Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, à France 2 le 9 novembre 2000, sur la mise en oeuvre du principe de précaution dans la crise du secteur bovin, le sommet de la gauche plurielle et la préparation des élections municipales à Paris.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. David - Vous étiez grippé mardi, on est heureux de voir que vous allez mieux...
- "Vous n'allez pas me reprocher d'avoir surmonté ma grippe pour vous rendre visite ce matin."
Il y a beaucoup de choses dans l'actualité : les Etats-Unis, la vache folle, la gauche plurielle. Je vous propose de commencer par le problème de la crise bovine, car cela intéresse beaucoup tous les Français. Comment pensez-vous que le Gouvernement gère cette crise ? Bien, mal ?
- "Aussi bien qu'il le peut, même si sa tâche a été compliquée par l'intervention du Président de la République. Soyons clairs : les problèmes de sécurité alimentaire sont évidemment des problèmes sérieux. Mais ils doivent être traités dans un esprit de responsabilité. Or, j'ai été quand même très frappé et à vrai dire préoccupé, par ce qu'a dit le Président de la République. D'une part, il ne faut pas céder à des peurs irrationnelles, mais la seule solution, c'est de s'en remettre au principe de précaution. Principe de précaution ! Voilà le grand mot lâché ! Qu'est-ce que c'est que ce
principe ? Il n'a rien de scientifique."
C'est de la psychologie pure et simple ?
- "Le principe d'Archimède, on pourrait le définir : "la poussée d'un corps est égale au volume d'eau qu'il déplace." Principe de précaution, cela veut dire : faites attention, "faites gaffe", soyez prudents. Mais c'est un voeu pieux !"
Autrement dit, il participe de la psychose collective ou il l'alimente ?
- "C'est le type même de l'allégation scientiste qui, en fait, recouvre ce système de peur irraisonnée sur lequel nous sommes poussés, non seulement par le système de la communication - je ne veux pas vous le reprocher - mais aussi par les rivalités qui naissent de la cohabitation. L'intervention soudaine en milieu d'après-midi du Président de la République n'a évidemment pas pour effet de simplifier la tâche du Gouvernement."
Mais n'est-ce pas parce que le Gouvernement patinait un peu, hésitait à se prononcer, tardait ou disait des choses contradictoires ?
- "Le Gouvernement doit assumer sa responsabilité, et le premier ministre pour commencer. Je pense qu'il le fait. Par ailleurs, nous le voyons bien, pèse sur toute cette affaire le précédent du sang contaminé, la peur de la judiciarisation. Les hommes politiques n'osent plus prendre leurs responsabilités. Donc prendre des précautions, tout arrêter, même si cela peut bouleverser complètement la filière bovine, c'est la solution de facilité."
Donc, vous dites aux Français : arrêtez d'avoir peur ?
- "Je dis aux Français : il faut savoir raison-garder. Ecoutons les experts, réunissons-les et ne nous fions pas trop à des avis politiques trop souvent intéressés émis à des fins plutôt électoralistes."
Deuxième commentaire sur un sujet plus politique : mardi il y avait réunion au sommet de la gauche plurielle, dont le Mouvement des citoyens. Vous n'y étiez pas pour cause de grippe. Pour cause de grippe uniquement ?
- "Pour une raison qui, effectivement, me retenait à la chambre."
Que pensez-vous du résultat et des conclusions de ce sommet, de cette rencontre ? Vous satisfont-elles personnellement ?
- "C'est un honnête viatique qui permet à la gauche plurielle de gagner les prochaines échéances. Ce document dresse un bilan honorable de l'action du Gouvernement de L. Jospin. Il définit certaines avancées, en matière par exemple, de retour à l'emploi ou d'augmentation du pouvoir d'achat, ou de pérennisation des emplois-jeunes. Pour le reste, il recense des divergences fortes. Pas seulement sur le calendrier électoral, mais sur la conception même des institutions. Qu'est-ce qu'il permet aujourd'hui aux citoyens d'avoir une influence sur les décisions ? Comment peut-on encore avoir une vue du long terme dans cet univers de "la com" que nous évoquions à l'instant à propos de la vache folle ? Il y a quand même place pour de grands débats, et ce n'est pas possible en dehors d'institutions qui le permettent et qui donnent un horizon au Gouvernement. Je pourrais évoquer la politique énergétique. Tout cela, ce sont de grands débats. La gauche plurielle a absolument besoin de se ressourcer. Elle ne peut le faire que dans un débat approfondi sur les questions de fonds."
Pour les élections municipales de Paris en mars prochain, y aura-t-il un candidat, une liste Mouvement des citoyens ? Vous deviez peut-être l'évoquer hier soir, votre mouvement devait voir cela.
- "En effet, G. Sarre et nos négociateurs se heurtent à l'hégémonisme, il faut bien le dire, du Parti socialiste, de B. Delanoë et de ses coéquipiers. Par ailleurs, G. Sarre pense qu'il y a place pour un rassemblement des républicains. Il pense qu'entre une droite affaiblie et une gauche qui manque un peu de charisme, il y a place pour une formule d'avenir. C'est son point de vue, et pour le moment la décision n'est pas définitivement arrêté."
Il devrait annoncer qu'il est prêt à conduire une liste ?
- "Il l'annoncera certainement dans quelques jours."
De Gaulle est mort il y a trente ans aujourd'hui. Vous livrez un article dans Le Figaro de ce matin, où vous dites que "de l'oeuvre accomplie par le général de Gaulle, il ne reste que des ruines." Vous êtes sévère.
- "En dehors de l'inspiration qui est toujours vivante parce qu'elle est celle du patriotisme français, il est vrai que quand on regarde le bilan institutionnel, en politique étrangère, quand on regarde ce qu'il en est du patriotisme français trente ans après, on ne peut qu'être confondu par la manière dont les héritiers du général de Gaulle ont piétiné son héritage. Il faut regarder le XXIème siècle avec un oeil neuf : qu'est-ce qu'aujourd'hui un jeune général de Gaulle pourrait dire à la France pour lui donner un horizon et pour mobiliser sa jeunesse ?"
Vous vous sentez gaullien par moment ?
- "J'ai toujours respecté le grand républicain qu'a été le général de Gaulle, le dernier des républicains qui en 1940 a relevé le drapeau et a permis à la France de rester dans la guerre et d'être à la table des vainqueurs, celui qui a sauvé l'honneur de la France."
Une dernière chose : Bush ou Gore, avez-vous un préféré ?
- "J'aurais plutôt une préférence pour Gore, parce que...
Même si l'autre est républicain, comme vous ?
- "Cela n'a pas le même sens de l'autre côté. Il faut savoir ce qu'on appelle la République. En France, c'est une exigence. Je regrette finalement que l'écart soit aussi mince alors qu'il y a de grands enjeux de politique intérieure. D'un côté le Welfare State, défendu par le démocrate et de l'autre ce qu'on appelle le conservatisme compassionnel - une horreur pour moi ! D'autre part, une conception de l'interventionnisme américain dans le monde plus sélective chez Bush, plus "droit de l'hommiste", dirait-on chez Gore et davantage indifférencié, mais avec de grands enjeux : le bouclier anti-missiles qui relancerait une compétition militaire qui serait gravement déstabilisatrice pour le monde. J'ai une petite préférence, même si l'élection de Bush ne serait pas une catastrophe."

(source http://sig.premier-ministre.gouv.fr, le 9 novembre 2000)