Texte intégral
Q - Sur la Yougoslavie et la victoire de Kostunica, que peut faire l'Union européenne, que fait-elle pour faire respecter le choix des Yougoslaves dans les urnes ?
R - L'Union européenne essaie de peser, notamment à travers la Présidence française, pour faire savoir et pour faire respecter ce qui a été le choix des Yougoslaves. Les choses sont claires, c'est M. Kostunica qui a gagné et personne ne doit pouvoir lui voler sa victoire. Il est très important que la commission recompte un peu les résultats, nous l'appelons à cela. Il est clair pour tout le monde que les démocrates ont gagné en Yougoslavie. Donc, il faut continuer à militer pour que l'on reconnaisse ce résultat. Je constate que la plupart des grands pays européens l'ont fait : les Allemands...
Q - Le président Chirac l'a fait encore ce matin...
R - Absolument. Avec force. Et il est Président de l'Union européenne. Nous disons aussi qu'à partir de ce moment-là, il sera possible de changer notre attitude vis-à-vis de l'ex-Yougoslavie, de faire en sorte que l'on puisse lever les sanctions, que l'on puisse avoir à faire à un gouvernement pleinement et complètement démocratique. Nous souhaitons vraiment que tout le monde comprenne, et que Milosevic comprenne aussi, que s'accrocher au pouvoir ne sert à rien.
Q - M. Chirac a reconnu publiquement ce matin la victoire de M. Kostunica. Le gouvernement auquel vous appartenez partage-t-il ce point de vue ?
R - Que l'on ne s'y trompe pas : la France parle toujours d'une seule voix lorsqu'il s'agit de politique étrangère ou de politique européenne. Notamment pendant cette Présidence française de l'Union européenne, c'est le président de la République qui préside le Conseil européen et ce sont les ministres qui président les conseils sectoriels. Hubert Védrine a eu exactement la même position que le président de la République. Et le Premier ministre est bien sûr totalement en phase. Il est clair que, pour nous - je parle au nom des autorités françaises - M. Kostunica a gagné les élections.
Q - Votre sentiment sur le déchaînement de la violence dans les Territoires palestiniens. Le responsable, c'est d'abord Ariel Sharon. Pensez-vous qu'il est trop tard pour le processus de paix ?
R - Je pense qu'il y a eu une provocation plus que regrettable, dangereuse qui a donné cours à une flambée de violence, alors même que le processus de paix était dans une phase extrêmement sensible. Je souhaite que l'on revienne à la raison et que l'on se remette à l'étape de la négociation, même si, disant cela, j'ai tout à fait conscience que les choses sont particulièrement difficiles. M. Sharon est un provocateur. Il l'a démontré dans sa longue histoire politique. Là, il a pris une responsabilité grave, grave sur le moment, et peut-être même grave devant l'Histoire.
Q - Je voulais vous demander : que fait l'Europe dans cette affaire ? N'est-ce pas le rôle de l'Europe de faire entendre la voix de la paix, de l'apaisement, de rappeler aux deux camps qu'il est vraiment grand temps de reprendre l'initiative ?
R - C'est ce que l'Europe fait. Aujourd'hui, Mme Albright est à Paris. Elle a rencontré le président de la République, le ministre des Affaires étrangères. Nous débattons de cela avec les Américains. Le message que nous donnons est constamment celui de la paix et d'une disponibilité, quelles que soient les circonstances, pour aider soit à la réalisation de la paix, soit au maintien de la paix. Je répète notre entière disponibilité. Je parle en tant qu'Européen et en tant que Français.
Q - Venons-en à l'avenir de cette Union européenne. Il y aura un Sommet à Biarritz le 13 et 14 octobre, un autre sommet à Nice début décembre. Allez-vous pouvoir atteindre votre objectif, c'est-à-dire signer un nouveau traité à Nice sur la réforme des institutions européennes ?
