Discours de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, sur la nécessité pour le parti socialiste, après ses succès électoraux de 2004, de préparer dès à présent l'alternance du pouvoir, à Paris le 3 juillet 2004.

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Circonstance : Premier Rassemblement national des élus socialistes à la Mutualité à Paris le 3 juillet 2004

Texte intégral

Chers camarades,
Le rassemblement d'aujourd'hui est sûrement un moment important. D'abord, parce que vous y êtes venus nombreux et parce qu'il est situé à une date, finalement, assez essentielle.
Ce rassemblement se tient après un cycle électoral exceptionnel et, en même temps, avant l'été qui risque d'être un été noir pour le pacte social et le pacte républicain avec les lois qui sont en délibération actuellement au Parlement.
Nous venons effectivement de connaître des succès électoraux considérables, historiques (20 régions sur 22, ce qui permet à Alain Rousset d'être Président de l'Association des Régions de France, sans grande contestation interne) ; majoritaires, nous le sommes aussi au niveau des conseils généraux. Nous sommes aussi présents dans de nombreuses communes et intercommunalités, et nos succès n'ont pu que renforcer l'action de nos responsables élus. Nous avons également connu une victoire considérable aux élections européennes. Jamais le Parti socialiste, depuis que ces élections ont lieu (depuis 1979), n'avait atteint les quasi 30 % des suffrages. Ces succès sont sûrement autant de sanction de la droite au pouvoir, mais ils nous confèrent de nouvelles responsabilités.
Il faut d'abord démontrer que ces élections ont été utiles aux Français. Car, j'entends beaucoup de nos concitoyens qui relèvent, pour s'en désoler, que malgré la clarté du vote, la limpidité du message qui a été adressé au Président de la République et au Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin est toujours là ; que les ministres ont sans doute -à un moment- connu une danse de Saint Guy pour retrouver leur siège au lendemain du scrutin des régionales et cantonales, mais ce sont les mêmes qui gouvernent. Et, malgré la force du vote, la droite poursuit, au-delà de quelques reculs ponctuels, la même politique. Toutes ces critiques sont vraies. Et le pouvoir aurait sans doute été bien inspiré de tirer toutes les leçons utiles d'une élection dont le caractère national était évident et la portée politique claire. Il n'empêche. Les Français n'ont pas voté pour rien. Ils ne nous ont pas simplement confié leur suffrage, accordé peut-être leur confiance ; ils nous ont offert une capacité d'intervention et d'action.
Nous n'avons pas nous-mêmes simplement sollicité la sanction ; nous avons pris des engagements et nous devons les tenir. Nous avons, dans toutes nos campagnes, appelé à un changement de méthode, levé une nouvelle espérance démocratique, souhaité une meilleure représentation de la diversité de la société au sein des conseils régionaux et généraux -et il y a encore beaucoup à faire. Mais, nous ne pouvons pas attendre 2007 pour porter témoignage de notre engagement. C'est maintenant qu'il faut agir ; et c'est pourquoi notre premier devoir dans le temps qui nous sépare d'autres échéances -et notamment celles de 2007- c'est d'agir dans l'intérêt des Français, c'est d'être utiles.
Mais, pour être utiles, faut-il encore faire des choix, définir nos priorités et être exemplaires pour les atteindre. Le premier des choix que nous avons fait, c'est de donner priorité à l'éducation dans l'action que nous allons mener dans les conseils régionaux et généraux ; c'est de faire de la gratuité l'instrument, une des conditions -pas la seule- de l'égalité et d'en faire un droit effectif. Les formules peuvent différer, région par région, mais l'objectif est le même : permettre à tous d'accéder à tous les matériels scolaires. C'est pourquoi je reconnais aussi comme une priorité ce que font beaucoup de conseils généraux, c'est-à-dire la diffusion de toutes les technologies possible à tous les jeunes qui peuvent en avoir aujourd'hui le besoin. Nous devons être d'abord ceux qui offrent, ceux qui partagent la chance de la technologie nouvelle, du savoir, de la connaissance. Ce que nous faisons n'est pas à la marge au prétexte que nous n'aurions pas la responsabilité principale de l'éducation ; mais, si -même pour une étape seulement- nous avons été dans cette mandature capables d'offrir une égalité des chances supplémentaires, le vote des Français, en mars 2004, aura été utile et la responsabilité qui nous a été confiée aura été exemplaire.
