Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer, à "Europe 1" le 24 novembre 2004, sur la situation connflictuelle du transport routier et sur les perspectives de développement du transport de marchandises à la SNCF.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Merci d'être là, dans cette situation de tension - je ne sais pas si je dois dire de "crise"... Les poids lourds ne vont pas entrer dans Paris, apparemment ; est-ce qu'ils bloqueront tout de même Paris, puisqu'ils n'ont pas renoncé à des opérations commandos ? Sont-ils en état de pouvoir faire des opérations commandos ?
R- Je ne crois pas, d'abord parce qu'il s'agit d'une organisation à la fois minoritaire et non représentative du monde du transport. Et donc, bien sûr que nous sommes toujours ouverts pour discuter avec eux et j'ai un conseiller qui est à leur disposition, je voulais vous le dire. Je suis bien conscient pour toute la profession des transporteurs, que c'est une profession difficile qui, aujourd'hui, a des défis à remonter à cause des concurrences déloyales des pays européens de l'Est notamment, qui a la hausse du pétrole. Tout cela est vrai, mais en tout cas, ce n'est pas une raison pour essayer de bloquer les routes. Jamais nous ne laisserons bloquer les routes. D'une part, parce que ce serait bloquer l'économie, d'autre part parce que ce serait laisser aller au suicide ces petits patrons eux-mêmes.
Q- Est-ce qu'il faut pour autant déployer, mobiliser tant de gendarmes et de CRS, avec ces risques d'énervement qu'on a notés ?
R- "Déployer tant de gendarmes"... On est là pour assurer l'ordre public, pour le respect de la mobilité des citoyens et des entreprises. On a besoin d'activité économique pour pouvoir aussi à la fois alimenter le budget, la croissance et la distribution. Concrètement, on a besoin de l'économie, on ne peut pas laisser bloquer.
Q- Concrètement, ce matin, peuvent-ils arriver à bloquer les grandes villes, à bloquer les sources d'approvisionnement et d'énergie ? D'ailleurs, ils sont passés près de chez vous, sous vos balcons...
R- On fera tout pour éviter les troubles à l'ordre public. C'est clair, le Premier ministre l'a dit, nous avons pris aussi bien au ministère de l'Intérieur que chez nous toutes les mesures qu'il faut et nous les maintenons tant qu'il y a un risque de blocage. Je ne crois pas, parce qu'ils sont très peu nombreux - beaucoup moins que ne laisse penser les messages, les émissions et parfois même les images. Ils sont peut-être quelques centaines, à peine deux cent sur tout l'ensemble de la France. Il y a 450.000 camions, il y a 45.000 patrons d'entreprises de transport. Mais sur 45.000, il y en a peut-être 200 actuellement.
Q- Mais cela suffit pour gêner les routes, bloquer...
R- Cela suffirait si le Gouvernement n'était pas mobilisé. Et comme le Gouvernement et les services publics sont mobilisés, ils ne bloqueront pas les routes.
Q- Dans le journal de S. Soumier, ce matin, il était question du gendarme qui a sorti son revolver, son arme ; êtes-vous favorable à une enquête administrative pour que l'on comprenne pourquoi cet énervement ?
R- Il y aura certainement un rapport qui montrera pourquoi il a sorti son arme. Et s'il l'a fait, je pense que ce n'était pour rien, il se sentait probablement menacé. Mais je n'ai pas de rapport précis sur ce fait dont j'ai aussi entendu parlé.
Q- Dites-vous ce matin que ce mouvement bizarre de patron et de petits patrons routiers minoritaires a échoué ?
R- Bien entendu, mais il ne pouvait qu'échouer ; pourquoi ? Parce que quand on a des difficultés comme les patrons de transport routiers en France, on se concerte. Il y a trois grandes organisations représentatives, qui ne font que se concerter avec le ministère des Transports. Et on a abouti à des résultats...
Q- On va voir...
R- Ben oui, mais c'est important quand même, plutôt que de manifester.
Q- Mais parce qu'ils ne sont pas reconnus socialement, politiquement, administrativement, vous ne voulez pas les recevoir ?
R- Je veux bien qu'ils aient un dialogue avec le ministère, mais je reçois les organisations qui sont représentatives, parce que, que diraient les organisations représentatives si je reçois des dissidents qui ont, d'une certaine façon, tenté de diluer la représentativité des grands ?
