Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Dans l'ensemble des missions que le gouvernement s'attache à mener à bien, celle que j'ai honneur de conduire avec Marie-Thérèse Boisseau revêt un sens particulier et appelle de notre part à tous un surcroît d'engagement et de responsabilité. Tout projet de loi vise à améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens. Mais lorsqu'il s'agit des personnes handicapées, nous sommes immédiatement confrontés à des événements souvent douloureux auxquels il faut donner un sens ; nous ressentons plus qu'en d'autres circonstances ce que notre société peut parfois avoir d'inhumain ; nous savons que l'enjeu est d'entretenir l'espoir, parfois vacillant, que la vie vaut toujours la peine d'être vécue.
Les progrès de la médecine permettent aujourd'hui aux personnes handicapées de vivre beaucoup plus longtemps, mais cette évolution heureuse se transforme en une source d'angoisse pour leurs parents : " Que va-t-il devenir lorsque nous ne serons plus là ? ". En dépit des efforts des pouvoirs publics, nous manquons en effet cruellement encore de foyers pour adultes et de maisons pour les personnes handicapées vieillissantes. Quand je vois un trisomique 21 âgé de 40 ans ou un adulte autiste dans un hôpital psychiatrique, je ne peux m'empêcher de penser que la société porte une lourde responsabilité, car ce n'est pas sa place.
La compassion et le respect qui incombent à chacun d'entre nous, élargis à la collectivité, deviennent un devoir de solidarité, un devoir de non abandon, un devoir d'action des responsables publics. C'est pourquoi le Président de la République a fait de la politique en faveur des personnes handicapées l'une des priorités de son action.
Il nous faut, dans le domaine du handicap, faire désormais l'économie des discours convenus et agir, car l'équité d'une société, son dynamisme aussi, se jugent, j'en suis profondément convaincu, à la manière dont elle traite ses handicapés. Il appartient donc à la fois à chacun d'entre nous et aux pouvoirs publics de manifester que la dignité d'un homme n'est pas sujette à quantification, ne se mesure pas à l'aune de la capacité physique ou intellectuelle.
D'ores et déjà, bien des avancées ont été promues sur le terrain et une nouvelle étape s'est engagée avec la réforme de solidarité pour les personnes dépendantes dont le Premier ministre a annoncé le 6 novembre dernier les grandes lignes et le calendrier.
Il s'agit d'une réforme sociale sans précédent. En invitant les Français et les Françaises à travailler un jour de plus chaque année au profit des personnes dépendantes, du fait d'un handicap ou de l'âge, le gouvernement établit le lien entre l'obligation individuelle et l'obligation commune et générale de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous, conformément à notre nature même, qui est de vivre ensemble. Il dégage, pour cela, des moyens considérables : 9 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2008, soit 20 % de crédits en plus pour la dépendance.
Le projet de loi qui vous est soumis, appuyé sur des moyens financiers largement accrus, est ainsi l'aboutissement d'efforts convergents. Son ambition est majeure, à la mesure des avancées qu'il nous faut réaliser. Notre arsenal juridique est déjà riche ; pourtant, il faut le compléter, le rénover, assurer sa relève.
La loi fondatrice du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a permis de reconnaître les besoins spécifiques liés au handicap et de favoriser l'intégration sociale des personnes handicapées.
Elle a posé une obligation nationale de solidarité envers les personnes handicapées. Elle a créé un socle de droits particuliers pour les enfants handicapés en organisant pour eux une éducation spéciale et une allocation spéciale d'éducation. Elle a institué enfin un corpus de droits pour les adultes handicapés en organisant pour eux l'emploi protégé, une garantie de ressources et un ensemble de prestations particulières dont l'allocation pour adultes handicapés et l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Ces acquis ont été complétés par divers textes, notamment : la loi du 10 juillet 1987 sur l'intégration professionnelle ou, récemment, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Ces textes ont permis des avancées, mais insuffisantes, trop ponctuelles ; parfois leurs dispositions en sont restées à la pétition de principe. Aussi la tâche qui est devant nous est-elle encore considérable.
