Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,
Il me semble nécessaire à la suite de ces interventions nombreuses et riches de repréciser quelque peu les termes de notre débat. Le projet de loi du Gouvernement s'intitule " PROJET DE LOI SUR LES NOUVELLES REGULATIONS ECONOMIQUES ". Certains d'entre vous ont parlé de titre trompeur, M. Gantier, nous en assumons pourtant tous les termes !
La régulation tout d'abord : elle a pour fonction d'assurer le fonctionnement correct d'un système complexe. C'est la définition qu'en donne la biologie, c'est le sens que l'on peut retenir en économie : un mode de contrôle qui permet le maintien d'un système chaque fois que sa stabilité est menacée. La régulation, c'est ce que le libéralisme économique a inventé - mais qu'il se garde bien d'instituer - pour corriger ses imperfections, ses manquements, ses abus. Ce n'est donc pas un hasard si le terme de " régulation " renvoie directement à une longue tradition de la Gauche démocrate américaine (Roosevelt) ou de la Gauche progressiste anglo-saxonne (Wilson).
C'est une nouvelle voie qui procède d'une conviction forte : en l'inscrivant au cur de son action, le gouvernement récuse l'idée selon laquelle l'économie, les échanges, la finance, n'ont aucun lien avec l'histoire et la société, aucun destin commun avec la vie intellectuelle et les mouvements sociaux, aucune interdépendance avec les hommes et leurs institutions. Penser cela reviendrait précisément à mépriser le commerce et l'industrie, à décourager le désir d'innovation et la capacité d'inventer, à ignorer la nécessité de créer des richesses et en fin de compte à compromettre leur partage. Tout le contraire de ce que nous voulons. Tout le contraire de ce que nous faisons. Nous sommes bien loin de ce que vous qualifiez de "socialisme honteux", M. Goulard.
Même si elle ne veut surtout pas que l'Etat administre l'économie, et qu'elle l'a prouvé en ne cessant de la moderniser et de l'affranchir des tutelles, des carcans du passé, la majorité ne croit pas davantage que le marché, indispensable pour qu'une offre et une demande fassent apparaître un prix, une activité, un emploi, puisse se passer de la morale, de la justice, du droit. L'impératif marchand n'est pas un impératif catégorique. Stimulante et pour cela nécessaire, la compétition ne doit pas se traduire par la seule application de la loi du plus fort. Certes, pas non plus par une loi d'exception pour ceux qui entreprennent, qui créent, qui commercent si ce n'est pour les soutenir, les aider, les accompagner. Mais pas non plus d'impunité à l'illégalité ou d'oubli du droit. Il en va de l'intérêt de tous : des chefs d'entreprise comme des salariés, des consommateurs comme des entrepreneurs.
II - certains d'entre-vous ont évoqué le contenu du texte.
Dans les critiques qui sont faites sur les bancs de l'opposition, il y a une certaine contradiction à dénoncer pour les uns, un texte " fourre-tout ", M. Auberger, pour les autres, " un texte vide ", M. Carrez. Il faut choisir
1 - C'est un texte de transparence
Il fait entrer notre économie dans l'ère de la transparence. Mais peut-être que la lutte contre le blanchiment des capitaux vous semble une atteinte intolérable à la liberté d'entreprendre et de commercer ? Je crois pour ma part que la transparence, notamment vis à vis des salariés et des actionnaires minoritaires d'une entreprise, est une des conditions de la performance. On parle souvent, dans les pays anglo-saxons que vous chérissez tant, de corporate governance : vous ne pouvez pas condamner de ce côté-ci de la Manche et de l'Atlantique ce que vous adorez au-delà !
2 - C'est un texte d'équilibre
Il renouvelle le jeu, aujourd'hui trop inégal, entre sociétés géantes et PME, producteurs et distributeurs, actionnaires et salariés, minoritaires et majoritaires, entreprises et consommateurs. Je remercie M. Charrier d'avoir relevé quelle évolution ce texte marquait au regard des pratiques antérieures dans le domaine des rapports entre producteur et consommateurs.
3 - C'est un texte qui propose une mondialisation humanisée.
