Texte intégral
Q- C'est-à-dire les résultats du référendum.
R- Voilà.
Q- Mais le "Non" vous semble t-il solidement installé dans cette campagne ?
R- Je crois qu'il se passe quelque chose dans ce pays qui est une sorte de prise du pouvoir, par les citoyens, sur la construction européenne. Ils ont décidé de la contrôler, et d'imposer à leurs dirigeants une forme de volonté, qui d'ailleurs ne s'est pas revue depuis très longtemps. Donc c'est une sorte de prise de contrôle en quelque sorte. Et les citoyens de ce point de vue-là regardent le texte. Il est très intéressant de voir dans les discussions que nous pouvons avoir dans nos circonscriptions, dans nos cantons, la façon dont la population très studieusement analyse le texte, autant qu'elle le peut. Et d'ailleurs rejette un certain nombre de choses qu'elle trouve dans le texte. Et ce que je regrette c'est que le débat ne soit pas orienté sur ce contenu, et sur ce texte. Par exemple, Monsieur Giscard d'Estaing dit : ne vous inquiétez pas, ne lisez pas la troisième partie - qui fait quand même, excusez-moi, 80 % du traité et de la Constitution - parce que c'est la reprise des traités antérieurs. C'est-à-dire qu'on jette dans le formole, pour cinquante ans, ce qu'est l'Europe actuelle, avec toutes les désillusions qu'elle contient pour nos concitoyens. C'est un argument totalement conservateur, et qui pose le problème de l'avenir de l'Europe. Et nos concitoyens aujourd'hui disent : si on constitutionnalise, avec notre appui, notre soutien, l'Europe actuelle, eh bien autant la réorienter et c'est ce qui se passe dans l'opinion.
Q- Alors si le non gagne, il faut renégocier qui renégocie ? Jean-Marie Le Pen ? Marie-George Buffet ? Laurent Fabius ?
R- Mais ils ne sont pas au pouvoir ces gens-là.
Q- Alors qui va renégocier ? Jacques Chirac ?
R- Les dirigeants qui ont négocié ce texte. Il faut se mettre dans la tête que les dirigeants politiques européens aujourd'hui ne sont pas les souverains. Les souverains, ce sont les électeurs. Et il va falloir qu'on se le mette dans la tête.
Q- Alors si le non gagne, qu'est-ce qu'il faut renégocier Arnaud Montebourg ?
R- D'abord, si le non gagne, c'est le non de gauche qui a fait chuter le traité. Ça veut dire que les soutiens à gauche qui étaient présents à Maastricht se sont dérobés. Monsieur Chirac n'a pas pu compter, malgré le soutien à son traité d'un certain nombre de dirigeants politiques importants de gauche - et Dieu sait s'ils sont presque tous au rendez-vous - Il n'a donc pas obtenu que l'électorat de gauche soit au rendez-vous, notamment l'électorat socialiste. Donc c'est le non de gauche qui va porter la clef de la renégociation, en symbolique, car Monsieur Chirac s'il veut convaincre, comme d'ailleurs d'autres pays, comme la Suède, comme le Danemark, où le non est en train de virer en tête, c'est la preuve d'ailleurs qu'il y a un problème sur la critique sociale.
Q- Alors la gauche demandera quoi dans la renégociation ?
R- Je crois qu'il va falloir qu'elle demande la renégociation de la troisième partie. Vous savez il n'y a pas grand chose. Il suffit d'un article, et c'est la deuxième chance du traité constitutionnel. Il suffit que la troisième partie soit révisable à la majorité du Parlement Européen, ce qui d'ailleurs avait fait l'objet d'âpres débats au moment de la convention Giscard. Monsieur Damato, Président du Conseil italien, avait dit : "si c'est l'unanimité, je crains que je sois obligé de me suicidé, professeur de droit que je suis" parce qu'aucune constitution au monde ne se révise à l'unanimité des États et des pays. Il faudrait cinquante décisions conformes, vingt-cinq gouvernements, vingt-cinq parlements. Or cette troisième partie, c'est la conservation de l'existant. Or ce dont nous avons besoin, c'est l'évolution dans l'avenir. Et pour ça il faut que le Parlement soit délié des cinquante ans de traités antérieurs qu'on charge sur ses épaules, et que le Parlement Européen puisse faire évoluer sa politique.
Q- Donc pour que ce traité soit acceptable Arnaud Montebourg, selon vous il y a peu de choses qui suffisent, il faut pouvoir renégocier la troisième partie le cas échéant.
