Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France, à radio BFM le 15 avril 2005, sur la prestation de Jacques Chirac face aux jeunes sur TF1 le 14, notamment sur le retour au traité de Nice dans l'hypothèse d'une victoire du "non" lors du référendum sur le traité constitutionnel européen, les importations de textile en provenance de Chine et la perspective d'un référendum lors de l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

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Média : BFM

Texte intégral

Q- Vous êtes le président du Mouvement pour la France. Avez-vous passé une bonne soirée hier soir devant la télévision ?
R- C'était pathétique.
Q- A ce point là ? Qu'est-ce qui n'allait pas ? Vous n'avez pas aimé Fogiel, Delarue, les jeunes qui avaient du mal à poser leur question, ou alors le chef de l'Etat ?
R- Je me suis surtout intéressé au chef de l'Etat. Je l'ai trouvé poussif, abstrait, face à des questions très concrètes. Là, je viens d'écouter l'éditorial. Il faut quand même savoir qu'il y a un vrai problème aujourd'hui qui est double : la question de savoir qu'est-ce qu'on fait de la France. Alors il dit "le mouton noir". C'est le mouton qui ne veut pas se faire égorger. La France a quand même le droit de savoir ce que veut dire un pays qui perdrait la maîtrise de ses frontières, de ses lois, de sa politique étrangère, etc.
Q- Oui mais "le mouton noir" qui se retrouverait seul avec 24 autres pays qui voteraient "oui" pour la Constitution, de 24 autres pays qui diraient : "écoutez la Politique agricole commune, eh bien maintenant c'est terminé, on fait autre chose.
R- Faux. Ecoutez, j'arrive de Bruxelles et Strasbourg, je peux vous dire que les Polonais vont dire "non", les Néerlandais vont dire "non" dès le 2 juin, les Anglais vont dire "non" à coup sûr, les Tchèques veulent dire "non", et même le Luxembourg veut dire "non". C'est-à-dire qu'en fait le "non" du peuple français sera un "non" libérateur, un "non" contagieux pour une grande partie des peuples européens. Et dire que l'Europe peut continuer sans la France, c'est un mensonge de la part de J. Chirac. Et puis il y a un petit point, je vais vous faire remarquer, un petit point technique qui me paraît très important : c'est que de toute façon, que la Constitution soit votée ou non, pendant quatre ans, c'est le traité de Nice qui s'applique. Ce n'est qu'en 2009 que la Constitution pourra s'appliquer. Alors de toute façon, que le "oui" ou le "non" l'emporte, on va être, en attendant, dans une situation intermédiaire qui nous laissera le temps évidemment de nous retourner. Cette idée "le oui ou le chaos", elle est très désagréable de la part du chef de l'Etat parce que dans cas-là, il n'avait qu'à pas faire de référendum.
Q- En tout cas, J. Chirac dit qu'une victoire du "non" arrêterait la construction européenne. Vous, vous dites que non, P. de Villiers, puisqu'il y a toujours le traité de Nice qui va continuer.
R- Qui a d'ailleurs deux vertus : c'est d'établir la parité entre la France et l'Allemagne au niveau du Conseil et de ne pas comprendre la Turquie parmi ses membres. Alors ce traité de Nice, moi je lui trouve quelques vertus. Tous ses auteurs, à commencer par J. Chirac, qui avait présidé le sommet de Nice et qui avait fait un communiqué commun avec Jospin, en disant "ce traité n'a pas fini de faire sentir ses effets positifs", aujourd'hui, il rejette son oeuvre. C'est quand même assez curieux. Alors moi je ne dis pas du tout que l'Europe actuelle, comment dirais je, est satisfaisante. Au contraire. Délocalisations, déréglementations, déferlante migratoire... Mais je crois que la Constitution ne fera qu'aggraver les dérives.
Q- Justement, P. de Villiers, il y a deux points qui ont du vous satisfaire, quand même, hier. Vous parlez de délocalisations, sur la question du textile chinois, J. Chirac promet des clauses de sauvegarde qui s'appliqueront dans les 15 prochains jours. C'est rassurant justement pour tous nos industriels du textile ?
R- Alors je crois qu'il a commis une petite erreur technique, il ne connaît pas son dossier, puisque le commissaire Mandelson a expliqué que dans les 15 prochains jours, on allait à partir d'une étude sur les seuils d'alerte...
Q- Qui sera remise lundi oui.
R- ... On allait déclencher l'enquête. Après l'enquête, il y aura les conversations informelles avec les Chinois et ensuite les conversations formelles et ensuite la procédure de sauvegarde. C'est-à-dire que de toute façon, on est très en retard sur les Américains. C'est là tout le problème. Moi, je veux une Europe puissante, une Europe qui nous protège, qui protège notre sécurité, qui protège nos emplois, et non pas l'Europe passoire qui ne réagit pas à l'événement et qui ne nous protège pas. Il y a quand même 2.500.000 personnes qui travaillent dans le textile, et moi je n'ai pas trouvé Chirac convaincant sur ce sujet comme sur tous les autres.
Q- Et sur la Turquie, quand il dit : le fonctionnement de la Turquie aujourd'hui est incompatible avec nos valeurs, avec nos traditions, le mode de vie, le fonctionnement de la Turquie. Là, ça va également dans votre sens.
R- Alors pourquoi, le 17 décembre dernier, a-t-il insisté auprès de ses collègues pour qu'il y ait l'entrée dans la négociation le 3 octobre prochain ? Pourquoi il n'a pas ajouté hier soir "C'est la raison pour laquelle je demande qu'on suspende la négociation qui doit commencer le 3 octobre prochain". Et pourquoi il a laissé l'ambassadeur de France déclarer à l'agence Turkish Press qu'il viendrait en voyage après le référendum en Turquie pour rassurer monsieur Erdogan et lui confirmer son attachement à l'entrée de la Turquie dans l'union européenne ?
Q- De toute façon, il y aura un référendum en France pour dire "oui" ou "non" à la Turquie, vous le savez P. de Villiers ?
R- Oui, dix ans, quinze ans, vingt ans...
Q- Le temps que les discussions se fassent.
R- Oui mais le problème, Monsieur, je vais vous dire, le bon sens pour tous les gens qui nous écoutent et qui signent des contrats toute la journée, il vaut mieux dire "non" avant de commencer à étudier le contrat, avant le 3 octobre, que dans cinq ans, dans dix ans, dans quinze ans. Parce que là, ce sera très difficile, ça sera même impossible. D'ailleurs, on paye déjà 47 millions d'euros par an pour la Turquie, qui a obtenu un statut de pré adhérent, la Turquie qui a signé l'acte final de la Constitution. Donc, si vous me permettez un petit peu de vulgarité, "on se fout de notre gueule".
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2005)