Déclaration de M. Bernard Layre, président des Jeunes Agriculteurs, sur les crises sectorielles du monde agricole, la pac et l'aide à la transmission des exploitations agricoles aux jeunes agriculteurs, Plumaudan le 12 septembre 2004.

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Circonstance : Finale de labour 2004 à Plumaudan (Finistère) le 12 septembre 2004

Texte intégral

Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
La 51ème édition de la Finale nationale de labour, qui s'achève aujourd'hui, a connu un immense succès, avec plus de 80.000 visiteurs sur trois jours. Cette année, nous avons aussi eu l'honneur d'accueillir en France la Finale européenne de labour, qui a réuni des candidats venus de 15 pays.
Je crois que l'organisation d'un événement de cet ampleur par une équipe locale démontre à quel point les Jeunes agriculteurs ont la volonté de promouvoir leur métier en s'ouvrant sur le grand public, avec un état d'esprit qui fait la part belle à la convivialité mais aussi au professionnalisme, et un sens de l'engagement qui mérite respect.
N'oublions pas non plus que cette finale nationale est le point d'orgue d'un grand nombre de finales départementales et régionales, elles aussi organisées par le réseau des Jeunes agriculteurs. Au total, chaque année, tous ces évènements Terre Attitude rassemblent près d'un million de visiteurs
Mes remerciements iront tout d'abord aux Jeunes agriculteurs des Côtes-d'Armor qui ont organisé ce formidable événement, et tout spécialement à Sébastien Le Glatin, leur président, et à Jacques Beurel, le président du Comité d'organisation. Je sais toute l'énergie, la détermination et l'enthousiasme qui ont été nécessaires pour mettre sur pied cette manifestation, et je suis fiers de la manière dont vous avez assumé vos responsabilités.
Je tiens également à remercier toute l'équipe du Comité d'organisation et tous les bénévoles qui ont apporté leur concours à la réussite de cette opération. C'est grâce à votre formidable engagement collectif, à votre travail d'équipe, que le projet a pu voir le jour et se concrétiser.
Merci aussi à tous les partenaires qui ont soutenu cet événement Terre Attitude, et en particulier à Total, qui nous accompagne depuis plus de vingt ans.
Merci, enfin, et félicitations, aux laboureurs et à leurs familles, ainsi qu'aux membres du jury. Cette année, pour notre plus grand plaisir, deux jeunes femmes, Émilie et Aurélie, ont pris part à la compétition nationale, ce qui prouve aussi que notre métier est en pleine évolution.
Je crois qu'elles méritent vraiment vos applaudissements.
Hier, les concurrents de la finale européenne nous ont conforté dans l'idée que la passion du travail de la terre n'a pas de frontière et que les valeurs autour du métier d'agriculteur sont universelles.
Un grand bravo à Vincent Schumacher, qui nous vient d'Alsace, et qui a remporté le titre européen.
C'est sur ce site exceptionnel, magnifiquement aménagé, que les Jeunes agriculteurs des Côtes-d'Armor ont voulu nous faire partager les réalités de leur métier.
En choisissant de mettre en avant les fondamentaux de l'agriculture que sont la terre et l'eau, sans oublier le soleil, bien sûr, les jeunes agriculteurs veulent montrer qu'ils sont des acteurs incontournables de la gestion des ressources naturelles, et les garants du lien qui uni l'Homme avec la Terre.
Monsieur le Ministre,
Je souhaite maintenant que nous puissions aborder les grands sujets de la rentrée, qu'il s'agisse de dossiers d'actualité ou d'enjeux de plus long terme.
Mais je voudrais d'abord revenir sur le drame qui s'est produit la semaine dernière en Dordogne, et qui nous a tous profondément bouleversés.
Un agriculteur, en situation extrêmement difficile, a commis un acte irréparable que rien ne peut justifier, en tuant deux contrôleurs dans l'exercice de leur fonction.
Au nom des Jeunes agriculteurs, je veux exprimer aux familles des victimes mes plus sincères condoléances et transmettre un message de soutien à l'ensemble des agents des corps de contrôle.
Face à un tel événement, c'est tout le monde agricole qui est endeuillé.
Monsieur le Ministre,
J'évoquais à l'instant les questions environnementales, et vous avez pu vous rendre compte, au cours de votre visite, que les jeunes agriculteurs étaient prêts à relever le défi des bonnes pratiques agricoles et environnementales.