La régulation, c'est la voie d'une mondialisation humanisée, d'une économie qui ne perd pas en efficacité ce qu'elle gagne en normes. C'est la voie que suit le Gouvernement en proposant cette loi à la représentation nationale. Accepter la mondialisation ne signifie pas renoncer à changer le monde, à se satisfaire de l'ordre des choses. J'ai dit tout à l'heure : " Il y a le fait de la mondialisation et il y a les effets de la mondialisation ".
- Le Gouvernement, la majorité, le Parlement ne peuvent rien changer au fait que, par exemple, deux secondes suffisent aujourd'hui à transférer des capitaux par milliards de Paris à Shanghaï quand hier il fallait deux mois.
- A l'inverse, il incombe au Gouvernement, à la majorité et au Parlement de lutter contre les dangers d'une économie globale qui passerait par profits et pertes le partage de la croissance et des richesses technologiques, le principe de diversité culturelle, la recherche d'un progrès maîtrisé - je pense aux récentes crises sanitaires et écologiques auxquelles le pays a été confronté. Il incombe également au Gouvernement, comme l'a souligné G. Fuchs et J. Rigal, de lutter contre la mondialisation du crime organisé.
- Il n'y a pas non plus d'oubli de l'Europe. Ce texte n'ignore nullement notre agenda européen. Il est gouverné par trois considérations :
- * renforcer le rôle des autorités de régulation des marchés. Nous plaidons auprès de nos collègues européens pour une plus grande homogénéité des règles applicables dans les différentes places au profit de l'épargnant.
* lutter plus efficacement contre les centres off shore. Un projet de directive est en cours de discussion, d'autres travaux se déroulent notamment au sein du GAFI. Ce projet de loi s'inscrit dans cette logique.
* faire converger les pratiques en matière de délais de paiement. C'est la France qui a posé le débat devant les 15 et qui a fait de l'édiction d'une directive communautaire sur ce thème une priorité [citer MLL si elle est là].
4 - C'est un texte volontariste, de conformité avec nos convictions sur la place de l'Etat
L'orientation est claire. Vous nous dites M. Gaillard "arrêtez de légiférer". Face à la logique des marchés nous avons une autre conviction : il y a une place pour l'Etat régulateur et il s'agit par ce texte de la renforcer. L'Etat doit être un arbitre et un garant. L'Etat régulateur établit les règles du jeu, restaure les équilibres pour que chacun des acteurs de l'économie - entreprises géantes et PME ; producteurs et distributeurs, actionnaires et salariés, entreprises et consommateurs - voit reconnue à sa juste valeur sa contribution à la croissance, j'allais dire en tire profit, non dans une logique d'affrontement, mais à travers une relation partenariale et transparente. Il est aussi le seul qui puisse faire prendre en compte le temps long, celui des projets et des jours, celui des considérations d'intérêt général auxquelles le marché ne répond pas spontanément, car ce n'est pas sa fonction.
5 - C'est enfin un texte de démocratie
Il propose une véritable démocratie au sein de l'entreprise, à laquelle M. Cuvilliez vous êtes attaché. Il donne également à la représentation nationale l'occasion de se prononcer sur des sujets qui sinon auraient été réglés par décision d'autorités administratives indépendantes. Je songe, en particulier, à la question du dégroupage dont je dirais quelques mots avant de conclure.
6 - Retrait de l'amendement dégroupage
S'agissant précisément de ce sujet central pour l'avenir de la société de l'information en France qu'est le dégroupage, le Gouvernement a entendu les objections qui lui ont été faites. Certes, le dégroupage aurait pu relever d'un autre vecteur législatif plus en rapport avec les télécommunications ; certes sur un sujet aussi compliqué techniquement et économiquement, une concertation plus approfondie aurait sûrement été nécessaire, mais malheureusement, ni le Gouvernement ni le Secrétaire d'Etat à l'Industrie ne sont maîtres du calendrier que fixent les autorités chargées de la concurrence et de la régulation des télécommunications.
