Déclaration de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à Munich le 7, et interview à RFI le 8 février 2004, sur la réforme de l'OTAN, la participation de la France aux actions de l'OTAN et à la stabilisation de l'Afghanistan, la coopération militaire entre l'UE et l'OTAN et le recours aux "financements innovants" pour les équipements militaires.

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Circonstance : 40ème conférence internationale sur la sécurité à Munich (Wehrkunde) le 7 février 2004

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Déclaration à Munich le 7 février :
Mesdames et Messieurs,
Chers collègues, chers amis,
Cette rencontre est désormais non seulement une tradition, mais aussi un évènement européen transatlantique majeur dans le domaine de la sécurité.
Je tiens tout d'abord à féliciter nos hôtes allemands pour la qualité de l'organisation de cette conférence.
Je suis heureuse de cette occasion de m'exprimer aujourd'hui devant vous sur l'avenir de l'OTAN.
Cette question prend cette année une signification toute particulière, puisque 2004 verra l'élargissement de l'Alliance à sept nouveaux pays.
2004 sera aussi l'année de l'élargissement de l'Union européenne de 15 à 25 Etats membres.
Nous devons nous féliciter de ce double mouvement.
Il conforte l'importance de chacune de ces organisations, l'une et l'autre précieuses pour la sécurité et la stabilité mondiales.
Nous faisons aujourd'hui face à des risques et des crises multiples.
Ils appellent des réponses collectives et efficaces.
Ils rendent la réforme de l'OTAN incontournable.
Pour trouver les bonnes réponses collectives, le défi est double : sur le plan politique, il nous faut trouver un consensus sur la méthode à employer pour gérer ces crises ; sur le plan militaire, il nous faut réfléchir aux moyens nécessaires pour assurer plus de flexibilité et plus de réactivité.
Face aux besoins accrus de sécurité, nous devons utiliser efficacement les organisations existantes.
Chacune a ses atouts propres.
L'ONU a fait ses preuves.
Elle a amplement démontré dans les Balkans sa capacité à gérer les périodes difficiles de stabilisation et de reconstruction.
Elle demeure le gage principal de légitimité des relations internationales.
L'Union européenne a acquis un premier palier de capacités opérationnelles.
Elle a mené avec succès sa première opération militaire autonome en 2003 en République démocratique du Congo après s'être déployée en Macédoine avec le soutien de l'OTAN.
L'Alliance, enfin, est en plein processus de transformation pour mieux s'adapter aux nouveaux enjeux de sécurité, communs à l'Europe et à l'Amérique du Nord.
Il y a du travail pour tout le monde !
Je dirais même que nous souffrons plutôt d'une insuffisance de moyens.
Pour être réaliste et efficace, il nous faut tirer le meilleur parti des spécificités des structures existantes.
C'est dans ce cadre qu'il faut comprendre la nécessaire réforme de l'OTAN.
L'Alliance est une organisation en pleine évolution : elle élargit son horizon et rénove ses structures.
Avec l'élargissement, l'unité du continent européen est retrouvée.
La France se félicite du progrès que représente cette ouverture après une division d'un demi-siècle.
L'élargissement s'accompagne d'une rénovation des structures de l'OTAN et d'une réflexion sur ses moyens.
Parce que la nature des crises change, la mise en uvre de la NATO Response Force (NRF) nous dotera d'un outil léger et réactif.
Parallèlement à ces évolutions, le champ géographique des opérations militaires que l'Alliance est en mesure de conduire s'élargit.
En se déployant en Afghanistan, l'OTAN démontre qu'elle n'est plus confinée au cadre géographique européen.
Elle a désormais vocation à jouer un rôle en faveur des missions de sécurisation et de stabilisation, là où se présente la nécessité politique et militaire de les déployer.
L'évolution que connaît l'OTAN est une démarche que la France a toujours appelée de ses vux.
Elle entend donc y participer pleinement.
Notre engagement dans la transformation de l'OTAN est complémentaire et cohérent avec notre engagement dans la PESD.
La France entend être un élément moteur de l'OTAN rénovée.
Nous sommes le deuxième pays en Europe à soutenir un effort élevé de défense.
Nous voulons aujourd'hui, tout en conservant notre position spécifique, jouer un rôle moteur dans le processus d'adaptation de l'OTAN.
Nous serons un contributeur de premier plan dans la NRF, en apportant environ 25 % des forces terrestres dès le second tour d'alerte.
Nos engagements extérieurs témoignent d'ores et déjà de notre capacité à contribuer, auprès de nos partenaires, à la sécurité internationale.
La France déploie en permanence 10 à 15 000 militaires dans le cadre des opérations extérieures, auxquels s'ajoute un dispositif prépositionné de plus de 6 000 hommes.
