Déclarations de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'état des négociations sur la réforme des institutions communautaires, notamment l'extension de la majorité qualifiée, les relations entre l'UE et la Yougoslavie avec l'arrivée de M. Kostunica au pouvoir, les coopérations renforcées et sur la constitutionnalisation des traités de l'UE, Strasbourg le 24 octobre 2000.

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Circonstance : Session plénière du Parlement européen à Strasbourg le 24 octobre 2000

Texte intégral

Madame la Présidente,
Mesdames et messieurs les Présidents,
Mesdames et messieurs les Députés,
C'est avec plaisir que je reviens aujourd'hui parmi vous pour vous présenter, comme la Présidence française s'y était engagée, le 3 octobre dernier, les résultats du Conseil européen informel de Biarritz, auquel vous avez apporté, comme toujours, Madame la Présidente, une contribution appréciée.
Comme je vous l'avais indiqué, ce sont les réformes institutionnelles en cours d'examen au sein de la Conférence intergouvernementale qui ont occupé la plus grande partie du temps disponible. Je commencerai donc par-là et j'aborderai ensuite les autres sujets, dont les deux sujets d'actualité majeurs que sont le Proche-Orient et la Serbie.
Sur la CIG les travaux avaient progressé, au niveau ministériel, avant Biarritz, aussi loin qu'il était possible de le faire, et ce Conseil informel est arrivé à point nommé pour confirmer certaines avancées et donner des orientations pour la phase finale des travaux, dans laquelle nous sommes donc maintenant entrés.
A Biarritz, nous avons constaté, tout d'abord, un accord général sur la nécessité d'aboutir à un traité ambitieux à Nice ; ensuite, des progrès tangibles sur la majorité qualifiée et les coopérations renforcées ; enfin, l'ouverture d'un débat au fond, au plus haut niveau, sur la repondération et la Commission, qui nous permet d'entrer réellement en négociation sur ces deux points difficiles.
Plus précisément :
- sur la majorité qualifiée, on a constaté un assez large accord sur plus de la moitié des articles en discussion et, sur les points sensibles, la voie vers des solutions possibles a été esquissée. Si vous le voulez bien, je vais reprendre, un par un, chacun de ces points.
Ainsi, dans le domaine fiscal, certaines réserves de fond demeurent, mais des avancées partielles pourraient être trouvées grâce à des adaptations techniques que la Présidence recherchera avec l'aide de la Commission. Nous avons noté, et cela n'est pas négligeable, qu'une nette ouverture existe sur la coopération en matière de lutte contre la fraude fiscale.
Dans le domaine social, nous devrions pouvoir avancer à condition de ne pas toucher aux principes qui fondent les différents régimes nationaux de sécurité sociale, ce qui laisse une certaine marge de manuvre.
En matière de politique commerciale extérieure, des progrès seront possibles dès lors que nous trouverons le moyen de réserver un traitement particulier aux questions les plus sensibles et que, par ailleurs, nous préviendrons une extension détournée des compétences communautaires.
Dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, une solution devrait être facile à trouver pour la coopération judiciaire civile ; en revanche, les questions touchant à l'asile, aux visas et à l'immigration restent plus délicates.
Enfin, quelques difficultés demeurent, notamment sur la non-discrimination ou encore sur l'environnement.
- sur les coopérations renforcées, tous les Etats membres sont désormais d'accord pour en reconnaître l'utilité et admettre la nécessité d'en assouplir les modalités de déclenchement ; tous sont également d'accord pour considérer qu'elles doivent conserver un caractère ouvert, respecter le cadre institutionnel de l'Union et l'acquis communautaire. Enfin, dans le domaine de la politique étrangère, de sécurité et de défense, des dispositions adaptées devront être recherchées pour tenir compte des spécificités de ces questions.