Mon objectif était, comme y faisait justement référence D. Baert, de placer le Gouvernement et le Parlement en situation de reprendre la main et de fixer le cadre dans lequel le dégroupage devrait intervenir, pour placer tous les opérateurs, dont France Télécom, dans une situation équitable au regard des investissements faits sur la boucle locale et sur les technologies XDSL. Il était aussi de placer l'innovation et l'investissement donc l'emploi au centre de nos préoccupations, comme m'y a invité M. Billard dans son intervention.
Innovation, car la France est en avance sur la technologie ADSL grâce à son industrie (SAGEM, MATRA, ALCATEL entre autres) qui en maîtrise la technologie et grâce aux équipes de France Télécom qui la mettent en uvre avec professionnalisme. Investissement, car le dégroupage, s'il est bien conçu, est la solution technique qui permet tout à la fois l'arrivée d'une concurrence maîtrisée et force cette concurrence à investir également dans cette technologie.
Le Gouvernement était également prêt à évoquer certains sous-amendements destinés à rééquilibrer la procédure d'homologation des tarifs de France Télécom et à favoriser l'accès de tous à Internet, notamment des plus démunis de nos concitoyens.
Cela est paradoxal : en retirant l'amendement du Gouvernement sur le dégroupage, comme il me l'est demandé par certains groupes de la majorité, j'ai le sentiment -empreint de réalisme- d'ouvrir encore un peu plus grande une porte que beaucoup d'entre vous ne voulaient qu'entrebâiller ou, pour certains, refermer provisoirement.
La libre initiative appartient désormais à la Commission européenne, qui vient d'en délibérer aujourd'hui même, et aux autorités administratives indépendantes pour définir, à la place du Parlement et suivant une logique qui est propre à ces institutions, logique qui peut -et cela est bien normal- n'être pas exactement la nôtre ou la vôtre, un dégroupage tel que souhaité par les concurrents de France Télécom.
Je regrette donc que, collectivement, nous n'ayons pas pu ou pas voulu définir le cadre dans lequel le dégroupage devait intervenir.
Il ne s'agit que d'un renvoi de ce dossier à une autre discussion, que j'espère proche, et non d'un retrait qui signifierait le renoncement des représentants de la souveraineté nationale à définir le cadre dans lequel un service aussi essentiel que les Télécoms doit évoluer avec la technologie la plus avancée : avec le développement du haut débit pour Internet ce sont les capacités de la France à prendre dès 2000 le virage -déjà amorcé- de la société de l'information qui est en jeu. Le Gouvernement en est conscient et assumera ses responsabilités en ce sens le plus vite possible.
***
Conclusion : au total, je vois dans ce texte une grande cohérence. Il traite, dans un même esprit, trois domaines essentiels pour notre économie : le secteur financier ; la régulation de la concurrence ; enfin, la régulation du pouvoir au sein des entreprises, vers plus de démocratie économique. Il me semble au contraire qu'en touchant ces trois domaines " la loi embrasse large et étreint bien. ". Certes, il n'épuise pas le sujet et plusieurs d'entre vous ont relevé, notamment M. Baert, qu'il s'agissait d'une première étape bientôt complétée par le projet de loi sur l'épargne salariale ou encore la loi sur la société de l'information. Mais c'est bien un texte programme qui inscrit, pour la première fois avec cette solennité, la notion de régulation dans notre droit positif. La régulation a tout à perdre à être réduite à un simple mécanisme ou à la seule application du droit à la concurrence. Elle a tout à gagner - et notre économie avec elle - à définir des normes spécifiques à respecter dans certains secteurs jugés essentiels, sous la surveillance d'une autorité dédiée. La loi qui vous est présentée est technique, mais son inspiration est large et généreuse. La régulation est une passerelle qui rapproche l'individuel et le collectif, le public et le privé, l'étatique et le sociétal. Elle sera, demain, un trait d'union pour réconcilier l'ancienne et la nouvelle économie et les faire fusionner au service d'une croissance robuste, durable, équilibrée, du progrès solidaire et de l'emploi retrouvé. Nul doute qu'elle inspirera bientôt d'autres textes, en France et ailleurs.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 5 mai 2000)
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et messieurs les députés,
Il me semble nécessaire à la suite de ces interventions nombreuses et riches de repréciser quelque peu les termes de notre débat. Le projet de loi du Gouvernement s'intitule " PROJET DE LOI SUR LES NOUVELLES REGULATIONS ECONOMIQUES ". Certains d'entre vous ont parlé de titre trompeur, M. Gantier, nous en assumons pourtant tous les termes !
