Déclaration de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, sur le conflit israélo-palestinien, les relations entre la France et Israël, la lutte contre l'antisémitisme et le racisme et sur la laïcité, Paris le 31 janvier 2004.

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Circonstance : Dîner annuel du CRIF à Paris le 31 janvier 2004

Texte intégral

Madame et messieurs les Premiers ministres,
Monsieur le président du Sénat,
Monsieur le président de l'Assemblée nationale,
Mesdames et messieurs les ministres, d'hier, d'aujourd'hui et de demain
Messieurs les ambassadeurs,
Monsieur le maire de Paris,
Madame la présidente de la fondation de la Shoah,
Messieurs les représentants des cultes,
Mesdames, messieurs les présidents, l'autre moitié de la salle,
Cher monsieur le président du Crif,
Merci de votre accueil, merci de votre engagement, merci aussi de votre vigilance. Je vous ai écouté attentivement, comme les très nombreux membres de mon gouvernement qui sont aujourd'hui présents parmi vous.
Cette rencontre ce soir m'apporte une joie sincère à l'occasion de ce rendez vous annuel de dialogue mais aussi de réflexion entre le gouvernement et la communauté juive rassemblée par le Crif. J'apprécie le rôle du Crif dans le débat contemporain, sa capacité de réaction, sa franchise, sa capacité également d'explication face à certaines accusations qui veulent créer de la confusion et de la peur chez les Juifs de France.
Je suis également très heureux que le dîner du Crif soit devenu, pour les responsables politiques de notre pays, un moment important, où l'on met de côté les querelles partisanes, pour ensemble prendre le temps de la réflexion.
Je salue enfin les responsables des grandes religions ici présents. Vous avez su faire, cher monsieur le président, du dîner du Crif, une occasion pour toutes les religions de pratiquer un échange authentique.
Nous avons connu une année 2003 agitée, sur le plan intérieur comme sur le plan extérieur. Je suis venu avec un message d'apaisement.
En matière de relations internationales nous voulons donner de la force au droit et au dialogue. La France a une conviction forte face aux défis auxquels est aujourd'hui confrontée la communauté internationale. L'action doit s'appuyer d'abord sur l'unité de cette communauté internationale pour être efficace et sur, ensuite, l'exigence de justice que porte le droit international pour être légitime.
Ces principes nous guident pour faire face aux tensions et aux grandes incertitudes que connaissent aujourd'hui le Proche et le Moyen Orient.
La France, vous le savez, souhaite la construction de la paix et la stabilisation de l'ensemble de la région, par le droit, le développement et le dialogue des cultures, pour créer les conditions d'une stabilité durable.
Depuis plus de 3 ans, le conflit israélo palestinien n'a en effet cessé de s'aggraver. Le terrorisme, que la France condamne avec la plus grande force, a frappé, encore avant hier, cruellement le peuple israélien. Régulièrement, la mort aveugle frappe au cur du peuple.
Ce conflit fait aussi le malheur des Palestiniens, dont la vie est tragiquement affectée.
Cette situation suscite frustration et rancurs, aujourd'hui et pour l'avenir.
La paix et la sécurité ne seront obtenues qu'à travers un règlement négocié, fondé sur le droit international et des compromis réciproques. C'est dans cet objectif qu'il faut mettre en uvre le plan de paix agréé par le Quartet, accepté par les deux parties et endossé par le Conseil de sécurité tout entier.
Cette feuille de route offre le moyen de parvenir à un règlement qui garantira la sécurité à Israël tout en permettant aux Palestiniens de vivre dans la dignité d'un Etat souverain.
La confiance dans la force de la justice et de l'unité de la communauté internationale guide notre action, également en ce qui concerne l'Irak. Nous souhaitons le succès de la reconstruction économique et politique de l'Irak.
Pour y parvenir, ce pays doit retrouver sa souveraineté à l'intérieur et retrouver sa place au sein de la communauté internationale, avec l'appui des Nations Unies, expression de la légitimité internationale. C'est dans ce cadre que la France est prête à assumer ses responsabilités pour contribuer au processus de reconstruction. C'est dans cet esprit que la France a proposé la tenue d'une conférence internationale sur l'Irak.
Je voudrais vous parler de la France et d'Israël. L'État d'Israël et la France sont deux pays amis. Les divergences que la situation au Proche Orient peut faire naître entre les deux pays ne sauraient en tout état de cause entamer l'amitié profonde qui les lie.
