Texte intégral
La France organise à Paris une conférence scientifique internationale consacrée à la biodiversité à l'initiative du président de la République Jacques Chirac. L'annonce de cette conférence a suscité un grand intérêt dans le monde et plus de 1 500 participants sont attendus de la planète entière. Pourquoi une telle attention et qu'attendons-nous de cette conférence ?
L'érosion de la biodiversité s'accélère. Chaque habitant de notre planète voit bien que le milieu naturel qui l'entoure régresse et il s'en inquiète. Les activités humaines s'étendent et relèguent les plantes et les animaux aux marges. Les espèces emblématiques nous rappellent régulièrement la réalité des menaces qui pèsent sur leur avenir : le bouquetin, l'ours des Pyrénées, les cigognes alsaciennes, les loutres des rivières, les grands fauves d'Asie ou d'Afrique, les baleines, les tortues marines et les phoques sont là pour en témoigner.
Les faits ne sont pas contestables, mais leurs conséquences sont sous-estimées. La biodiversité ne se résume pas à quelques cas spectaculaires. En effet, la biodiversité désigne l'ensemble des ressources vivantes et leur variabilité - d'abord les espèces, animaux, végétaux, micro-organismes - ensuite les écosystèmes, comme les forêts, les marais ou les récifs coralliens, enfin les gènes qui transmettent leurs caractères. La biodiversité est un terme encore récent utilisé par les scientifiques depuis une vingtaine d'années et diffusé notamment par Edward Wilson, un des plus éminents spécialistes de ce domaine, qui d'ailleurs prononcera l'exposé inaugural de la conférence.
Protéger la biodiversité est un des deux grands combats pour l'environnement à l'aube de ce XXIe siècle. L'autre combat est la lutte contre les gaz à effet de serre et leurs conséquences. Nous savons maintenant que le climat change et que les températures augmentent. Le monde dispose d'un réseau international de scientifiques qui ont mesuré et, en partie expliqué, ces élévations de température. Les trois rapports qu'a déjà publiés le groupe intergouvernemental des experts de l'évolution du climat (le Giec) font autorité. Ce sont eux qui nous disent que la température va croître de 1,4°C à 5,8°C au cours du siècle à venir. Ce sont eux qui ont permis de fixer les objectifs précis du protocole de Kyoto.
Or, rien de tel n'existe pour la biodiversité où tout est plus complexe. La convention internationale sur la biodiversité requiert l'arrêt de son érosion avant 2010, mais les données précises manquent encore. Certes, les chercheurs mettent à notre disposition de nombreux résultats obtenus grâce à un travail considérable. Les naturalistes ont décrit environ 1,7 million d'espèces vivantes. Mais, nous savons que le nombre réel est beaucoup plus grand, mais nous sommes incapables de dire combien : 5, 10, voire 30 millions. Si nous connaissons les 4 327 espèces de mammifères, les 9 672 espèces d'oiseaux et les 270 000 végétaux supérieurs, la description des organismes qui vivent dans les sols ou les fonds marins reste incomplète. Si nous savons distinguer les espèces des pinsons des îles Galapagos qui permirent à Darwin d'élaborer la théorie de l'évolution des espèces, que savons-nous des espèces qui peuplent la forêt tropicale ? Chaque expédition apporte son lot de découvertes, en particulier d'insectes, dont le million d'espèces connues n'est sans doute que le quart ou le dixième de ce qui existe.
Qui plus est, les avancées de la science reculent les frontières de la connaissance. La biologie moléculaire nous offre de nouvelles possibilités d'exploration de la biodiversité et nous permet de comprendre les mécanismes génétiques de la transmission des caractères. C'est en procédant à de telles analyses que des chercheurs français du CNRS ont récemment découvert les plus grands virus à ADN identifié. Ces virus pourraient constituer une nouvelle branche de l'évolution de la vie. Or, la disparition des espèces, c'est aussi la disparition des gènes. Il est très probable que les propriétés des espèces sauvages nous seront utiles un jour. Le temps n'est pas si loin où nous avons été bien contents de trouver une variété de vigne résistante au phylloxera.
Les techniques spatiales, la microélectronique et la micro-informatique offrent de nouveaux outils qui, couplés à l'observation, permettent d'assurer le suivi des populations en milieu naturel, ce qui nous permet de mieux comprendre les relations entre les organismes vivants et leurs milieux.