R- Cela fait un an que nous disons que le problème de ce traité c'est la renégociation sur la révision. Jacques Delors lui-même disait il y a un an : "le problème, c'est la clause de révision". Il disait d'ailleurs : "il faut revenir en arrière, il faut revoir les textes". Il le disait à chaud, une fois le texte sorti de la convention Giscard. Donc ce point-là, c'est le point central. Si vous rendez révisable les 337 articles de la troisième partie à la majorité qualifiée du Parlement, on peut discuter de tout ça, et d'ailleurs c'était une revendication des socialistes de la convention, qui n'a pas été entendue par Monsieur Giscard d'Estaing, eh bien je pense qu'on a un texte qui devient un cadre neutre, exactement ce que nous attendons, où des politiques de gauche peuvent avoir autant de chances de prospérer que des politiques de droite.
Q- C'est-à-dire que pour vous Arnaud Montebourg, la notion de concurrence libre et non faussée, qui est dans la première partie, qui est dans les premiers articles de la première partie, est une notion acceptable.
R- La concurrence libre et non faussée est présentée comme un objectif qui est équilibré par d'autres. En revanche, tout le traité de Rome, qui organise le verrouillage de ce système concurrentiel à outrance dans une Europe élargie et nouvelle, ça c'est la troisième partie. Donc nous sommes en mesure, je crois, sur la troisième partie, c'est-à-dire les trois-quarts du traité en vérité, d'avoir là la matière à rediscuter peut-être pas tout de suite sur le fond, mais en désignant une autorité capable de renégocier, ce pourrait être parfaitement nos représentants élus. Et cela voudrait dire que l'Europe deviendrait effectivement, et profondément, démocratique. Ce qu'elle n'est pas dans ce texte.
Q- Si le non gagne, beaucoup de conséquences évidemment. Le nouveau patron du parti socialiste, le nouveau patron de la gauche c'est Laurent Fabius ?
R- Vous savez que nous avons des procédures très particulières. Il faut un congrès pour désigner des dirigeants. Donc c'est forcément le congrès qui le dira, ce n'est pas moi ce soir à ce micro.
Q- Non, c'est ce matin.
R- Ce matin, excusez-moi.
Q- Et ce sera Laurent Fabius quand même le grand chef ?
R- Je crois qu'il va falloir que les socialistes se réunissent de toute façon pour mesurer s'il y a un véritable écart entre le pays et le parti.
Q- Oui, ça d'accord.
R-Déjà. Et puis en constatant l'écart, eh bien je reviendrai vous expliquer ce que j'en pense.
Q- D'accord. Alors Laurent Fabius dans l'Humanité aujourd'hui, Laurent Fabius avec José Bové hier, le parti socialiste redevient un parti révolutionnaire, on redécouvre la lutte des classes ?
R- Je pense qu'il suffit de revenir aux enseignements de Jaurès Monsieur Aphatie. Jean Jaurès unissait l'exigence démocratique au projet social. Quand nous n'avons pas la démocratie - ce qui est le cas dans ce texte - nous n'avons pas le projet social. Commençons à nous battre par la démocratie, et ça vous savez, il y a des gens qui ont été révolutionnaires, qui en sont morts pour la démocratie. Nous n'en sommes pas là vous voyez.
Q- Non, on n'en est pas tout à fait là. Martine Aubry quand même disait- elle était mercredi dernier à votre place - "la réconciliation sera difficile entre les socialistes".
R- Il faudra qu'elle ait lieu. Parce que l'unité est notre talisman. Il y avait sept partis socialistes en 1905, lorsque Jean Jaurès, Jules Guesde, Aristide Briand et bien d'autres, ont fondé l'actuel parti socialiste. Qui s'est déchiré en 1920, puis après la guerre d'Algérie. François Mitterrand a reconstruit ce parti. C'est la prunelle de nos yeux. Si nous n'avons pas un parti uni, nous n'aurons plus de victoire politique.
Q- Puis déchiré de nouveau en 2005, vous vous traitez les uns et les autres de "menteurs".
R- Je crois qu'il faut faire l'effort de surmonter cette période difficile.
Q- Ce sera possible à votre avis ?
R- Nous prendrons cette responsabilité sur nos frêles épaules.
Eh bien, Arnaud Montebourg, frêles épaules, Jean Jaurès, il y avait tout ce matin, était l'invité d'RTL. Bonne journée.
(source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 17 mai 2005)