La régulation tout d'abord : elle a pour fonction d'assurer le fonctionnement correct d'un système complexe. C'est la définition qu'en donne la biologie, c'est le sens que l'on peut retenir en économie : un mode de contrôle qui permet le maintien d'un système chaque fois que sa stabilité est menacée. La régulation, c'est ce que le libéralisme économique a inventé - mais qu'il se garde bien d'instituer - pour corriger ses imperfections, ses manquements, ses abus. Ce n'est donc pas un hasard si le terme de " régulation " renvoie directement à une longue tradition de la Gauche démocrate américaine (Roosevelt) ou de la Gauche progressiste anglo-saxonne (Wilson).
C'est une nouvelle voie qui procède d'une conviction forte : en l'inscrivant au cur de son action, le gouvernement récuse l'idée selon laquelle l'économie, les échanges, la finance, n'ont aucun lien avec l'histoire et la société, aucun destin commun avec la vie intellectuelle et les mouvements sociaux, aucune interdépendance avec les hommes et leurs institutions. Penser cela reviendrait précisément à mépriser le commerce et l'industrie, à décourager le désir d'innovation et la capacité d'inventer, à ignorer la nécessité de créer des richesses et en fin de compte à compromettre leur partage. Tout le contraire de ce que nous voulons. Tout le contraire de ce que nous faisons. Nous sommes bien loin de ce que vous qualifiez de "socialisme honteux", M. Goulard.
Même si elle ne veut surtout pas que l'Etat administre l'économie, et qu'elle l'a prouvé en ne cessant de la moderniser et de l'affranchir des tutelles, des carcans du passé, la majorité ne croit pas davantage que le marché, indispensable pour qu'une offre et une demande fassent apparaître un prix, une activité, un emploi, puisse se passer de la morale, de la justice, du droit. L'impératif marchand n'est pas un impératif catégorique. Stimulante et pour cela nécessaire, la compétition ne doit pas se traduire par la seule application de la loi du plus fort. Certes, pas non plus par une loi d'exception pour ceux qui entreprennent, qui créent, qui commercent si ce n'est pour les soutenir, les aider, les accompagner. Mais pas non plus d'impunité à l'illégalité ou d'oubli du droit. Il en va de l'intérêt de tous : des chefs d'entreprise comme des salariés, des consommateurs comme des entrepreneurs.
II - certains d'entre-vous ont évoqué le contenu du texte.
Dans les critiques qui sont faites sur les bancs de l'opposition, il y a une certaine contradiction à dénoncer pour les uns, un texte " fourre-tout ", M. Auberger, pour les autres, " un texte vide ", M. Carrez. Il faut choisir
1 - C'est un texte de transparence
Il fait entrer notre économie dans l'ère de la transparence. Mais peut-être que la lutte contre le blanchiment des capitaux vous semble une atteinte intolérable à la liberté d'entreprendre et de commercer ? Je crois pour ma part que la transparence, notamment vis à vis des salariés et des actionnaires minoritaires d'une entreprise, est une des conditions de la performance. On parle souvent, dans les pays anglo-saxons que vous chérissez tant, de corporate governance : vous ne pouvez pas condamner de ce côté-ci de la Manche et de l'Atlantique ce que vous adorez au-delà !
2 - C'est un texte d'équilibre
Il renouvelle le jeu, aujourd'hui trop inégal, entre sociétés géantes et PME, producteurs et distributeurs, actionnaires et salariés, minoritaires et majoritaires, entreprises et consommateurs. Je remercie M. Charrier d'avoir relevé quelle évolution ce texte marquait au regard des pratiques antérieures dans le domaine des rapports entre producteur et consommateurs.
3 - C'est un texte qui propose une mondialisation humanisée.