Le développement de nouvelles approches expérimentales révolutionne l'écologie en permettant d'étudier et de manipuler des écosystèmes entiers en laboratoire et en milieu naturel. Nous savons désormais qu'une des conséquences les plus graves de l'érosion de la biodiversité est la disparition des écosystèmes et l'altération de leur fonctionnement. L'écosystème, c'est l'ensemble des interactions entre les organismes vivants et entre ceux-ci et leur milieu physique. Ces processus sont de véritables services écologiques dont les sociétés tirent de nombreux bénéfices. Les études scientifiques montrent que les prairies riches en espèces sont plus productives, que la diversité des insectes favorise la pollinisation et la fructification de plantes cultivées comme le café. De même, la diversité génétique accroît la résistance du riz à des agents pathogènes, et la diversité des mammifères hôtes réduit le risque de transmission de la maladie de Lyme aux populations humaines. Ces mécanismes donnent aux systèmes naturels la capacité de s'adapter au changement et de résister aux aléas climatiques ou à la pollution.
Si les atteintes au milieu sont trop violentes, les disparitions s'enchaînent. La forêt régresse et le désert avance. Les sols tropicaux exposés aux pluies et à la chaleur se transforment en latérite impossible à cultiver. La réduction des haies, qui sont passées de 2 millions de kilomètres à moins de 500 000 km en France, prive des millions d'oiseaux de leur habitat et expose les paysages aux ravages de tempêtes. La pollution des rivières et la banalisation du lit des rivières empoisonnent les poissons et les insectes, ainsi que les mammifères ou les oiseaux qui s'en nourrissent, ou bien privent ces espèces de leurs habitats. Que savons-nous en outre des risques que fait courir la dissémination d'espèces invasives hors des écosystèmes qui les contrôlent ?
Patrimoine des sociétés et assurance-vie de l'humanité, la biodiversité recèle potentiellement une infinité d'utilisations innovantes. On pense bien sûr à toutes les molécules qui peuvent devenir des médicaments indispensables : la pervenche de Madagascar a permis de fabriquer des anticancéreux. Demain, peut-être, traiterons-nous aussi l'obésité, le paludisme ou le Sida avec des principes actifs que les chercheurs ont isolés de plantes, de micro-organismes ou d'animaux. En chimie, les molécules naturelles et les micro-organismes ouvrent des perspectives illimitées. Bactéries dépolluantes, édulcorants, teintures, biopesticides constituent une alternative aux produits de synthèse. L'agriculture de l'avenir favorisera les mécanismes naturels plutôt que de les contrarier. Déjà l'agriculture sans labour permet à la faune et à la flore des sols de maintenir leur fertilité et de lutter contre l'érosion. D'ores et déjà certains organismes vivants sont des indicateurs du changement climatique ou de la pollution de l'eau.
Or le génie humain ne peut tirer parti de la nature sans la connaissance et la technologie. Protéger la biodiversité suppose d'abord que nous sachions ce qu'elle est et ce qu'elle nous apporte, ensuite que nous mettions au point des modes de vie, de consommation et de production qui évitent de la détruire.
La préservation de la biodiversité n'est pas contraire au développement économique. L'humanité s'est développée parce qu'elle a domestiqué à son profit les ressources naturelles. Pendant des millénaires, cette domestication a apporté à l'homme plus de bénéfices que d'inconvénients. Nous avons besoin d'une nouvelle révolution industrielle, écologiquement responsable.
La préservation de la biodiversité n'est pas contraire au développement économique et à la lutte contre la pauvreté. C'est ce que symbolise l'attribution du prix Nobel de la paix à Mme Wandari Mathaaï qui honorera de sa présence la conférence. Trente-quatre ans après l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Américain Norman Borlaug pour la révolution verte qui a permis de vaincre la famine par l'intensification agricole, l'action de Wandari Mathaaï prouve au monde que les pays du Sud se battent aujourd'hui pour une autre approche du développement.
Il incombe à tous, acteurs publics et privés, de s'impliquer dans la préservation de la biodiversité, composante majeure d'une politique de développement durable. Nous attendons de cette conférence un nouvel élan. Puisse-t-elle rassembler les compétences, les intelligences et les énergies au service de la connaissance et de la valorisation de ce trésor de l'humanité qu'est le monde vivant.