La France et Israël entretiennent et doivent entretenir une relation forte, nourrie par des liens anciens, toujours renouvelés. Chacun connaît le rôle joué par la France pour aider le jeune Etat d'Israël à assurer son existence. L'importante communauté francophone d'Israël, qui mérite d'être plus reconnue, et l'importante communauté des juifs de France développent entre nous une exceptionnelle relation forte et active.
La France et Israël ont souhaité relancer cette relation pour que son immense potentiel s'exprime encore davantage. Telle a été la mission confiée au Groupe de Haut niveau présidé par le Professeur David Khayat et l'Ambassadeur Yehuda Lancry, qui ont tous les deux, avec leur groupe, identifié un certain nombre de projets stratégiques, emblématiques, durables, telle la création d'un nouvel Institut français à Tel Aviv.
Ce programme d'actions permettra de renforcer nos relations bilatérales à l'avenir dans les domaines politique, scientifique, culturel, économique et aussi commercial.
La très prochaine visite d'Etat du Président israélien Katsav, qui sera fait docteur honoris causa de la Sorbonne, sera, j'en suis sûr, une occasion majeure de célébrer cette relation et de lui donner un nouvel élan.
A ce propos, et pour répondre à une actualité inacceptable, je voudrais vous dire mon émotion face aux menaces de mort adressées au président de l'Université Paris IV.
Tout sera fait pour que les coupables soient retrouvés et condamnés.
La mobilisation française contre l'antisémitisme est engagée. Je sais que les Juifs de France sont particulièrement inquiets des actes antisémites dont le nombre est évidemment inacceptable.
La France n'est certes pas un pays antisémite.
Il y a certainement encore un fond d'antisémitisme d'extrême droite dans notre pays. Il y a également un antisémitisme de ressentiment développé par certains qui se sentent non intégrés, et à la recherche d'une identité conflictuelle, qui développent une logique de haine et des amalgames absurdes.
Je veux combattre cet antisémitisme par la répression nécessaire, mais aussi par la prévention.
Je vous le redis ce soir avec conviction, avec force : il est intolérable qu'en France, un citoyen puisse être agressé parce qu'il est juif. Mais je vous demande de croire en cette conviction. Ayez confiance. L'ensemble de notre pays se sent concerné et tout mon gouvernement est mobilisé pour lutter contre cette hydre dont les têtes hideuses sont multiples et se reforment régulièrement.
La volonté de mettre en place un dispositif très opérationnel a conduit à la création, à l'initiative du président de la République, du comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme ; je le préside mensuellement. Cette impulsion politique est essentielle et la mobilisation au sommet de l'Etat demeurera constante.
Elle concerne évidemment plusieurs secteurs clés de l'action publique. La sécurité d'abord.
L'action résolue et volontaire des pouvoirs publics porte d'ores et déjà des fruits : sur l'ensemble de l'année 2003, la violence et les menaces antisémites ont baissé de plus d'un tiers par rapport à 2002.
Mais, tant qu'un acte d'antisémitisme sera commis, nous ne pourrons être satisfaits, car c'est toute la France qui est blessée.
Par ailleurs, nombre d'actes ne sont pas encore comptabilisés, n'étant pas dénoncés aux services de police. Alors, je veux le dire ce soir avec solennité : l'Etat est décidé à agir et à réprimer avec force tous les actes intolérables.
Faites savoir, Monsieur le président, que les victimes ne doivent pas hésiter à porter plainte car la première des offenses à une victime, c'est le déni.
Je veux souligner que, contrairement à ce qu'on a connu dans le passé, les pouvoirs publics et le CRIF se sont rapprochés depuis 2 ans, vous le disiez. La concertation s'est développée, d'une part, pour la comptabilisation des actes de nature antisémite, et d'autre part, les services du ministère de l'Intérieur, de la Chancellerie, de l'Éducation nationale et le CRIF travaillent maintenant régulièrement ensemble.
Je souhaite vous en remercier tout particulièrement Monsieur le président.
En 2002, nous avons commencé par le plus urgent, améliorer les conditions de sécurité, mais nous poursuivrons dans cette voie. En effet, je ne peux envisager qu'un certain nombre de bâtiments qui accueillent des fidèles ou des élèves puissent être pris pour cible d'actes odieux, criminels et lâches.
C'est pourquoi j'ai décidé, à l'occasion du dernier comité interministériel, sur proposition de N./ Sarkozy, de participer à un plan de sécurisation des établissements de la communauté juive. Le coût des travaux a été estimé à 15 millions d'euros sur trois ans. J'appelle les collectivités locales à participer à cette action de sécurité.
