Interview de M. Bernard Accoyer, président du groupe parlementaire UMP à l'Assemblée nationale, à RFI le 16 décembre 2004, sur l'ouverture de négociations en vue d'une éventuelle adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q- J. Chirac vous a-t-il paru convaincant hier soir, en expliquant qu'il valait mieux faire avec la Turquie que contre ?
R- J. Chirac nous est apparu très clair, très pédagogue. Il a rappelé d'abord qu'il s'agissait de l'ouverture de négociations en vue de l'éventuelle adhésion. Il a rappelé également que négociation ne vaut pas adhésion et qu'en l'espèce, la Commission européenne elle-même a énuméré toute une série d'exigences qui ont même conduit cette Commission - et c'est la première fois qu'elle précisait cela - à dire qu'à tout moment, le processus pourrait être arrêté.
Q- Justement, comment peut-on dire à la fois, comme l'a dit le chef de l'Etat encore hier, "pas question de négocier puis de refermer la porte", et en même temps, "ne vous inquiétez pas, vous aurez, vous Français, la possibilité de dire "oui" ou "non" à la Turquie par référendum dans dix ou quinze ans" ?
R- Il y a réalisme et démocratie. Réalisme parce que, depuis 1963, le rapprochement de la Turquie avec l'Union européenne est engagé et que, par conséquent, c'est une page qui s'ouvre avec la décision très probable, demain, de l'ouverture de ces négociations, avec, je le dis encore une fois, toutes les conditions sur les droits fondamentaux, sur le devoir de mémoire en direction du drame arménien, sur le développement économique et social et la durabilité de ces réformes dans le temps. C'est l'observation du déroulement de l'accès aux critères de Copenhague. Et puis, in fine, c'est aussi rappeler qu'un traité d'adhésion, si traité d'adhésion un jour il y a - comme l'a dit le président de la République, pas avant une quinzaine d'années éventuellement -, il y a alors nécessité de ratification par tous les États membres. Et pour les Français, cette ratification se fera par référendum. Et donc, ce seront les Français eux-mêmes qui auront le dernier mot. Et, encore une fois, comme le processus doit être ratifié unanimement, il suffit qu'un seul des pays - peut-être serait-ce la France, mais il ne faut imaginer cela, car lorsque l'on ouvre une négociation, c'est pour aboutir -, un seul des pays disposerait de ce pouvoir important.
Q- Le chef de l'Etat s'est voulu rassurant face aux Français qui, on le sait, sont, pour les deux tiers, opposés à l'adhésion de la Turquie. Mais ce que l'on retient aujourd'hui, c'est tout de même le "oui" de J. Chirac à cette adhésion, un "oui" qui pose problème au sein même de la majorité présidentielle.
R- Le président de la République a dit hier "oui" l'ouverture des négociations. Il a même dit "oui, si" pour l'adhésion elle-même. Au delà de cette ouverture, chacun reconnaît qu'il est indispensable d'ouvrir ces négociations, pour d'innombrables raisons économiques et sociales, des raisons de progrès, de poursuite des efforts importants faits par la Turquie, également un objectif de stabilité et de paix qui sont, ne l'oublions pas, les objectifs premiers de la construction européenne, à laquelle le président de la République a été étroitement associé. C'est la situation actuelle : l'ouverture des négociations. Et puis il y a le processus lui-même, un long processus : beaucoup d'Etats, beaucoup d'exigences, parce que les conditions mises sont importantes et que le parcours à effectuer par la Turquie est significatif. Et enfin, l'étape démocratique d'une éventuelle ratification par référendum.
Q- Le 9 mai dernier, le conseil national de l'UMP s'est prononcé pour un partenariat privilégié. Aujourd'hui, les souverainistes qui sont au sein de l'UMP - je pense notamment à M. Dupont-Aignan - se prononcent très clairement contre cette adhésion. Comment cela se gère-t-il au sein du parti ?
R- D'abord, il est normal qu'il y ait, dans un grand parti, des positions qui soient différentes. C'est la démocratie. J'observe qu'au Parti socialiste, c'est une situation également partagée qui existe.
Q- Aujourd'hui, ceux que l'on entend surtout, ce sont les membres de l'UMP qui sont contre l'adhésion de la Turquie...
R- Il y a également à l'UMP un certain nombre d'élus et de militants qui y sont favorables. Mais encore une fois, aujourd'hui, ce n'est pas la question de l'adhésion qui se pose. Aujourd'hui, c'est la question de l'ouverture des négociations. Donc là, il y a unanimité sur cette ouverture. Comment pourrait-on imaginer de dire à un grand pays tel que la Turquie, que l'on ferme définitivement toute porte, que nous pensons qu'ils ne sont pas qualifiés a priori ? Il ne faut pas avoir de préjugés, les préjugés n'ont pas lieu d'être. C'est donc cette attitude qui prévaut. Et comment le gérer à l'intérieur de l'UMP ? Tout simplement en disant que si les conditions sont toutes réunies dans quinze ans, eh bien la question de l'adhésion se posera vraiment, à ce moment-là et rien qu'à ce moment-là, et alors ce sera la démocratie. Si d'ici là, elles ne sont pas réunies, s'il y a des obstacles infranchissables, eh bien, soit la Turquie, soit les États membres se prononceront pour arrêter ces négociations. Et à ce moment-là, c'est là qu'il peut y avoir et qu'il faudrait qu'il y ait, si cette situation se réalisait, un lien fort ou un partenariat privilégié.
Q- Vous parlez d'unanimité au sein de l'UMP, mais aujourd'hui, certains de ses membres appellent à voter "non" au référendum sur la Constitution européenne, comme si le débat sur la Turquie entachait cette question de la ratification du traité de Bruxelles. Cela va tout de même loin.
R- Je redis qu'il y a quasi-unanimité pour l'ouverture des négociations. C'est un point. Par contre, sur l'état d'esprit aujourd'hui, l'opinion, la conviction d'un nombre important, majoritaire, de militants et d'élus UMP vis-à-vis de l'adhésion, il y a une position négative. Mais encore une fois, c'est aujourd'hui. Qui peut préjuger de ce que sera la Turquie dans dix, quinze, vingt ans, au regard des critères de Copenhague ? Et cette diversité, nous ne la nions pas. Elle constitue un débat. C'est aussi un problème, vous avez raison, parce que comme votre présentation le laisse entendre, il peut y avoir un amalgame entre la situation créée par l'ouverture de ces négociations, l'éventuelle perspective de leur aboutissement dans quinze ans, et puis un autre problème, tout à fait différent, qui est le référendum constitutionnel, qui constitue un progrès évident pour tous les pays de l'Union, dont la France, dans l'harmonisation et la démocratie.
Q- C'est tout de même une échéance pour 2005, alors qu'effectivement, le référendum sur l'entrée de la Turquie sera dans dix ou quinze ans. L'année prochaine, que va-t-il se passer quand les Français vont devoir voter pour ou contre la réforme constitutionnelle ? Est-ce que l'on parlera encore de la Turquie à ce moment-là ? Sans doute...
R- C'est le rôle particulièrement valorisant, honorable, des responsables politiques, d'expliquer les choses suffisamment clairement, comme l'a d'ailleurs fait hier le président de la République lui-même, pour bien différencier l'ouverture des négociations en vue de l'éventuelle adhésion de la Turquie d'une part, et quelque chose qui n'a strictement rien à voir avec ce premier événement, mais qui aura lieu l'année prochaine, c'est-à-dire le référendum sur la Constitution européenne.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 décembre 2004)