Texte intégral
Messieurs les Sénateurs,
Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
Chers Amis,
Cher père Francesco,
Je suis très heureux de vous accueillir rue Monsieur pour pouvoir m'entretenir avec vous d'une question qui me tient particulièrement à cœur, mais sur laquelle j'ai peu eu l'occasion de m'exprimer jusqu'à présent. En effet, depuis plus d'une douzaine d'années, le ministère de la Coopération a été plus préoccupé par l'action que par la communication sur le commerce équitable ; préférant appuyer, et dans certains cas, aider à la communication des acteurs associatifs - c'est-à-dire, vous ici présents ! - qui portent le commerce équitable.
La quinzaine du commerce équitable est un bon exemple de cette politique d'appui que j'ai souhaité favoriser. Depuis cinq ans, la quinzaine est en effet un événement attendu, non seulement par ses acteurs et ses fidèles, mais aussi, de plus en plus, par les consommateurs et le grand public.
Cet événement a d'ailleurs permis de valoriser et de diffuser largement l'image du commerce équitable en France. Comme le prouvent les sondages effectués chaque année, la notoriété du commerce équitable est ainsi passée de 9% en 2000 à 56% en 2004, et continue de croître. Aujourd'hui, un Français sur trois déclare même avoir consommé "équitable" !
Le commerce équitable est donc en voie de devenir une valeur de plus en plus partagée, voire un nouveau comportement de consommation des Français, à l'instar des habitudes responsables qui ont su s'imposer chez nos voisins d'Europe septentrionale qui doivent nous servir de modèle - comme l'Angleterre ou encore l'Allemagne dont je salue ici les représentants.
Les débats actuels sur la création d'une norme française sur le commerce équitable sont l'un des signes du progrès hexagonal, tout comme la croissance régulière des parts de marché et la variété, de plus en plus large, des produits équitables désormais disponibles. Vous en avez devant vous quelques échantillons !
Mais si la France et les pays développés sont une partie très importante de l'équation, il ne faut pas oublier que le commerce équitable est avant tout une histoire qui concerne le développement - pérenne et auto-géré - des pays du Sud.
Car la démarche que vous portez tous ici illustre l'essence même du développement durable. En favorisant une rémunération plus juste des petits producteurs, elle a pour but de corriger les injustices souvent criantes du modèle économique mondialisé, qui ne se soucie guère de la redistribution des bénéfices des plus petits acteurs que sont souvent les producteurs de matière première. Or ce déséquilibre flagrant entre petits producteurs et grands distributeurs est souvent dramatique : il ne permet pas d'assurer un revenu suffisant aux producteurs du Sud, qui vivent bien souvent en dessous du seuil de pauvreté.
La démarche éthique que propose le commerce équitable vise précisément à corriger ce travers. Il remet l'accent sur le fondement même de tout système économique, à savoir la satisfaction des besoins essentiels de la très grande majorité des humains et non plus celle d'une seule minorité.
Les résultats de cette démarche de développement sont d'ailleurs indiscutables : le prix plus juste qui est fourni aux petits producteurs a généré, en 2004, 63 millions d'euros de gains supplémentaires, par rapport au prix du marché qui leur aurait été attribué dans une filière classique. De plus - et vous comprendrez là tout l'attachement que je porte au commerce équitable en tant que ministre du développement - cette prime est à la base de nombreuses réalisations communautaires. On ne compte plus les écoles, les dispensaires, les puits, qui ont été les dividendes très concrets du commerce équitable.
Cette prime, gérée collectivement et de manière transparente dans le cadre de coopératives de producteurs est une condition fondamentale de l'attribution du label équitable. Or, à travers elle, c'est non seulement le développement - de l'éducation, des infrastructures, de la santé - qui est atteint, mais aussi la bonne gouvernance locale qui s'impose.
Mais les bénéfices du commerce équitable ne s'arrêtent pas là : une meilleure redistribution des bénéfices permet aussi de contenir, voire d'éliminer certains des maux qui troublent aujourd'hui notre monde, en premier lieu la pauvreté et, à travers elle, le terrorisme qui en est bien souvent le corollaire. Le commerce équitable s'inscrit donc pleinement dans la perspective du développement durable que tout le monde appelle de ses vœux, puisqu'il a le mérite d'intégrer dans sa démarche les aspects économiques, politiques, sociaux et de plus en plus, ses aspects environnementaux.
