruxelles.
Ma réponse est très simple : je n'entends pas faire de la loi d'orientation agricole la loi d'application, par anticipation, de la réforme de la PAC proposée par la Commission
Cette réforme ne me convient pas je l'ai dit et répété à Bruxelles et à Paris. J'avais crû comprendre d'ailleurs qu'elle ne convenait pas non plus à ceux qui me reprochent de présenter une loi qui n'est pas conforme aux objectifs du projet de la commission.
C'est précisément parce que je refuse ces perspectives que je vous propose ces orientations.
Celles-ci me semblent porteuses d'avenir pour notre agriculture, et pour l'agriculture européenne.
La France doit jouer son rôle au sein de l'union européenne. Il lui revient de s'opposer aux menaces de renationalisation de la politique agricole commune qui se font jour dans le débat européen.
Elle ne peut le faire qu'en proposant pour les prochaines décennies un modèle européen d'agriculture crédible et enthousiasmant, qui concentrera la négociation sur les objectifs et sur le projet, et non plus seulement sur le budget et le taux de retour : un projet dans lequel les agriculteurs et les européens dans leur ensemble se reconnaîtront aujourd'hui et demain.
Je pense qu'en le faisant maintenant, en permettant le rassemblement des énergies, celles des élus, celles des professionnels agricoles et au-delà de l'ensemble des agriculteurs et de la nation, nous pourrons peser dans les débats communautaires dans le sens que nous souhaitons. Cette loi doit être l'occasion et l'outil de ce rassemblement.
La loi d'orientation agricole a été voulue par tous. Elle ne parle pas de tout.
Elle ne parle pas de ce que le gouvernement a réalisé en quinze mois, sans faire un bilan exaustif :
*Il a engagé le processus de rééquilibrage des aides à l'agriculture entre les régions, en négociant un plan pluriannuel de modification de la " régionalisation des aides " aux grandes cultures, dans le sens d'une plus grande équité ;
*Il a créé une agence de sécurité sanitaire des aliments qui contribuera à répondre aux inquiétudes de nos concitoyens sur la qualité sanitaire de leur alimentation ;
*Il s'est appliqué à respecter les principes de reconnaissance du pluralisme syndical qui doivent être encore mieux garantis par notre droit et mis en uvre dans toutes nos institutions ;
*Il a engagé avec vous un travail législatif qui aboutira prochainement en vue de répondre aux problèmes nouveaux apparus dans les relations entre l'homme et les animaux de compagnie .
Ce projet de loi ne traite pas de l'avenir de notre forêt. J'ai choisi de traiter cette grande question pour elle-même. D'une part parce que les interlocuteurs et partenaires ne sont pas les mêmes que ceux du monde agricole, et que ceci suppose d'autres modes de concertation. D'autre part , parce que l'Union européenne n'est pas dotée d'une politique forestière, ce qui conduit à un exercice différent. Enfin parce que la loi forestière devra mettre à jour une grande partie du code forestier, ce qui est éloigné des sujets traités dans la LOA.
Mais soyez rassurés, le sujet n'est pas en panne. Votre collègue JL.Bianco a qui le premier ministre avait confié le soin d'éclairer les choix du gouvernement en la matière, a remis un rapport d'une grande richesse de proposition. Le gouvernement s 'appuiera sur ce travail pour vous proposer un projet de loi forestière en 1999.
Ce projet ne parle pas non plus de fiscalité. Ce sujet n'est pas délaissé pour autant. J'ai engagé une concertation approfondie avec les organisations professionnelles au sein du CSO, afin de parvenir à un projet d'ensemble. Ce projet devra s'inspirer du respect du principe de parité entre les différents secteurs économiques dans le domaine de la fiscalité. Les propositions présentées par les uns et par les autres ne permettent pas de considérer que je suis en présence d'un tel projet.
Je ne saurais passer sous silence la grande question de la malnutrition, et les criantes inégalités dans l'accès à l'alimentation sur notre planète, à la fin de notre siècle. J'ai la conviction que tous les peuples ne se développeront et que la paix ne se construira que si toutes les nations parviennent à développer leurs capacités à assurer, au moins en partie, leur couverture alimentaire. C'est pourquoi je combats l'idée selon laquelle il reviendrait à quelques puissances d'assurer l'alimentation de l'ensemble de l'humanité. Pas plus que nous n'acceptons que les Etats-Unis imposent au monde leur modèle alimentaire, nous n'acceptons que la politique européenne ait pour fin de faire de l'alimentation une arme. Ce n'est pas ma conception du métier d'agriculteur et de sa dignité, ce n'est pas non plus ma conception de la construction européenne.
Cette loi d'orientation a été voulue par tous.
J'ai conduit une large concertation depuis mon arrivée, et c'est naturellement dans cet esprit de dialogue que je m'adresse à vous aujourd'hui.
Je sais, car j'ai pu le mesurer que M. François Patriat votre rapporteur, et les membres de la commission de la production et des échanges ont réalisé un travail d'enrichissement sérieux et approfondi durant plusieurs semaines, en concertation avec les secteurs professionnels intéressés. C'est là un exemple de travail parlementaire qu'il nous faut saluer et qui augure bien de nos échanges au cours des prochains jours.
Le conseil économique et social a lieu aussi apporté une solide contribution synthétisée et présentée avec force par Mme LAMBERT.
Les agriculteurs sont maintenant impatients de voir cette loi aboutir, et de la voir mise en uvre dans notre pays.
Je vous invite à répondre à cette attente qui est aussi celle de l'ensemble de nos concitoyens et plus largement, ne vous y trompez pas, celle de nos partenaires européens..
(source http://www.agriculture.gouv.fr, le 23 octobre 2001)