Nous attendons de nos alliés qu'ils reconnaissent à la fois l'importance de notre contribution à l'Alliance et notre volonté de poursuivre la construction de l'Europe de la défense.
L'OTAN et la PESD se renforcent mutuellement.
Face à l'ampleur des besoins en matière de sécurité, nous devons définitivement mettre de côté l'idée d'une compétition entre l'OTAN et l'Union européenne.
Les tâches entre l'OTAN rénovée et une défense européenne approfondie se répartiront naturellement.
Il nous faudra choisir l'instance la plus appropriée selon plusieurs facteurs :
- les moyens requis,
- la disponibilité de ceux-ci,
- les Etats volontaires,
- leurs liens historiques avec telle ou telle région du monde.
La stratégie de sécurité commune adoptée par les Etats membres de l'Union européenne est cohérente avec la stratégie de l'OTAN.
L'approfondissement de la PESD témoigne de la détermination des Européens à agir ensemble.
Elle les conduit à combler leurs lacunes militaires : l'OTAN a tout à gagner de cette détermination.
Les nations les plus motrices dans la PESD sont d'ailleurs les mêmes que celles qui sont les plus actives au sein de l'OTAN.
Les capacités de l'OTAN et de l'UE se développent aujourd'hui de façon cohérente et complémentaire.
Le plan d'action capacitaire de l'UE adopté en décembre 2001 a créé une dynamique pour combler les manques identifiés après Helsinki en 1999.
L'initiative de développement des capacités de l'Alliance, lancée à Prague en 2002, répond à un besoin semblable.
Les groupes PCC et ECAP qui ont découlé des ces démarches parallèles s'ajustent pour travailler de façon complémentaire.
Les premiers portent en priorité sur la déployabilité, l'interopérabilité et le soutien logistique.
Les seconds visent à combler les lacunes identifiées dans le cadre de l'objectif commun décidé à Quinze.
L'adoption par l'UE en 2004 d'un nouvel objectif global, à horizon 2010, et dans un cadre à 25, placera l'accent sur l'interopérabilité entre les Européens.
L'expérience sur le terrain a en effet montré qu'il existait un déficit dans ce domaine.
Sur le plan industriel, les programmes d'armement européens témoignent d'un renouveau de la coopération.
Les Européens veulent s'équiper des technologies de pointe.
L'organisation d'entraînements conjoints renforcera également les capacités opérationnelles de l'Alliance et de l'UE : ils favorisent le climat de confiance entre militaires et l'aptitude à travailler ensemble.
Le premier exercice commun à l'Union européenne et à l'OTAN s'est tenu en 2003 et a permis d'affiner le mode d'application des accords de " Berlin plus ".
Nous sommes aujourd'hui convaincus que la sécurité en Europe et dans le monde repose sur l'avancée parallèle de l'OTAN et de l'Union européenne.
Nous nous félicitons de l'élargissement de l'OTAN, comme de celui de l'Union européenne : c'est une chance pour la stabilité et la paix.
Nous avons toujours prôné une évolution de l'Alliance atlantique vers plus de flexibilité, aussi bien au niveau de ses structures que de ses moyens.
Cette démarche se concrétise aujourd'hui.
Nous poursuivrons avec détermination la construction de l'Europe de la défense, car elle est parfaitement compatible avec notre implication au sein de l'Alliance.
Pour l'assurance de leur sécurité, les Européens n'auront pas, à l'avenir, à faire un choix entre l'OTAN et l'Union européenne.
Ces deux organisations, qui se renforcent mutuellement, sont appelées à agir en toute complémentarité, pour la paix en Europe et dans le monde.
Je vous remercie.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 11 février 2004)
Interview à RFI le 8 février :
RFI : La 40ème conférence internationale sur la sécurité se termine à Munich en Allemagne. Invitée de R.F.I, de retour de Munich, Michèle Alliot-Marie, ministre de la Défense. Bonjour.
Michèle Alliot-Marie : Bonjour.
RFI : Nous avons parlé hier sur cette antenne du souhait des Etats-Unis, transmis par Donald Rumsfeld à Munich, que les membres de l'Otan s'impliquent davantage en Irak, l'Allemagne disant de son côté que si elle ne voulait pas être source de divisions, elle ne souhaitait pas envoyer de troupes sur place. C'est également le point de vue français, Michèle Alliot-Marie ?
Michèle Alliot-Marie : En ce qui concerne l'Afghanistan, nous sommes présents. Les Allemands aussi d'ailleurs puisqu'ils assument aujourd'hui le commandement de la FIAS avec le soutien de l'Otan. Il est donc faux de dire que la France ou l'Allemagne ne sont pas en Afghanistan. En revanche, ce qui est vrai, c'est qu'aujourd'hui, l'Afghanistan est un pays qui présente encore un certain nombre de difficultés. Nous le voyons, tous les jours des attentats ont lieu ou des menaces d'attentat sont déjouées. Cela nous oblige donc à maintenir le dispositif tel qu'il est sur Kaboul. Si, comme le souhaitent les Américains, d'autres opérations doivent se faire, il faut qu'elles se fassent avec davantage de participations d'un certain nombre d'autres pays. La grande difficulté en la matière, c'est que les pays sont toujours d'accord sur le principe de développer des actions, mais il y en a bien peu qui sont prêts à mettre des troupes supplémentaires.
