Entretien de M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères, avec "La Voix du Nord" le 28 avril 2005 à Lille, sur le débat et les apports de la Constitution européenne, la réforme de l'ONU, la directive "Bolkestein" de libéralisation des services, la défense des industries textiles européennes face à la concurrence chinoise.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Voix du Nord - Presse régionale

Texte intégral

Q - Quelle analyse faites-vous des sondages toujours favorables au "non" ?
R - Je prends tous ces sondages au sérieux. Ils démontrent une inquiétude à laquelle il faut répondre. Le débat doit conduire à faire le tri entre les questions et répondre à la seule posée le 29 mai : approuve-t-on cette Constitution et les progrès qu'elle apporte ou veut-on en rester aux traités actuels ? J'ai confiance dans la capacité des Français à faire ce choix en toute connaissance de cause, en mesurant bien ses conséquences et en ayant compris que pour les questions de politique nationale, ils auront d'autres occasions, en 2007 notamment.
Q - Si vous deviez choisir un seul argument pour convaincre les Français, lequel mettriez-vous en avant ?
R - Cette Constitution renforcera l'influence de la France. Elle est largement issue des propositions françaises, sur les services publics, la diversité culturelle, les droits sociaux, la politique étrangère et de sécurité commune. Au Conseil des ministres européen, le poids de la France augmentera de 40 %. Si au contraire l'influence de la France est diminuée, nos priorités seront écartées et la première politique commune qui se trouvera fragilisée sera la politique agricole commune.
Q - La Constitution crée un ministre des Affaires étrangères de l'Union. Mais y a-t-il des sujets où l'Europe peut parler d'une seule voix ?
R - Bien sûr. Nous avons des positions et des actions communes dans les Balkans, pour la paix entre Israéliens et Palestiniens, pour le dialogue avec les deux rives de la Méditerranée. Nous travaillons à une position commune sur la Russie. Ce ministre européen animera un lieu d'analyse et d'anticipation communes. Tout cela nous a manqué, il y a quinze ans, lorsque la Yougoslavie s'est déchirée et que nous avons été incapables d'empêcher une guerre moyenâgeuse à nos portes. Et c'est aussi ce qui nous a manqué au moment de la crise irakienne.
Naturellement, le droit de veto restera en vigueur pour la politique étrangère. Donc, si nous ne parvenons pas à nous mettre d'accord sur un sujet, chacun gardera sa liberté. Mais il y a beaucoup plus de chances de parvenir à des positions communes avec un ministre des Affaires étrangères de l'Union que sans !

Q - Ne siégera-t-il pas un jour au Conseil de sécurité de l'ONU à la place de la France et de la Grande-Bretagne ?
R - La réponse est non ! Il s'agit de mettre en place une politique étrangère commune, pas unique. Nous gardons nos sièges au Conseil de sécurité, c'est prévu dans le Traité, et nous souhaitons même y voir siéger l'Allemagne. L'important est que les pays européens représentés puissent parler d'une seule voix et agir ensemble.
Q - La directive Bolkestein a semé le trouble. Pourquoi la France n'a-t-elle pas réagi plus tôt ?
R - Premièrement, il ne s'agit pas d'une directive mais d'un projet de directive de la Commission qui était au début de son parcours législatif. Elle a été stoppée et remise à plat comme nous le souhaitions. Deuxièmement, ce texte n'a rien à voir avec la Constitution. Celle-ci donnera même davantage de pouvoirs aux parlements nationaux pour tirer la sonnette d'alarme.
Q - Mais pourquoi la Commission précédente a-t-elle présenté un texte aussi contestable ?
R - La Commission à laquelle j'appartenais avait reçu commande d'une directive concernant la libre circulation des services qui fait partie des objectifs du marché unique. Est-ce qu'elle s'y est bien pris ? La preuve est faite que non et que certaines difficultés, je le reconnais, ont été sous-estimées. Notamment cette question très conflictuelle du pays d'origine à laquelle on va finalement renoncer. Mais il faudra bien une directive car si on ne fait pas l'harmonisation par la loi, elle se fera sauvagement par le marché. Ce n'est pas l'image que je me fais de l'Europe et nous ne tolérerons pas d'harmonisation vers le bas.
Q - Le problème posé aujourd'hui par le textile chinois ne montre-t-il pas que l'Europe ne sait pas défendre ses industries ?
R - Devant ce problème très grave qui déstabilise beaucoup d'entreprises, notamment dans le Nord, le gouvernement français a demandé à la Commission de réagir par une procédure d'urgence et des mesures de sauvegarde à mettre en place aussi rapidement que possible. C'est une démarche tout à fait parallèle, à quinze jours près, à celle des Etats-Unis. La France n'est pas seule dans cette affaire. Il y a une douzaine de gouvernements comme l'Espagne, l'Italie, la Pologne ou la Belgique, qui sont également très préoccupés des conséquences de ces importations massives. La Commission est donc parfaitement consciente de la gravité de la situation.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 avril 2005)