La deuxième priorité : c'est la formation professionnelle qui ne se réduit pas, comme la droite voudrait nous le faire croire, à l'apprentissage. Pour nous, la formation professionnelle, c'est un élément de promotion sociale, c'est un instrument d'accession à l'emploi, c'est un moyen d'atteindre la parité dans les tâches et les emplois occupés, c'est un élément majeur d'une politique d'insertion. Et là aussi, comme socialistes, et notamment dans les régions, nous avons la fierté de conduire des politiques de formation qui peuvent être utiles aux salariés et aux chômeurs.
Nous avons aussi choisi comme priorité l'environnement. Et partout où nous pouvons intervenir, nous faisons des choix en faveur du transport collectif, en faveur du traitement des déchets. Nous donnons des éléments de protection à l'égard de la pollution de l'air ou du bruit. Ne sous-estimons pas ces enjeux ; une politique de développement durable existe à l'échelle mondiale -c'est notre prochain défi, à l'échelle européenne mais aussi à l'échelle territoriale. Je veux que les socialistes soient exemplaires sur la question du développement durable. Non pas simplement pour en prendre le sujet à d'autres, mais parce que c'est, au fond même, la source de notre engagement de socialistes.
Parmi les priorités que nous avons posées, il y a l'égalité des chances pour la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle. Et les socialistes sont exemplaires sur les questions de crèches ou de garde des enfants. Nous sommes décidés à mener en matière de culture, de sports, de loisirs de vraies politiques de solidarité et donc d'égalité. Mais, si nous devons agir, choisir des priorités, nous devons être aussi différents de la droite dans les méthodes que nous utilisons.
La démocratie, d'abord. Cela a été un des éléments de notre victoire en mars dernier. L'élaboration de nos projets -comme nous l'avons fait dans les départements et les régions avec les Français-. Et, aujourd'hui, l'évaluation de notre action, les compte rendus de mandat, la participation des citoyens ou de leurs représentants aux décisions qui les concernent ; les choix de budget à travers la participation sur une part de la dépense collective de ce qui est l'aspiration ressentie par les citoyens.
Et il faudra ce souci permanent de la concertation. On ne peut pas affirmer aujourd'hui qu'il faut gouverner différemment, appeler les forces vives, transformer avec elle la société, et ne pas le faire là où nous en avons la possibilité dans les collectivités locales.
Nous avons aussi, en termes de méthode, à fixer comme principe la lutte contre toutes les discriminations. Chaque fois que nous faisons un choix public, chaque fois que nous développons une politique, nous devons avoir à chaque instant la référence de la lutte contre la discrimination : est-ce que notre politique profite à tous ? Est-ce qu'elle n'écarte pas certains ? Est-ce qu'elle n'en avantage pas d'autres ? Est-ce que nous sommes suffisamment soucieux de la représentation de notre diversité ?
Et enfin, en termes de méthode, nous sommes élus dans des communes, intercommunalités, départements, régions, dans des majorités de gauche -quand nous sommes majoritaires. Notre devoir d'élus, donc, est de faire vivre le rassemblement de la gauche. Je suis convaincu que ce rassemblement territorial de la gauche qui s'est fait, qui s'est produit notamment en mars dernier, prépare -et le mieux possible- le rassemblement qui doit se faire en 2007. Et, chaque fois que nous pouvons, dans nos assemblées, faire vivre l'union à gauche dans les territoires, nous la faisons aussi avancer au niveau national. Je sais bien que les états-majors peuvent parfois être plus distants, mais chaque fois qu'il y a une initiative possible à gauche sur les territoires, il faut le faire ; en tout cas, c'est notre responsabilité de socialistes.
Mais, nous avons aussi une exigence de sincérité par rapport à la réalité de nos compétences, par rapport à la faiblesse de nos moyens, par rapport à l'ampleur des contraintes que le gouvernement fait peser sur les libertés locales. Soyons francs avec les Français. Nous n'exerçons pas le pouvoir, nous ne le partageons même pas. Nous le subissons comme tous les autres. Les échecs de la droite sont sans doute les siens ; ils lui appartiennent et nous ne voulons pas les prendre en partage ou en responsabilité. Mais, ils pèsent sur les collectivités qui peuvent sans doute en amortir les effets, les conséquences, mais ne peuvent en altérer les causes.