RFI : Alors ça, c'est donc pour l'Afghanistan. En ce qui concerne l'Irak, il n'y a pas le moindre changement dans la position française ? On n'y va pas ?
Michèle Alliot-Marie : En France, nous disons une chose très nette et je l'avais d'ailleurs déjà indiqué il y a une quinzaine de jours aux Américains à Washington. Nous considérons qu'un échec en Irak serait catastrophique pour le monde entier. Pour autant, ce que nous voulons, c'est participer à la reconstruction de l'Irak lorsqu'il y aura un gouvernement irakien légitime en place. Nous sommes prêts à le faire sous l'égide des Nations unies. En ce qui nous concerne, nous avons déjà indiqué depuis plusieurs semaines que nous étions prêts à participer, par exemple, à la formation de l'armée irakienne ou de la police irakienne ou d'une gendarmerie irakienne, avec d'ailleurs d'autres de nos partenaires et amis comme les Allemands bien entendu ou même les Japonais qui ont également proposé d'y participer. Mais il faut d'abord qu'un certain nombre de conditions soient remplies. Ces conditions sont d'avoir en Irak un gouvernement légitime - ce qui devrait être le cas à partir du 1er juillet-, et que l'action se fasse sous l'égide des Nations unies.
RFI : Le journal LE PARISIEN écrivait dans son édition d'hier sous le titre :" Les frégates de la discorde " que la Marine nationale envisageait avec les Italiens d'acquérir plusieurs navires de guerre en crédit-bail. Le journal précisait que huit banques françaises et étrangères avaient déposé des projets de financement mais que ce projet était très mal vu par le ministère des Finances. Est-ce que c'est exact ?
Michèle Alliot-Marie : Ce n'est pas tout à fait ça. La nouvelle loi sur les finances publiques, qui a d'ailleurs été prise à l'initiative du ministère des Finances, prévoit des réorganisations pour faire un certain nombre d'économies. Cette loi prévoit que l'on recentre les ministères sur leurs activités propres et donc que l'on externalise un certain nombre d'activités. Cette loi prévoit également que l'on puisse recourir à ce que l'on appelle des " financements innovants " dans un certain nombre de domaines. Le ministère de la Défense est, je le rappelle, l'un des plus gros investisseurs en France et c'est aussi celui qui passe le plus de commandes aux entreprises. Nous sommes donc en train de réfléchir à ce qu'il pourrait y avoir comme "financement innovant" sur les principaux contrats, les plus importants que nous allons avoir dans les prochains mois. Nous avons effectivement eu un certain nombre de propositions par plusieurs banques et nous avons également voulu regarder avec d'autres banques quelles propositions pouvaient être faites : est-ce compatible d'une part avec la nature juridique de nos équipements ? et d'autre part, est-ce ou non avantageux ? Pour l'instant, tout ceci est à l'étude. Une fois que nous aurons fait cette étude, nous verrons avec le ministère des Finances qui est lui-même en train d'étudier ces modalités, si nous nous engageons dans cette voie ce qui serait quelque chose effectivement de tout à fait nouveau en France mais qui, je le rappelle, existe dans un certain nombre d'autres pays notamment en Grande-Bretagne. Nous verrons alors ce que nous ferons. Maintenant, lorsque l'on parle de crédit-bail, il faut faire attention parce que les " financements innovants ", c'est beaucoup plus large que le simple crédit-bail.
RFI : Très rapidement, Michèle Alliot-Marie, l'actualité aujourd'hui en France, c'est le congrès de l'UMP à Paris. Nous en parlions dans le journal. Vous êtes l'ancienne présidente du RPR. Alain Juppé a annoncé qu'il préparait sa succession à la tête de l'UMP. Plusieurs noms circulent, notamment le vôtre pour la relève. Cela vous tente ?
Michèle Alliot-Marie : Je suis dans un ministère tout à fait passionnant parce que l'on est au cur de l'essentiel, des grands problèmes de notre monde, de la paix et de la guerre. Je travaille avec des gens qui sont de très grands professionnels et qui ont, en même temps, une très grande qualité humaine. Je crois que j'ai encore beaucoup de choses à faire ici et pour moi, la priorité aujourd'hui, c'est le ministère de la Défense.
RFI : Michèle Alliot-Marie, merci d'avoir été notre invitée aujourd'hui.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 10 février 2004)