- sur la Commission et la pondération des voix - deux questions étroitement corrélées -, les discussions ont permis de constater un accord sur la nécessité de rendre la Commission plus forte et plus efficace. Reste un clivage sur les modalités : les uns prônent un plafonnement définitif du nombre de Commissaires, assorti d'une rotation égalitaire entre les Etats membres ; les autres défendent la formule un Etat/un Commissaire, sans exclure une profonde réorganisation du collège. Les deux formules restent donc sur la table.
Sur la pondération, les deux options bien connues restent également sur la table : pondération simple, pour laquelle une légère majorité se confirme, ou bien double majorité, avec différentes formules (simple ou repondérée, ou une forme de "filet démographique").

Sur ces questions, il est clair qu'on ne pourra trancher qu'en fin de négociation ; néanmoins, les discussions devront se poursuivre sur la base de propositions chiffrées, afin de préparer la décision finale.
Les travaux vont maintenant se poursuivre jusqu'à Nice, de manière très intensive, sur la base des orientations informelles données par ce Conseil européen. Il nous reste un peu moins de 50 jours d'ici Nice. Le Groupe préparatoire s'est ainsi réuni hier pour travailler sur la majorité qualifiée et sur les coopérations renforcées sur des bases concrètes. Il a également approfondi les travaux sur la modification de l'article 7 du TUE conformément aux orientations issues de Biarritz.
Le Groupe préparatoire va jouer pleinement son rôle jusqu'au 19 novembre, date de la prochaine rencontre au niveau ministériel. Nous aurons en tout six séances de travail au niveau ministériel d'ici Nice, dont quatre en format restreint. Nous comptons bien mettre à profit toutes ces occasions pour que "l'esprit de Biarritz" demeure actif !
Un mot enfin sur la Charte des Droits fondamentaux, pour vous dire que le Conseil européen s'est unanimement félicité de la qualité de ce texte, qui pourra donc être proclamé solennellement à Nice. Quant à la question de son intégration dans les traités, la majorité des Etats membres n'y étant aujourd'hui pas prête, elle ne pourra sans doute être posée formellement qu'après.
J'en viens à présent aux questions internationales.
Vous connaissez tous le contexte dans lequel ce Sommet s'est déroulé : d'abord, bien sûr, les circonstances dramatiques de la situation au Proche-Orient ; ensuite, un contexte beaucoup plus réconfortant, avec le changement de régime en Serbie, qui s'est traduit par la venue, à Biarritz, du nouveau président serbe, M. Kostunica.
Sur le Proche-Orient, je ne reprendrai pas toute la chronologie des événements, qui ont d'ailleurs connu depuis des évolutions nouvelles. Je rappellerai simplement que, dès les premiers incidents, l'Union européenne a appelé les parties à tout faire pour mettre un terme à la violence, reprendre le dialogue et préserver les acquis de Camp David. Le Conseil européen de Biarritz a appelé les deux parties à "une réunion au sommet afin de reprendre de toute urgence le dialogue", et l'Union a continué de faire entendre la voix de la raison et de l'apaisement à Charm el-Cheikh, où elle était représentée, pour la première fois de plein droit pour une rencontre de ce type, par le Haut-représentant pour la Politique étrangère et de sécurité commune, Javier Solana.
Nous avons malheureusement constaté depuis que l'accord dégagé à Charm el-Cheikh n'a pas pu être mis en oeuvre et que les tensions restent extrêmement vives de part et d'autre. L'Union européenne suit naturellement la situation avec la plus grande vigilance - la Déclaration de la Présidence en date du 20 octobre en témoigne - , car c'est aussi la responsabilité de l'Union d'aider les parties à surmonter la peur et l'incompréhension réciproques. Il faut retrouver l'esprit qui avait présidé aux accords d'Oslo. C'est l'ambition de la Présidence, de tous les Etats membres, du Haut-représentant et de la Commission. Je sais que c'est aussi celui du Parlement.