Le ministre de l'Intérieur ici présent, met vous le savez toute son énergie au service des nécessaires actions fondées sur nos convictions communes. La pleine communion d'objectifs est là, comme dans tous les domaines, le gage de l'efficacité de la politique de mon Gouvernement.
La sécurité mais aussi la justice. Sur le plan judiciaire, à la suite de l'adoption de la loi Lellouche, les instructions les plus fermes ont été données par monsieur le Garde des Sceaux à l'ensemble des parquets afin que soient sévèrement réprimés les auteurs d'actes ou d'injures antisémites.
Parmi les exemples récents de cette fermeté, je citerai la condamnation, en novembre 2003, par le tribunal correctionnel de Strasbourg, de 6 individus auteurs d'une tentative d'incendie de l'oratoire d'un cimetière juif à des peines allant de 18 mois à 3 ans de prison ferme. Ou encore, la condamnation, le 20 janvier dernier, par le tribunal correctionnel de Lyon, de l'auteur de propos et violences antisémites à une peine de 6 mois d'emprisonnement ferme.
Par ailleurs, la vigilance et la fermeté des parquets s'exercent régulièrement, et c'est ainsi que des poursuites pénales ont été récemment exercées à l'encontre, d'un soi disant humoriste, qui devra répondre de ses propos devant le tribunal correctionnel de Paris, et que les déclarations de M. Latrèche ont immédiatement donné lieu à une enquête pénale qui est en cours.
Fidèle à ses engagements, Dominique PERBEN a désigné des magistrats référents dans les ressorts de toutes les cours d'appel pour coordonner l'action des parquets en matière de lutte contre le racisme et l'antisémitisme et être les interlocuteurs attitrés des victimes et des associations sur le terrain.
C'est un véritable progrès dans la conduite de notre combat commun contre l'intolérance. Il faut en effet que tous les services de l'Etat soient clairement identifiés et immédiatement disponibles pour les victimes.
Le Gouvernement doit également veiller à l'adaptation de la législation dans le cadre de laquelle s'inscrit évidemment son action.
A cet égard, vous avez évoqué, monsieur le président, la question de la durée trop courte de prescription des infractions racistes prévues et réprimées par la loi sur la liberté de la presse.
Je partage cette préoccupation et le projet de loi portant adaptation de la justice pour faire en sorte que nous soyons en mesure de nous adapter aux évolutions de la criminalité répond à cet objectif et fait passer le délai de prescription de ces délits de trois mois à un an.
S'agissant de l'éducation, j'appelle tous les membres de la communauté éducative à la plus ferme vigilance. Ils doivent réagir au premier signe d'antisémitisme, sans attendre : le mal n'est pas toujours frontal, il sait se faire banal. Je demande à tous les enseignants, aux parents, d'alerter, dès le premier signal. Ne reconnaissons pas ces situations, où deux mois durant, trois mois durant, quatre mois durant, les enfants sont maltraités parce qu'ils sont juifs, dans un établissement de la République.
Le comité interministériel du 27 janvier a décidé, sur la proposition de Luc FERRY, d'améliorer la coordination opérationnelle des services de l'Etat sur le terrain.
Cette coordination concernera non seulement les incidents survenus à l'intérieur des établissements mais visera également à mieux assurer la sécurisation de leurs abords et des transports qu'empruntent les élèves.
Les représentants de l'Etat doivent être en mesure de travailler rapidement et en direct avec les membres de la communauté scolaire sur ces sujets. Nous sommes très attachés à cette capacité de coordination de l'Etat et de disponibilité vis à vis de tous ceux qui sont aujourd'hui victimes de ces agressions.
Enfin, en matière scolaire, je suis préoccupé par plusieurs dérives éditoriales qui ont conduit le Gouvernement à demander récemment le retrait de deux publications pédagogiques dont le contenu était de nature à susciter des attitudes anti juives chez les élèves.
Pour éviter ces graves dérives, Xavier DARCOS a reçu le 28 janvier les éditeurs de manuels scolaires et d'ouvrages pédagogiques et les a fermement invités à mettre en place des instances internes de vigilance. Par ailleurs, l'inspection générale de l'Education nationale a été chargée par les ministres de veiller avec une extrême attention au contenu de toutes les publications pédagogiques.