La régulation, c'est la voie d'une mondialisation humanisée, d'une économie qui ne perd pas en efficacité ce qu'elle gagne en normes. C'est la voie que suit le Gouvernement en proposant cette loi à la représentation nationale. Accepter la mondialisation ne signifie pas renoncer à changer le monde, à se satisfaire de l'ordre des choses. J'ai dit tout à l'heure : " Il y a le fait de la mondialisation et il y a les effets de la mondialisation ".
- Le Gouvernement, la majorité, le Parlement ne peuvent rien changer au fait que, par exemple, deux secondes suffisent aujourd'hui à transférer des capitaux par milliards de Paris à Shanghaï quand hier il fallait deux mois.
- A l'inverse, il incombe au Gouvernement, à la majorité et au Parlement de lutter contre les dangers d'une économie globale qui passerait par profits et pertes le partage de la croissance et des richesses technologiques, le principe de diversité culturelle, la recherche d'un progrès maîtrisé - je pense aux récentes crises sanitaires et écologiques auxquelles le pays a été confronté. Il incombe également au Gouvernement, comme l'a souligné G. Fuchs et J. Rigal, de lutter contre la mondialisation du crime organisé.
- Il n'y a pas non plus d'oubli de l'Europe. Ce texte n'ignore nullement notre agenda européen. Il est gouverné par trois considérations :
- * renforcer le rôle des autorités de régulation des marchés. Nous plaidons auprès de nos collègues européens pour une plus grande homogénéité des règles applicables dans les différentes places au profit de l'épargnant.
* lutter plus efficacement contre les centres off shore. Un projet de directive est en cours de discussion, d'autres travaux se déroulent notamment au sein du GAFI. Ce projet de loi s'inscrit dans cette logique.
* faire converger les pratiques en matière de délais de paiement. C'est la France qui a posé le débat devant les 15 et qui a fait de l'édiction d'une directive communautaire sur ce thème une priorité [citer MLL si elle est là].
4 - C'est un texte volontariste, de conformité avec nos convictions sur la place de l'Etat
L'orientation est claire. Vous nous dites M. Gaillard "arrêtez de légiférer". Face à la logique des marchés nous avons une autre conviction : il y a une place pour l'Etat régulateur et il s'agit par ce texte de la renforcer. L'Etat doit être un arbitre et un garant. L'Etat régulateur établit les règles du jeu, restaure les équilibres pour que chacun des acteurs de l'économie - entreprises géantes et PME ; producteurs et distributeurs, actionnaires et salariés, entreprises et consommateurs - voit reconnue à sa juste valeur sa contribution à la croissance, j'allais dire en tire profit, non dans une logique d'affrontement, mais à travers une relation partenariale et transparente. Il est aussi le seul qui puisse faire prendre en compte le temps long, celui des projets et des jours, celui des considérations d'intérêt général auxquelles le marché ne répond pas spontanément, car ce n'est pas sa fonction.
5 - C'est enfin un texte de démocratie
Il propose une véritable démocratie au sein de l'entreprise, à laquelle M. Cuvilliez vous êtes attaché. Il donne également à la représentation nationale l'occasion de se prononcer sur des sujets qui sinon auraient été réglés par décision d'autorités administratives indépendantes. Je songe, en particulier, à la question du dégroupage dont je dirais quelques mots avant de conclure.
6 - Retrait de l'amendement dégroupage
S'agissant précisément de ce sujet central pour l'avenir de la société de l'information en France qu'est le dégroupage, le Gouvernement a entendu les objections qui lui ont été faites. Certes, le dégroupage aurait pu relever d'un autre vecteur législatif plus en rapport avec les télécommunications ; certes sur un sujet aussi compliqué techniquement et économiquement, une concertation plus approfondie aurait sûrement été nécessaire, mais malheureusement, ni le Gouvernement ni le Secrétaire d'Etat à l'Industrie ne sont maîtres du calendrier que fixent les autorités chargées de la concurrence et de la régulation des télécommunications.