Le second événement important qui a marqué Biarritz et de manière plus heureuse, c'est le retour de la démocratie en Serbie et, plus encore, les conséquences du changement de régime à Belgrade sur les relations de ce pays avec l'Union européenne.
Vous avez tous à l'esprit les événements qui ont conduit à l'investiture de Vojislav Kostunica, saluée par la communauté internationale et par l'Union européenne en particulier. De toute évidence, les élections du 24 septembre dernier, mais aussi, surtout, la manifestation du 5 octobre, puis l'annonce, par la Cour constitutionnelle serbe, de la victoire de l'opposition et la reconnaissance, par M. Milosevic, de sa défaite, ont créé une donne radicalement nouvelle en République fédérale de Yougoslavie, ouvrant la voie à la démocratisation du pays et - espérons-le - à une réconciliation plus large dans cette région des Balkans.
L'Union européenne, fidèle à ses engagements, a tiré les conséquences de ce bouleversement politique dès le Conseil Affaires générales du 9 octobre dernier, au cours duquel elle a décidé de lever les sanctions, notamment l'embargo pétrolier et l'embargo aérien, qui frappaient la RFY depuis 1998 (et à l'exception, bien entendu, des sanctions qui visent M. Milosevic et son entourage). Et, surtout, le président Kostunica a répondu à l'invitation de la Présidence à se rendre, à Biarritz, pour un déjeuner avec les chefs d'Etat et de gouvernement.
Lors du point de presse commun qu'il a tenu avec la Présidence française, à l'issue de cette rencontre, M. Kostunica a exprimé son émotion et sa joie d'être ainsi convié au sein de la "famille européenne".
Naturellement, la RFY va bénéficier très rapidement des instruments qui ont été mis en place par l'Union pour l'ensemble des Balkans, en commençant par le programme CARDS, mais aussi les activités de l'Agence européenne de reconstruction. En outre, le Conseil Affaires générales du 9 octobre a confirmé la volonté de l'Union de contribuer au rétablissement de la navigation sur le Danube et de participer activement, avec les autres institutions financières internationales, à la modernisation des infrastructures de la RFY, dans une perspective régionale.
Par ailleurs, sans préjudice d'une évaluation des besoins et de la coordination de l'assistance économique et financière à la RFY, qui seront confiées conjointement à la Commission européenne et à la Banque mondiale, le Conseil européen de Biarritz a décidé d'accorder à la RFY une première aide humanitaire d'urgence de 200 millions d'euros.
Enfin - et c'est sans doute la décision la plus importante à moyen et long termes - l'Union a décidé de donner une perspective politique à ce pays, en lui proposant de conclure un accord de stabilisation et d'association, sur le mode de ceux qui sont en cours de négociation avec les autres pays de la région.
Et c'est bien dans cet esprit que le président Kostunica a été invité à participer au Sommet de l'Union et des pays des Balkans occidentaux qui se tiendra, à l'initiative de notre Présidence, le 24 novembre prochain, à Zagreb, et qui symbolisera l'importance que les Quinze attachent à la consolidation de la démocratie et de la réconciliation dans la région, ainsi qu'à l'ancrage européen de ces pays.
Voilà donc ce qu'on peut retenir de l'évolution de la situation en Serbie et de ses conséquences pour l'Union. Ce qui importait, c'est que l'Union adresse très vite à ce pays, non seulement des signaux concrets d'encouragement, mais aussi - j'y insiste- une perspective politique d'intégration dans la famille européenne. Je crois désormais que ce signal a été clairement donné. Il nous reste à espérer que le processus de démocratisation pourra se poursuivre dans les meilleures conditions.
Voilà, en quelques minutes, l'essentiel des résultats du Conseil européen de Biarritz qui a été, je crois, très productif et donc très utile pour la marche en avant de toute l'Union.
