Interview de M. Philippe de Villiers président du Mouvement pour la France à France 2 le 21 mars 2005 sur le référendum sur la constitution européenne, la "directive Bolkestein" sur les services, l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne et la montée des communautarismes.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. LABORDE.- Avec P. de Villiers, ce matin, nous allons parler évidemment référendum à la constitution européenne, référendum à l'égard duquel le "non" l'emporte si l'on en croit les tout derniers sondages, mais les sondages ne sont qu'une indication. Mais enfin tout de même, 52% dans un dernier sondage. Vous, vous devez être satisfait qui êtes un ardent défenseur du "non" à ce nouveau Traité constitutionnel.
Ph. de VILLIERS.- Je crois qu'il faut être prudent, une hirondelle du "non" ne fait pas le printemps du "non", surtout ce matin au début du printemps. Mais c'est vrai que je sens le "non" sur le terrain, monter lentement et sûrement, et je crois savoir pourquoi : les Français sont de plus en plus nombreux à avoir compris, à comprendre, que le "non" est un vote utile parce qu'il est d'effets immédiats, parce qu'il aura trois effets immédiats : d'abord la suspension immédiate de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne...
F. LABORDE.- Oui, mais alors on nous dit, on nous répète, que cela n'a rien à voir la Turquie, c'est dans 15, 20, 30 ans et que la Constitution c'est tout de suite.
Ph. de VILLIERS.- Demandez aux Français qui nous regardent. Non, non, c'est le 3 octobre prochain que commence la négociation sur la Turquie. Si c'est le "oui" qui l'emporte, elle sera irréversible, si c'est le "non", il y aura suspension immédiate des négociations.
F. LABORDE.- Parce qu'il y aura un séisme absolu, si c'est "non" ?
Ph. de VILLIERS.- Tout simplement parce que ce sera le refus de la politique européenne dans son ensemble, Constitution et Turquie, qui est la politique proposée par J. Chirac notamment, et par les autres chefs d'Etats.
F. LABORDE.- Donc cela, c'est la première raison du non.
Ph. de VILLIERS.- La première raison. La deuxième, c'est évidemment l'enterrement de 1ère classe de la directive Bolkestein/Frankenstein...
F. LABORDE.- Cela ne lui fait pas plaisir à Monsieur Bolkestein. Il trouve que nous sommes très "xénophobes" nous, les Français.
Ph. de VILLIERS.- Mais non ce n'est pas cela, on pense à Frankenstein parce que...
F. LABORDE.- Ah oui, on a bien compris, ce n'est pas pour être sympathique.
Ph. de VILLIERS.- C'est une directive qui se propose de dévorer tous nos services. Il y a 11 millions de Français qui sont concernés, 11 millions, dont 2,5 millions artisans...
F. LABORDE.- Mais alors, P. Devedjian, ici même, l'autre jour, nous a expliqué que non justement les artisans français ne seraient pas concernés, qu'il y aurait peut-être des architectes qui, aux fins fonds de la Pologne pourraient faire des plans pour des maisons vendéennes, mais que ce ne serait pas le cas pour le petit commerce et l'artisanat français.
Ph. de VILLIERS.- Il a oublié qu'il n'y a plus de déclaration préalable dans la fameuse directive qui fait 87 pages.
F. LABORDE.- Donc, il a tort. Enfin pour faire simple, ce n'est pas vrai.
Ph. de VILLIERS.- Donc en réalité, n'importe quel boulanger polonais peut s'installer à Paris ou à Juvisy et déstructurer complètement le marché de la boulangerie française ou européenne. Il faut savoir qu'on nous dit aussi, aujourd'hui : oui mais, Bolkestein, cela sera bloqué au Conseil et au Parlement européen. Alors, j'ai vérifié, nous sommes ultraminoritaires...
F. LABORDE.- En effet, oui.
Ph. de VILLIERS.-...au Parlement européen...
F. LABORDE.- On est les seuls à ne pas la vouloir cette directive. Tous les Européens sont pour la libéralisation des services.
Ph. de VILLIERS.- C'est-à-dire qu'il y a 25 pays ; vous avez les 10 nouveaux pays qui sont à fond pour, évidemment, c'est leur intérêt ; et puis les pays libéraux, ultra-libéraux comme l'Angleterre etc. Et puis troisièmement, le troisième effet immédiat, c'est évidemment la renégociation immédiate d'un nouveau Traité refondateur pour la nouvelle Europe. Parce que aujourd'hui - c'est là que la campagne du "oui" ne marche plus - c'est que tout le monde a compris que le "non" était euro-alternatif, c'est-à-dire qu'il y a deux manières de construire l'Europe, et que l'on peut très bien, posément, avec sérénité, dire "non" pour construire une Europe différente qui soit protectrice...
F. LABORDE.- Mais cela veut dire que vous, vous avez la même vision que Mélenchon par exemple, quand vous dites "non" ?
Ph. de VILLIERS.- Parfois les mêmes constats. Là, on n'est pas sur un problème de clivages droite/gauche. Je note d'ailleurs que le "non" monte autant à droite qu'à gauche, notamment à cause de la question de la Turquie et de Bolkenstein, mais on n'est pas sur un problème de clivages droite/gauche. Je note que le "non" est offensif, contagieux, c'est un "non" de conviction, quoi que l'on puisse penser par ailleurs, alors que le "oui" est poussif.