J'en viens, monsieur le président, à la communication. La diffusion de l'antisémitisme emprunte, hélas, les voies les plus modernes et vous avez évoqué, monsieur le Président, la diffusion par voie satellitaire d'un feuilleton dont le contenu est violemment, brutalement antisémite.
J'ai considéré de mon devoir, avec plusieurs de mes ministres, notamment ici J. F. Copé, N. Guedj, J. L. Borloo, de notre devoir de prendre le temps de regarder ces images nous les avons vues insupportables à la vue, brûlantes au cur, révoltantes à la raison. La scénarisation de la haine est de retour.
Évidemment, notre réaction doit être sans complaisance sur la diffusion par quelque moyen que ce soit, et quelle que soit leur provenance, de documents à teneur antisémite ou raciste, ou appelant à la haine raciale ou religieuse. Les pouvoirs publics ont d'ailleurs immédiatement réagi : le Garde des Sceaux et le CSA ont saisi le parquet de Paris et le Président d'Eutelsat sera très prochainement auditionné par le CSA.
Si la responsabilité pénale de l'éditeur est certainement engagée, la poursuite d'une personne morale à l'étranger dépend de l'existence d'accords internationaux de coopération judiciaire, dont l'application n'est, au demeurant, pas automatique. Nous sommes devant une faille de notre dispositif juridique.
J'ai donc demandé à Jean Jacques AILLAGON d'agir rapidement sur les moyens à mettre en uvre pour répondre à ce défi. Je souhaite le remercier particulièrement de son efficacité car je suis en mesure de vous annoncer ce soir le dispositif que nous allons mettre en uvre.
Dès le 10 février prochain, le Gouvernement proposera d'amender la loi du 30 septembre 1986 dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle.
Les nouvelles dispositions législatives qui seront proposées au Parlement permettront au CSA d'intenter une action devant le juge des référés administratifs pour faire cesser la diffusion d'une chaîne non conventionnée dont les programmes porteraient atteinte aux grands principes au nom desquels la liberté de communication peut être limitée et pour lesquels évidemment figure à l'évidence l'antisémitisme.
Par ailleurs, la loi pourra ouvrir au CSA la faculté de se faire communiquer, par les opérateurs de satellite, des informations sur les chaînes qu'ils transportent. Il sera également habilité à prendre des sanctions financières à l'encontre des opérateurs qui ne respecteraient pas leurs obligations.
Au delà de ces décisions importantes et urgentes, je voudrais vous dire, du plus profond du coeur, je crois profondément que notre lutte contre la haine doit maintenant prendre une dimension nouvelle.
Comme l'écrit Lionel Stoléru : "Un pays qui a mal aux juifs a mal ailleurs." La société a un mal d'amour. Face à la mise en scène, à cette scénarisation du racisme, il nous faut réfléchir à la mise en scène, à la scénarisation de la fraternité.
Je demande ici aux créateurs, aux artistes, aux intellectuels, à tous ceux qui pensent que "l'avenir, c'est l'autre", à vous tous, de vous rassembler dans une sorte de collectif "la fraternité contre la haine" pour engager des actions fortes, des actions populaires de résistance à la haine. A eux de choisir la forme de cet engagement.
Mais en déclarant "année 2004, année de la fraternité", l'État s'est donné les moyens d'accompagner cette nécessaire mobilisation nationale pour que le respect et l'amour chassent la haine. Quand on voit l'impact que peuvent avoir ces images sur les jeunes esprits, dans lesquels on n'a pas appris le respect de l'autre, dans lesquels on n'a pas appris l'amour des autres, on peut être particulièrement inquiet. Il nous faut arrêter ces diffusions, il nous faut punir les coupables, il nous faut aussi faire partager la valeur de respect des autres. C'est la seule véritable antidote contre tout ce que peut être le travail de la haine dans les esprits les moins formés, les moins ouverts. C'est pour ça que je crois vraiment qu'il est tant de donner à la lutte contre la haine, une dimension nationale, en appelant la mobilisation autour des valeurs de la fraternité au coeur de notre pacte républicain. C'est la seule véritable réponse, par le coeur, à ceux qui veulent déchirer la société et porter atteinte à la cohésion nationale.
L'antisémitisme est un fléau qu'il faut combattre sans cesse. Le Gouvernement a entamé depuis près de deux ans, en collaboration exemplaire avec le C.R.I.F... Cette action doit aujourd'hui enregistrer quelques succès. Nous les devons à ce travail ensemble, à ce partenariat, mais il nous faut aussi donc engager une initiative d'avant garde pour faire en sorte qu'une dimension nouvelle nous mobilise autour de cette volonté de chasser la haine hors de notre pays.
