Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, sur les arguments en faveur du "oui" au référendum sur la Constitution européenne et sur sa volonté de créer un "partenariat privilégié" pour la Turquie, Paris le 6 mars 2005.

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Circonstance : Conseil national de l'UMP, à Paris le 6 mars 2005

Texte intégral

Mes chers amis,
Ce Conseil National est un moment important de la vie de l'Union pour un Mouvement Populaire. Dans une période que l'on peut qualifier de difficile ou de complexe, il nous faut donner l'image de l'unité, de la clarté, de la volonté !
Je vais vous parler en toute liberté, vous donner le fond de mes convictions, m'engager sans la moindre arrière-pensée, car le débat qui va nous occuper au cours des trois prochains mois est à mes yeux essentiel : c'est celui de l'Europe; et celui de la France que nous voulons.
Le Président Jacques Chirac a choisi le référendum. C'était la bonne décision. Celle qui va permettre à chacun de nous de prendre ses responsabilités en exprimant son opinion. Donner la parole au peuple souverain me semble infiniment moins risqué que de prétendre faire avancer l'Europe sans solliciter l'avis de ceux qui la vivent au quotidien. Si la Constitution Européenne, comme je le crois, est une étape majeure sur la route de la lente et patiente construction de l'Union, nul n'aurait pu comprendre et encore moins admettre que le suffrage universel en soit tenu éloigné.
Qu'il me soit permis une première remarque à l'endroit de ceux qui défendent le non. A leurs yeux, l'Europe actuelle serait responsable des sept plaies qui affligent la France. L'Europe, ce serait donc la mise à mort de la République, le démantèlement des services publics, la croissance molle, le chômage de masse, les délocalisations, la désintégration de l'histoire et de la culture françaises sans parler de l'immigration. Rien que cela, mais tout cela !
On a bien sûr le droit de penser ainsi, mais à condition de préciser que dire non ce n'est ni plus ni moins que proposer de garder l'Europe telle qu'elle est aujourd'hui ! C'est revenir au Traité de Nice. C'est se condamner à l'immobilisme. C'est refuser d'avancer sur la route du changement. Etrange idée au final que celle qui consiste à dire " tout va mal " et à en tirer la conclusion que rien ne doit évoluer !
Vous l'avez compris, ce n'est pas mon avis. Je souhaite que l'Europe change, bouge, évolue, s'améliore, se transforme. La Constitution dont je vous propose que nous la ratifiions est la seule façon de progresser vers " l'Europe politique " que nous n'avons cessé d'appeler de nos vux.
La Constitution Européenne va nous permettre d'effectuer trois progrès considérables qui auront chacun des conséquences sur la vie quotidienne de nos compatriotes.
Le premier permettra d'offrir un visage, une humanité, une autorité à l'Europe. Désormais, il y aura un Président de l'Union élu pour deux années et demi. Il pourra rester en fonction 5 ans. Son autorité politique sera forte. Elle corrigera la réalité si souvent bureaucratique et technocratique de l'Europe d'aujourd'hui. Combien de fois nous sommes-nous plaint de l'impossibilité d'avoir un représentant ayant une dimension et, par-dessus tout, une vision politique ? Quelqu'un qui sait ce que veut dire rendre des comptes. Entendre les inquiétudes des peuples. Gagner ou perdre une élection. Quelqu'un qui ne se contente pas d'être nommé, mais qui sait convaincre. Quelqu'un qui ne résume pas la décision européenne à la seule lecture d'une directive ou d'un règlement. Quelqu'un dont le passé politique lui aurait appris que le pragmatisme vaut mieux que les idéologies. Quelqu'un surtout qui se préoccupe des hommes et pas seulement des agrégats.
La Constitution nous offrira cette présidence politique. La refuser serait renier tout ce qui a été notre engagement de ces dernières années. Je l'affirme, la Constitution Européenne est indispensable pour combler le vide politique existant depuis Maastricht. On a réussi l'Europe monétaire, on n'a qu'ébauché l'Europe économique. On avait ignoré l'Europe politique. Voilà l'occasion de combler ce vide. La Constitution européenne c'est l'avènement pour la première fois d'une incarnation Démocratique.