Trois illustrations :
Sur l'emploi : le chômage a augmenté de plus de 220 000 personnes au bas mot, au bas chiffre, depuis deux ans. C'est la conséquence d'une politique économique à contresens qui a privilégié l'épargne plutôt que la consommation, d'une politique sociale idéologique qui a supprimé le traitement social du chômage et suspendu la loi de modernisation sociale, et la conséquence de l'absence de toute politique d'aménagement du territoire avec son volet industriel. Et il faut aussi reconnaître que si nous devons développer les emplois tremplins, si nous devons soutenir -même au niveau de nos communes, de nos départements- les efforts d'insertion, jamais nous ne créerons autant d'emplois tremplins que la droite détruit d'emplois tous les jours à travers sa politique économique. Et pourtant, nous avons à le faire. Nous avons à le faire parce que, chaque fois que nous pouvons soulager une situation sociale, donner une chance à un jeune ou à une personne sans qualification, c'est notre devoir.
Sur les services publics : nous sommes confrontés à un retrait général de l'Etat, et la diminution du nombre de fonctionnaires va encore amplifier les mauvaises conditions de l'exercice du service public. Il n'y a pas de jour où nous n'avons pas l'annonce de fermeture de bureau de poste, de perception ou d'école. Et pourtant, nous savons bien que, là aussi, ce qui est demandé aux collectivités, c'est de service de substitut. Vous voulez des services publics ? Vous voulez payer. Vous voulez une présence postale ? Vous l'assurez. Vous voulez garder votre perception ? Vous la financez. Nous pouvons dénoncer, condamner mais nous avons aussi à donner les services au risque d'augmenter les prélèvements. Il y a aussi cette libéralisation des services publics qui va contraindre beaucoup de collectivités à venir à la rescousse, en renfort, au secours, chaque fois que La Poste libéralise ses services, chaque fois que EDF -et maintenant possibilité lui sera donnée par la loi- gèrera différemment sa présence ou ses tarifs. Que feront les collectivités locales ? Laisser faire ? C'est prendre le risque de l'aggravation des inégalités. Agir ? C'est prendre le risque de la confusion et de l'opacité. Tel est le dilemme qui est devant nous. Et, dans les contrats de plan, que constatons-nous ? L'Etat se retire, viole sa parole, n'assure plus la continuité et renvoie sur les collectivités des charges qu'elles ne peuvent plus assumer en termes de grands équipements. Je me souviens de Jean-Pierre Raffarin, à l'époque Président du Conseil régional de Poitou-Charentes -cette situation a été d'ailleurs corrigée depuis- qui n'avait pas de mots assez féroces, au moment où nous étions nous-mêmes en responsabilités, pour critiquer l'insuffisance des crédits affectés aux contrats de plan. Et pourtant, Lionel Jospin avait veillé à les porter au plus haut possible dans les contraintes budgétaires du moment. Mais là, il ne s'agit plus d'insuffisance de crédits, il s'agit d'annulation, de disparition même de crédits. Situation invraisemblable où l'Etat viole non seulement sa parole, mais également la parole de ceux qui, hier responsables de collectivités publiques, n'avaient de cesse de mettre en cause l'Etat lorsque nous étions au pouvoir. Là aussi, terrible choix pour les régions, les départements : suppléer l'Etat, chercher des crédits qui n'existent plus pour continuer à assumer le transports collectifs ou le désenclavement routier ? C'est prendre le risque, là encore, de laisser penser que l'Etat peut finalement blesser sa parole sans conséquence, et c'est aussi un risque politique que nous ne pouvons pas courir.
Sur les exclusions : il y a, hélas depuis deux ans, une augmentation considérable du nombre de Rmistes, de mal-logés, de travailleurs pauvres -et je n'invente rien, c'est Jean-Louis Borloo qui en a fait le constat et sur ce point là, il était accablant pour eux. Mais, que nous dit-on face à la crise financière que rencontrent tous les CCAS, les offices HLM, les communes ? Que nous dit-on face au retrait de l'Etat, et notamment par rapport à cette politique de la ville ? La droite gouvernementale crée les exclusions, et c'est à la gauche territoriale de les réduire et de pratiquer l'insertion. Nous ne pouvons pas accepter ce partage des rôles où la droite déferait ce que la gauche avait précédemment construit et où les collectivités devraient se substituer à une politique de l'Etat défaillante. Ce jeu-là doit être dénoncé car c'est un jeu où il n'y a que des perdants.