Je vous remercie de votre attention et attends avec grand intérêt le débat que nous allons avoir maintenant./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2000)
Constitutionnalisation des traités
Coopérations renforcées
Statut des îles
Madame la Présidente,
Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et messieurs les Députés,
Vous avez souhaité que nous ayons un débat sur les questions sur lesquelles votre Assemblée a estimé nécessaire de compléter l'avis relatif à la Conférence intergouvernementale qu'elle avait rendu en avril dernier.
Initialement, vous aviez envisagé trois rapports : la constitutionnalisation des traités, les coopérations renforcées et le plafonnement du nombre de membres du Parlement européen. Vous avez finalement renoncé à vous prononcer sur ce dernier point. La Présidence en prend acte, en le regrettant. En effet, qui, mieux que votre Assemblée, peut donner un avis éclairé sur cette question majeure dans la perspective de l'élargissement ?
Et puis, dernier point, d'une toute autre nature, que le président Napolitano a souhaité aborder et dont j'ai pris note : la question des îles. Je vais revenir maintenant sur chacun de ces points, mais brièvement pour laisser du temps à notre débat.
Je commencerai si vous le permettez -et je demande à Olivier Duhamel de ne pas m'en tenir rigueur- par les coopérations renforcées, qui sont effectivement à l'ordre du jour de la CIG, contrairement à la question de la constitutionnalisation. J'irai à l'essentiel en me concentrant sur les points saillants de l'excellent rapport du Président Gil Robles, puisque j'ai déjà évoqué ce point tout à l'heure, lors de la présentation des résultats du Conseil informel de Biarritz. Nous pouvons dire, je crois, que les conclusions de votre Rapporteur rejoignent en grande partie les préoccupations exprimées par les Etats membres, à Biarritz.
Je relève tout d'abord votre accord sur les raisons qui justifient que l'on assouplisse ce mécanisme, afin qu'il puisse être réellement mis en oeuvre dans l'Europe élargie. Je note votre souci du respect du cadre institutionnel de l'Union et la nécessité de concevoir un dispositif ouvert, ainsi que votre souhait de voir disparaître le veto au Conseil.
Je comprends votre souhait que l'on ne touche pas à ce que vous appelez "l'unité institutionnelle du Parlement ou de la Commission" : nous sommes, encore une fois, tous bien d'accord pour que le cadre institutionnel de l'Union soit respecté ; il ne s'agit pas de sortir du traité, ni de remettre en cause ce qui existe.
Il n'en reste pas moins que nous sommes là devant un dispositif particulier, à caractère exceptionnel et nécessairement un peu spécifique par rapport au droit commun. Certes, il n'est pas question - pas question, j'y insiste - d'utiliser ce dispositif pour compenser le fait que l'on ne serait pas parvenu à introduire la majorité qualifiée dans certains domaines. Il ne s'agit pas non plus de créer une Europe à la carte.
Cependant, malgré les garanties claires qui doivent entourer les coopérations renforcées, celles-ci revêtent bien un caractère d'exception. Elles traduiront le fait que l'on n'a pas pu, à un moment donné, se mettre d'accord à quinze pour approfondir la coopération dans un secteur précis. On pourra donc difficilement dire que tout se passe exactement comme si l'on était à quinze ! Pardonnez-moi d'insister sur une telle évidence.
Ainsi, tout en respectant le cadre institutionnel existant, il me semble difficile de prévoir plus qu'une procédure d'avis consultatif du Parlement, au moment du déclenchement. Quant aux modalités de fonctionnement d'une coopération renforcée, elles posent un autre problème plus complexe. En effet, je sais l'attachement, que je comprends parfaitement au demeurant, du Parlement à sa propre indivisibilité. Mais alors, précisément pour cette raison, comment pourrait-on justifier qu'il se prononce de plein droit -comme si l'on était dans une situation de consultation ou de codécision classique-, alors que, vraisemblablement, la moitié, peut-être même les deux tiers des Etats membres ne seront pas engagés dans telle ou telle coopération renforcée ? Quelle légitimité aurait le vote exprimé par une majorité de parlementaires issus d'Etats non concernés par une telle coopération renforcée?