F. LABORDE.- Vous avez même dit que le "non" était "polyphonique" et le "oui" "cacophonique". On reconnaît là votre goût du bon mot, mais ça ne suffit pas forcément comme argument, si ?
Ph. de VILLIERS.- Non, mais simplement je constate aujourd'hui que les meetings communs, dont on parle beaucoup, pour le "oui", eh bien pour le "non" ils seront dans l'urne. Chacun laboure son champ, personne ne se gêne pour le "non", chacun fait sa campagne, et essaye de faire comprendre... Moi j'essaye de faire comprendre que mon "non" est un "non" de projet ; il s'agit de remettre l'Europe d'aplomb, de la remettre dans les voies du bon sens, c'est-à-dire une Europe vraiment européenne, sans la Turquie, une Europe vraiment démocratique, pas l'Europe du mépris de Monsieur Barroso, et puis une Europe qui soit protectrice de notre sécurité et de nos emplois.
F. LABORDE.- Si le "non" l'emporte, c'est un séisme français, parce que le président de la République a pris position plutôt en faveur du "oui". Au sein du Parti socialiste, il y a un risque d'implosion. Y aura-t-il une sorte de Mai 68 après référendum ?
Ph. de VILLIERS.- Mais attendez, cela c'est la campagne du "oui". J. DELORS a parlé de "cataclysme". Alors, "oui", il y aura un cataclysme, je vais vous dire pour qui. Il y aura un cataclysme pour les 25 commissaires qui sont des irresponsables, non contrôlés, que d'ailleurs on ne connaît pas nous, en France. Pour Madame N. Kroes qui déclare "il ne faut plus d'aides d'Etats" ; pour Monsieur Verheugen, qui dit que "le processus des délocalisations est irréversible, etc. Là, il y aura un cataclysme pour ces gens qui prétendent gérer efficacement le quotidien de 450 millions d'européens. Voilà le cataclysme pour la Commission de Bruxelles, pour Bolkestein, pour Barroso etc. Et le cataclysme, cela voudra dire quoi ? Cela veut dire que, désormais, on veut une Europe qui nous respecte.
F. LABORDE.- On célèbre aussi aujourd'hui les 10 ans des accords de Schengen, qui permettent, en effet, la libre circulation des personnes qui peuvent aller d'un côté à l'autre, enfin dans certains pays, sans avoir de contrôles aux frontières. Etait-ce une bonne chose Schengen, ou, avec le recul considérez-vous que cela a été une mauvaise avancée ?
Ph. de VILLIERS.- 10 ans après, on fait le bilan, d'abord une déferlante migratoire : 300.000 personnes qui entrent chaque année dans notre pays, l'Espagne va régulariser 700.000 clandestins, ils vont arriver chez nous puisqu'il n'y a plus de contrôles aux frontières. Deuxièmement, les frontières justement, qui ont été abolies à l'extérieur, sont aujourd'hui reconstituées à l'intérieur, avec 600 cités interdites qui obéissent à la loi des bandes. Et puis enfin l'émergence du fondamentalisme islamique dans notre pays.
F. LABORDE.- Aujourd'hui le ministre de l'Intérieur, monsieur de Villepin, décide une Fondation pour aider l'islam de France, notamment permettre la construction de mosquées dans le respect de l'esprit de la laïcité de la loi de 1905. Pensez-vous, en effet, que c'est la bonne façon de procéder ?
Ph. de VILLIERS.- Je ne pense pas non. Je pense qu'il y a un vrai danger en France d'instaurer, je pèse mes mots, un communautarisme d'Etat. Je pense que l'idée de former les imams dans les universités, de financer les mosquées par des avantages fiscaux à travers des fondations, c'est peu à peu habituer notre pays à devenir une terre plus ou moins islamisée. Cela me paraît non conforme à l'esprit d'équité, parce que les autres religions se financent par le denier du culte, que ce soit les églises ou les synagogues par les particuliers...
F. LABORDE.- Oui, par les fidèles...
Ph. de VILLIERS.-...- "Par les fidèles" -, et je pense que ce n'est pas à l'Etat d'encourager l'islamisation de notre pays.
F. LABORDE.- Est-ce que cela ne peut pas être une façon de lutter contre la montée du racisme ? On a vu les chiffres là, qui sont, en effet très préoccupants, des actes xénophobes, antisémites etc. N'est-ce-pas une façon de travailler contre cela ?
Ph. de VILLIERS.- Au contraire, je crois qu'en installant une société d'alvéoles, on est en train de favoriser ce qui s'est passé le 16 mars dernier, moi j'ai été très impressionné, il y a eu une page dans Le Monde et une page dans le journal Marianne : "la guerre ethnique", c'est-à-dire des jeunes qui sont venus casser des petits blancs, ce n'est pas moi qui parle, ce sont les journaux qui parlent, ce sont les observateurs, ce sont les journalistes qui ont vu, et cela, c'est très inquiétant parce que la société multiculturelle qu'on est en train d'installer dans notre pays c'est une société potentiellement multi conflictuelle.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 mars 2005)