Je voudrais vous dire quelques mots maintenant sur la laïcité et le judaïsme. J'avais évoqué l'an dernier, devant vous, la conception que je me fais des rapports entre religion et politique. Depuis, les débats sur la laïcité ont été nombreux dans notre pays : ils attestent la vivacité et l'importance de cette idée pour nous aujourd'hui.
Je l'ai dit ici l'année dernière ici, je le redis aujourd'hui : la laïcité, ce n'est pas l'hostilité aux religions, tout au contraire. Emile POULAT le dit avec justesse : "la laïcité, ce n'est pas simplement un esprit d'émancipation par la philosophie mais aussi un esprit de pacification par le droit."
Autrement dit, la laïcité est la grammaire, le code qui permet à l'ensemble des religions de vivre sereinement et de dialoguer paisiblement au sein de notre Etat républicain.
La laïcité trouve ses racines dans notre Histoire et dans notre tradition. Les Juifs de France ont vécu cette histoire en acteurs : la laïcité leur a donné toute leur place.
Depuis 1790 et l'affirmation par la République de leur pleine citoyenneté, ils ont vécu au rythme de la République, de ses périodes heureuses et de ses périodes noires. Je le dis : les drames des Juifs ont été les drames de la République.
Aujourd'hui, je le crois profondément, la laïcité est un concept éminemment moderne, qu'il faut faire vivre en regardant l'avenir. Je sais d'ailleurs que la communauté juive est consciente de la nécessité pour nous tous de respecter cette valeur qui fonde notre vivre ensemble. La République ne peut pas accepter de laisser ronger de l'intérieur ses propres valeurs.
Parce qu'elle fait partie de nos traditions, la laïcité ne saurait être remise en cause. C'est bien pourquoi dans les débats actuels, il est apparu, au chef de l'Etat et à nous tous, nécessaire de rappeler un certain nombre de règles simples.
A l'issue des travaux de la Commission Stasi, le Président de la République a annoncé le 17 décembre dernier, sa volonté de mettre en uvre un ensemble de mesures pour rappeler l'importance de la laïcité.
Le projet de loi que je présenterai au Parlement la semaine prochaine, vise à préserver, au sein des établissements scolaires publics, du premier et du second degré, un espace de neutralité républicaine. Il vise également à assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, conquête fondamentale pour nous tous.
C'est pourquoi, le port de tenues et de signes manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, y compris la kippa, sera interdit dans les écoles, les collèges et les lycées publics.
Je sais que la communauté juive comprend cette initiative.
Il ne s'agit pas de remettre en cause la liberté de conscience des élèves. Il s'agit simplement de préserver les élèves qui ont choisi l'école publique, du prosélytisme religieux et de permettre le fonctionnement harmonieux, de la communauté éducative, du service public de l'éducation nationale.
La laïcité, c'est à la fois des principes qui donnent leur place à tous. C'est aussi une exigence qui nécessite parfois d'être réaffirmée. Au fond, la laïcité est une liberté.
Dans certaines circonstances, le silence de la république serait une absence.
Je voudrais maintenant vous parler de la France. Vous le voyez, les débats que nous avons actuellement portent sur le cur des valeurs communes de notre cher et vieux pays. Au cur de ces valeurs, se trouve l'idée de nation et d'identité nationale qui doit être au cur des réflexions de tout responsable politique aujourd'hui.
Nous vivons en effet une multiplication des identités. Le débat que je viens d'évoquer sur la laïcité nous a invités, tous, collectivement, à nous interroger sur les évolutions de la société française, à prendre conscience de sa diversité, tout en mettant des limites à des pratiques qui ne sont pas acceptables.
Mais la question de l'identité est posée aussi à plusieurs niveaux de la société, au niveau des identités locales. Les Français souhaitent que leur identité régionale soit prise en compte, à travers d'une langue régionale ou des traditions populaires.
L'identité nationale doit aussi être revisitée à l'aune des transformations de l'Europe et de la mondialisation. Le citoyen doit gérer pour lui même plusieurs identités : un Français aujourd'hui, c'est aussi un Européen ; un Français aujourd'hui, c'est aussi quelqu'un qui fait partie de l'évolution du monde.
Il faut également prendre en compte évidemment les évolutions de l'identité individuelle. Dans une société en évolution constante, où il n'y a plus de positions établies, les hommes, leurs métiers, leurs activités, cherchent leur place.