Mon objectif était, comme y faisait justement référence D. Baert, de placer le Gouvernement et le Parlement en situation de reprendre la main et de fixer le cadre dans lequel le dégroupage devrait intervenir, pour placer tous les opérateurs, dont France Télécom, dans une situation équitable au regard des investissements faits sur la boucle locale et sur les technologies XDSL. Il était aussi de placer l'innovation et l'investissement donc l'emploi au centre de nos préoccupations, comme m'y a invité M. Billard dans son intervention.
Innovation, car la France est en avance sur la technologie ADSL grâce à son industrie (SAGEM, MATRA, ALCATEL entre autres) qui en maîtrise la technologie et grâce aux équipes de France Télécom qui la mettent en uvre avec professionnalisme. Investissement, car le dégroupage, s'il est bien conçu, est la solution technique qui permet tout à la fois l'arrivée d'une concurrence maîtrisée et force cette concurrence à investir également dans cette technologie.
Le Gouvernement était également prêt à évoquer certains sous-amendements destinés à rééquilibrer la procédure d'homologation des tarifs de France Télécom et à favoriser l'accès de tous à Internet, notamment des plus démunis de nos concitoyens.
Cela est paradoxal : en retirant l'amendement du Gouvernement sur le dégroupage, comme il me l'est demandé par certains groupes de la majorité, j'ai le sentiment -empreint de réalisme- d'ouvrir encore un peu plus grande une porte que beaucoup d'entre vous ne voulaient qu'entrebâiller ou, pour certains, refermer provisoirement.
La libre initiative appartient désormais à la Commission européenne, qui vient d'en délibérer aujourd'hui même, et aux autorités administratives indépendantes pour définir, à la place du Parlement et suivant une logique qui est propre à ces institutions, logique qui peut -et cela est bien normal- n'être pas exactement la nôtre ou la vôtre, un dégroupage tel que souhaité par les concurrents de France Télécom.
Je regrette donc que, collectivement, nous n'ayons pas pu ou pas voulu définir le cadre dans lequel le dégroupage devait intervenir.
Il ne s'agit que d'un renvoi de ce dossier à une autre discussion, que j'espère proche, et non d'un retrait qui signifierait le renoncement des représentants de la souveraineté nationale à définir le cadre dans lequel un service aussi essentiel que les Télécoms doit évoluer avec la technologie la plus avancée : avec le développement du haut débit pour Internet ce sont les capacités de la France à prendre dès 2000 le virage -déjà amorcé- de la société de l'information qui est en jeu. Le Gouvernement en est conscient et assumera ses responsabilités en ce sens le plus vite possible.
***
Conclusion : au total, je vois dans ce texte une grande cohérence. Il traite, dans un même esprit, trois domaines essentiels pour notre économie : le secteur financier ; la régulation de la concurrence ; enfin, la régulation du pouvoir au sein des entreprises, vers plus de démocratie économique. Il me semble au contraire qu'en touchant ces trois domaines " la loi embrasse large et étreint bien. ". Certes, il n'épuise pas le sujet et plusieurs d'entre vous ont relevé, notamment M. Baert, qu'il s'agissait d'une première étape bientôt complétée par le projet de loi sur l'épargne salariale ou encore la loi sur la société de l'information. Mais c'est bien un texte programme qui inscrit, pour la première fois avec cette solennité, la notion de régulation dans notre droit positif. La régulation a tout à perdre à être réduite à un simple mécanisme ou à la seule application du droit à la concurrence. Elle a tout à gagner - et notre économie avec elle - à définir des normes spécifiques à respecter dans certains secteurs jugés essentiels, sous la surveillance d'une autorité dédiée. La loi qui vous est présentée est technique, mais son inspiration est large et généreuse. La régulation est une passerelle qui rapproche l'individuel et le collectif, le public et le privé, l'étatique et le sociétal. Elle sera, demain, un trait d'union pour réconcilier l'ancienne et la nouvelle économie et les faire fusionner au service d'une croissance robuste, durable, équilibrée, du progrès solidaire et de l'emploi retrouvé. Nul doute qu'elle inspirera bientôt d'autres textes, en France et ailleurs.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 5 mai 2000)