(Source http://www.u-m-p.org, le 24 janvier 2005)
L'érosion de la biodiversité s'accélère. Chaque habitant de notre planète voit bien que le milieu naturel qui l'entoure régresse et il s'en inquiète. Les activités humaines s'étendent et relèguent les plantes et les animaux aux marges. Les espèces emblématiques nous rappellent régulièrement la réalité des menaces qui pèsent sur leur avenir : le bouquetin, l'ours des Pyrénées, les cigognes alsaciennes, les loutres des rivières, les grands fauves d'Asie ou d'Afrique, les baleines, les tortues marines et les phoques sont là pour en témoigner.
Les faits ne sont pas contestables, mais leurs conséquences sont sous-estimées. La biodiversité ne se résume pas à quelques cas spectaculaires. En effet, la biodiversité désigne l'ensemble des ressources vivantes et leur variabilité - d'abord les espèces, animaux, végétaux, micro-organismes - ensuite les écosystèmes, comme les forêts, les marais ou les récifs coralliens, enfin les gènes qui transmettent leurs caractères. La biodiversité est un terme encore récent utilisé par les scientifiques depuis une vingtaine d'années et diffusé notamment par Edward Wilson, un des plus éminents spécialistes de ce domaine, qui d'ailleurs prononcera l'exposé inaugural de la conférence.
Protéger la biodiversité est un des deux grands combats pour l'environnement à l'aube de ce XXIe siècle. L'autre combat est la lutte contre les gaz à effet de serre et leurs conséquences. Nous savons maintenant que le climat change et que les températures augmentent. Le monde dispose d'un réseau international de scientifiques qui ont mesuré et, en partie expliqué, ces élévations de température. Les trois rapports qu'a déjà publiés le groupe intergouvernemental des experts de l'évolution du climat (le Giec) font autorité. Ce sont eux qui nous disent que la température va croître de 1,4°C à 5,8°C au cours du siècle à venir. Ce sont eux qui ont permis de fixer les objectifs précis du protocole de Kyoto.
Or, rien de tel n'existe pour la biodiversité où tout est plus complexe. La convention internationale sur la biodiversité requiert l'arrêt de son érosion avant 2010, mais les données précises manquent encore. Certes, les chercheurs mettent à notre disposition de nombreux résultats obtenus grâce à un travail considérable. Les naturalistes ont décrit environ 1,7 million d'espèces vivantes. Mais, nous savons que le nombre réel est beaucoup plus grand, mais nous sommes incapables de dire combien : 5, 10, voire 30 millions. Si nous connaissons les 4 327 espèces de mammifères, les 9 672 espèces d'oiseaux et les 270 000 végétaux supérieurs, la description des organismes qui vivent dans les sols ou les fonds marins reste incomplète. Si nous savons distinguer les espèces des pinsons des îles Galapagos qui permirent à Darwin d'élaborer la théorie de l'évolution des espèces, que savons-nous des espèces qui peuplent la forêt tropicale ? Chaque expédition apporte son lot de découvertes, en particulier d'insectes, dont le million d'espèces connues n'est sans doute que le quart ou le dixième de ce qui existe.
Qui plus est, les avancées de la science reculent les frontières de la connaissance. La biologie moléculaire nous offre de nouvelles possibilités d'exploration de la biodiversité et nous permet de comprendre les mécanismes génétiques de la transmission des caractères. C'est en procédant à de telles analyses que des chercheurs français du CNRS ont récemment découvert les plus grands virus à ADN identifié. Ces virus pourraient constituer une nouvelle branche de l'évolution de la vie. Or, la disparition des espèces, c'est aussi la disparition des gènes. Il est très probable que les propriétés des espèces sauvages nous seront utiles un jour. Le temps n'est pas si loin où nous avons été bien contents de trouver une variété de vigne résistante au phylloxera.
Les techniques spatiales, la microélectronique et la micro-informatique offrent de nouveaux outils qui, couplés à l'observation, permettent d'assurer le suivi des populations en milieu naturel, ce qui nous permet de mieux comprendre les relations entre les organismes vivants et leurs milieux.
