Tribune de M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, dans "Le Monde" le 4 mars 2005, sur la Constitution européenne, intitulée "Europe : la bonne réponse, c'est oui".

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Média : Emission la politique de la France dans le monde - Le Monde

Texte intégral

Le débat européen retrouve sa dimension historique, celle de ses débuts où la paix en Europe semblait si fragile. Progressivement, nous nous sommes habitués à la paix, au point d'être si peu révoltés par les guerres à nos portes. Dans l'Union, l'administration s'est insidieusement substituée à l'ambition... jusqu'au moment où l'élargissement de l'Europe nous rend enfin le goût de l'histoire. Avec notre nouvelle géographie, une nouvelle organisation s'imposait. Une Constitution pour une histoire nouvelle.
Un vote d'urgence
Le monde est de plus en plus dangereux. Les déséquilibres économiques et sociaux multiplient les conflits politiques et aggravent les menaces terroristes. Le monde a besoin de l'Europe parce qu'elle est le rempart contre le choc des civilisations. Les idées et les valeurs de l'Europe sont nécessaires au renforcement de l'ONU pour plus de droit, à la réforme de l'OMC pour plus de justice, à la création d'une organisation mondiale de l'environnement pour une plus grande conscience de la fragilité de la planète... Avec un ministre des affaires étrangères de l'Europe, la voix de notre continent sera plus forte. L'urgence est là.
Un vote politique
La Constitution européenne permet à la démocratie politique de retrouver et d'affirmer sa suprématie sur l'organisation administrative. Le Conseil européen, réunion des Chefs d'État et de Gouvernement, sera doté d'un Président à plein temps, élu, pouvant rester cinq ans en fonction. Le Président de la Commission sera élu et responsable devant le Parlement européen dont les pouvoirs seront renforcés. Chaque Parlement national contrôlera le bon exercice des responsabilités entre le niveau européen et l'échelon national. La plupart des décisions devront rassembler une majorité d'États (55%) et une forte majorité de la population (65%). Enfin, un droit d'initiative législative par pétition, un million de signatures, est reconnu aux citoyens.
Un vote social
L'emploi et le progrès social sont constitutionnellement affirmés comme des objectifs de l'Union européenne. Dix articles spécifiques concernent directement la politique sociale de l'Europe, sans compter ceux qui sont relatifs à l'emploi ou à la cohésion sociale. La Constitution nous engage pour le respect des minorités, la parfaite égalité entre femmes et hommes, la lutte contre l'exclusion, la protection de la santé, un niveau élevé d'éducation, la préservation de l'environnement... L'économie sociale de marché reconnaît le dialogue social en constitutionnalisant les concepts de partenaires sociaux et de sommet social tripartite : elle consacre la spécificité des services publics " à la française ". Sur le plan sociétal, la Constitution renforce également l'espace de liberté, de sécurité et de justice, notamment en offrant des capacités nouvelles à " Eurojust ".
Un vote économique
Que deviendraient l'agriculture française ou la pêche française sans les soutiens européens ? Comment réussirions-nous à imposer l'usage des biocarburants sans la puissance européenne ? L'Europe est exigeante, mais son concours est indispensable aux agriculteurs français comme pour la ruralité. Nos grands projets tels que la réussite de l'Airbus A380 ou l'implantation à Cadarache d'ITER, centre de production de l'énergie post nucléaire, l'énergie des étoiles, l'énergie du XXIème siècle, sont devenus des projets européens. Jusqu'ici, nos différentes politiques économiques n'étaient pas toujours bien coordonnées. Maintenant, grâce à l'instauration d'une présidence stable à l'Eurogroupe, les ministres des finances pourront insuffler une nouvelle dynamique dans la zone Euro. Ensemble, nous pourrons faire de l'Europe un territoire économiquement plus attractif, ce qui est une réponse offensive, la meilleure réponse aux délocalisations. L'emploi en France a besoin de l'Europe.
Un vote culturel
La dimension culturelle européenne sera renforcée par la consécration de la diversité culturelle et linguistique dans les objectifs de l'Union, mais aussi par le passage à la majorité qualifiée pour l'adoption de mesures instituant de grands programmes européens. C'est à la demande du Président CHIRAC qu'a été préservée l'exception culturelle dans la conduite de la politique commerciale commune. " La problématisation généralisée nous invite à recommencer l'aventure européenne, mais avec une ouverture nouvelle sur le monde " : Edgar MORIN invite ainsi les intellectuels européens à sortir du " cataclysme idéologique " qui restera comme une cicatrice du XXème siècle. Avec les éclaireurs de la culture, les " Aüfklarer ", faisons lever le nouvel esprit européen.
Mon vote européen est un vote de forte conviction. Il est étranger à tout détournement partisan et à toute manoeuvre tacticienne. Le traité constitutionnel ne pose pas la question du candidat de l'opposition à l'élection présidentielle de 2007, il ne décide pas non plus de l'adhésion de la Turquie sur laquelle le peuple de France aura le dernier mot par référendum, comme le Parlement vient de le décider ce lundi.
Au moment où l'UMP s'engage, ce dimanche, dans la campagne référendaire, je demande aux Ministres se d'engager en simples citoyens pour répondre aux questions de nos compatriotes et de présenter avec cur le projet européen de la France.
Le débat sur l'avenir de l'Europe n'est la propriété de personne. Il dépasse les clivages politiques, sans toutefois les effacer. Il concerne d'abord les générations futures.
Face aux défis de l'avenir, militant européen depuis toujours, je m'engage. Pour moi, la bonne réponse : c'est le OUI à l'Europe.
(Source http://www.premier-ministre.gouv.fr, le 7 mars 2005)