R - Je n'en sais rien encore. La négociation a un peu peiné à se nouer, même si l'on commence à sentir quelques frémissements. On cesse d'échanger, autour de la table des négociations, les sempiternelles positions rebattues, connues par tous. On commence maintenant à rentrer dans le vif du sujet. Mais on est loin. Il est clair que l'on rencontre beaucoup d'égoïsmes, de conservatismes nationaux. Des clivages s'opèrent entre petits et grands pays, qui, pour moi, sont totalement absurdes, sur des sujets comme celui de la Commission par exemple. En effet, il est clair que l'intérêt commun est que la Commission soit un organe efficace, et donc restreint et limité. Il va donc falloir passer à une vitesse supérieure.
Q - Je rappelle en deux mots que la CIG prévoit de modifier le nombre des commissaires européens, de les réduire...
R - C'est, en tous cas, notre interprétation.
Q - ...de pondérer les votes au Conseil des ministres, étendre les votes à la majorité qualifiée...estimez-vous que ce sont des réformes prioritaires ? Pensez-vous que ce sont ces réformes qui vont mobiliser les Européens ?
R - Il y a deux choses : ne faisons pas de démagogie en disant que tout est simple, que tout va mobiliser les Européens. Ce ne serait pas vrai. Les Européens le savent. Cette réforme, qui doit permettre à l'Europe de fonctionner, est indispensable pour que l'Union européenne soit plus lisible, pour que les décisions y soient plus justes, pour qu'elle représente davantage les peuples. Je ne prendrai qu'un exemple : vous avez parlé de la suppression du droit de veto, d'une limitation du droit de veto ; en démocratie, on vote à la majorité, on ne vote pas avec une personne qui peut bloquer toutes les autres. C'est très important. En même temps, cette réforme est indispensable pour permettre l'élargissement de l'Union européenne. A 15, cela ne marche déjà pas tellement bien. On voit bien qu'à 27 ou 30, cela ne marcherait pas du tout. Donc, cette réforme est vitale. Vous me demandiez si on allait parvenir à un traité à Nice. Je vous réponds qu'il le faut parce que c'est essentiel. Je suis persuadé qu'à la fin, la pression de cette nécessité historique pèsera sur tous nos partenaires, comme elle pèse sur nous-mêmes. Mais je le redis aussi avec beaucoup de clarté : nous préférons qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité qui ne résoudrait aucune des questions auxquelles nous sommes confrontés. Et pour le coup, il ferait perdre à l'Union européenne le peu de lisibilité et de clarté qu'on lui reconnaît. Nous sommes donc dans une phase tout à fait décisive pour l'Union européenne.
Q - On voit que c'est déjà difficile à 15, vous avez évoqué tout à l'heure 27, voire 30 membres de l'Union européenne. On a parlé, pour essayer de palier ces difficultés, de ce qu'on appelle des coopérations renforcées. L'objectif est de permettre à certains pays d'avancer plus rapidement dans un certain nombre de domaines. N'avez-vous pas peur que ce soit perçu comme un club fermé qui serait une manière d'isoler des pays un peu plus en retard ? Que ce ne soit pas la solution ?
R - Précisons ce que sont ces coopérations renforcées. C'est l'idée que, dans une Europe où l'on est déjà 15, où l'on sera demain 20, 27 ou 30, il ne faut pas tout faire ensemble. On ne peut pas tous marcher exactement du même pas. D'ailleurs, j'observe que nous ne marchons pas du même pas. Je ne vais prendre qu'un exemple, qui n'est pas une coopération renforcée, mais qui y ressemble fort : l'euro. L'euro, qui s'est fait à 11 puis à 12 maintenant. Un pays vient de refuser d'y entrer. Deux autres sont encore en dehors. Alors quand on sera 27...
Q - Cela ne vous inquiète pas le "non" du Danemark ?
R - Non. Les Danois ont confirmé malheureusement ce qui était leur décision depuis 1992. Cela ne change rien, ni positivement, ni négativement. D'ailleurs, cela n'a pas changé non plus le cours de l'euro. Je m'en réjouis, parce que les marchés ont bien senti que l'euro était une monnaie dont la puissance, la force, dépassait cet épiphénomène. Je reviens aux coopérations renforcées. Il faut qu'il y ait de la flexibilité, de la souplesse, il faut qu'on puisse à deux, trois, quatre, cinq, huit, dix, entreprendre des projets. Huit, ce serait une bonne idée. Le faire sans rigidité excessive. Mais vous avez raison sur un autre point : si cet assouplissement est nécessaire, il ne faut pas, en même temps, que cela apparaisse comme étant la constitution d'une Europe à deux vitesses. Il est très important que ces coopérations renforcées restent ouvertes, que l'on puisse dire : " nous voulons faire tel ou tel projet à 10, mais en même temps, que ceux qui, ensuite, voudront nous rejoindre sachent que la porte est ouverte ". C'est tout à fait la conception française. Que l'on ne croie pas que c'est pour nous l'occasion de créer l'avant-garde, le noyau dur, le groupe pionnier. Ce sont des choses un peu différentes.