Mais j'attire votre attention sur un point : nous atteindrons d'autant plus rapidement les objectifs que nous nous sommes fixés que les dispositifs mis en place seront intelligents et emprunts de bon sens.
Quand je vois la complexité de la mise en oeuvre des BCAE, et les situations absurdes qui peuvent exister - je pense notamment aux bandes enherbées - je souhaiterais que notre administration ne génère pas elle-même des situations qui vont devenir rapidement ingérables.
Savez-vous, Monsieur le Ministre, que pour les seules bandes enherbées, votre administration a déjà rédigé plus de 25 pages de réglementation durant le mois d'août.
Autre dossier pour lequel vous exercer votre compétence de manière conjointe avec le Ministre de l'environnement, je veux parler du loup.
Je dois admettre que vous vous êtes déjà largement exprimé sur le sujet, et que votre position va dans la bonne direction.
Mais les jeunes éleveurs du massif des Alpes ne comprennent pas pourquoi la décision d'éliminer quatre loups n'a toujours pas été suivie d'effet. Ils comprennent encore moins le caractère trop limité de ce prélèvement.
Je sais bien que les loups sont des animaux très furtifs, mais je sais aussi qu'aucune grande battue administrative n'a encore été organisée. Et je peux vous dire que vous pouvez compter sur les éleveurs pour grossir les rangs des rabatteurs !
En matière d'environnement, le gouvernement a pris une décision que nous attendions depuis trop longtemps : la production à grande échelle des biocarburants.
Nous nous félicitons de cette annonce, qui donne aux agriculteurs de nouvelles perspectives de revenu dans les productions non-alimentaires.
Tout l'enjeu, maintenant, c'est d'être vigilant pour faire en sorte que ce soit bien nos productions qui alimentent les nouvelles unités de productions, et non des importations.
En évoquant ces nouvelles filières, je ne peux passer sous silence le phénomène de forte hausse des prix du pétrole qui sévit depuis plusieurs mois, et qui provoque l'envolée des prix du fuel domestique et des engrais pour l'agriculture.
En un an, le prix du fuel domestique a augmenté de plus de 26%, pour atteindre un niveau record en cette fin d'été.
La facture totale pour la " ferme France " s'élève à 400 millions d'euros sur une année, qui sont autant de revenu en moins pour les agriculteurs.
C'est pourquoi, dans un contexte où notre agriculture connaît déjà des situations économiques difficiles, nous demandons la mise en place d'un carburant professionnel totalement détaxé pour le secteur agricole, comme c'est déjà le cas pour les pêcheurs.
Monsieur le Ministre,
Depuis que vous exercez vos fonctions au ministère de l'agriculture, vous avez pu constater que l'agriculture française connaît des crises à répétition, dans de nombreux secteurs de production.
Cet été, ce sont les producteurs de fruits et légumes qui ont été confrontés à un effondrement des prix, au point même de ne plus couvrir leurs coûts de production.
Certes, nous n'avons pas manqué d'effets d'annonces, durant le mois d'août : prix minimum, coefficient multiplicateur, encadrement des marges, et j'en passe. Autant d'outils qui correspondaient d'ailleurs à nos revendications et qui auraient permis d'éviter l'effondrement des prix.
Mais aujourd'hui, la réalité, c'est que nous n'avons toujours rien de concret et que les producteurs touchés par la crise ont besoin d'un soutien urgent, et tout spécialement les jeunes récemment installés.
Et nos demandes sont claires : une année blanche sur les charges sociales et bancaires, avec report d'annuité et prise en charge des intérêts, avec une aide à la trésorerie pour les jeunes agriculteurs les plus durement touchés.
Aujourd'hui, sur ce dossier, Monsieur le Ministre, j'attends de vous une réponse concrète.
Lorsque je fais le bilan de ces dernières années, j'ai l'impression que les crises sectorielles sont de plus en plus fréquentes et profondes.
Je pense notamment aux secteurs du porc, de la volaille, et même de la viticulture.
Certes nous devons prendre nos responsabilités en renforçant encore notre organisation professionnelle, mais ne croyez-vous pas, Monsieur le Ministre, que vous devez, vous aussi, tirer les enseignements de ces situations dramatiques.
