Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, depuis le 1er mai, l'Union européenne compte vingt-cinq pays membres dont les niveaux de développement, l'habitude des mécanismes communautaires et les systèmes politiques sont très différents les uns des autres. Comment peut-on imaginer qu'ils avancent tous du même pas ?
R - C'est la vraie question de cette union à vingt-cinq et demain à vingt-sept ou trente. Avancer tous du même pas, ce serait, avec le système actuel, se régler en permanence sur celui du plus lent. C'est pourquoi, dans la Constitution, nous avons prévu deux assouplissements. Tout d'abord, une diminution du nombre de domaines où peut s'exercer le droit de veto, ensuite, certaines formes de coopérations, que nous appelons "renforcées" ou "structurées" parce qu'elles sont créées par le traité et qu'elles s'exercent dans le cadre des institutions, à la différence de ce que nous avons connu dans le passé avec les accords de Schengen, par exemple. Des groupes de pays peuvent partir en éclaireurs dans les domaines qu'ils ont choisis. Mais ces groupes doivent rester ouverts, informer les non-participants de leurs progrès et appeler ceux-ci à la rejoindre quand ils le souhaitent et le peuvent. Pour tous, il s'agit d'avancer sur la même route.
Q - Quels seraient les domaines privilégiés pour ces groupes pionniers ?
R - La fiscalité des entreprises est un secteur clé pour les pays de la zone euro, ainsi que la coopération judiciaire pour lutter contre le terrorisme et l'immigration clandestine. Beaucoup de domaines sont ouverts. La seule restriction est que la Commission vérifie qu'il n'y ait rien de contraire aux traités. Il faut citer également le domaine de la défense, explicitement prévu comme domaine de coopération structurée par la Constitution approuvée à Bruxelles le 18 juin dernier.
Q - Et la politique étrangère, dont on a vu à l'occasion de la crise irakienne qu'elle pouvait donner lieu à des affrontements entre pays membres de l'Union ?
R - La principale innovation, c'est la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères qui sera également l'un des vice-présidents de la Commission. Il travaillera sous l'autorité du Conseil des ministres et du président de la Commission. Il n'y a peut-être pas de miracle immédiat à attendre. Mais, si les dirigeants de l'Union apprennent à réfléchir ensemble sur les grands problèmes du moment, ils pourront définir à l'avance une attitude commune sur les crises à venir. Il y a douze ans, nous étions presque aussi divisés sur l'ex-Yougoslavie que nous l'avons été hier sur l'Irak. Aujourd'hui, nous avons appris à développer une politique commune au Kosovo, en Macédoine. A ce titre, il faut que, d'ici à quelques années, l'Irak soit pour nous les Balkans d'aujourd'hui. Apprenons à tirer les leçons des crises !
Q - A propos de crise, on voit les pays, l'un après l'autre, briser la barrière des 3 % du PIB de déficit budgétaire. Après l'Allemagne, la France et les Pays-Bas, c'est le tour de l'Italie. Que devient donc le Pacte de stabilité ?
R - Nous avons besoin, de toute façon, d'un règlement de copropriété pour l'euro. Avec ou sans Pacte de stabilité, nos déficits et notre endettement doivent être réduits. Mais le texte actuel doit être appliqué avec pragmatisme. C'est ce qui est fait quand la tendance économique n'est pas favorable. Néanmoins, la question de la modernisation du pacte est posée. C'est un débat qui aura lieu. Je pense que nous pourrions notamment inciter les pays en croissance à faire des économies et la Commission à juger en tendance au lieu de se focaliser sur les seules deux dernières années. Dans le cadre du club de réflexion que j'ai mis en place, Nouvelle République, nous avons également proposé d'examiner la qualité du déficit. Ainsi, les investissements dans la recherche et le développement ne devraient pas être jugés comme les autres postes budgétaires dans la définition du déficit.
Au-delà de la question du pacte, la zone euro doit continuer de s'organiser, de se responsabiliser. Tel est l'objet de la désignation d'un président de l'euro-groupe. A terme, c'est bien une forme de gouvernement économique européen qui devrait ainsi émerger.
Q - Que se passe-t-il si un pays refuse la Constitution proposée ?
R - Je ne souhaite pas évoquer cette hypothèse. La Constitution sera ratifiée si les partis de droite et de gauche s'engagent avec sincérité. Qu'ils fassent passer l'intérêt de la France en Europe avant leurs considérations partisanes.
Q - Mais on ne peut pas exclure totalement l'hypothèse d'une réponse négative...