Le texte qui vous est soumis a été préparé par Marie-Thérèse Boisseau avec une ambition : privilégier l'effectivité. Les personnes handicapées bénéficieront d'un droit à la compensation des conséquences de leur handicap qui est pour l'heure demeuré de l'ordre de l'incantatoire. Ce droit se traduira par une prise en charge personnalisée des surcoûts de toute nature qu'ils supportent : livres scolaires en braille, chien d'aveugle, fauteuils spécialisés, présence d'auxiliaires de vie. Un effort considérable sera consenti pour que les personnes handicapées puissent, comme toutes les autres, accéder à l'école, à l'université, aux transports, au logement, à l'emploi. Les prestations auxquelles elles ont droit seront simplifiées. Tout sera mis en oeuvre pour qu'elles puissent développer leurs capacités et mener une vie conforme à leurs aspirations.
Pour y parvenir, il nous faut aussi modifier le regard que nous portons sur les personnes handicapées ; plutôt que vers le handicap, nous devons nous tourner vers la personne handicapée, reconnaître les différences pour les respecter, offrir à tous les mêmes chances de participer à la vie collective, de donner un contenu concret à l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose : " tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ". En un mot, permettre aux personnes handicapées le plein exercice de leur citoyenneté. Car la question du handicap aujourd'hui n'est plus seulement une question de prestations de soins, elle est une question de citoyenneté. La politique du handicap participe de la création d'une société intégrée fondée sur la diversité. Pour cela, il nous faut promouvoir des mesures spécifiques qui favorisent l'autonomie et l'égalité des conditions de vie des personnes handicapées, aménager la société pour une pleine participation de tous à la vie sociale.
Handicap est un mot. Etre handicapé est une réalité complexe.
D'un côté, le courant médical voit dans le handicap un état pathologique, une imperfection dans la constitution physique ou mentale d'un individu. L'accent est mis sur les modifications du corps d'origine pathologique ou physiologique pouvant entraîner des limitations de capacité. A cette explication individuelle du handicap correspond la mise en place d'un système de réparation médicale ou sociale et d'un système de compensation fonctionnelle ou sociale. Notre barème d'évaluation des handicaps y fait référence et distribue des taux de handicap qui ouvrent droit à certaines prestations.
De l'autre, le courant social voit dans le handicap le résultat de la confrontation entre un être humain, avec ses capacités, et son environnement avec ses exigences. La question du handicap est perçue comme étant surtout un problème créé par la société et principalement comme une question d'intégration complète des individus dans la société.
Résumons : d'un côté, c'est la lésion ou déficience corporelle pathologique qui rend les personnes handicapées ; de l'autre, c'est la société qui crée les situations de handicap.
De ces analyses, certains ont conclu qu'il fallait désormais parler de situations de handicap et non plus de personnes handicapées et que l'accessibilité devait avoir priorité sur la compensation.
Face à ces théories, je veux vous dire : ne confondons pas le savant et le politique. Au savant, il revient d'élaborer théories et modèles. Mais n'oublions pas que toute théorie est toujours une reconstruction partielle et rationnelle de la réalité. Le pouvoir politique n'a pas à arbitrer entre des théories ou des modèles, mais, dans une perspective instrumentale, à s'en inspirer pour apporter la réponse concrète attendue de ses concitoyens, en s'attachant à saisir la réalité dans sa complexité.
Le handicap naît toujours de la confrontation d'un individu avec une situation trop exigeante pour ses capacités. Nous sommes tous exposés à nous trouver, à un moment donné, en situation de handicap. Nous ne sommes pas pour autant handicapés. Beaucoup de parents sont handicapés, par rapport à leurs enfants, devant les mystères d'un ordinateur et même d'un magnétoscope (lecteur de DVD ?) programmable ! Nos neurones sont ainsi faits, ainsi habitués, ainsi formés, que nous mettons parfois des heures à comprendre un mode d'emploi que nos enfants, d'instinct ou presque, vont saisir d'emblée. En outre, nous sommes dans une société de plus en plus exigeante sur le plan des performances matérielles et intellectuelles. Du coup, sans état d'âme, elle marginalise tous ceux qui ne sont pas capables de comprendre et de maîtriser les progrès technologiques. Le handicap comporte alors, par essence, une composante sociale. Il n'est plus nécessaire d'être malade pour être handicapé.