Q- Est-ce que les grands, reconnus et représentatifs, vous ont dit "si vous les recevez, ne comptez plus sur nous pour la concertation" ?
R- Ils n'ont pas besoin de me le dire, je le sens et je le sais. Ce que je sais en tout cas, c'est qu'avec les organisations représentatives, il y a une bonne concertation, des mesures ont été prises au mois d'octobre et au mois de novembre, dont les organisations représentatives disent que ce sont de bonnes mesures, qui vont dans le bon sens et qui les aident à surmonter les difficultés d'aujourd'hui.
Q- Donc, ce matin, vous dites ,comme dimanche, que vous ne les recevrez pas mais qu'un de vos conseillers spécialistes les recevra, c'est cela ?
R- Le dialogue entre professionnels et ministère est toujours ouvert. Je reçois, naturellement, puisque je suis en charge de ce ministère, les organisations représentatives. Cela a toujours été la règle du jeu.
Q- Ce matin, vous renouveler votre offre pour votre conseiller ou pas ?
R- Elle est permanente et ils l'ont déjà refusée. Est-ce clair ?
Q- Oui, mais si ce matin ils disaient finalement qu'ils viennent à Paris, en petite délégation, sans arriver avec les gros camions, peuvent-ils voir le conseiller
de G. de Robien ?
R- Cela a toujours été comme ça, cela se maintiendra, bien entendu.
Q- Sur le fond, que pensez-vous de leur demande d'aide à cause, dit-on du handicap de la flambée du gasoil, de la concurrence hors la loi que leur livrent par exemple les Roumains, les Tchèques, les Polonais ?
R- Leurs demandes étaient totalement justifiées il y a trois mois ; on y a travaillé énormément avec les organisations représentatives et on a pris des mesures à la fois fiscales et sociales qui sont vraiment de nature à les rassurer et qu'ils semblent ignorer. Je vais prendre deux exemples en mesures fiscales : vous savez qu'ils ont forcément une taxe professionnelle comme tous les professionnels ; cette taxe professionnelle a été dégrevée, dans un premier temps, de 122 euros par camion, dans un deuxième temps de 244 euros par camions et dans troisième temps - à effet rétroactif - de 366 euros par camion. Et pour cette taxe professionnelle, qui ne s'appliquait qu'aux gros camions, le dégrèvement a même été pour les camions de 3,5 tonnes. Donc, maintenant, toute la flotte est dégrevée, en grande partie de taxe professionnelle. C'est un avantage...
Q- C'est-à-dire que vous n'irez pas plus loin, parce que ce n'est pas une bonne clientèle pour le Gouvernement ?
R- Ce n'est pas le problème de la clientèle, c'est le problème qu'il faut être rationnel. Il faut savoir gérer les fonds publics de façon équilibrée. Les organisations professionnelles sont satisfaites avec ces mesures-là. On a pris des mesures sociales également, de façon à avoir des calculs de temps de travail, avec un donnant-donnant avec les salariés de ces patrons-là. Donc, aujourd'hui, ils sont mieux les moyens d'exercer leur profession. C'est cela l'essentiel.
Q- N'y a-t-il pas une nécessité d'harmoniser au moins fiscalement, socialement, le problème au niveau de toute l'Europe ? Est-ce que vous pourriez demander, ce matin, à monsieur Barroso et au Français J. Barrot qui s'occupe des transports ?
R- Il y a longtemps que c'est demandé, bien entendu, et progressivement, on harmonise. Mais c'est vrai qu'avec certains pays qui ont des bas salaires et qui ont peu de cotisations sociales, à ce niveau-là, il y a une trop grosse distorsion qu'il faut combler. Deuxièmement, au niveau du coût du pétrole, j'avoue que cette différence entre les pays de l'Est est beaucoup plus succinctes, beaucoup plus faible. Donc ce n'est pas là que cela se situe. Cela se situe au niveau des salaires et des charges.
Q- Arriverez-vous à un accord, avec les grandes organisations représentatives, pour prévenir de tels conflits qui sont dangereux, et comme vous le disiez tout à l'heure, pénalisants pour l'économie ?