Il y a là, objectivement, une vraie question de principe qui fait que l'on ne peut reprendre exactement, dans chaque coopération renforcée - et a fortiori dans le domaine spécifique de la politique étrangère, de sécurité et de défense - les mêmes règles que dans l'Union. Je crois qu'il faut bien avoir à l'esprit les situations particulières auxquelles ce dispositif doit répondre - il ne doit pas devenir la norme - et lui conférer une vraie souplesse, tout en respectant certains principes.
J'en viens à présent à la constitutionnalisation des Traités. Ce terme, comme le montre très clairement Olivier Duhamel dans son rapport, dont je souligne la grande qualité, recouvre plusieurs exigences :
- celle d'une simplification et d'une clarification des Traités ;
- celle de la mise en place d'un véritable texte de référence fixant clairement les valeurs, les principes et les objectifs de l'Union ;
- celle d'une répartition des compétences entre les différents niveaux de décision au sein de l'Union.
C'est une question que votre Assemblée a posée très tôt, dès son installation, je crois, en juillet 1999. Elle constitue une réponse à de véritables exigences, je viens de les énumérer. Mais il est vrai aussi - et nous devons, en tant que Présidence, en tenir compte - que les Etats membres ont indiqué jusqu'ici qu'ils n'étaient pas encore prêts à parler de Constitution.
En vérité, on voit bien pourquoi : si une Constitution peut apporter, en partie au moins, une réponse aux questions que j'ai énoncées, c'est un projet qui va en réalité beaucoup plus loin.
Une Constitution est, par définition, un acte fondamental d'une grande portée politique, au meilleur sens du terme. On ne peut y voir simplement un exercice de clarification rédactionnelle et même de répartition des compétences. Il me semble qu'une Constitution va bien au-delà. Or, c'est précisément sur cette étape future, sur les contours exacts de cet avenir européen que nous ne sommes pas encore au clair entre nous. Et je crois que nous ne pourrons parler véritablement de Constitution et envisager les modalités de sa rédaction que lorsque nous saurons ce que nous voulons mettre dedans. Et, vous le savez bien, cela suppose que nous fassions certains choix politiques d'une portée bien plus grande que le réglement des trois exigences énoncées plus haut.
J'y reviens d'un mot.
Sur la simplification des Traités : oui, c'est un objectif louable et de brillants juristes s'y sont essayé. L'Institut européen de Florence notamment, à la demande de la Commission, et avec un résultat fort honorable, malgré le côté particulièrement aride de l'exercice. Mais je n'ai pas le sentiment que les auteurs du rapport, auquel Olivier Duhamel fait d'ailleurs référence, aient pu échapper à la contradiction entre l'objectif de clarté et celui de la sécurité juridique.
Le traité n'est pas réécrit à droit constant. Cela se comprend. Il est extrêmement difficile de réécrire des traités qui ont été négociés parfois à la virgule près -le point suivant de notre discussion en fournit un exemple éloquent!- . Ensuite, il y a, là encore, c'est inévitable mais néanmoins discutable, une part d'arbitraire dans les choix opérés par l'Institut de Florence. Je pense, par exemple, à la présentation "égalitaire" des politiques communes retenue par les auteurs du rapport, alors même que leur poids respectif est évidemment très différent et se traduit par des dispositions de nature également très différente. Je n'irai pas plus loin, car nous ne sommes pas là pour discuter du rapport de l'Institut de Florence. Par ailleurs, j'ai bien noté que votre Rapporteur proposait, pour sa part, une autre formule, qui consisterait à distinguer, d'une part, les dispositions qui feraient partie d'un "traité cadre", d'autre part, les autres dispositions, notamment les politiques communes, qui feraient partie d'un protocole annexé. Ce que je veux suggérer, c'est que, quelle que soit l'option retenue, et tout en étant à titre personnel ouvert à l'idée d'une Constitution, c'est que cette démarche pose des questions de fond. Ce n'est pas un exercice technique, ni anodin.
