Interview de M.Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "Le Figaro " le 11 février 2000, l'ouverture du marché postal européen à la concurrence.

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Texte intégral

Q - L'ouverture du marché postal européen à la concurrence donne l'impression de piétiner. Les négociations sont-elles bloquées ?
R - Il était prévu que la Commission publie un rapport fin 1998 pour faire le point sur l'application de la précédente directive postale, qui date de 1997. A partir de ce constat officiel, les Quinze devaient alors se retrouver pour négocier les orientations stratégiques de la prochaine directive postale applicable en 2003. Mais ce rapport n'a jamais été fait.
La Commission a changé, et le nouveau commissaire, le Hollandais Fritz Bolkestein, n'a pris son poste que cet été. Actuellement, nous sommes encore en attente du fameux rapport, sans lequel il nous est impossible d'entamer une discussion.
Q - Que contiendra ce rapport ?
R - Le commissaire Bolkestein n'a pas encore pris de position officielle, mais les rumeurs qui circulent m'inquiètent. Si j'en crois ce qu'il m'a personnellement indiqué lors de son voyage à Paris en novembre dernier, Bruxelles s'oriente vers une libéralisation totale du marché postal à partir de 2000-2007. Ce qui, pour nous, est inacceptable. D'abord, parce que c'est à l'opposé de la logique de la première directive de 1997, qui repose sur le respect du service public postal et donc le maintien du monopole. Ensuite, parce que cela va à l'encontre de la position d'un nombre significatif de postiers européens, dont la France.
Q - Concrètement, que veut Bolkestein ?
R - D'après ce qu'il m'a dit à Bercy il y a trois mois, son intention est claire : il souhaite intensifier considérablement la concurrence en abaissant les seuils en dessous desquels les postes publiques jouissent encore d'un monopole (350 grammes pour un colis et 5 fois le tarif de base pour une lettre).
Il voudrait même aller plus loin, en remettant en cause le périmètre des services réservés aux postes historiques : ouvrir à la concurrence le publipostage (NDLR : courrier non adressé) et l'international entrant. Ces deux secteurs sont absolument décisifs pour le marché postal de demain. Et pour la France, leur maintien dans le monopole public n'est pas négociable. Il faut bien prendre la mesure des enjeux de ces deux propositions : portées par un vent ultralibéral, elles aboutiraient à la remise en cause rapide de l'existence même du service public postal.
Q - Vous semblez déterminé, mais n'êtes-vous pas aussi bien isolé en Europe ?
R - Plus maintenant, car certains pays ont récemment évolué vers nos positions. Sur les quinze postes concernés, dix vont signer aujourd'hui une déclaration commune pour le maintien d'un service public postal performant. Les signataires de la déclaration fondatrice du groupe s'engagent "à " consacrer tous leurs efforts aux obligations sociales et universelles du service postal ".
" Le " Groupe des dix " rassemble notamment la France et la Grande-Bretagne. Il y a peu, c'est vrai, les Britanniques étaient encore sensibles aux sirènes du libéralisme, parce que, c'est leur culture depuis quelques années. Mais aujourd'hui, ils ont pris conscience de l'attachement de leur opinion publique aux services de la Poste britannique.
En face les Allemands, les Néerlandais, et les Suédois font bien sûr cause commune. Leur coloration semble plus proche de celle du commissaire Bolkestein que de la nôtre. L'Espagne et la Finlande réservent encore leur position.
Q - Dans son texte fondateur, le " Groupe des dix " s'engage-t-il à défendre des revendications communes sur le rythme de la libéralisation et sur son périmètre ?
R - Pas aussi explicitement que cela. Sur le seuil de libéralisation, par exemple, le texte mentionne ici et là un abaissement prudent à 150 grammes, alors que, personnellement, au nom de la France, je ne considère pas a priori qu'il faille modifier le seuil actuel de 350 grammes. Sur le publipostage, en revanche, nous sommes tous d'accord pour reconnaître que sa libéralisation brutale remettrait en cause la viabilité du service public postal.
Q - Comment avez-vous fait pour convaincre vos partenaires, dont certains étaient loin de vous soutenir sur cette question ?
R - Ce consensus n'était pas gagné d'avance, et il constitue une véritable victoire. Mais je crois que l'engagement dans le débat des parlements nationaux, soutenu par le Parlement européen, a aussi contribué à faire évoluer les gouvernements les plus réticents. Car la directive postale relève d'un processus de co-décision : législatif et exécutif doivent s'entendre sur une position commune.
Les parlementaires de nombreux pays de l'Union ont toujours été opposés à ce qu'on raye, d'un trait de plume, la réalité séculaire qu'est le service public postal. Il s'agit là d'une belle revanche de la démocratie sur la technocratie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 février 2000).