Le deuxième progrès, qui lui aussi est considérable, va nous permettre de sortir de l'immobilisme d'une Europe devenue des 25 et qui ne peut plus fonctionner avec la seule règle de l'unanimité. Si pour avancer il nous faut attendre que tout le monde soit d'accord, eh bien préparons-nous à attendre encore longtemps
Ce qui était possible à 6 ou 9, ce qui était concevable à 12 ou à 15, devient impossible à 25. C'est juste une question de bon sens et de réflexion. Pour avancer, il faut que dans des cas plus nombreux les décisions puissent être prises à la majorité, et non à l'unanimité. Et plus l'Europe compte de pays membres, plus il convient de donner à ceux qui le souhaitent la liberté d'avancer plus vite ensemble sur le chemin de l'unité. Et peu importe s'il ne s'agit pas de tous les 25.
La Constitution Européenne facilite la création de coopérations renforcées entre les pays qui souhaitent aller plus loin. Ainsi nous pourrons enfin décider d'une politique commune efficace et ferme de lutte contre l'immigration clandestine sans plus attendre l'autorisation de tel ou tel pays qui, n'ayant pas de clandestins, voudrait nous condamner à l'inaction car il ne voit pas l'utilité de modifier ses principes pour un problème qui concerne les autres Etats membres et pas lui.
Bien des faiblesses de l'Europe d'aujourd'hui résident non dans le fait que nous avons été trop loin ou trop vite, mais bien au contraire que nous sommes demeurés immobiles au milieu du gué, cumulant ainsi un maximum de difficultés sans profiter de toutes les opportunités de l'Union.
Les principes de l'Europe du Nord en matière d'accueil et de circulation des personnes sont éminemment respectables, mais force est de constater que les problèmes de l'immigration clandestine, c'est d'abord l'Europe du Sud qui les subit. Nous voulons la liberté de décider et d'agir. C'est la nouvelle Constitution qui nous la donnera. On se demande vraiment bien pourquoi nous la refuserions. La Constitution Européenne c'est une avancée considérable vers l'efficacité politique que tous nous avions demandé.
Le troisième progrès, c'est celui qui va permettre aux 25 pays de l'Union de se reconnaître dans les mêmes valeurs. Ces valeurs, ce sont celles de la démocratie française : l'égalité entre la femme et l'homme, les droits fondamentaux des salariés, le respect des minorités, le pluralisme démocratique Depuis la Révolution, la France n'a cessé de défendre et d'incarner ces idées aux quatre coins de la planète. Et maintenant qu'elles pourraient faire loi chez les 25 Européens, nous devrions les refuser ? Qui peut penser que le message de la France, qui se veut universel, s'en trouverait affaibli ? Qui peut défendre l'idée étrange que nous serions, nous les Français, plus crédibles en rejetant pour l'Europe ce que nous n'avons cessé d'appeler de nos vux pour le monde ? Se reconnaître dans les mêmes valeurs ce n'est pas nier nos différences c'est au contraire organiser leur respect en les additionnant.
Quant à ceux qui se demanderaient pourquoi il faudrait des valeurs dans la Constitution Européenne alors que nous les avons déjà dans la Constitution française, je veux dire que c'est notre intérêt de vivre dans un espace géographique enfin ancré dans la démocratie. Certains de nos nouveaux partenaires de l'Est ont eu des traditions de nationalisme parfois intransigeant. C'est un impératif stratégique que de les voir se doter d'une Constitution conforme à nos valeurs. L'Europe y gagnera en stabilité, en sécurité, en prospérité. Qui sérieusement peut affirmer qu'il ne s'agit pas d'un progrès décisif ? Qui pourrait regretter cette avancée démocratique ? Qui peut dénoncer ce choix qui n'est ni plus ni moins que celui de la civilisation et de la démocratie françaises ?
Enfin, je vous demande de réfléchir à ceci, qui est sans doute à mes yeux le plus fondamental. La seconde guerre mondiale a coûté 38 millions de morts pour les seuls pays Européens, parmi lesquels 6 millions de déportés dans les camps de la barbarie. Ce n'était pas le Moyen-Age, c'était il y a 60 ans. Ce n'était pas une contrée lointaine. C'était notre continent. C'était notre pays.
Or, le continent européen vient de connaître la plus longue période de paix de son histoire. Cette paix, elle n'est pas le fruit du hasard. Ce n'est pas une circonstance. Ce n'est surtout pas une parenthèse. Cette paix, elle est le résultat d'une volonté historique : celle de l'Union Européenne, pour ne plus jamais connaître la guerre. Cette paix, elle est le résultat de la forme la plus aboutie de démocratie : l'Union politique européenne. Et ainsi les peuples, qui de toute éternité s'étaient affrontés, combattus, martyrisés, ont décidé qu'en créant des intérêts économiques, politiques, culturels, sociaux, intégrés, mêlés, imbriqués, ils repousseraient à tout jamais le spectre de la guerre et de l'horreur.
