Point de presse de M. Dominique Galouzeau de Villepin, ministre des affaires étrangères, de la coopération et de la francophonie, sur les échéances et priorités inscrites au calendrier européen concernant l'élargissement et la Constitution européenne, la levée de l'embargo européen sur les armes à destination de la Chine, la candidature de la Turquie à l'UE, les relations avec l'Iran, le statut des parlementaires européens, Bruxelles le 26 janvier 2004.

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Circonstance : Réunion du Conseil Affaires générales à Bruxelles le 26 janvier 2004

Texte intégral

Permettez-moi d'abord, puisque c'est la première fois que nous nous voyons cette année, de vous souhaiter tous mes voeux, pour vous-mêmes, pour vos familles, pour vos médias. Heureuse et bonne année !
Notre déjeuner a été consacré, vous le savez, à la Conférence intergouvernementale. La présidence irlandaise nous a présenté la façon dont elle entend organiser les travaux, avec des consultations bilatérales qui lui permettront de faire une évaluation au Conseil européen de mars. Nous verrons alors si la Conférence intergouvernementale peut redémarrer avec la perspective d'un accord. J'ai fait passer deux séries de messages.
D'abord sur la méthode : la France apporte son soutien à la présidence irlandaise, qui paraît à la fois déterminée et réaliste ; nous sommes résolus à trouver un accord aussi vite que possible, pour ne pas perdre l'élan de la Convention, et en tout état de cause cette année. Nous ne pouvons pas prendre le risque d'un nouvel échec et il ne nous faut donc réunir la Conférence qu'en cas de certitude de succès.
Sur le fond, maintenant : la base des travaux est pour nous le texte de la Convention. Bien sûr, on peut et il faut s'inspirer des progrès réalisés sous la présidence italienne mais il doit être clair qu'il n'y a pas d'accord sur tout, et que tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout, rien ne peut être considéré comme acquis.
J'ai exprimé aussi lors de notre déjeuner, ma conviction : l'année 2004 sera une année importante, une année décisive pour l'Europe, au-delà des échéances nationales qui existeront dans certains Etats. Ce sera bien sûr l'année de l'élargissement. Ce sera aussi une année importante pour les négociations financières, une échéance pour la Turquie, pour le processus de Lisbonne et la relance des perspectives de croissance et de nos travaux pour l'emploi.
Ce sera aussi une échéance importante pour le monde, dans la lutte contre le terrorisme, dans la lutte contre la prolifération et pour la stabilisation des crises régionales, une année importante pour l'Irak, pour le Moyen-Orient, pour l'Afghanistan. Il est donc important dans le cadre européen que nous privilégiions une dynamique de négociation. L'Europe doit être de tous les rendez-vous en cette année cruciale et il faut donc que sur la Constitution, nous soyons capables d'engager cette dynamique de négociation. Cela passe bien sûr par des négociations bilatérales entre les Etats mais aussi, à plusieurs, nous avons commencé à le faire. Nous nous sommes réunis avec nos amis britanniques et allemands. Nous nous sommes rencontrés dans le cadre des réunions du triangle de Weimar avec nos amis polonais. Nous aurons l'occasion de le faire prochainement avec nos amis espagnols. Je crois que ces rencontres sont utiles et fructueuses. L'échange que nous avons eu aujourd'hui a été un bon échange qui montre bien que chacun d'entre nous a conscience de l'importance des enjeux. Et, évidemment, si nous pouvions parvenir à une bonne Constitution pour l'Europe, avant les échéances européennes, je crois que ce serait un formidable signal adressé à tous les peuples de l'Europe. Donc, il faut s'employer à faire en sorte que cela puisse être possible.
Nous allons débuter nos travaux de l'après-midi par l'examen de la question de l'embargo sur les armes à destination de la Chine, comme l'avait demandé le Conseil européen de décembre dernier. Je voudrais brièvement vous présenter la position française sur cette question. Notre sentiment c'est que cet embargo relève d'un état dépassé des relations entre l'Union européenne et la Chine. La Chine est aujourd'hui un partenaire privilégié de l'Union européenne et tient une place majeure et responsable dans le système international. Nous devons l'encourager davantage dans cette voie, afin de contribuer à la stabilité et à la sécurité internationale, tout particulièrement en Asie. Plus généralement, je rappellerai aussi que la politique européenne d'exportation des armements est régie depuis 1998 par un code de conduite qui s'applique à toutes les exportations d'armement des pays de l'Union. Ce code de conduite permet notamment une concertation permanente entre nous sur ces sujets sensibles. Il s'appliquera bien évidemment à nos relations avec la Chine. Je pense que les Européens peuvent se retrouver autour de ce constat, que je présenterai à mes collègues. Restent, bien sûr, les questions de calendrier, le souhait des pays européens que cette ouverture de leur part s'accompagne de nouveaux progrès dans leur dialogue avec la Chine. Nous allons donc aujourd'hui pour l'essentiel poser les termes du débat et nous continuerons à en débattre entre nous. Nous souhaitons pouvoir, d'ici le prochain Conseil européen de la fin du mois de mars, parvenir à une solution qui soit conforme à la nature des relations que l'Union entretient désormais avec un partenaire majeur pour elle. La question des Droits de l'Homme en Chine est suivie, vous le savez, avec une grande attention par l'Union européenne, comme par la France. L'Union entretient un dialogue suivi avec la Chine. C'est dans le cadre de ce dialogue que nous pouvons l'amener à progresser sur la voie de progrès qui demeurent nécessaires. Tout ce que la Chine pourra faire dans ce sens facilitera bien évidemment la décision que l'Union doit prendre.