Je crois que le moment est venu d'agir sur deux leviers :
- d'une part, l'activation effective, en cas de crise, du dispositif de prix minimum pour tous les produits frais, qui est d'ailleurs prévu par la loi, et que nous pourrions coupler avec un système de coefficient multiplicateur ;
d'autre part, l'arrêt immédiat des pratiques commerciales abusives ou illégales de la grande distribution, qui met sous pression l'ensemble des filières agricoles.
Et cette pression scandaleuse, exercée sur les agriculteurs et les PME, ne profite à personne : les agriculteurs voient leurs prix s'effondrer et les consommateurs n'ont jamais payé aussi cher leur alimentation.
A titre d'exemple, croyez-vous, Monsieur le Ministre, que les prix des produits laitiers de grande consommation vont baisser dans les prochaines semaines suite au récent accord sur le prix du lait payé au producteur. Bien sûr que non, et je suis prêt à prendre les paris !
Que ce soit avec les productions encadrées, comme le lait, ou moins encadrées, comme les fruits et légumes, le porc ou la volaille, la grande distribution n'a jamais gagné autant d'argent !
Devant le rouleau compresseur de la grande distribution, c'est le revenu des paysans qui est totalement écrasé.
En juin dernier, nous avons accepté de signer les accords Sarkozy sur la distribution, puisque toutes nos revendications avaient été reprises, et écrites noir sur blanc.
Mais aujourd'hui, le problème, ce n'est pas ce qui est écrit, c'est la manière dont la grande distribution le met en application, ou plutôt ne le met pas en application.
Je me permets d'insister sur un point bien précis. Dans l'accord, il est écrit que les rabais, remises et ristournes doivent cesser immédiatement pour les produits agricoles non marketés. Or, en ce début septembre, nous en sommes toujours à définir la liste de ces produits, et on est bien loin d'un arrêt total de ces pratiques.
Nicolas Sarkozy nous a promis un bilan de ces accords en novembre, mais je pense que nous allons prendre l'initiative d'un pré-bilan syndical bien avant cette échéance.
Toujours dans le registre des crises, je tiens à évoquer les problèmes climatiques qui touchent plusieurs régions françaises. Les situations sont très différentes selon les départements : trop d'eau dans certains endroits, pas assez d'eau ailleurs.
Aussi, nous vous demandons, Monsieur le ministre, de prendre les dispositions qui s'imposent, notamment en déclenchant les procédures de calamités agricoles.
Mais nous devons aussi prendre conscience qu'il est urgent de mettre en place un système d'assurance récolte, qui doit pouvoir fonctionner dès 2005. Nous tenons à ce que ce dispositif soit accessible au plus grand nombre d'agriculteurs, ce qui favorisera aussi la mutualisation des risques.
Aujourd'hui, pouvez-vous nous dire, concrètement, quel sera le niveau du soutien de l'Etat pour l'assurance récolte.
Vous l'aurez compris, Monsieur le ministre, le combat des Jeunes agriculteurs, c'est d'assurer le renouvellement des générations en agriculture.
Et pour nous, la première politique d'installation, c'est une politique de revenu, une politique de revenu par les prix.
Pour cela, nous voulons conserver une politique agricole européenne forte, qui constitue le socle de nos démarches de filières. Pour reconquérir la valeur ajoutée, qui trop souvent nous échappe, nous devons bâtir des interprofessions solides et faire en sorte que nos coopératives développent des stratégies commerciales communes, plutôt qu'une concurrence stérile.
Du côté de la PAC, nous devons nous accommoder d'une réforme qui n'est pas la nôtre, mais qui va pourtant bientôt s'appliquer, avec son lot de baisses de prix et de dérégulation des marchés.
Aujourd'hui, notre priorité, c'est d'être vigilant pour ne pas avoir à payer l'addition plusieurs fois.
Le 1er août dernier, à Genève, un pas de plus a été franchi dans la négociation à l'OMC, avec l'adoption d'un accord cadre sur l'agriculture. Les priorités françaises ont été bien défendues, même si au final, des craintes persistent sur la question de l'accès aux marchés.
Je pense, Monsieur le Ministre, que l'Europe aurait pu vendre plus cher les efforts importants qu'elle a consentis sur les aides à l'exportation.5
Quant aux négociations avec le Mercosur, les Jeunes agriculteurs ne comprendraient pas que la France accepte de valider les dernières propositions du Commissaire Lamy, qui veut conclure un accord à tout prix en bradant nos filières agricoles.