R- C'est fait, j'ai un accord avec les grandes organisations syndicales qui sont venues au ministère le mois dernier quand je leur ai annoncé de nouvelles mesures ; elles sont reparties satisfaites. Je voudrais attirer votre attention sur une chose : l'année 2004, c'est l'année où les syndicats de salariés, notamment à la SNCF, ont montré qu'ils savaient se concerter, qu'ils avaient le sens du dialogue, qu'ils étaient réalistes et réformateurs. Est-ce qu'aujourd'hui ça va être certains petits patrons du domaine des transports qui ont donné le mauvais exemple ?
Q- N'est-ce pas une raison supplémentaire pour développer le ferroutage ?
R- Mais le ferroutage fonctionne. Il fonctionne entre Aiton et Orbassano, et dès que ces expérimentations auront lieu de façon définitive, on pourra l'étendre à travers toute la France. Par ailleurs, on relance le fret ferroviaire qui reconquiert des parts de marchés depuis le milieu de l'année 2004, qui va être beaucoup moins déficitaire qu'en 2003. Et j'ai le plaisir de vous informer que la SNCF, très déficitaire en 2003, va être équilibrée, voire largement ou un peu bénéficiaire : 50 à 100 millions peut-être en 2004. Cela veut dire que les entreprises de transport, en France, se portent beaucoup mieux que l'année dernière.
Q- Les comptes SNCF 2004 sont meilleurs. Mais pourtant, demain, 50.000 cheminots sont attendus à Paris. Ils vont manifester pour protester contre la politique de la SNCF qu'ils estiment "libérale".
R- D'une part, c'était avant les mesures que nous avons prises. C'est une décision qui remonte à six mois...
Q- Donc, c'est une manif pour rien, avec un temps de retard ?
R- Deuxièmement, ce n'est pas une grève, mais une manifestation, vous mesurez quand même la différence. Troisièmement, à cette époque-là, le Gouvernement n'avait pas dit qu'il rajoutait 800 millions d'euros pour relancer le fret. Quatrièmement, depuis ce temps-là...
Q- Bruxelles vous demande d'ailleurs des comptes : pourquoi leur donnez-vous 800 millions pour trois ans ?
R- Parce qu'on veut relancer le fret ! Donc, c'est encore un gage supplémentaire vis-à-vis des cheminots. Et puis, quatrièmement, il y a eu depuis ce temps un accord majoritaire sur l'alarme sociale à la SNCF, plus un accord minoritaire sur les salaires, ce qui n'est pas arrivé depuis dix ans.
Q- On ne sait donc pas encore si les petits patrons routiers se sont mis en route... Vous répétez que s'ils demandent un rendez-vous - pour être clair -, votre conseiller les recevra mais pas vous ?
R- Et que l'on évitera les troubles à l'ordre public.
Q- L'Assemblée a voté le budget 2005 à l'UMP en bon ordre et à la grande surprise, l'UDF de F. Bayrou et de G. de Robien aussi ; qu'est-ce que cela veut dire ?
R- Et pourquoi ? A la "grande surprise" de qui ? De vous ?!
Q- De tous ! Parce qu'on les avait tellement entendu gueuler avant ! Est-ce que ce geste augure des rapprochements avec l'UMP, présidé dans quatre jours par N. Sarkozy ?
R- Avec l'UMP et avec le Gouvernement. Simplement, quand le dialogue fonctionne, naturellement, il y a des résultats au bout. Et là, je me réjouis de voir que le dialogue a fonctionné avec D. Bussereau, avec N. Sarkozy et avec le Gouvernement, que des avancées ont été obtenues par et grâce à l'UDF. Eh bien, c'est comme cela que ça fonctionne entre deux grandes familles de la vie politique française : lorsque l'on se concerte, c'est comme dans le monde du transport, c'est comme dans le monde de la SNCF, il y a des résultats tangibles.
Q- N. Sarkozy va-t-il vous manquer ou cela va-t-il donner plus d'air et d'espace au Gouvernement ?
R- N. Sarkozy a montré son talent au Gouvernement, maintenant, il va montrer son talent à la tête de l'UMP ; c'est son choix. Au Gouvernement, en tout cas, plus que jamais, on est décidé aussi à travailler dans le bon sens et dans l'intérêt général.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 25 novembre 2004)