Nous allons ensuite évoquer la question des relations de l'Union avec l'Iran. Les premiers pas accomplis dans la coopération de l'Iran avec l'Agence internationale de l'Energie atomique méritent d'être salués. Pour autant, l'Iran doit continuer de progresser : progresser vers une clarification totale de son programme, progresser par la ratification rapide du protocole additionnel, par la suspension effective, complète et durable des activités liées à l'enrichissement et au retraitement. Les progrès accomplis seront évalués par le rapport que remettra le directeur général de l'Agence internationale de l'Energie atomique fin février et le Conseil des gouverneurs début mars. Nous évaluerons alors sur ces bases la question des relations que nous souhaitons entretenir avec l'Iran en ce domaine. Sur la question des Droits de l'Homme avec l'Iran, je souhaite que nous maintenions une approche concertée dans la perspective de la prochaine Commission des Droits de l'Homme.
Nous parlerons aussi du Proche-Orient pour évoquer l'action de l'Union afin de sortir de l'impasse actuelle, réaffirmer les principes auxquels nous croyons et qui peuvent permettre un règlement du conflit : une négociation fondée sur deux Etats et, bien évidemment, la mise en uvre de la Feuille de route. Nous devons mobiliser, c'est la conviction de la France, très rapidement, l'ensemble des partenaires du Quartet. Notre responsabilité collective appelle à ne pas rester inactif. Il ne faut pas laisser la situation se détériorer. Nous plaidons pour que le Premier ministre israélien, M. Sharon, et le Premier ministre palestinien, M. Qoreï, puissent se rencontrer rapidement pour engager un dialogue sur la mise en uvre de la Feuille de route. L'Union européenne demeure engagée auprès des parties pour les convaincre de faire les gestes nécessaires pour créer les conditions du dialogue. Nous réaffirmerons notre opposition au tracé de la barrière de sécurité et soulignerons son illégalité et les conséquences humanitaires qu'il fait peser sur les populations palestiniennes. Nous apporterons enfin notre soutien à toutes les initiatives de paix qui sont susceptibles de faire revivre l'espoir d'un règlement négocié. La dynamique créée, notamment par l'initiative de Genève, témoigne des aspirations à la paix qui s'expriment dans les deux sociétés. C'est un message qui doit être entendu.
Voilà, brièvement le point de nos rencontres et même un peu une anticipation sur ce que la France défendra cet après-midi.
Q - Sur le statut des parlementaires européens, est-ce que la France s'est opposée à la question sur la table ?
R - Vous connaissez notre position. Nous avons estimé, à un certain nombre, que les choses n'étaient pas prêtes et qu'il convenait d'attendre avant d'aller plus avant. Nous estimons que les conditions ne sont pas réunies pour un accord.
Q - Justement. On ne comprend pas votre position car c'est exactement le contraire de ce que vous avez obtenu tout ce que vous demandiez au Parlement depuis des années. On se demande pourquoi on recule.
R - Tout simplement parce que pour le moment il nous semble que les montants qui sont aujourd'hui évoqués ne correspondent pas à ce qui est souhaitable dans la période actuelle.
Q - Donc on l'acceptait au mois de décembre mais on ne l'accepte plus aujourd'hui ?
R - Pour ce qui est de la position française aujourd'hui, ceci ne paraît pas acceptable en l'état des propositions qui ont été faites.
Q - Quel est l'élément qui a fait évoluer la France ? Ce n'est pas le montant puisque c'était déjà le même au mois de décembre ? M. Fischer n'est pas d'accord ?