Si un tel accord était conclu, comment pourriez vous expliquer, en le regardant droit dans les yeux, à un jeune agriculteur des Côtes-d'Armor qui fait d'énormes efforts pour respecter notre réglementation sanitaire, environnementale et sociale, qu'il va devoir affronter un déferlement de produits agricoles brésiliens arrivant dans les ports bretons à des prix ridiculement bas.
C'est parce que nous ne pouvons pas imaginer qu'un responsable politique puisse se comporter ainsi que nous continuons de croire en l'agriculture française, et donc que nous nous battons pour l'installation des jeunes sur des exploitations viables.
Mais nous ne sommes pas aveugles, nous avons bien conscience que notre agriculture évolue.
N'étant pas des adeptes du laisser-faire, et convaincus que l'agriculture française n'a pas d'avenir dans la logique du modèle argentin, nous voulons maintenir des outils d'orientation et de régulation, au service d'une agriculture responsable.
Et aujourd'hui, si nous voulons relever le défi du renouvellement des générations d'agriculteurs, il est indispensable de mettre en place une mesure phare qui incite les cédants à transmettre leur exploitation à un jeune agriculteur, plutôt que de la démanteler.
A l'occasion de notre dernier congrès, à Béziers, vous avez annoncé qu'une telle disposition trouverait sa place dans la loi de modernisation agricole.
Cela fait plus de deux ans que nous travaillons sur ce sujet avec vos services, et nous avons l'impression d'être quelque peu menés en bateau.
Ce qui nous importe, ce n'est pas l'intitulé de cette mesure, mais c'est son efficacité !
Et de notre côté, nous maintenons que la plus efficace et la plus lisible des mesures, c'est une dotation significative, d'un montant d'au moins 15.000 euros, qui serait octroyée à tout agriculteur qui cède son exploitation à un jeune.
Sachez par ailleurs, Monsieur le ministre, que nous voulons continuer à jouer un rôle central pour assurer la promotion du métier d'agriculteur. J'espère que nous pourrons travailler en partenariat étroit dans une prochaine campagne de communication sur le métier.
Nous sommes également engagés, dans le cadre des actions innovantes de développement agricole, dans un projet qui vise à améliorer les conditions de vie et de travail en agriculture, afin de renforcer l'attractivité du métier.
Avant de conclure, Monsieur le ministre, je veux attirer votre attention sur l'avenir des prêts bonifiés pour les jeunes agriculteurs, pour lesquels nous avons de sérieuses inquiétudes.
Vous devez savoir que la Commission européenne a proposé, fin juillet, de supprimer le cofinancement pour les prêts JA, dans le cadre de la réforme du 2ème pilier de la PAC.
7J'espère que vous avez bien conscience, Monsieur le ministre, que si une telle décision était prise à Bruxelles, vous devriez financer sur des fonds exclusivement nationaux les prêts JA, ce qui, j'en suis sûr, est un excellent argument pour défendre le cofinancement européen.
D'ailleurs, croyez-vous que ce soit le fruit du hasard si la Commission européenne déclanche autant de contrôles depuis quelques mois sur les prêts JA ! Si son objectif est de les remettre en cause, elle arrivera toujours à trouver une erreur de virgule pour contester la validité des dossiers.
En aucun cas, nous ne pourrions admettre qu'un JA, qui serait pris dans cette tourmente administrative, perde sa bonification.
Monsieur le ministre,
Je voudrais conclure mon propos sur une note optimiste, car malgré cette rentrée agricole plutôt chargée, il se dégage de cette formidable fête de l'agriculture une force et un dynamisme, une ambiance qui fait chaud au coeur.
Ces jeunes, qui assurent la relève de notre agriculture, ont tout donné pour arriver à ce résultat, parce qu'ils croient en l'avenir de leur métier.
Alors ne les décevez pas, Monsieur le ministre, et gardez bien à l'esprit ce que vous avez vu aujourd'hui, lorsque vous aurez à prendre des décisions qui affectent leurs exploitations et donc leur vie au quotidien.
Monsieur le Ministre, je vous cède la parole.
(Source http://www.cnja.com, le 27 octobre 2004)