Ne faisant pas confiance à la sagesse des hommes, ils ont eu l'intuition proprement visionnaire qu'en intégrant leurs pays, ils leur interdiraient à l'avenir de se détruire. Cette intuition a été la bonne puisque depuis 60 ans nous connaissons la paix.
Eh bien je vous le dis au regard de ce qu'ont enduré nos parents, en pensant à ce que veulent vivre nos enfants : nous n'avons pas le droit de dire non à l'Europe qui, pour nos générations, a garanti la sécurité et la prospérité. Ce qui est en cause avec le référendum du 29 mai, ce n'est pas le Président de la République, ce n'est pas le gouvernement, ce n'est pas l'UMP. Il ne s'agit pas de la politique, la petite ou la grande. Il s'agit de la France, notre pays et notre patrie. Première nation d'Europe, je ne peux imaginer pour elle autre chose que la première place à la tête de l'Union. La France doit dire oui à l'Europe parce que l'Europe et la France le méritent. Nous le devons tout à la fois à notre histoire et à l'idée que nous nous faisons de notre avenir. La Constitution Européenne consolide la cohésion entre nos peuples.
C'est donc un oui franc, sans réserve, enthousiaste que je vous demande.
Ce oui que j'appelle de mes vux n'est pas complaisant, il est même exigeant.
Il l'est car c'est d'abord un oui à une Europe Européenne. C'est-à-dire une Europe qui n'aura pas peur d'évoquer la question de ses frontières. J'affirme que l'on peut considérer que l'Europe n'a pas vocation à être ouverte à tous les pays du monde sans être accusé de manquer à la solidarité planétaire.
D'ailleurs, et c'est aussi pour cela que je la défends, la Constitution Européenne elle-même prévoit pour nos voisins un statut de partenariat privilégié. C'est donc bien qu'aux yeux des conventionnels, tous les pays qui bordent le continent européen n'ont pas un droit automatique à siéger autour de la table du Conseil. Je le dis sereinement, tranquillement, mais fermement : la Turquie n'a pas vocation à intégrer l'Europe. Elle y sera associée comme partenaire privilégié. Cette position que nous avions entérinée lors de notre Conseil national du 9 mai 2004 sous la présidence d'Alain Juppé, je vous demande de la confirmer pour que chaque Français comprenne qu'en disant oui à la Constitution Européenne, il ne dit pas oui à l'intégration de la Turquie. Et cela sera la meilleure façon de faire triompher le oui. Je n'ai jamais cru qu'en ne parlant pas des problèmes, on les résout. C'est au contraire en en parlant, en assumant une position claire, qu'on évite les peurs et les amalgames.
Quant à l'angoissante question des délocalisations, nous ne devons pas là, là non plus, fuir le débat, l'ignorer, ou même le minorer. L'honneur de la politique, c'est d'affronter les problèmes, non de les contourner. C'est la raison pour laquelle je souhaite que l'Union pour un Mouvement Populaire demande au Gouvernement français de ne plus accepter qu'un pays européen puisse se prétendre assez riche pour supprimer ses impôts sur les entreprises et, dans le même temps, suffisamment pauvre pour demander et obtenir des subventions de la part de ses partenaires.
Si nous avons voulu l'Union Européenne, c'est pour mettre en place une concurrence loyale, pas pour subir le dumping fiscal déloyal. De ce point de vue encore, la Constitution marquera un progrès puisqu'elle renforcera les règles de fonctionnement, et donc celles d'une concurrence loyale entre les pays européens. C'est au contraire si nous la refusons que nous subirons la loi du plus brutal qui serait l'apanage d'une Europe limitée au seul grand marché, comme l'ont toujours souhaité les Anglo-Saxons et les Américains.
Enfin, je veux affirmer que nous ne devons nourrir aucun complexe à défendre nos agriculteurs et à évoquer l'avenir de l'agriculture française et européenne. Pour s'en convaincre, il suffit d'écouter le Président Bush qui, tout libéral qu'il est, n'entend pas laisser tomber les fermiers américains. Il les défend parce qu'il sait que la suffisance alimentaire est un élément de l'indépendance des Etats-Unis et que l'industrie agro-alimentaire est une partie de la puissance économique américaine. Pourquoi donc l'Europe devrait-elle s'interdire ce que fait la première économie du monde ? La préférence communautaire en matière agricole n'est pas un sujet tabou. Nos agriculteurs ne demandent pas de subventions. Ils veulent d'abord des prix qui couvrent les coûts de production et qui leur permettent de vivre dignement du fruit de leur travail. L'UMP doit considérer cette attente comme parfaitement légitime.