R - Ce n'est pas si simple que ça. En ce qui me concerne, je vais vous dire très franchement : cet élément c'est le bon sens. Voilà. Je vous dis qu'aujourd'hui, compte tenu de la façon dont s'est déroulé le débat, compte tenu des propositions qui sont faites, le bon sens me fait penser que les propositions qui sont sur la table ne sont pas aujourd'hui acceptables par nous. Voilà.
Q - Le bon sens, il est chiffré à combien ?
R - Je ne veux pas rentrer dans ce genre de détails. Ce n'est ni le lieu, ni l'heure.
Q - Si, c'est le lieu et l'heure. Les élections européennes sont au mois de juin. Il y a 25 pays qui vont être membres. Vous allez avoir donc 25 statuts de députés différents, des gens qui vont gagner 100 euros à côté de gens qui vont gagner 12 ou 15 000 euros. Donc, à force de dire que ce n'est pas le moment
R - Distinguons les choses. Que l'on réfléchisse à un statut pour les parlementaires européens c'est une bonne chose. Vous savez, il y a des choses qui prennent du temps. Apparemment, les choses ne sont pas prêtes, donc que l'on fasse en sorte de pouvoir continuer à parler de ce sujet en arrivant à une solution qui soit acceptable, je le redis ; la position de la France est de considérer que ce n'est pas le cas aujourd'hui. Donc travaillons. Définissons quelque chose qui soit acceptable par l'ensemble des parties. Nous aurons alors, nous l'espérons, un bon statut pour les députés européens.
Q - Ce que vous ne voulez pas dire, c'est que vous soutenez l'Allemagne. L'Allemagne a bloqué, donc vous soutenez l'Allemagne.
R - Que nous soutenions l'Allemagne et que la relation franco-allemande soit forte, c'est une constante de la diplomatie française. Donc, là-dessus, il n'y a pas de surprise.
Q - Le problème, c'est le salaire ou c'est autre chose ?
R - Il est évident que, pour nous, aujourd'hui, les montants qui sont évoqués ne nous paraissent pas en rapport avec ce qui nous paraît souhaitable.
Q - Il y a eu un vote ou vous l'avez fait savoir avant qu'il y ait un vote ? Il y a eu un vote au Conseil ou il n'y a pas eu besoin d'avoir un vote ?
R - Je n'étais pas à la réunion ce matin car je suis arrivé à l'heure du déjeuner. Donc je ne suis pas en mesure de vous donner les détails de la négociation. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a pas eu les conditions requises, le nombre d'Etats qui pouvait accepter cette décision.
Q - Sur la CIG, Monsieur le Ministre. Est-ce que vous êtes d'accord avec les Irlandais qu'il faudrait reprendre les résultats de Naples comme étant une base de négociation ? Je rappelle qu'à Naples, on avait notamment apparemment accordé beaucoup de reculs en matière d'extension du champ de la majorité qualifiée.
R - Je vous ai dit dans mes propos liminaires que, tant qu'il n'y a pas d'accord sur tout, rien ne peut être considéré comme acquis. Donc, pour nous, la base de réflexion de référence, c'est la Convention. Il y a eu un certain nombre d'éléments qui ont été discutés depuis. Et la présidence italienne a apporté, bien sûr, son concours. Qu'on puisse s'en inspirer, c'est une chose, mais on ne peut pas considérer aujourd'hui que les choses sont gelées à partir des dernières propositions qui ont été faites. C'est une négociation, et, par définition, tant que la négociation n'est pas achevée, il n'y a pas lieu de considérer que les choses sont figées. Donc, c'est l'ultime état de la négociation qui permettra de juger et de terminer ou clore l'ensemble des chapitres.
Q - Avez-vous le sentiment qu'il y a des évolutions du côté polonais, espagnol par rapport à ce qu'on a vécu lors du Conseil européen de décembre ?
R - J'ai eu l'occasion de rencontrer mon collègue polonais à Paris et de le revoir dans le cadre des rencontres du triangle de Weimar. J'aurai l'occasion, je l'ai dit, de rencontrer prochainement ma collègue espagnole. J'ai le sentiment, c'est ce que je vous ai dit, j'ai le sentiment, suite au tour de table que nous avons fait ce matin ainsi qu'à un certain nombre de rencontres bilatérales que nous avons pu avoir que tout le monde veut aborder cette étape convaincu de l'importance d'aboutir. Nous en sommes là. Vous comprenez que, dans ce genre de négociations, il est important de privilégier le dialogue, de privilégier l'approfondissement de la négociation. Ce n'est pas le lieu, aujourd'hui de faire des déclarations sur l'évolution des choses.
Q - Concernant la Chine, est-ce qu'il y aura des engagements au cours de cette semaine sur le calendrier concernant la levée de l'embargo ?