S'est déroulée, depuis maintenant deux ans, une opération de Mistigri. Chacun connaît ce jeu de cartes -pratiqué à un jeune âge mais qui peut se poursuivre selon les talents de chacun-, ce jeu appelé " pouilleux " dans d'autres régions, qui consiste à se débarrasser de la mauvaise carte sur son partenaire. Appliqué à la décentralisation, le jeu consiste pour l'Etat à transférer charges, compétences, responsabilités et même personnels sans jamais y adjoindre les financements ; le jeu consiste donc à refiler le " Mistigri " des déficits et à endosser ou à faire endosser aux élus la responsabilité de la levée de l'impôt. Si bien que, pour nous tous, le dilemme est le suivant : soit nous refusons d'intervenir et nous laissons alors les citoyens affronter seuls le désengagement de l'Etat ; soit, nous nous substituons à la défaillance du gouvernement et nous faisons peser sur les contribuables locaux une charge qui ne leur incombe pas. Au risque, dans les deux cas, de creuser les inégalités territoriales. Car seules les communes, les départements, les régions les plus prospères pourront décider d'intervenir en remplacement de l'Etat ou laisser faire si elles considèrent que leur public n'est pas forcément le plus concerné par la défausse de l'Etat.
Le trucage a pris des formes encore plus raffinées avec le plan Borloo. Il utilise une vieille ficelle de Jacques Chirac qui peut se résumer à l'expression suivante : c'est moi qui parle, c'est toi qui paye. L'Etat promet, les collectivités financent. Le gouvernement fait le généreux avec l'argent des autres -le nôtre, celui des citoyens- et tout cela relève presque de l'abus de confiance. L'illusion à crédit. Et, avec le plan Borloo, la ficelle est devenue très grosse car, avec ce plan, il renvoie -après deux mandats du Président de la République qui n'a pas été capable de résorber la fracture sociale- au-delà de 2007 la résorption de cette même fracture sociale. Ce que Jacques Chirac n'a pas été capable de faire en deux mandats, son successeur sera obligé de l'accomplir dans le mandat suivant.
Je suggère de ne pas accepter ce partage des rôles. Il y a aujourd'hui des décisions à prendre dans l'urgence. Elles relèvent des choix gouvernementaux ; elles relèvent de la solidarité nationale ; elles relèvent de financements publics assumés. Il ne peut pas y avoir, à chaque fois, ce jeu de renvoyer à plus tard les responsabilités d'aujourd'hui. Le cynisme a atteint -en cette période- des excès que nous ne pouvons pas admettre en démocratie, car nous vivons, au-delà de ce que nous pouvons nous-mêmes ressentir comme élus locaux, une douloureuse fin de règne. Le Chef de l'Etat n'a tiré aucune leçon de ses échecs électoraux ; il pense même, en cette veille de congés, être sorti tant bien que mal de l'impasse difficile qu'il vient de traverser. Il a choisi avec le gouvernement d'ignorer le message des électeurs, de feindre l'indifférence, de faire le pari de la résignation, de faire comme si les élections n'étaient pas intervenues et d'espérer l'épuisement civique, le découragement, de faire en sorte qu'en définitive il y ait, par la désinvolture qui est la sienne, l'oubli de la sanction. Le pouvoir a même pris la responsabilité de passer en force, au lendemain des élections régionales, cantonales et européennes, sur tous les dossiers qui étaient au cur des campagnes électorales que nous avons menées au printemps : Privatisation d'EDF -c'est fait, vote en première lecture à l'Assemblée nationale ; Démantèlement de l'assurance maladie -c'est en train de se faire et jusqu'à la fin du mois de juillet à l'Assemblée nationale puis au Sénat ; Transfert des personnels TOS de l'Education -c'est fait à travers le vote qui est intervenu au Sénat ; asphyxie des collectivités locales au nom même de l'autonomie -c'est à travers la décision, là encore, du Parlement d'en terminer avec le texte sur l'autonomie avant même d'ailleurs d'avoir reçu de nouveau les Présidents de région qui avaient demandé audience. On leur a accordé une fois, ils reviendront et la loi sera votée. Nous avons aussi, même sur la culture, sur la Recherche, où nous pensions avoir arraché des reculs, la confirmation des choix gouvernementaux.
