Interview de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable, à RFI le 20 février 2004, sur la préservation de la biodiversité, la constitution d'un réseau mondial d'aires protégées, la relance du parc national de Guyane et une meilleure répartition des ressources naturelles entre le Nord et le Sud.

Prononcé le

Circonstance : Conférence de l'ONU sur la biodiversité à Kuala Lumpur (Malaisie) du 9 au 20 février 2004

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

N. Velly - La conférence des Nations unies sur la biodiversité vient de se terminer à Kuala Lumpur, en Malaisie, où vous vous trouvez encore. 74 ministres de l'Environnement étaient réunis pour parler de la sauvegarde des espèces menacées et d'une meilleure répartition des ressources naturelles entre le Nord et le Sud. Vous avez fait entendre à la tribune la voix de la France. Dans quel sens ?
R - "Je suis venue à Kuala Lumpur pour faire part de notre détermination quant à la préservation de la biodiversité. Si nous ne faisons rien, à la fin du siècle, 50 % des espèces vivantes, de faunes et de flores auront disparu. Je suis venue aussi pour comprendre les positions de mes homologues, ministres de l'Environnement, et en particulier ceux du Sud, sur les principaux sujets de cette conférence. Alors, évidemment, j'éprouve à la fin de cette conférence des sentiments un peu mêlés ; il y a des avancées notables sur plusieurs points, certainement pas aussi loin que nous l'aurions souhaité, et les Français et les Européens. Mais il y a donc des avancées et donc un sentiment de satisfaction mêlé."
N. Velly - Y a-t-il des résultats concrets tout de même pour empêcher, par exemple, que le développement industriel et humain ne sacrifie les autres espèces ? Y a-t-il des pactes, des conclusions d'accords ?
R - "Il y a deux sujets qui ont été abordés de façon très exhaustive et qui sont intéressants : le premier, c'est ce que l'on appelle "l'ABS" - c'est-à-dire l'accès et le partage des bénéfices. Car vous savez que les ressources génétiques, de faunes et de flores ont été exploitées sans que jamais les pays qui en étaient les détenteurs reçoivent un bénéfice de ces richesses, qui étaient pourtant leur propriété. On a découvert des médicaments, par exemple, à partir de flores tropicales. Il y a eu un pas très important dans cette négociation du partage des bénéfices. Il y a eu une négociation sur une approche globale d'abord : on prend en compte l'ensemble des instruments qui existent, qu'ils soient dans les législations nationales ou internationales. Dans cette discussion technique, on est arrivé à des résultats très concrets et c'était important pour les pays du Sud, parce que ce sont eux qui donnent et nous qui recevons. Le deuxième dossier qui était important, c'était les aires protégées. Les discussions ont été assez ardues - pour ne pas dire orageuses - sur la question des aires protégées et je crois que l'on peut noter des avancées sur un rééquilibrage de la stratégie de la Convention en faveur de la conservation in situ ; la constitution d'un réseau mondial d'aires protégées ; une conception plus large qui renvoie à des modes de gouvernance variés ; et puis la valorisation des expériences et des savoir-faire. Moi-même, j'ai organisé une table ronde sur l'expérience française des parcs naturels régionaux, qui est très regardée par les autres pays, parce qu'elle concilie bien développement économique et protection de la nature."
N. Velly - Justement, la France semble un petit peu sur la sellette, en particulier pour ce qu'elle ne ferait pas dans les départements et territoires d'Outre-mer. La forêt tropicale de Guyane est ravagée par le mercure et par les activités des orpailleurs. Or, le projet de parc national est en panne depuis 15 ans. Est-ce que cela avancera un petit peu ?