Q - Vous avez fait allusion tout à l'heure à la crainte des petits pays. Concevez-vous le rééquilibrage des institutions au sein de l'Union européenne comme un rééquilibrage en faveur des grands pays, qui seraient sous-représentés aujourd'hui ?
R - C'est l'inverse, vous savez. Quand on aura 27 pays membres de l'Union européenne, nous aurons des partenaires dont le plus important sera la Pologne, qui représente 40 millions d'habitants, à peu près l'équivalent de l'Espagne. Donc, il risque d'y avoir au total une minoration encore plus forte des grands pays. Nous souhaitons que les grands pays restent, - par exemple par la pondération des voix au Conseil, c'est-à-dire le nombre de vote qu'ils ont au sein du Conseil de l'Union européenne, - au stade où ils sont aujourd'hui. Nous ne voulons pas que leur poids s'accroisse, mais nous ne voulons pas non plus que la voix française devienne inaudible. Il est très important que, par exemple, trois pays comme la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, trois très grand pays à tous égards, puissent constituer ensemble une minorité de blocage dans l'Union européenne. Sinon, ce serait absurde. On aurait des majorités qui ne veulent rien dire. Donc, ce n'est pas du tout une volonté d'accroître une hégémonie qui n'existe pas, mais une volonté de conserver un poids qui, d'ailleurs aujourd'hui, n'est pas excessif.
Q - En un mot, après Nice, quelles ambitions pour l'Europe ? On parle d'une fédération européenne, des Etats-Unis d'Europe, je sais que vous n'y croyez pas tellement vous-même...Comment les hommes politiques vont-ils pouvoir redonner confiance aux citoyens dans l'Europe ?
R - Je ne crois pas effectivement qu'il y ait aujourd'hui un appétit pour le fédéralisme pur, pour le transfert de toutes les compétences à l'échelle européenne. Les Européens sont très attachés au fait national. Mais l'idée de fédération d'Etats-nations, telle qu'elle a été articulée par Jacques Delors il y a déjà quelques années, me convient parce qu'elle traduit bien ce que nous faisons : des réalités fédérales, comme la monnaie, la banque centrale européenne, ou la Commission elle-même, ou certaines politiques communes, mais aussi un respect des nations. La fédération d'Etats-nations, je réponds "oui", mais une fois que j'ai répondu "oui", il reste à savoir comment l'on fait./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2000)
R - L'Union européenne essaie de peser, notamment à travers la Présidence française, pour faire savoir et pour faire respecter ce qui a été le choix des Yougoslaves. Les choses sont claires, c'est M. Kostunica qui a gagné et personne ne doit pouvoir lui voler sa victoire. Il est très important que la commission recompte un peu les résultats, nous l'appelons à cela. Il est clair pour tout le monde que les démocrates ont gagné en Yougoslavie. Donc, il faut continuer à militer pour que l'on reconnaisse ce résultat. Je constate que la plupart des grands pays européens l'ont fait : les Allemands...
Q - Le président Chirac l'a fait encore ce matin...
R - Absolument. Avec force. Et il est Président de l'Union européenne. Nous disons aussi qu'à partir de ce moment-là, il sera possible de changer notre attitude vis-à-vis de l'ex-Yougoslavie, de faire en sorte que l'on puisse lever les sanctions, que l'on puisse avoir à faire à un gouvernement pleinement et complètement démocratique. Nous souhaitons vraiment que tout le monde comprenne, et que Milosevic comprenne aussi, que s'accrocher au pouvoir ne sert à rien.
