Interview de M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales, à RTL le 24 février 2004, sur le projet de loi sur la décentralisation et les responsabilités locales et sur la polémique sur l'extradition d'un ancien militant d'extrême gauche condamné en Italie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- R. Arzt-. Bonjour P. Devedjian. Un mot sur ce que vient de traiter A. Duhamel : est-ce que cette mésentente entre le Gouvernement et les métiers de la Culture vous inquiète ?
R- " C'est désagréable, mais c'est récurent. A. Duhamel aurait pu rappeler le Général de Gaulle qui, à propos des chercheurs, disait : "des chercheurs j'en trouve, des trouveurs j'en cherche". Malheureusement, chez nous, les intellectuels, ils ont l'habitude de signer des pétitions. Aux Etats-Unis, ils ont des prix Nobel. Parfois, on a envie d'inverser. "
Q- Oui, enfin ce n'est pas ce qui va rapprocher le Gouvernement justement de ces professions. Ils ont l'impression dans ces professions que le Gouvernement n'est pas à leur côté.
R- " Mais c'est pas vrai. D'abord c'est vrai que les crédits de la Recherche ont considérablement été augmentés cette année. Mais, il ne faut pas non plus considérer qu'être "intellectuel" c'est un statut protégé. Etre un intellectuel, ça a des exigences ! Et souvent, on cherche un peu des résultats. Les intermittents du spectacle - c'est un autre sujet -, mais dans cette affaire, ce sont plutôt des victimes, mais des victimes d'une tricherie. Parce qu'on voyait bien les sociétés de télévision qui les utilisaient en faisant payer à la Sécurité sociale en réalité des revenus qu'ils auraient dû leur distribuer eux-mêmes. On a mis fin à cette tricherie, et il y avait beaucoup de monde qui était dans ce système. Alors c'est difficile à accepter. "
Q- Ils n'ont pas compris.
R- " Ils ont été les victimes, en particulier des sociétés de télévision mais aussi d'un certain nombre d'organisateurs de spectacles et aujourd'hui ils en subissent les conséquences. "
Q- Aujourd'hui, vous allez présenter à l'Assemblée ce projet de loi sur les responsabilités locales, qui se veut l'acte II de la décentralisation. On entend dire, depuis que ce texte est passé au Sénat, qu'en fait, les transferts de compétences prévus vont surtout bénéficier aux départements plus qu'aux régions. A. Rousset, tout à l'heure, le président de la région Aquitaine, allait dans ce sens. Il faut rééquilibrer à votre avis en faveur de la région ?
R- " D'abord, ce qui est caractérisé dans ce débat, c'est que chacun trouve qu'on n'en fait pas assez pour lui ! les départements en voudraient davantage, les régions aussi, et les collectivités territoriales, les communes et les intercommunalités aussi. Ce qui prouve qu'il y a une très grosse demande et un gros appétit. S'agissant des départements, c'est plutôt une illusion d'optique qui tend à faire croire qu'ils sont favorisés. C'est parce qu'on leur transfère le RMI et que le RMI, c'est cinq milliards. Et donc c'est une grande partie des crédits évidemment, c'est une partie importante. Mais si on regarde le bilan au bout du compte, le budget des départements va augmenter de 26 %, alors que celui des régions va augmenter de 41% ! Donc c'est eux en fait, par rapport à la situation dans laquelle ils étaient, qui obtiennent la plus grosse progression. "
Q- Il y a aussi une crainte qu'à l'occasion de cette nouvelle phase de décentralisation l'Etat renvoie à ses collectivités locales certaines tâches qui coûtent cher. Est-ce que vous allez rassurer les élus locaux, ou au contraire leur dire : prenez vos responsabilités ?
R- " Non. On va leur dire les deux. Il faut qu'ils prennent leurs responsabilités, parce que la décentralisation, c'est plus de démocratie : c'est permettre aux citoyens de bénéficier d'un service à proximité, donc qui est humanisé par la proximité. Mais en même temps d'avoir une autorité sur les élus qui l'exercent et de pouvoir les sanctionner si on n'en est pas content. C'est ça la décentralisation. Alors la Constitution aujourd'hui, elle donne des garanties qu'autrefois il n'y avait pas. L'Etat est obligé de compenser loyalement ce qu'il transfère, c'est la Constitution qui le garantit, et le Conseil constitutionnel, par deux décisions qu'il a rendues à la fin de l'année dernière, a déjà posé cette exigence. "
Q- Il va falloir dans la loi préciser les convictions, c'est tout.
