Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,
Aujourd'hui 15 mars, c'est une date fatidique pour des dizaines de milliers de familles populaires. C'est une journée d'angoisse, de détresse, de souffrance forte pour des enfants en bas âge, des adolescents, des femmes, des hommes victimes du chômage, de la misère ou d'accidents de la vie.
C'est le jour de la venue des huissiers, accompagnés de la force publique pour appliquer froidement cette mesure inhumaine et moyenâgeuse : l'expulsion. "Expulsé. Circulez, il n'y a rien à voir !". Cent mille foyers sont concernés chaque année et 23 000 expulsions ont été décidées en 2004.
C'est une honte, un scandale dans une des économies les plus riches du monde, dans une France qui se dit moderne et qui a inscrit à son fronton Liberté, Egalité, Fraternité.
La proposition de loi que nous vous soumettons a donc pour volonté de sortir sans attendre de ces pratiques d'un autre âge, pour assurer à chacune et chacun de nos concitoyens le droit de vivre dans la dignité.
La Nation a un devoir impérieux de solidarité envers tous ses ressortissants. Mais on est très loin du compte car la fracture sociale ne fait que s'approfondir sous les coups de votre politique au service absolu du capital financier. Jamais comme maintenant le pouvoir UMP n'a autant signifié Union pour une Minorité de Privilégiés !
En France aujourd'hui, 3,5 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté dont 1 millions d'enfants. Notre pays compte 1,3 millions d'allocataires du RMI. Ce chiffre a progressé de 10 % en un an. Le chômage dépasse les 10 % et frappe 2,5 millions de personnes. Or, 65 % des jeunes de moins de 25 ans et 50 % des femmes inscrits au chômage, ne touchent aucune indemnité.
Le pouvoir d'achat des fonctionnaires a reculé de 5 % en cinq ans ; et si en 1975, 5 % des salariés étaient rémunérés au SMIC, ils sont en 2004, 14 %. Pire encore : en 2002, 17 % des salariés gagnaient 950 euros par mois, somme inférieure au SMIC... ce qui n'a rien d'étonnant dans un pays de bas salaires comme la France, où le pouvoir d'achat connaît une baisse continue.
Le montant moyen d'une pension de retraite est de 848 euros pour une femme. Et faut-il le rappeler, vous avez refusé de porter l'allocation adulte handicapé au niveau du SMIC. Le RMI pour une personne isolée était au 1er janvier de 425,40 euros et pour un couple de 638,10 euros. Il n'est donc pas étonnant face à d'aussi précaires conditions et moyens d'existence, que le surendettement ait explosé en France, et progressé de 22 % depuis 2002.
Chaque mois, beaucoup sont placés devant le choix cornélien de payer leur loyer, dont le prix à encore augmenté de 5 % en 2004, ou leur électricité, leur gaz, leur nourriture, les études de leurs enfants ou les dépenses de santé parmi les premières sacrifiées. Entre 1998 et 2004 d'après l'Insee, la part consacrée par les ménages au loyer a augmenté de 12,3 % ; à l'eau, de 14,1 % ; au gaz, de 18,6 % ; au médecin, de 15,4 %.
Par contre la presse révèle l'opulence des dirigeants d'entreprises. Jean-René Fourtou, Pdg de Vivendi Universal, le roi des stocks options, bénéficie d'un modeste salaire annuel de 2,2 millions d'euros, plus un million de titres en 2002 et un autre en 2003 dégageant une plus-value 2004 estimée à 20 millions d'euros. Bernard Charlès, Directeur général de Dassault Systèmes, gagne lui plus de 21 millions d'euros par an ! De quoi voir venir...
Prenez le logement. Jamais depuis la guerre on a connu une telle crise : 6 millions de mal-logés en France dont 3 millions confrontés à l'insalubrité, au surpeuplement et à la promiscuité ou privés de domicile personnel, sans oublier 86 500 SDF. C'est dire s'il y a urgence à changer de politique et changer la loi, pour permettre à chacune et chacun d'avoir une vraie vie. D'autant que les moyens existent.
La France est riche. Mais cette richesse est concentrée dans les mains de quelques uns et c'est tout le problème ! Les entreprises du CAC 40 ont distribué l'an dernier 17 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires dont la moitié sont des fonds de pension étrangers. Total vient de pulvériser son propre record, celui du plus gros bénéfice de France, avec 9 milliards d'euros. Dans le même temps la productivité du travail a augmenté en France de 1,8 %, et les salaires n'ont fait que stagner.
Devant une telle confiscation des richesses au profit de l'actionnariat boursier, on comprend que la colère gronde et que le mouvement social qui prend de la puissance, vous contraigne à des reculs.
Le mouvement syndical est aujourd'hui engagé dans l'action unitaire pour la relance de l'emploi, l'augmentation des salaires, le recul des inégalités. C'est dans cette perspective de lutte contre vos choix et ceux du MEDEF, contre leurs conséquences désastreuses sur la vie de nos concitoyens, que nous inscrivons cette proposition de loi.