Mais, selon qu'il est plus ou moins aménagé, l'environnement peut accentuer ou non le handicap. Telle journaliste aveugle nous dira ainsi ne pas être en situation de handicap lorsqu'elle se trouve derrière son micro. A un moindre degré, une personne atteinte de trisomie 21 est beaucoup moins gênée dans va vie quotidienne en milieu rural qu'elle ne le serait en milieu urbain où le seul fait de devoir prendre un billet de bus ou de train devant un distributeur automatique en déconcerte plus d'un.
Ce serait pourtant commettre l'erreur inverse que de dissoudre dans la société l'ensemble des problèmes auxquels se trouve confrontée une personne handicapée. L'UNAPEI ne se trompe pas lorsqu'elle rappelle opportunément que " nier la part prise par la déficience ou l'incapacité procède d'une vision peu conforme à la réalité ".
Disons-le clairement : la politique du handicap ne s'épuise ni dans l'environnement ni dans l'accessibilité car le handicap est tout autant le résultat de facteurs d'environnement que d'un état de santé ou d'une déficience. Tout autant mais pas exclusivement !
Le projet de loi dont vous allez débattre part de la personne handicapée et veille à ne pas confondre la politique du handicap avec la politique générale de l'accessibilité.
Le premier droit de la personne handicapée, c'est le droit à la compensation de son handicap. Ce droit est inscrit dans notre corpus juridique, mais, vous le savez, on ne s'est pas suffisamment soucié jusqu'à aujourd'hui de sa concrétisation.
Le projet de loi en fait un droit à une compensation personnalisée, construite avec la participation de l'intéressé et de ses proches, à partir d'une évaluation de ses besoins dans son environnement ordinaire et compte tenu de son projet de vie.
La compensation est un droit premier.
Quel que soit par ailleurs le degré d'accessibilité de la société, l'existence ou non de barrières architecturales, l'existence ou non de transports adaptés, que serait la personne handicapée motrice si elle n'avait ni le fauteuil ni l'auxiliaire de vie qui lui sont nécessaires ?
Quel que soit l'aménagement de l'environnement, une personne aveugle ou mal voyante parcourt une distance d'un point à un autre plus lentement et avec plus de risques qu'une personne sans déficience. La compensation ne consiste pas seulement à fournir une aide technique (une canne) ou animalière (un chien d'aveugle) ou humaine (un auxiliaire de vie). Elle doit aussi prendre en compte le surcoût lié au temps.
L'idée s'est formée que l'accessibilité de la cité réduirait le besoin de compensation. C'est réducteur. Dès lors que la société est accessible (bâtiments, équipements sportifs, culturels, salles de cinéma, etc.), de nouveaux besoins naissent liés notamment à des déplacements plus fréquents et par conséquent à des besoins supérieurs en aides humaines et techniques. Ces nouveaux besoins sont autant de succès et d'espoirs. A-t-on réfléchi, par exemple, aux besoins nouveaux de compensation liés à l'exercice des sports, voire des sports de compétition, en moyens techniques et aides humaines (entraîneur, etc.) ? Plus d'accessibilité entraînera plus de compensation. Et c'est heureux car c'est bien ainsi que les personnes handicapées participeront pleinement à la vie en société.
Notre politique du handicap a largement oublié la personne au profit du handicap. Remettre la personne au coeur de nos préoccupations, c'est lui donner autant que faire se peut la possibilité de choisir librement son mode de vie et notamment de résidence.
La principale réponse que nous ayons apportée aux personnes handicapées a été institutionnelle. Nous avons créé des établissements spécialisés pour l'hébergement, le soin, l'éducation, le travail. Cette politique est parfois analysée comme une forme de ségrégation autant qu'une forme de dépendance à l'égard des institutions caritatives et de l'Etat, qui freine toute forme de participation à la vie de la cité.