R - Vous m'avez entendu. Ce n'est pas l'état de la discussion.
Q - Sur la Tchétchénie. Le président de l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a fait part de sa préoccupation aujourd'hui. Vous-même, vous parliez à Moscou de "guerre ouverte". Qu'est-ce qui explique ce changement d'attitude ? Est-ce que ça veut dire que la normalisation actuelle en Tchétchénie n'est plus acceptable aujourd'hui ?
R - J'ai parlé de situation de guerre ouverte, dans le cadre d'évolutions et en particulier d'un processus politique qui a été lancé, que la France veut voir s'amplifier et aboutir. Nous avons le sentiment, et nous l'avons exprimé sur le dossier de la Tchétchénie comme sur l'ensemble des autres dossiers, qu'il n'y a pas de réponse qui puisse être seulement sécuritaire. C'est un processus politique qui seul peut permettre de trouver des solutions. Il faut donc que ce processus politique puisse être véritablement mené jusqu'à son terme. J'ai exprimé à Moscou ce qui était le sentiment et la position de la France. Nous souhaitons, par ailleurs que l'OSCE, les organisations non-gouvernementales, puissent jouer pleinement leur rôle et nous sommes convaincus que c'est dans ce cadre-là que nous pouvons agir le plus utilement. C'est dans cet esprit que nous en parlons, bien évidemment avec nos partenaires et amis russes, avec le souci de faire avancer les choses.
Q - Excusez-moi. Sur la Chine, l'idée, ce serait de vendre n'importe quel type d'arme ou il y a des limites, par exemple si la Chine a une place majeure et a une attitude responsable ? Je ne sais pas si c'est majeur et responsable de menacer Taïwan d'invasion dès lors que Taïwan prononce son indépendance. Donc est-ce qu'on leur donne le droit à n'importe quelle arme ?
R - Nous parlons pour le moment de la levée de l'embargo sur les armes à destination de la Chine. Nous sommes donc dans le cadre d'une discussion générale avec nos partenaires de l'Union européenne. Nous allons l'avoir, d'ailleurs, dans quelques minutes. Vous me permettez de ne pas préjuger de la discussion que nous aurons. Il s'agit de le faire, bien sûr, en partenariat, en parfaite transparence avec l'ensemble de nos amis européens. Donc c'est une discussion que nous devons avoir sur un mode responsable. Ne préjugeons pas de ce que sera cette discussion.
Q - Cela représente des enjeux économiques importants ?
R - Vous savez, c'est d'abord le constat que cette situation est aujourd'hui dépassée, dans le cadre des relations de l'Europe avec la Chine. Donc nous souhaitons pouvoir ouvrir ce dossier. Nous sommes nombreux, comme vous le savez, à vouloir ouvrir ce dossier, nous aurons une discussion dans ce domaine et je pourrai vous donner plus d'éléments par la suite.
Q - Est-ce que vous êtes déçu que ce soit un Britannique et non pas un Français qui soit le premier dirigeant de l'Agence européenne de l'armement ?
R - Tout cela est purement putatif... si c'est un Britannique. Les Britanniques, chacun connaît le rôle qui est le leur dans le domaine de la défense européenne, nous ne pouvons donc que saluer cette responsabilité qui incombe à nos amis britanniques. Cela fait partie de l'esprit de l'Europe. Il ne s'agit pas d'être toujours aux avant-postes. Il s'agit au contraire de la faire dans un souci de complémentarité, de partenariat. C'est bien l'esprit dans lequel nous travaillons sur les questions de défense avec nos amis britanniques.
Q - Qu'est-ce qu'il en est des relations Union européenne/Iran ?
R - J'ai eu l'occasion de faire le point sur ces questions. Nous allons en reparler tout à l'heure et notamment sur les trois points qui sont importants et où nous souhaitons que les choses progressent, qu'il s'agisse de la pleine participation et de la pleine transparence des activités iraniennes, et des progrès ont été faits dans ce domaine - qu'il s'agisse de la signature effective du protocole additionnel ou encore des engagements pris en matière de suspension. Donc, c'est dans ce domaine que nous souhaitons que le dialogue entre l'Union européenne et l'Iran puisse se poursuivre. Par définition, vous savez que nous sommes engagés, aussi, dans une réflexion sur un accord de commerce. Cet accord a vocation à pouvoir évoluer, mais, bien évidemment, au rythme des conversations qui sont les nôtres sur la prolifération. Donc il y a, pour nous évidemment, des liens qui s'opèrent. Nous souhaitons pouvoir avancer. Et, plus les choses avanceront dans ces domaines-là, plus nous pourrons aller de l'avant avec nos partenaires iraniens. Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 janvier 2004)