Votre politique de rigueur fait grandir l'exigence de justice sociale, la revendication d'une revalorisation générale des pouvoirs d'achat. Revalorisation du SMIC (à 1 400 euros par mois pour 35 heures hebdomadaire), et de l'ensemble des salaires, condition d'une croissance durable créatrice d'activités et d'emplois.
Les Français ne sont pas dupes des choix économiques que vous opérez. Il y a longtemps qu'ils n'adhèrent plus aux vieilles lunes des "profits d'aujourd'hui qui feront les emplois de demain", pas plus qu'ils n'adhèrent à l'idée que l'inscription d'une Charte des droits fondamentaux au cur d'un projet ultralibéral de constitution européenne, puisse répondre à l'exclusion et aux reculs sociaux !
Nos concitoyens qui ont fait les comptes des promesses de Maastricht, perçoivent progressivement mieux l'impasse sociale dans laquelle elle menace de les conduire, dans une Europe qui a versé 199 milliards d'euros de dividendes aux actionnariats boursiers, mais qui compte 65 millions de pauvres et refuse aux associations caritatives la réouverture au-delà de 2005, des frigos européens de stocks alimentaires.
Notre proposition de loi se situe résolument à l'opposé de ces démarches. Elle tend d'abord à dépasser les limites de la loi de juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, en prévoyant une exception à la compétence du juge lorsqu'une expulsion locative est poursuivie exclusivement pour défaut de paiement du loyer et des charges.
Nous proposons que dans ce cas de figure, le bailleur du logement ait l'obligation de saisir une commission départementale chargée de statuer sur ces dossiers, et sur la solvabilité du débiteur.
Quant aux coupures d'électricité ou de gaz, elles se multiplient honteusement. Par ces froides semaines d'hiver, il est inadmissible de laisser de pauvres gens sans lumière, sans chauffage... et c'est pourtant légion. 700 000 foyers coupés pour "impayés" en France. Dans ma région Nord Pas de Calais pour l'agence EDF de Douai : 4 000 coupures partielles d'électricité ont eu lieu en 2004. Pourtant à deux pas de l'autre côté de la frontière en Belgique, des patrons français installent leur résidence principale à quelques kilomètres de Lille, pour échapper à la fiscalité de notre pays, notamment l'ISF et les droits de succession. Certains n'y habitent même pas et disposent de systèmes informatique sophistiqués qui font facticement couler l'eau chaque jour, allument les lumières, lèvent les volets pour justifier de factures de consommation en cas de contrôles.
C'est la triche des riches au vu et au su de tous. Ceux qui vivent dans l'opulence ne manquent pas d'insolence. Et pourtant votre Gouvernement affiche pour ces pratiques une belle tolérance, alors que vous mettez au Tribunal les maires, ils sont nombreux dans le pays, qui prennent des arrêtés interdisant les coupures d'électricité. Je suis de ceux-là, poursuivi en Justice par l'Etat et EDF en cours de privatisation. Tout un symbole.
Rassurez-vous cependant : nous ne renoncerons pas à prendre des arrêtés. Vous les dites illégaux, nous les proclamons légitimes au nom du respect de la dignité et de la solidarité humaine.
En ce qui concerne l'énergie en effet, nous considérons que l'électricité et le gaz sont des produits de première nécessité, indispensables à la garantie des droits fondamentaux de la personne. Il faut donc que les services publics de l'énergie concourent à la cohésion sociale, en permettant la distribution universelle de ces biens. L'Etat doit faire respecter les principes constitutionnels qui établissent ces droits, en garantissant l'accès de chacun à ces services publics.
Voilà pourquoi nous proposons que le fournisseur soit tenu de saisir à compter de deux mois, la commission départementale de solidarité. Mais il faut aussi que sa responsabilité pénale soit engagée s'il décide de couper l'énergie fournie. Enfin nous proposons l'extension à toutes les personnes non assujetties à l'impôt sur le revenu, de la tarification sociale en matière d'électricité. Et nous formulons des exigences du même ordre pour le gaz et l'eau. L'eau est indispensable à la vie, on n'a pas le droit d'en priver les familles.
Les Françaises et les Français expriment le droit de vivre dans la dignité, le droit de vivre tout simplement. C'est aussi pourquoi l'octroi d'un " reste à vivre " devrait intégrer la notion de personnes à charge. Sur ce point, l'ensemble des dispositions que nous proposons contribuerait à gommer les différences qui existent d'une commission de surendettement à une autre, dans la détermination de ce revenu.
Telles sont chers Collègues, l'esprit et la lettre de la proposition de loi pour le droit à vivre dans la dignité, que les députés communistes et républicains soumettent au débat. Proposition porteuse d'une volonté de véritable cohésion sociale au lieu de celle démagogiquement affichée dans les lois que vous mettez en œuvre. Et proposition de loi qui s'inscrit en soutien des attentes prioritaires de nos concitoyens que frappe la soumission de l'économie et de la société françaises aux lois du marché et à la recherche exclusive du profit. Je vous remercie de votre contribution à son enrichissement et à son adoption.
(Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 29 mars 2005