Reste un argument : si la France vote non, la crise sera " salutaire " car elle permettra de tout remettre à plat Tel est en tout cas le raisonnement de Laurent Fabius.
Je ne doute pas une seconde que si la France disait non, pour être à plat elle le serait ! Et pour combien de temps ? Et comment alors s'en sortir ? L'Europe sera alors dans la paralysie la plus totale. Nos partenaires de négociation ne vont pas changer. Pourquoi accepteraient-ils demain ce qu'ils ont refusé hier ? La France verrait son influence diminuer et son crédit reculer. Soit on revient alors au Traité de Nice et rien n'avance. Soit, pire encore, ce sont les autres qui avancent et nous qui restons en arrière. Eh bien, permettez-moi de vous le dire, ce n'est pas l'idée que je me fais de la France, de sa place, de son rôle, de sa dimension. Je ne serai pas complice de cette régression. C'est bien pourquoi je ferai campagne pour le oui.
Aussi importante que soit l'Europe pour nous, je tiens à affirmer cependant qu'elle ne constitue pas notre seule fin. L'Europe ne nous exonère d'aucun des efforts qu'ont fait les autres pays avant nous et parfois plus fortement que nous. L'Europe, c'est une raison de plus pour la France de se réformer et de se moderniser.
C'est pourquoi l'Union pour un Mouvement Populaire souhaite que l'on fasse davantage pour la France qui se lève tôt le matin et qui pour autant peine à boucler ses fins de mois. La France qui travaille. La France qui ne demande rien, mais qui se lasse qu'on exige tant d'elle. La France qui est généreuse et solidaire, mais qui est en droit d'attendre de ceux de ses enfants qu'elle aide qu'ils fassent un minimum d'efforts personnels pour s'en sortir. La France qui n'en peut plus du nivellement, de l'égalitarisme et de l'assistanat, doit être entendue, écoutée et récompensée.
Nous ne devons pas craindre de poser la question de l'association des salariés au partage des profits. Qu'une entreprise gagne de l'argent c'est une formidable nouvelle mais à mes yeux il n'est pas illégitime que ceux qui ont contribué à son succès y soient intéressés.
Le travail doit être réinstallé au cur des valeurs de notre pays. Il doit être davantage rémunéré et récompensé. Nous ne souffrons pas de trop de travail, mais d'un déficit d'emplois. Je le dis aux organisateurs de la manifestation de mardi prochain. Que ceux qui ne veulent pas travailler plus n'empêchent pas ceux qui veulent gagner plus de pouvoir le faire !
C'est une chose de rendre le chômage moins douloureux et c'est une exigence absolue, cela en est une autre plus urgente encore de rendre le travail plus accessible et donc de créer des emplois. A mes yeux la politique sociale la plus juste c'est celle qui consiste à donner un travail à chacun !
La France doit réformer son système éducatif pour donner la meilleure formation à nos jeunes. L'immobilisme, le sur-place, le conservatisme n'ont jamais permis de préparer l'avenir. Nous demandons au Gouvernement de tenir bon. Nous ne pouvons accepter que 80 000 jeunes rentrent dans le secondaire sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter. Nous ne pouvons accepter que tant de cours ne soient pas assurés parce que les professeurs ne sont pas remplacés. Nous ne pouvons pas accepter que les jeunes Français soient parmi les derniers d'Europe pour l'apprentissage des langues étrangères. Nous ne pouvons pas accepter que les questions touchant à l'Education Nationale se réduisent à la seule querelle des chiffres, des moyens, du quantitatif, du toujours plus, alors que nous voulons poser d'abord la question de la qualité de l'enseignement.
La France doit défendre ses services publics. L'immense majorité des fonctionnaires qui y travaillent le font avec compétence, avec dévouement, avec honnêteté. Et les services publics font partie intégrante de la qualité de la vie française. Mais il ne faut pas oublier que leur mission première est d'être au service du public. Nous ne pouvons accepter que celui-ci soit pris en otage. C'est pourquoi l'UMP défend l'idée et réclame l'instauration d'un service minimum, pour que chaque Français, y compris les jours de grève, puisse se rendre à son travail et en revenir. Nous l'avions promis. Il nous faut le faire.
Voilà mes chers amis, c'est dit, c'est simple, c'est clair, c'est franc ! Nous voulons une France moderne, pleine d'énergie, remplie d'espérance dans une Europe puissante, intégrée, et solidaire.
Je vous demande de dire oui parce que la France et parce que l'Europe le méritent !

(Source http://www.u-m-p.org, le 9 mars 2005)