C'est pour toutes ces raisons, qu'à l'heure où le commerce équitable est l'objet de nombreuses manifestations et opérations de communication, j'ai tenu à rappeler que le ministère des Affaires étrangères est engagé depuis plusieurs années dans des actions de soutien aux acteurs du commerce équitable. A la fin de l'année prochaine, plus de 7 millions d'euros auront été affectés par le ministère des Affaires étrangères à la promotion et au développement du commerce équitable depuis le début de notre engagement à vos côtés, en 1993. La corrélation entre l'augmentation des fonds publics et la croissance de la notoriété du commerce équitable ne vous aura sans doute pas échappé !
Si notre engagement correspond pleinement à nos objectifs en matière de développement des pays du Sud, il a aussi pour but de permettre à un plus grand nombre de nos pays partenaires, notamment en Afrique sub-saharienne, de bénéficier, pour leurs producteurs et leurs transformateurs, des retombées du commerce équitable.
L'Afrique, nous le savons tous, connaît aujourd'hui, de très lourds handicaps qui entravent son développement. C'est pourquoi les réponses apportées par le commerce équitable peuvent lui être d'un grand secours. L'exemple récent du lancement de la filière coton équitable impliquant quatre pays d'Afrique de l'Ouest et du Centre - le Burkina Faso, le Cameroun, le Mali et le Sénégal - laisse espérer des retombées très positives pour les groupements de producteurs de ces pays.
Notre engagement à vos côtés nous permet aussi de travailler plus, et mieux, avec les acteurs non gouvernementaux. Lors du colloque sur le commerce équitable qui vient de se tenir à Paris, Mme Susan George, vice-présidente du mouvement Attac, a proposé de réaliser "une coalition entre les pouvoirs publics et les ONG impliquées dans la démarche" du commerce équitable.
Cette "coalition" existe déjà. À travers huit projets, portés par cinq acteurs associatifs et financés sur le fonds de solidarité prioritaire du ministère, elle est même parfaitement opérationnelle. Elle se retrouve également dans le cadre de l'initiative de type II "commerce équitable" qui a été portée par le gouvernement français lors du Sommet mondial sur le développement durable de Johannesburg en 2002.
Mais bien d'autres coopérations existent entre les services de mon ministère et des ONG de développement, notamment dans le domaine du tourisme équitable. C'est là une thématique qui vient compléter "l'offre" proposée par les différentes filières de commerce équitable, qu'il s'agisse des produits de base, des produits transformés ou, demain, des services.
L'association entre le commerce équitable de produits agricoles ou artisanaux et la création de produits touristiques au sein des plantations ou des coopératives de producteurs contribuera à diversifier les activités locales et à rendre encore plus autonomes les populations concernées. S'ajoute à cela la satisfaction du consommateur qui pourra enfin se rendre compte de visu de l'impact de ses achats "équitables" !
Mesdames et Messieurs, grâce à la diversité de ses acteurs et de ses domaines d'application, le commerce équitable est désormais devenu un réel outil au service du développement des pays du Sud. Mais le pluralisme des acteurs et des approches ne doit pas masquer le défi majeur qui nous attend : celui qui consiste à veiller à ce que le changement d'échelle du commerce équitable se fasse sans trahir son objectif premier, la réduction de la pauvreté dans les pays du Sud par le biais de l'instauration de règles commerciales plus justes.
Avant de vous laisser déjeuner "équitablement", je tiens à rendre hommage à l'un des fondateurs de ce mouvement, le père Francesco Van der Hoff, qui nous fait l'honneur d'être parmi nous aujourd'hui.
Co-fondateur du label Max Havelaar, vous avez su mettre en application, de façon très concrète, le célèbre slogan "trade not aid". Votre engagement en faveur des petits producteurs de café a permis au commerce équitable de trouver des débouchés commerciaux et d'élargir ainsi sa base militante des débuts, à une époque où l'on parlait de "commerce alternatif". Je sais que vous avez déclaré dans une récente interview que vous "haïssiez la charité". J'espère avoir su vous convaincre que nous partageons la même vision du développement : celle d'un développement pérenne, pour, mais surtout par le Sud.
Je vous remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 mai 2005)