Ce questionnement identitaire tend à troubler les repères collectifs. Au nom des droits des individus et de l'individualisme, trop nombreux de nos compatriotes ne mesurent pas leur responsabilité collective, ce qui peut fragiliser la démocratie.
Face à ces questions identitaires, c'est la responsabilité des politiques de donner aussi des réponses pour la sphère publique.
Je crois qu'il faut proposer aux citoyens des principes qui les dépassent au travers d'une ambition collective.
La politique a recherché des principes supérieurs qui allait au delà du simple pouvoir : un sens donné à la vie commune, un sens fondé sur des valeurs transcendant l'individu comme la liberté, l'égalité ou la fraternité.
Avec la Révolution française, cette ambition est devenue commune à tous les Français.
On se trouve aujourd'hui à se poser évidemment les questions fondamentales : où est la transcendance ? Où se trouve la capacité pour l'individu d'aller au delà de ce qu'il est, tout en préservant ce qu'il a de plus cher je veux parler de sa liberté ? Les religions apportent heureusement leurs réponses.
En ce qui concerne la réponse publique, une partie se trouve à mon sens, pour la France, dans l'Europe, qui est une manière d'aller au delà de nous mêmes. Mais en même temps, l'identité européenne ne saurait constituer une identité de substitution. L'Europe a besoin d'une France qui sait ce qu'elle est.
C'est pourquoi je pense qu'aujourd'hui, dans l'espace du politique, la transcendance réside toujours à mon sens dans la nation. Pour le citoyen, la France doit nous transcender.
Je pense que la République doit se réapproprier ce débat et ces valeurs.
L'idée de nation est trop belle pour être dénaturée en repli sur soi, en attitude frileuse. Elle ne doit pas devenir un nationalisme d'exclusion, celui que propose l'extrême droite, qui n'a jamais été capable d'énoncer une grande ambition pour la France.
D'autres pensent que l'on peut dépasser la nation dans l'internationalisme, au nom de la solidarité entre les peuples qui serait sans frontière. Ce serait à mon sens priver les individus d'une force collective pour les dissoudre dans un environnement aux finalités incertaines.
La nation, c'est d'abord savoir qui l'on est. La laïcité, c'est un des éléments de notre identité nationale. C'est pourquoi nous avons voulu réaffirmer son actualité.
La nation, c'est aussi donner une place pour le citoyen dans le monde. Parce que le mal est un non sens. Son premier contraire, avant le bien, c'est le sens.
C'est pourquoi la France ne prétend pas dire le bien, mais travaille plutôt à apporter une réponse de bon sens au désordre mondial et uvre pour la paix.
La nation, c'est aussi la capacité pour le citoyen de se penser comme membre du collectif, pour faire vivre la fraternité entre les Français.
Je ne crains pas par exemple de solliciter cette part de dépassement que chacun détient en soi même.
Quand il faut travailler un peu plus longtemps pour sauvegarder les retraites, quand il faut donner un jour de son travail pour assumer la fraternité que l'on doit aux personnes dépendantes, quand il faut changer ses habitudes sur les routes, je n'hésite pas à demander aux Français un effort individuel au service du collectif, au service de l'intérêt général, au service de la France.
Je sais qu'ils le comprennent, parfois avec difficulté mais sans, au fond, véritable acrimonie.
La France, Renan l'affirmait déjà en 1882, dans ce texte essentiel Qu'est ce qu'une nation ?, avant d'être une histoire commune, une géographie, une langue, c'est une âme, c'est un principe spirituel, une vraie volonté de vivre ensemble.
Je veux le rappeler, je veux consolider cette volonté, et je dis aux Juifs de France : n'ayez pas peur, ne soyez pas tentés par ceux qui voudraient vous séparer de la communauté nationale.

Vous pouvez avoir confiance en la France parce que vous êtes la France, parce que chacun d'entre vous détient une partie de ce bien commun qu'est notre pays.
Je veux conduire la société française à reconnaître ce qu'elle est, à se regarder en face, à mesurer ses difficultés, à regarder les images d'horreur, mais aussi les visions d'espoir. Je veux que la France retrouve son le goût de l'avenir.
C'est, je le crois, le rôle du chef du gouvernement.
Alors tous ensemble, cherchons ce qui nous rassemble plutôt que ce qui nous sépare.
Et ce qui nous rassemble, ici, à 802 personnes, ce qui nous rassemble, c'est l'amour de la France.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 3 février 2004)