R- " Dans la loi, on va leur expliquer un peu plus mais ceux qui se sont donné la peine de regarder la Constitution et de suivre ce qu'en a fait le Conseil constitutionnel devraient être rassurés. "
Q- Un exemple. Dans quel cas de figure pourra-t-il arriver qu'un département ait recours au péage pour la gestion de certaines routes ?
R- " Eh bien uniquement s'il le décide. Jusqu'à maintenant, l'Etat, sur son domaine routier pouvait décider d'un péage quand il le voulait, là où il le voulait, dans les conditions de la loi, mais il pouvait le faire. Aujourd'hui, il renonce à le faire, en transférant ce droit aux élus locaux. Et s'ils ne veulent pas le faire, ce qui est par exemple le cas des Bretons, qui sont évidemment très hostiles au péage depuis Anne de Bretagne ! donc vraiment depuis des siècles, eh bien si les élus locaux n'en veulent pas, ils ont maintenant la garantie que ça n'aura pas lieu. Avant ils ne l'avaient pas. "
Q- On est en période électorale. Quel bénéfice électoral attendez-vous de cette loi sur la décentralisation ?
R- " Ce que j'espère, c'est que ça devienne un peu le sujet de débat des candidats aux élections régionales. "
Q- Ce qui n'est pas le cas ?
R- " Ce qui n'est malheureusement pas le cas. Et M. Hollande, qui veut faire précisément du débat des Régionales un débat politicien, qui se plaint de l'insuffisance d'intelligence, là, il a l'occasion, avec justement tout ce qui est dans cette loi, qu'est-ce qu'on va en faire, quelle politique les élus locaux vont conduire avec ces nouvelles dispositions, M. Hollande, là, il aurait l'occasion de faire l'éducation des Français. "
Q- M. Hollande, très précisément, enfin le premier secrétaire du Parti socialiste, accuse le gouvernement de "susciter l'abstention, l'indifférence des électeurs". Il pense que le Gouvernement a plus à craindre du vote de l'abstention, et que donc le Gouvernement dépolitise, banalise.
R- " Moi je pense que ce qui encourage l'abstention, c'est le débat politicien. Quand on dit aux gens de répondre à côté de la question posée, la question posée c'est : comment on va gérer nos collectivités locales ? Qu'est-ce qu'on va faire comme politique des transports en région Ile-de-France, maintenant que c'est les élus qui vont décider et non plus l'Etat ? Quand on refuse de parler des problèmes de la vie concrète des gens, simplement pour faire de la politique politicienne et encaisser des gains électoraux, c'est là où on encourage l'abstention, parce que ça, les Français, on leur a fait le coup un peu trop souvent ! "
Q- Vous êtes un proche de N. Sarkozy. On peut dire qu'il participe à la campagne des régionales avec discipline, sans provocation ?
R- " En tous les cas il remplit les auditoires ! Il fait beaucoup de réunions et il y a toujours plusieurs milliers de personnes. "
Q- La seule présence de N. Sarkozy contribue à ne pas banaliser cette campagne justement ?
R- " Il la fait en tous les cas très activement pour l'ensemble du Gouvernement et je crois que le Gouvernement a de la chance d'avoir quelqu'un qui porte ses idées avec autant de force. "
Q- Une question pour finir sur Cesare Battisti, cet ancien militant d'extrême gauche italien, condamné en Italie et que la France va extrader. Que dites-vous de la mobilisation en sa faveur ?
R- " Je pense que là on est dans un archaïsme. Parce que nous sommes dans l'Union européenne, nous avons tous le même Etat de droit, tous les mêmes droits de la défense, nous sommes protégés par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, et entre pays européens, les échanges de personnes recherchées devraient se faire sans formalités. Ce serait une preuve de notre intégration judiciaire et par conséquent la technique même de l'extradition est une technique du passé. Si on a des valeurs communes - c'est un pays démocratique, l'Italie - on ne doit pas craindre la justice des autres pays de l'Union Européenne. "
Q- Autrement dit cette mobilisation est décalée, selon vous ?
R- " Cette mobilisation n'a pas lieu d'être à l'égard d'un pays démocratique comme l'Italie. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 24 février 2004)