En vérité, l'institution n'est une ségrégation que si elle n'est pas choisie, si elle est imposée comme seule alternative au délaissement. Le domicile peut n'être lui-même qu'une assignation à résidence. Ce qui importe, c'est que la personne ait le libre choix de son mode de vie, le libre choix du domicile ou de l'établissement, et par conséquent, qu'elle dispose d'une solution adaptée à ses besoins, soit à domicile, soit en établissement, soit en combinant les deux. C'est pourquoi nous devons poursuivre notre effort de création de places tout en diversifiant la gamme des intermédiaires entre le domicile et l'établissement.
Ainsi, en Suède, le choix a été de faire disparaître progressivement des institutions spécialisées au profit de logements intégrés dans la cité qui sont généralement des résidences services de 4 à 6 logements indépendants ou bien des appartements thérapeutiques, disposant d'un service commun d'aide et un personnel disponible 24 heure sur 24.
Mais nous devons dans le même temps solvabiliser les personnes pour leur offrir le libre choix du domicile ou de l'établissement. C'est le sens de la prestation de compensation en aides humaines, ouverte sans condition de ressources, mais modulée en fonction des capacités contributives de l'allocataire. Ainsi, la personne lourdement handicapée qui souhaite vivre à domicile doit obtenir une prestation dont le montant maximum est déterminé par le coût moyen d'une place en établissement sous réserve du prix de la préférence de domicile.
Le choix de la personnalisation de la politique du handicap conduit tout naturellement à privilégier la gestion de proximité pour apprécier les besoins qui varient en fonction du lieu de vie choisi, de l'environnement familial et du contexte social. La réponse politique adaptée tient compte des potentialités et des projets de chacun ; elle se donne les moyens d' assurer un suivi qui garantisse la continuité et l'efficacité des mesures de compensation accordées.
Cette gestion de proximité ne doit pas conduire, cependant, à des inégalités de traitement. Il appartient à l'Etat d'assurer cette égalité sur l'ensemble du territoire notamment en imposant aux collectivités locales une logique de droits et non plus d'assistance. Tel est le rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui verra le jour d'ici la fin de l'année.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Pendant longtemps, l'existence des personnes handicapées, tout comme leur marginalité d'ailleurs, ont été masquées par leur mortalité précoce, par la solidarité familiale ainsi que par des modes de vie beaucoup moins sélectifs qu'ils ne le sont aujourd'hui. Paradoxalement, notre société favorise la survie et le traitement médical des handicaps tout en se montrant plus dure, plus intransigeante à l'égard des personnes handicapées.
Le projet de loi qui vous est présenté a l'ambition de rendre la société plus attentive aux personnes handicapées, plus accueillante et plus humaine. Tantôt par le droit, tantôt par la sanction ou l'incitation financière, tous les acteurs sociaux sont invités à prendre en compte le handicap, qu'il s'agisse de l'école, de l'entreprise, des services publics, des architectes, des copropriétés.
C'est ainsi que " ce qui se réalise aujourd'hui au nom des personnes handicapées prendra sens pour chacun dans le monde de demain ".
N'oublions pas qu'une société qui ferme sa porte à une partie de ses membres est une société qui s'appauvrit. N'oublions pas que bien que sourd, nain ou gravement malade, Beethoven, Toulouse-Lautrec, Petrucciani ou Hawkins ont réussi à faire disparaître leur affection et leur handicap derrière leur génie. Leurs créations ont effacé leur infirmité aux yeux de tous étant donné ce qu'elles on apporté au patrimoine culturel de notre planète.