R - Il y aurait alors différentes hypothèses dont aucune ne serait satisfaisante, qu'il s'agisse de continuer avec les traités existants, de voter à nouveau comme on l'a fait en Irlande pour le traité de Nice ou encore d'envisager d'avancer à quelques-uns.
Inutile de dire que je ne souhaite aucune de ces hypothèses. Le texte est bon et nous allons nous engager dans un vaste débat d'explication.
Q - Mais l'organisation d'un référendum n'est-elle pas le meilleur moyen d'ouvrir le débat que vous souhaitez ?
R - Il faut que les citoyens d'Europe répondent à la question qui leur est posée et que celle-ci ne soit pas détournée. Le débat doit avoir lieu à l'échelle de l'Europe. Pour cela, je souhaite que les consultations se tiennent au cours de la même période. A partir de là, chacun ratifie comme il l'entend. Pour la France, le président de la République a choisi de consulter le peuple en 2005 et j'en suis très heureux. Comme citoyen, j'ai toujours pensé que le référendum avait une grande vertu pédagogique et démocratique. Pour lutter contre la démagogie, l'Europe a besoin de démocratie.
Q - Il y a quatre ans, à Lisbonne, les Quinze avaient adopté un programme de modernisation de leur économie destiné à faire d'ici à quelques années de l'Union la zone la plus compétitive du monde. Depuis, on n'a guère entendu parler de l'application de ce programme. Est-il encore temps de le sauver ?
R - Le processus de Lisbonne a été mis en place pour relancer l'emploi et la croissance. Il reposait surtout sur la bonne volonté des gouvernements. Certains se sont engagés très tôt dans des réformes destinées à rendre leurs économies plus concurrentielles. D'autres ont mis l'accent, à juste titre également, sur la recherche, l'éducation et les nouvelles technologies. Malheureusement, certains ont pris du retard. Et, surtout, la plupart des efforts ont été réalisés en ordre dispersé.
Aujourd'hui, il faut donner un nouvel élan à cette démarche et les efforts nationaux doivent se poursuivre. Au niveau européen, certaines réglementations devront être adoptées pour moderniser nos économies. Et nous devrons aussi mieux utiliser le budget de l'Union, qui est un instrument commun, au service de la compétitivité. Il faut mettre l'accent sur les actions qualitatives, les programmes de formation, la création de pôles d'excellence et de recherche. Sans doute moins de routes et plus de haut débit. Si l'Europe veut être au rendez-vous de la concurrence internationale, elle doit mettre son économie à niveau et réussir son indispensable modernisation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2004)
R - C'est la vraie question de cette union à vingt-cinq et demain à vingt-sept ou trente. Avancer tous du même pas, ce serait, avec le système actuel, se régler en permanence sur celui du plus lent. C'est pourquoi, dans la Constitution, nous avons prévu deux assouplissements. Tout d'abord, une diminution du nombre de domaines où peut s'exercer le droit de veto, ensuite, certaines formes de coopérations, que nous appelons "renforcées" ou "structurées" parce qu'elles sont créées par le traité et qu'elles s'exercent dans le cadre des institutions, à la différence de ce que nous avons connu dans le passé avec les accords de Schengen, par exemple. Des groupes de pays peuvent partir en éclaireurs dans les domaines qu'ils ont choisis. Mais ces groupes doivent rester ouverts, informer les non-participants de leurs progrès et appeler ceux-ci à la rejoindre quand ils le souhaitent et le peuvent. Pour tous, il s'agit d'avancer sur la même route.
Q - Quels seraient les domaines privilégiés pour ces groupes pionniers ?
R - La fiscalité des entreprises est un secteur clé pour les pays de la zone euro, ainsi que la coopération judiciaire pour lutter contre le terrorisme et l'immigration clandestine. Beaucoup de domaines sont ouverts. La seule restriction est que la Commission vérifie qu'il n'y ait rien de contraire aux traités. Il faut citer également le domaine de la défense, explicitement prévu comme domaine de coopération structurée par la Constitution approuvée à Bruxelles le 18 juin dernier.
Q - Et la politique étrangère, dont on a vu à l'occasion de la crise irakienne qu'elle pouvait donner lieu à des affrontements entre pays membres de l'Union ?
R - La principale innovation, c'est la création d'un poste de ministre des Affaires étrangères qui sera également l'un des vice-présidents de la Commission. Il travaillera sous l'autorité du Conseil des ministres et du président de la Commission. Il n'y a peut-être pas de miracle immédiat à attendre. Mais, si les dirigeants de l'Union apprennent à réfléchir ensemble sur les grands problèmes du moment, ils pourront définir à l'avance une attitude commune sur les crises à venir. Il y a douze ans, nous étions presque aussi divisés sur l'ex-Yougoslavie que nous l'avons été hier sur l'Irak. Aujourd'hui, nous avons appris à développer une politique commune au Kosovo, en Macédoine. A ce titre, il faut que, d'ici à quelques années, l'Irak soit pour nous les Balkans d'aujourd'hui. Apprenons à tirer les leçons des crises !