Leur tactique est d'utiliser le temps -trois ans sans élection- pour démobiliser, désarmer, décourager l'esprit public et pour appliquer de gré ou de force un programme qui n'est même plus celui de 19 % (1er tour des élections présidentielles), mais de 16 % (le tour des européennes). Voilà ce qui est en cause.
Et, la crise au sein de l'UMP qui s'est installée maintenant au cur même de l'Etat, loin de freiner les ardeurs libérales, au contraire, les stimule. C'est une surenchère à droite qui s'est engagée et c'est à qui sera le plus zélé à flatter les clientèles conservatrices, à donner des gages à la majorité UMP et obtenir les bonnes grâces du MEDEF. Nicolas Sarkozy, dans tous les cas de figure, se révèle toujours le plus rapide et le plus prompt. Le premier à vouloir donner au MEDEF ce qu'il attend. Le premier à flatter les corporatismes ; le premier aussi à essayer de séduire une majorité pour le futur congrès de l'UMP. Et les 35 heures sont ainsi jetées en pâture dans la compétition au sein de la droite. Nous n'accepterons pas la remise en cause de cet acquis social qui fait la fierté de l'action qui a été conduite par Lionel Jospin avec Martine Aubry. Pour eux, il ne s'agit pas de rechercher je ne sais quel intérêt des entreprises ou d'améliorer la compétitivité nécessaire dans la mondialisation que nous traversons. Il s'agit de prendre d'abord une revanche politique, de faire reculer le progrès social, et surtout de mettre la main sur les exonérations non pas liées à l'application des 35 heures mais liées à tous les abaissements du coût du travail qu'ils ont consentis sans contrepartie aux entreprises et qui, aujourd'hui, forcément manquent au budget de l'Etat.
Mais le pire est cette erreur économique qui consiste, maintenant, à souhaiter la suppression de toute référence à une durée légale de travail, ce qui revient à dire que les heures supplémentaires n'auraient plus les majorations qui leur sont appliquées aujourd'hui, ce qui revient à dire qu'il ne s'agirait pas de travailler plus pour gagner plus, mais de travailler autant pour gagner moins. Voilà ce qui est en cause. C'est aussi une politique économique qui est en cause, car chacun sait que s'il y a recours aux heures supplémentaires, comment se feront les embauches dans la phase hypothétique de reprise de l'activité ?
On ne peut pas accepter qu'un enjeu social aussi important dans notre pays que le droit du travail soit l'objet d'une controverse non pas entre experts, non pas entre ministres sur l'usage de tel ou tel instrument, mais tout simplement dans le cadre de la préparation du congrès de l'UMP. Terrible image, aujourd'hui, de l'Etat dont la seule préoccupation de ses principaux acteurs n'est pas de préparer l'avenir des Français, mais la succession d'Alain Juppé, où le Président de la République n'a pour seul objectif que de se séparer de celui qui prétend déjà à sa succession, où le Ministre des finances défie chaque jour celui qui l'a nommé, où les Ministres se querellent publiquement, voire même publient des notes confidentielles pour gêner éventuellement l'action de l'autre et où Jean-Pierre Raffarin fait encore croire qu'il est toujours Premier ministre, tout en préparant quand même son retour au Sénat C'est plus sage.
Dans toute démocratie digne de ce nom, une clarification devrait intervenir. Car, aujourd'hui, nous vivons un régime d'irresponsabilité collective et de convenance personnelle. Cela ne peut plus durer ainsi ; cela ne peut pas durer ainsi pendant trois ans.