Deuxième point : la répartition des compétences. Question bien connue et maintes fois débattue ! Jusqu'à présent sans résultat probant, mais cela ne doit pas nous décourager de remettre l'ouvrage sur le métier ! L'exercice est complexe et nous devons prendre garde à ne pas briser ce qui fait la spécificité de la Communauté depuis les origines, ce mélange, variable selon les secteurs, mais toujours très subtil de compétences partagées. Un tel exercice ne doit pas conduire à modifier les équilibres, ni à revenir en arrière, au nom du principe de subsidiarité, comme certains semblent le souhaiter.
Voilà ce que je souhaitais indiquer à ce stade. Je ne saurais, en tant que représentant de la Présidence en exercice, aller plus loin. Vous le savez, nous avons fait le choix de nous concentrer d'ici décembre sur les quatre grandes questions à l'ordre du jour. Nous n'ignorons pas pour autant que d'autres questions se posent : certains Etats membres les ont soulevées, la Commission et le Parlement aussi. Elles viendront - au moins pour certaines d'entre elles- sans doute très vite en discussion. Mais pas nécessairement sous la forme souhaitée par votre Rapporteur, parce que, comme je l'ai indiqué plus haut, tous les Etats membres ne m'y semblent pas prêts.
Je pense que nous y verrons plus clair à Nice et je crois que c'est en fonction des résultats de la CIG que nous pourrons examiner l'opportunité d'ouvrir de nouveaux chantiers et d'en définir, le cas échéant, les modalités et le calendrier.
Un dernier mot sur la méthode d'élaboration, le moment venu, d'un tel texte. Votre rapporteur propose que l'on reprenne la formule de la convention. Pourquoi pas? Il est vrai que cette formule a fait ses preuves concernant la Charte des droits fondamentaux. Plusieurs parmi vous, mais aussi parmi les Etats membres, ont déjà indiqué que la formule traditionnelle de la Conférence intergouvernementale n'était sans doute pas la meilleure. J'ai moi-même souligné que la formule retenue pour la Charte était une voie à explorer. Faut-il une convention , faut-il une autre formule ? Tout cela reste à déterminer, y compris d'ailleurs le processus d'adoption, in fine, de la future Constitution européenne.
Un mot maintenant sur la question des îles. Comme toujours le Président Napolitano soulève des questions à la fois très pertinentes et complexes! Mais je vais essayer de lui répondre aussi précisément que possible.
Je comprends que nos amis italiens relèvent entre les différentes versions linguistiques de l'article 158, alinea 2, du Traité certaines nuances pouvant donner lieu à des interprétations différentes.
Cette question avait été évoquée, je crois, dès 1997, après l'adoption du nouveau Traité, mais avant sa signature.
D'après les informations qui ont été communiquées à la Présidence, il semble qu'une nette majorité de versions linguistiques - contrairement à la version italienne - ne fassent référence, pour l'application de la politique de cohésion, qu'aux îles les moins favorisées et non aux îles en général.
Mais la question ne relève pas d'un débat strictement linguistique ou sémantique. Elle concerne une question extrêmement importante, celle du traitement des îles au sein de l'Union européenne et des politiques qui peuvent être mises en oeuvre dans ces territoires.
Je ne suis pas en mesure, faute d'éléments suffisants, de trancher ce débat aujourd'hui. Mais je suis naturellement disposé à aider à le clarifier, par exemple en saisissant pour avis, au sein du Conseil ou même de la Conférence intergouvernementale, le Service juridique du Conseil. Nous pourrions ainsi disposer d'éléments plus pertinents pour éclairer cette question.
Je m'arrêterai là pour laisser place au débat et vous remercie de votre attention./.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2000)