Par delà les moyens que nous dégagerons pour les personnes handicapées ou âgées, nous avons tous à réfléchir à notre rapport avec elles, tant il paraît finalement plus aisé de leur venir en aide que de comprendre ce que nous avons à recevoir d'elles.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 25 février 2004)
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Dans l'ensemble des missions que le gouvernement s'attache à mener à bien, celle que j'ai honneur de conduire avec Marie-Thérèse Boisseau revêt un sens particulier et appelle de notre part à tous un surcroît d'engagement et de responsabilité. Tout projet de loi vise à améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens. Mais lorsqu'il s'agit des personnes handicapées, nous sommes immédiatement confrontés à des événements souvent douloureux auxquels il faut donner un sens ; nous ressentons plus qu'en d'autres circonstances ce que notre société peut parfois avoir d'inhumain ; nous savons que l'enjeu est d'entretenir l'espoir, parfois vacillant, que la vie vaut toujours la peine d'être vécue.
Les progrès de la médecine permettent aujourd'hui aux personnes handicapées de vivre beaucoup plus longtemps, mais cette évolution heureuse se transforme en une source d'angoisse pour leurs parents : " Que va-t-il devenir lorsque nous ne serons plus là ? ". En dépit des efforts des pouvoirs publics, nous manquons en effet cruellement encore de foyers pour adultes et de maisons pour les personnes handicapées vieillissantes. Quand je vois un trisomique 21 âgé de 40 ans ou un adulte autiste dans un hôpital psychiatrique, je ne peux m'empêcher de penser que la société porte une lourde responsabilité, car ce n'est pas sa place.
La compassion et le respect qui incombent à chacun d'entre nous, élargis à la collectivité, deviennent un devoir de solidarité, un devoir de non abandon, un devoir d'action des responsables publics. C'est pourquoi le Président de la République a fait de la politique en faveur des personnes handicapées l'une des priorités de son action.
Il nous faut, dans le domaine du handicap, faire désormais l'économie des discours convenus et agir, car l'équité d'une société, son dynamisme aussi, se jugent, j'en suis profondément convaincu, à la manière dont elle traite ses handicapés. Il appartient donc à la fois à chacun d'entre nous et aux pouvoirs publics de manifester que la dignité d'un homme n'est pas sujette à quantification, ne se mesure pas à l'aune de la capacité physique ou intellectuelle.
D'ores et déjà, bien des avancées ont été promues sur le terrain et une nouvelle étape s'est engagée avec la réforme de solidarité pour les personnes dépendantes dont le Premier ministre a annoncé le 6 novembre dernier les grandes lignes et le calendrier.
Il s'agit d'une réforme sociale sans précédent. En invitant les Français et les Françaises à travailler un jour de plus chaque année au profit des personnes dépendantes, du fait d'un handicap ou de l'âge, le gouvernement établit le lien entre l'obligation individuelle et l'obligation commune et générale de venir en aide aux plus fragiles d'entre nous, conformément à notre nature même, qui est de vivre ensemble. Il dégage, pour cela, des moyens considérables : 9 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2008, soit 20 % de crédits en plus pour la dépendance.
Le projet de loi qui vous est soumis, appuyé sur des moyens financiers largement accrus, est ainsi l'aboutissement d'efforts convergents. Son ambition est majeure, à la mesure des avancées qu'il nous faut réaliser. Notre arsenal juridique est déjà riche ; pourtant, il faut le compléter, le rénover, assurer sa relève.
La loi fondatrice du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a permis de reconnaître les besoins spécifiques liés au handicap et de favoriser l'intégration sociale des personnes handicapées.
Elle a posé une obligation nationale de solidarité envers les personnes handicapées. Elle a créé un socle de droits particuliers pour les enfants handicapés en organisant pour eux une éducation spéciale et une allocation spéciale d'éducation. Elle a institué enfin un corpus de droits pour les adultes handicapés en organisant pour eux l'emploi protégé, une garantie de ressources et un ensemble de prestations particulières dont l'allocation pour adultes handicapés et l'allocation compensatrice pour tierce personne.
Ces acquis ont été complétés par divers textes, notamment : la loi du 10 juillet 1987 sur l'intégration professionnelle ou, récemment, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Ces textes ont permis des avancées, mais insuffisantes, trop ponctuelles ; parfois leurs dispositions en sont restées à la pétition de principe. Aussi la tâche qui est devant nous est-elle encore considérable.