R - "C'est un sujet effectivement dont vous avez raison de parler, car je me suis mobilisée sur un sujet qu'effectivement j'ai trouvé complètement en panne. Il y a 15 ans qu'il n'y a pas de parc national de créé dans notre pays, le dernier c'est celui de la Guadeloupe. J'ai donc remis tout cela sur le métier. Trois parcs : le parc des Hauts de La Réunion ; le parc de Guyane et le parc marin de Mer d'Iroise. Pourquoi ces parcs étaient-ils en panne ? Ce sont des parcs qui avaient fait complètement l'impasse sur les populations locales, avec des décisions prises de Paris, si j'ose dire, contre les populations locales. Je dois dire que nous avons fait, j'ai fait faire, des avancées significatives à ces dossiers. Le parc des Hauts de La Réunion est sur le bureau du Premier ministre, pour une prise en considération dans les semaines qui vont venir. Le parc de Guyane a avancé à grands pas dans une reprise totale de la concertation. J'ai repris cela de zéro, avec M. le préfet, en faisant coprésider tout ce travail par un élu local, M. Gaillou, qui avait été négligé jusque-là. Et j'ai bon espoir que dans le courant de 2004, nous pourrons aboutir à une prise en considération du parc de Guyane. J'ai d'ailleurs, au cours de cette Conférence, rencontré ma collègue brésilienne, Madame Silva, pour que, d'ores et déjà, nous approfondissions la coopération entre le parc de Tumuc Humac qui est de l'autre côté de l'Oyapock, et que nous puissions bâtir des échanges d'expériences. Je m'étais déjà rendue au Brésil, l'an dernier, en allant mobiliser les acteurs guyanais. Vous voyez donc qu'effectivement, le dossier était en panne, mais que je l'ai repris de zéro et je lui ai fait faire des avancées tout à fait significatives."
N. Velly - Toutefois, on parle d'une réforme qui serait à l'étude et qui autoriserait l'activité industrielle dans les parcs nationaux. N'est-ce pas dangereux pour les espèces ?
R - "Non, non, attendez, pas du tout ! Ce n'est pas du tout de cela dont il est question. Il y a dans les parcs deux zones : il y a une partie sanctuarisée et il y a ce que l'on appelle "une zone périphérique". Il n'est pas question de faire dans les zones sanctuarisées des parcs une quelconque activité industrielle. Le label "parc national" correspond à des procédures extrêmement strictes. Non, non, non, ne vous laissez pas avoir par des faux bruits qui sont absolument infondés !"
N. Velly - C'est bien que vous puissiez y répondre. Je voulais aussi vous demander si la France a décidé de faire quelque chose pour les pays pauvres qui ont besoin d'aide financière, pour préserver leur environnement ? Vous avez vu les ministres de certains pays amis, africains notamment ?
R - "Oui, tout à fait. Et la France par ma bouche, dans l'intervention que j'ai faite, a soumis l'idée de la possibilité de la conversion de la dette, de la remise de la dette à condition que cet argent soit consacré à des projets environnementaux. Et je dois dire que cette proposition a reçu un grand écho auprès de mes collègues africains. En particulier, nous en avons discuté avec le ministre congolais et avec d'autres ministres africains. Et cette proposition française a été très bien reçue en Afrique. Je regrette d'ailleurs qu'elle n'ait pas été mieux relayée par d'autres collègues du Nord. Mais nous n'en sommes qu'au début du travail de conviction."
N. Velly - Un dernier élément, avec l'histoire de ce que l'on appelle "le bateau-poubelle", le "Sea Beirut", qui vient d'être renvoyé par la Turquie, après le "Clémenceau". Comment résoudre ce genre de problème ?
R - "Il y a des appels d'offres qui doivent être faits dans ce cadre. Des entreprises doivent procéder à des démantèlements écologiques. Là, il y a un problème qui relève plus d'une législation internationale, d'une défaillance de la législation internationale. En tout cas, on doit s'assurer évidemment de la solvabilité et de la capacité de celui qui prend l'ordre du démantèlement du bateau, de l'assurer vraiment. En tout cas, dans ce domaine, la France, bien entendu, prendra ses responsabilités."
(source : Premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 février 2004)