Le Chef de l'Etat, qui devrait se souvenir du mandat qui lui a été confié le 5 mai 2002 qui est de faire vivre le pacte républicain, de faire vivre les grands principes de notre démocratie, prend aujourd'hui un risque en poursuivant, en aggravant même, la politique du gouvernement. C'est un risque politique, d'incivisme, d'abstention, qui devient la seule chance d'ailleurs de la droite dans les scrutins. C'est aussi un risque social qu'il court à travers l'accumulation des rancunes, des frustrations, des colères. Et, un pays en défiance n'est pas toujours un pays en silence. Il a pris enfin un risque économique. Parce que, faute de confiance, faute de vision de la part des responsables, il n'y a pas de reprise économique durable. Et, c'est face à cette situation ainsi créée à droite, face à ce désordre au sommet de l'Etat, face à ce défaut de perspective, de projet, face à ces risques de dilution civique, de rupture sociale et de difficultés économiques, le rôle des élus socialistes est essentiel pour la période qui vient.
Nous avons à la fois à défendre le présent et à préparer l'avenir.
Défendre le présent, c'est notre action. Nous avions, à la fin du XIXe Siècle, théorisé le socialisme municipal ; aujourd'hui, nous pratiquons le socialisme territorial. Il nous permet d'assurer une solidarité de proximité, de donner une dynamique d'action, d'inventer des politiques, d'être une forme de laboratoire social. Mais, en même temps, nous ne pouvons pas nous réduire à ce rôle-là. Le rôle des élus socialistes, dans la période qui vient, est le suivant : Nous devons être offensifs. Pas simplement en défendant nos droits d'élus, nos compétences territoriales, nos budgets. Nous devons être offensifs pour défendre les Français eux-mêmes. Nous devons être leurs intermédiaires, leurs représentants, l'instrument de leur confiance, leur expression même. Nous ne pouvons pas simplement nous contenter, dans nos conseils municipaux, départementaux, régionaux, d'émettre des vux, de faire des suppliques, de nous adresser aux préfets. Nous devons être, maintenant, des éléments d'une mobilisation qui va plus loin que celle de nos assemblées respectives. Nous avons une forme de confiance qui nous est accordée par les fonctions que nous occupons comme élus. Il y a là comme un lien indissoluble entre les citoyens et ceux qui les représentent. Si nous sommes conscients du rôle, du mandat, de la force qui nous sont confiés, nous ne pouvons pas en rester au travail qui est le nôtre dans nos assemblées. Ce je vous demande maintenant, c'est de vous mobiliser comme jamais, d'être des acteurs civiques, des instruments de mobilisation, des modes d'expression ; que chaque citoyen pense qu'avec les élus socialistes et de gauche qu'il a choisi au moment des élections de mars dernier, il a un moyen de se faire entendre. Nous avions dans la campagne " faites entendre votre voix " en venant voter. Aujourd'hui, nous avons comme responsabilité de faire entendre la voix des Français à travers le mandat qu'ils nous ont confié.
Voilà ce qu'est aujourd'hui la nécessité. Par rapport à un paysage syndical qui est ce qu'il est, à une difficulté de mobilisation des forces sociales, à un émiettement de la participation civique, à un doute qui s'exprime, nous avons à prendre nos responsabilités.
Aujourd'hui, les élus sont des acteurs essentiels de la force même de la démocratie, et notamment dans les trois ans qui nous séparent de la prochaine échéance. Nous avons à donner de la cohésion, du sens et de la responsabilité face à une droite qui s'en est abusivement privée.
Nous avons aussi à préparer l'avenir. Ce sera notre projet. Nous avons des politiques dans nos assemblées qui méritent d'être relevées comme autant d'éléments pour l'alternance de 2007. C'est souvent dans les communes, les départements, parfois dans les régions, que nous avons inventé -dans les années 80- les politiques de la ville, les emplois jeunes, le RMI et que nous avons été capables aussi de développer la culture ou l'accès à l'éducation. De la même manière, dans les trois années qui nous séparent des échéances essentielles de 2007, nous devons faire le même travail d'invention, d'imagination et de généralisation.