Le texte qui vous est soumis a été préparé par Marie-Thérèse Boisseau avec une ambition : privilégier l'effectivité. Les personnes handicapées bénéficieront d'un droit à la compensation des conséquences de leur handicap qui est pour l'heure demeuré de l'ordre de l'incantatoire. Ce droit se traduira par une prise en charge personnalisée des surcoûts de toute nature qu'ils supportent : livres scolaires en braille, chien d'aveugle, fauteuils spécialisés, présence d'auxiliaires de vie. Un effort considérable sera consenti pour que les personnes handicapées puissent, comme toutes les autres, accéder à l'école, à l'université, aux transports, au logement, à l'emploi. Les prestations auxquelles elles ont droit seront simplifiées. Tout sera mis en oeuvre pour qu'elles puissent développer leurs capacités et mener une vie conforme à leurs aspirations.
Pour y parvenir, il nous faut aussi modifier le regard que nous portons sur les personnes handicapées ; plutôt que vers le handicap, nous devons nous tourner vers la personne handicapée, reconnaître les différences pour les respecter, offrir à tous les mêmes chances de participer à la vie collective, de donner un contenu concret à l'article 1er de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui dispose : " tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits ". En un mot, permettre aux personnes handicapées le plein exercice de leur citoyenneté. Car la question du handicap aujourd'hui n'est plus seulement une question de prestations de soins, elle est une question de citoyenneté. La politique du handicap participe de la création d'une société intégrée fondée sur la diversité. Pour cela, il nous faut promouvoir des mesures spécifiques qui favorisent l'autonomie et l'égalité des conditions de vie des personnes handicapées, aménager la société pour une pleine participation de tous à la vie sociale.
Handicap est un mot. Etre handicapé est une réalité complexe.
D'un côté, le courant médical voit dans le handicap un état pathologique, une imperfection dans la constitution physique ou mentale d'un individu. L'accent est mis sur les modifications du corps d'origine pathologique ou physiologique pouvant entraîner des limitations de capacité. A cette explication individuelle du handicap correspond la mise en place d'un système de réparation médicale ou sociale et d'un système de compensation fonctionnelle ou sociale. Notre barème d'évaluation des handicaps y fait référence et distribue des taux de handicap qui ouvrent droit à certaines prestations.
De l'autre, le courant social voit dans le handicap le résultat de la confrontation entre un être humain, avec ses capacités, et son environnement avec ses exigences. La question du handicap est perçue comme étant surtout un problème créé par la société et principalement comme une question d'intégration complète des individus dans la société.
Résumons : d'un côté, c'est la lésion ou déficience corporelle pathologique qui rend les personnes handicapées ; de l'autre, c'est la société qui crée les situations de handicap.
De ces analyses, certains ont conclu qu'il fallait désormais parler de situations de handicap et non plus de personnes handicapées et que l'accessibilité devait avoir priorité sur la compensation.
Face à ces théories, je veux vous dire : ne confondons pas le savant et le politique. Au savant, il revient d'élaborer théories et modèles. Mais n'oublions pas que toute théorie est toujours une reconstruction partielle et rationnelle de la réalité. Le pouvoir politique n'a pas à arbitrer entre des théories ou des modèles, mais, dans une perspective instrumentale, à s'en inspirer pour apporter la réponse concrète attendue de ses concitoyens, en s'attachant à saisir la réalité dans sa complexité.
Le handicap naît toujours de la confrontation d'un individu avec une situation trop exigeante pour ses capacités. Nous sommes tous exposés à nous trouver, à un moment donné, en situation de handicap. Nous ne sommes pas pour autant handicapés. Beaucoup de parents sont handicapés, par rapport à leurs enfants, devant les mystères d'un ordinateur et même d'un magnétoscope (lecteur de DVD ?) programmable ! Nos neurones sont ainsi faits, ainsi habitués, ainsi formés, que nous mettons parfois des heures à comprendre un mode d'emploi que nos enfants, d'instinct ou presque, vont saisir d'emblée. En outre, nous sommes dans une société de plus en plus exigeante sur le plan des performances matérielles et intellectuelles. Du coup, sans état d'âme, elle marginalise tous ceux qui ne sont pas capables de comprendre et de maîtriser les progrès technologiques. Le handicap comporte alors, par essence, une composante sociale. Il n'est plus nécessaire d'être malade pour être handicapé.