Le développement de nouvelles approches expérimentales révolutionne l'écologie en permettant d'étudier et de manipuler des écosystèmes entiers en laboratoire et en milieu naturel. Nous savons désormais qu'une des conséquences les plus graves de l'érosion de la biodiversité est la disparition des écosystèmes et l'altération de leur fonctionnement. L'écosystème, c'est l'ensemble des interactions entre les organismes vivants et entre ceux-ci et leur milieu physique. Ces processus sont de véritables services écologiques dont les sociétés tirent de nombreux bénéfices. Les études scientifiques montrent que les prairies riches en espèces sont plus productives, que la diversité des insectes favorise la pollinisation et la fructification de plantes cultivées comme le café. De même, la diversité génétique accroît la résistance du riz à des agents pathogènes, et la diversité des mammifères hôtes réduit le risque de transmission de la maladie de Lyme aux populations humaines. Ces mécanismes donnent aux systèmes naturels la capacité de s'adapter au changement et de résister aux aléas climatiques ou à la pollution.
Si les atteintes au milieu sont trop violentes, les disparitions s'enchaînent. La forêt régresse et le désert avance. Les sols tropicaux exposés aux pluies et à la chaleur se transforment en latérite impossible à cultiver. La réduction des haies, qui sont passées de 2 millions de kilomètres à moins de 500 000 km en France, prive des millions d'oiseaux de leur habitat et expose les paysages aux ravages de tempêtes. La pollution des rivières et la banalisation du lit des rivières empoisonnent les poissons et les insectes, ainsi que les mammifères ou les oiseaux qui s'en nourrissent, ou bien privent ces espèces de leurs habitats. Que savons-nous en outre des risques que fait courir la dissémination d'espèces invasives hors des écosystèmes qui les contrôlent ?
Patrimoine des sociétés et assurance-vie de l'humanité, la biodiversité recèle potentiellement une infinité d'utilisations innovantes. On pense bien sûr à toutes les molécules qui peuvent devenir des médicaments indispensables : la pervenche de Madagascar a permis de fabriquer des anticancéreux. Demain, peut-être, traiterons-nous aussi l'obésité, le paludisme ou le Sida avec des principes actifs que les chercheurs ont isolés de plantes, de micro-organismes ou d'animaux. En chimie, les molécules naturelles et les micro-organismes ouvrent des perspectives illimitées. Bactéries dépolluantes, édulcorants, teintures, biopesticides constituent une alternative aux produits de synthèse. L'agriculture de l'avenir favorisera les mécanismes naturels plutôt que de les contrarier. Déjà l'agriculture sans labour permet à la faune et à la flore des sols de maintenir leur fertilité et de lutter contre l'érosion. D'ores et déjà certains organismes vivants sont des indicateurs du changement climatique ou de la pollution de l'eau.
Or le génie humain ne peut tirer parti de la nature sans la connaissance et la technologie. Protéger la biodiversité suppose d'abord que nous sachions ce qu'elle est et ce qu'elle nous apporte, ensuite que nous mettions au point des modes de vie, de consommation et de production qui évitent de la détruire.
La préservation de la biodiversité n'est pas contraire au développement économique. L'humanité s'est développée parce qu'elle a domestiqué à son profit les ressources naturelles. Pendant des millénaires, cette domestication a apporté à l'homme plus de bénéfices que d'inconvénients. Nous avons besoin d'une nouvelle révolution industrielle, écologiquement responsable.
La préservation de la biodiversité n'est pas contraire au développement économique et à la lutte contre la pauvreté. C'est ce que symbolise l'attribution du prix Nobel de la paix à Mme Wandari Mathaaï qui honorera de sa présence la conférence. Trente-quatre ans après l'attribution du prix Nobel de la paix à l'Américain Norman Borlaug pour la révolution verte qui a permis de vaincre la famine par l'intensification agricole, l'action de Wandari Mathaaï prouve au monde que les pays du Sud se battent aujourd'hui pour une autre approche du développement.
Il incombe à tous, acteurs publics et privés, de s'impliquer dans la préservation de la biodiversité, composante majeure d'une politique de développement durable. Nous attendons de cette conférence un nouvel élan. Puisse-t-elle rassembler les compétences, les intelligences et les énergies au service de la connaissance et de la valorisation de ce trésor de l'humanité qu'est le monde vivant.
(Source http://www.u-m-p.org, le 24 janvier 2005)