Bien sûr, j'associerai les élus à la préparation de notre projet. J'ai souhaité une représentation des régions, des départements, des communes, dans la Commission Projet. Mais, dans chaque département, une commission du projet doit se créer où tous les élus devront jouer leur rôle d'apporteurs d'idées, d'invention. Nous avons à faire nos choix sur la décentralisation. Quel regret, quel déchirement peut représenter aujourd'hui, pour ceux qui ont inventé la décentralisation, l'image qu'elle en a en ce moment même auprès de nos concitoyens ! Faut-il l'appeler aujourd'hui " démocratie territoriale " sans doute. En tout cas, nous avons non seulement à réinventer les mots, mais à clarifier les compétences, sûrement à réformer profondément la fiscalité locale, à changer les règles de l'intervention de l'Etat -et notamment de péréquation- et à reconnaître l'intercommunalité. Le plus dur ne sera pas de se mettre d'accord sur la réforme de la fiscalité locale, sur les changements de mode de scrutin, sur la reconnaissance de l'intercommunalité, sur la clarification des compétences. J'ai grande confiance dans l'esprit d'imagination des socialistes lorsqu'ils sont dans l'opposition. Le plus dur ce sera de le faire dans la majorité. Ce que nous écrirons dans le projet sur ces questions -et notamment sur la fiscalité locale, la clarification des compétences et la démocratisation de l'intercommunalité- nous le ferons si les Français nous donnent mandat en 2007.
Une politique gouvernementale -et forcément nous aurons à y revenir- ne peut réussir sans la mobilisation de toute la société, s'il n'y a pas un partenariat réel d'abord avec les élus, ensuite avec les forces vives -syndicats, associations. Les meilleures intentions, les meilleures réformes, les plus belles lois ne peuvent pas se traduire véritablement dans la réalité. Nous avons fait voter des textes tout à fait considérables chaque fois que nous sommes venus aux responsabilités -3 fois durant ces 25 dernières années- mais nous n'avons pas été suffisamment attentifs non seulement à les préparer en amont, mais surtout à les faire appliquer avec la participation de tous. Et l'échelon territorial est essentiel. C'est pourquoi, cette solidarité entre Etat et collectivités locales ne doit pas seulement être une solidarité politique. Ce n'est pas simplement parce que nous appartenons au même ensemble, au même parti, à la même future majorité de gauche, c'est parce que nous déciderons ensemble, Etat, collectivités territoriales, de poursuivre les mêmes politiques que ces politiques-là pourront réussir.
Dans cette période où nous sommes dans l'opposition, nous jouons en définitive les chances de notre réussite de demain, lorsque nous serons de nouveau aux responsabilités. C'est maintenant que non seulement nous préparons l'alternance, mais que nous la réussissons. Si nous laissons passer cette chance d'un dialogue réel entre nous, d'une capacité à fonder des politiques, d'un engagement commun à les traduire en actes demain, alors nous pourrons gagner les élections, mais nous ne serons pas sûrs de traduire en actes nos engagements d'aujourd'hui. Il faut donc de la cohérence entre élus socialistes car il ne faut plus entendre ce que nous avons trop entendu dans nos rangs : querelles entre départementalistes et régionalistes, entre ceux qui sont pour l'intercommunalité et ceux qui y sont plus réticents. Nous sommes tous socialistes et nous devons donc avoir la même ambition territoriale, quel que soit le niveau de compétence. Nous devons avoir aussi ce même effort de cohésion territoriale et nationale. Finalement, l'une des plus grandes chances pour le retour de la gauche aux responsabilités, c'est qu'en fait nous avons déjà les régions et les départements à gauche. Cela nous fera sûrement le plus beau des renforts lorsque nous serons de nouveau associés à l'exercice du pouvoir d'Etat. Cela nous a tant manqué lorsque, dans les années 80, la plupart des régions étaient à droite, les départements aussi. Cela nous a manqué dans la période 97/2002, quand les élus locaux de droite faisaient acte d'opposition avant tout. Souvenez-vous de leur sortie en écharpe dans les manifestations pour défendre le service public, la compensation des dotations de l'Etat, les transferts de charges Il faut toujours se souvenir de la droite quand elle est dans l'opposition, car il faut lui rappeler les engagements qu'elle a pris et les écarts de conduite d'aujourd'hui.
Cohérence dans l'action, cohésion entre action territoriale et action nationale. Il faut être une référence des aujourd'hui ; une référence socialiste, une référence de gauche. Car, en étant une référence dans l'action territoriale, nous serons -je l'espère- une espérance au niveau national.

(source http://www.parti-socialiste.fr, le 16 juillet 2004)