Mais, selon qu'il est plus ou moins aménagé, l'environnement peut accentuer ou non le handicap. Telle journaliste aveugle nous dira ainsi ne pas être en situation de handicap lorsqu'elle se trouve derrière son micro. A un moindre degré, une personne atteinte de trisomie 21 est beaucoup moins gênée dans va vie quotidienne en milieu rural qu'elle ne le serait en milieu urbain où le seul fait de devoir prendre un billet de bus ou de train devant un distributeur automatique en déconcerte plus d'un.
Ce serait pourtant commettre l'erreur inverse que de dissoudre dans la société l'ensemble des problèmes auxquels se trouve confrontée une personne handicapée. L'UNAPEI ne se trompe pas lorsqu'elle rappelle opportunément que " nier la part prise par la déficience ou l'incapacité procède d'une vision peu conforme à la réalité ".
Disons-le clairement : la politique du handicap ne s'épuise ni dans l'environnement ni dans l'accessibilité car le handicap est tout autant le résultat de facteurs d'environnement que d'un état de santé ou d'une déficience. Tout autant mais pas exclusivement !
Le projet de loi dont vous allez débattre part de la personne handicapée et veille à ne pas confondre la politique du handicap avec la politique générale de l'accessibilité.
Le premier droit de la personne handicapée, c'est le droit à la compensation de son handicap. Ce droit est inscrit dans notre corpus juridique, mais, vous le savez, on ne s'est pas suffisamment soucié jusqu'à aujourd'hui de sa concrétisation.
Le projet de loi en fait un droit à une compensation personnalisée, construite avec la participation de l'intéressé et de ses proches, à partir d'une évaluation de ses besoins dans son environnement ordinaire et compte tenu de son projet de vie.
La compensation est un droit premier.
Quel que soit par ailleurs le degré d'accessibilité de la société, l'existence ou non de barrières architecturales, l'existence ou non de transports adaptés, que serait la personne handicapée motrice si elle n'avait ni le fauteuil ni l'auxiliaire de vie qui lui sont nécessaires ?
Quel que soit l'aménagement de l'environnement, une personne aveugle ou mal voyante parcourt une distance d'un point à un autre plus lentement et avec plus de risques qu'une personne sans déficience. La compensation ne consiste pas seulement à fournir une aide technique (une canne) ou animalière (un chien d'aveugle) ou humaine (un auxiliaire de vie). Elle doit aussi prendre en compte le surcoût lié au temps.
L'idée s'est formée que l'accessibilité de la cité réduirait le besoin de compensation. C'est réducteur. Dès lors que la société est accessible (bâtiments, équipements sportifs, culturels, salles de cinéma, etc.), de nouveaux besoins naissent liés notamment à des déplacements plus fréquents et par conséquent à des besoins supérieurs en aides humaines et techniques. Ces nouveaux besoins sont autant de succès et d'espoirs. A-t-on réfléchi, par exemple, aux besoins nouveaux de compensation liés à l'exercice des sports, voire des sports de compétition, en moyens techniques et aides humaines (entraîneur, etc.) ? Plus d'accessibilité entraînera plus de compensation. Et c'est heureux car c'est bien ainsi que les personnes handicapées participeront pleinement à la vie en société.
Notre politique du handicap a largement oublié la personne au profit du handicap. Remettre la personne au coeur de nos préoccupations, c'est lui donner autant que faire se peut la possibilité de choisir librement son mode de vie et notamment de résidence.
La principale réponse que nous ayons apportée aux personnes handicapées a été institutionnelle. Nous avons créé des établissements spécialisés pour l'hébergement, le soin, l'éducation, le travail. Cette politique est parfois analysée comme une forme de ségrégation autant qu'une forme de dépendance à l'égard des institutions caritatives et de l'Etat, qui freine toute forme de participation à la vie de la cité.