Q - A propos de crise, on voit les pays, l'un après l'autre, briser la barrière des 3 % du PIB de déficit budgétaire. Après l'Allemagne, la France et les Pays-Bas, c'est le tour de l'Italie. Que devient donc le Pacte de stabilité ?
R - Nous avons besoin, de toute façon, d'un règlement de copropriété pour l'euro. Avec ou sans Pacte de stabilité, nos déficits et notre endettement doivent être réduits. Mais le texte actuel doit être appliqué avec pragmatisme. C'est ce qui est fait quand la tendance économique n'est pas favorable. Néanmoins, la question de la modernisation du pacte est posée. C'est un débat qui aura lieu. Je pense que nous pourrions notamment inciter les pays en croissance à faire des économies et la Commission à juger en tendance au lieu de se focaliser sur les seules deux dernières années. Dans le cadre du club de réflexion que j'ai mis en place, Nouvelle République, nous avons également proposé d'examiner la qualité du déficit. Ainsi, les investissements dans la recherche et le développement ne devraient pas être jugés comme les autres postes budgétaires dans la définition du déficit.
Au-delà de la question du pacte, la zone euro doit continuer de s'organiser, de se responsabiliser. Tel est l'objet de la désignation d'un président de l'euro-groupe. A terme, c'est bien une forme de gouvernement économique européen qui devrait ainsi émerger.
Q - Que se passe-t-il si un pays refuse la Constitution proposée ?
R - Je ne souhaite pas évoquer cette hypothèse. La Constitution sera ratifiée si les partis de droite et de gauche s'engagent avec sincérité. Qu'ils fassent passer l'intérêt de la France en Europe avant leurs considérations partisanes.
Q - Mais on ne peut pas exclure totalement l'hypothèse d'une réponse négative...
R - Il y aurait alors différentes hypothèses dont aucune ne serait satisfaisante, qu'il s'agisse de continuer avec les traités existants, de voter à nouveau comme on l'a fait en Irlande pour le traité de Nice ou encore d'envisager d'avancer à quelques-uns.
Inutile de dire que je ne souhaite aucune de ces hypothèses. Le texte est bon et nous allons nous engager dans un vaste débat d'explication.
Q - Mais l'organisation d'un référendum n'est-elle pas le meilleur moyen d'ouvrir le débat que vous souhaitez ?
R - Il faut que les citoyens d'Europe répondent à la question qui leur est posée et que celle-ci ne soit pas détournée. Le débat doit avoir lieu à l'échelle de l'Europe. Pour cela, je souhaite que les consultations se tiennent au cours de la même période. A partir de là, chacun ratifie comme il l'entend. Pour la France, le président de la République a choisi de consulter le peuple en 2005 et j'en suis très heureux. Comme citoyen, j'ai toujours pensé que le référendum avait une grande vertu pédagogique et démocratique. Pour lutter contre la démagogie, l'Europe a besoin de démocratie.
Q - Il y a quatre ans, à Lisbonne, les Quinze avaient adopté un programme de modernisation de leur économie destiné à faire d'ici à quelques années de l'Union la zone la plus compétitive du monde. Depuis, on n'a guère entendu parler de l'application de ce programme. Est-il encore temps de le sauver ?
R - Le processus de Lisbonne a été mis en place pour relancer l'emploi et la croissance. Il reposait surtout sur la bonne volonté des gouvernements. Certains se sont engagés très tôt dans des réformes destinées à rendre leurs économies plus concurrentielles. D'autres ont mis l'accent, à juste titre également, sur la recherche, l'éducation et les nouvelles technologies. Malheureusement, certains ont pris du retard. Et, surtout, la plupart des efforts ont été réalisés en ordre dispersé.
Aujourd'hui, il faut donner un nouvel élan à cette démarche et les efforts nationaux doivent se poursuivre. Au niveau européen, certaines réglementations devront être adoptées pour moderniser nos économies. Et nous devrons aussi mieux utiliser le budget de l'Union, qui est un instrument commun, au service de la compétitivité. Il faut mettre l'accent sur les actions qualitatives, les programmes de formation, la création de pôles d'excellence et de recherche. Sans doute moins de routes et plus de haut débit. Si l'Europe veut être au rendez-vous de la concurrence internationale, elle doit mettre son économie à niveau et réussir son indispensable modernisation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 juillet 2004)