En vérité, l'institution n'est une ségrégation que si elle n'est pas choisie, si elle est imposée comme seule alternative au délaissement. Le domicile peut n'être lui-même qu'une assignation à résidence. Ce qui importe, c'est que la personne ait le libre choix de son mode de vie, le libre choix du domicile ou de l'établissement, et par conséquent, qu'elle dispose d'une solution adaptée à ses besoins, soit à domicile, soit en établissement, soit en combinant les deux. C'est pourquoi nous devons poursuivre notre effort de création de places tout en diversifiant la gamme des intermédiaires entre le domicile et l'établissement.
Ainsi, en Suède, le choix a été de faire disparaître progressivement des institutions spécialisées au profit de logements intégrés dans la cité qui sont généralement des résidences services de 4 à 6 logements indépendants ou bien des appartements thérapeutiques, disposant d'un service commun d'aide et un personnel disponible 24 heure sur 24.
Mais nous devons dans le même temps solvabiliser les personnes pour leur offrir le libre choix du domicile ou de l'établissement. C'est le sens de la prestation de compensation en aides humaines, ouverte sans condition de ressources, mais modulée en fonction des capacités contributives de l'allocataire. Ainsi, la personne lourdement handicapée qui souhaite vivre à domicile doit obtenir une prestation dont le montant maximum est déterminé par le coût moyen d'une place en établissement sous réserve du prix de la préférence de domicile.
Le choix de la personnalisation de la politique du handicap conduit tout naturellement à privilégier la gestion de proximité pour apprécier les besoins qui varient en fonction du lieu de vie choisi, de l'environnement familial et du contexte social. La réponse politique adaptée tient compte des potentialités et des projets de chacun ; elle se donne les moyens d' assurer un suivi qui garantisse la continuité et l'efficacité des mesures de compensation accordées.
Cette gestion de proximité ne doit pas conduire, cependant, à des inégalités de traitement. Il appartient à l'Etat d'assurer cette égalité sur l'ensemble du territoire notamment en imposant aux collectivités locales une logique de droits et non plus d'assistance. Tel est le rôle de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie qui verra le jour d'ici la fin de l'année.
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Pendant longtemps, l'existence des personnes handicapées, tout comme leur marginalité d'ailleurs, ont été masquées par leur mortalité précoce, par la solidarité familiale ainsi que par des modes de vie beaucoup moins sélectifs qu'ils ne le sont aujourd'hui. Paradoxalement, notre société favorise la survie et le traitement médical des handicaps tout en se montrant plus dure, plus intransigeante à l'égard des personnes handicapées.
Le projet de loi qui vous est présenté a l'ambition de rendre la société plus attentive aux personnes handicapées, plus accueillante et plus humaine. Tantôt par le droit, tantôt par la sanction ou l'incitation financière, tous les acteurs sociaux sont invités à prendre en compte le handicap, qu'il s'agisse de l'école, de l'entreprise, des services publics, des architectes, des copropriétés.
C'est ainsi que " ce qui se réalise aujourd'hui au nom des personnes handicapées prendra sens pour chacun dans le monde de demain ".
N'oublions pas qu'une société qui ferme sa porte à une partie de ses membres est une société qui s'appauvrit. N'oublions pas que bien que sourd, nain ou gravement malade, Beethoven, Toulouse-Lautrec, Petrucciani ou Hawkins ont réussi à faire disparaître leur affection et leur handicap derrière leur génie. Leurs créations ont effacé leur infirmité aux yeux de tous étant donné ce qu'elles on apporté au patrimoine culturel de notre planète.
Par delà les moyens que nous dégagerons pour les personnes handicapées ou âgées, nous avons tous à réfléchir à notre rapport avec elles, tant il paraît finalement plus aisé de leur venir en aide que de comprendre ce que nous avons à recevoir d'elles.
(source http://www.sante.gouv.fr, le 25 février 2004)