Q - M. Chirac a reconnu publiquement ce matin la victoire de M. Kostunica. Le gouvernement auquel vous appartenez partage-t-il ce point de vue ?
R - Que l'on ne s'y trompe pas : la France parle toujours d'une seule voix lorsqu'il s'agit de politique étrangère ou de politique européenne. Notamment pendant cette Présidence française de l'Union européenne, c'est le président de la République qui préside le Conseil européen et ce sont les ministres qui président les conseils sectoriels. Hubert Védrine a eu exactement la même position que le président de la République. Et le Premier ministre est bien sûr totalement en phase. Il est clair que, pour nous - je parle au nom des autorités françaises - M. Kostunica a gagné les élections.
Q - Votre sentiment sur le déchaînement de la violence dans les Territoires palestiniens. Le responsable, c'est d'abord Ariel Sharon. Pensez-vous qu'il est trop tard pour le processus de paix ?
R - Je pense qu'il y a eu une provocation plus que regrettable, dangereuse qui a donné cours à une flambée de violence, alors même que le processus de paix était dans une phase extrêmement sensible. Je souhaite que l'on revienne à la raison et que l'on se remette à l'étape de la négociation, même si, disant cela, j'ai tout à fait conscience que les choses sont particulièrement difficiles. M. Sharon est un provocateur. Il l'a démontré dans sa longue histoire politique. Là, il a pris une responsabilité grave, grave sur le moment, et peut-être même grave devant l'Histoire.
Q - Je voulais vous demander : que fait l'Europe dans cette affaire ? N'est-ce pas le rôle de l'Europe de faire entendre la voix de la paix, de l'apaisement, de rappeler aux deux camps qu'il est vraiment grand temps de reprendre l'initiative ?
R - C'est ce que l'Europe fait. Aujourd'hui, Mme Albright est à Paris. Elle a rencontré le président de la République, le ministre des Affaires étrangères. Nous débattons de cela avec les Américains. Le message que nous donnons est constamment celui de la paix et d'une disponibilité, quelles que soient les circonstances, pour aider soit à la réalisation de la paix, soit au maintien de la paix. Je répète notre entière disponibilité. Je parle en tant qu'Européen et en tant que Français.
Q - Venons-en à l'avenir de cette Union européenne. Il y aura un Sommet à Biarritz le 13 et 14 octobre, un autre sommet à Nice début décembre. Allez-vous pouvoir atteindre votre objectif, c'est-à-dire signer un nouveau traité à Nice sur la réforme des institutions européennes ?
R - Je n'en sais rien encore. La négociation a un peu peiné à se nouer, même si l'on commence à sentir quelques frémissements. On cesse d'échanger, autour de la table des négociations, les sempiternelles positions rebattues, connues par tous. On commence maintenant à rentrer dans le vif du sujet. Mais on est loin. Il est clair que l'on rencontre beaucoup d'égoïsmes, de conservatismes nationaux. Des clivages s'opèrent entre petits et grands pays, qui, pour moi, sont totalement absurdes, sur des sujets comme celui de la Commission par exemple. En effet, il est clair que l'intérêt commun est que la Commission soit un organe efficace, et donc restreint et limité. Il va donc falloir passer à une vitesse supérieure.
Q - Je rappelle en deux mots que la CIG prévoit de modifier le nombre des commissaires européens, de les réduire...
R - C'est, en tous cas, notre interprétation.
Q - ...de pondérer les votes au Conseil des ministres, étendre les votes à la majorité qualifiée...estimez-vous que ce sont des réformes prioritaires ? Pensez-vous que ce sont ces réformes qui vont mobiliser les Européens ?
R - Il y a deux choses : ne faisons pas de démagogie en disant que tout est simple, que tout va mobiliser les Européens. Ce ne serait pas vrai. Les Européens le savent. Cette réforme, qui doit permettre à l'Europe de fonctionner, est indispensable pour que l'Union européenne soit plus lisible, pour que les décisions y soient plus justes, pour qu'elle représente davantage les peuples. Je ne prendrai qu'un exemple : vous avez parlé de la suppression du droit de veto, d'une limitation du droit de veto ; en démocratie, on vote à la majorité, on ne vote pas avec une personne qui peut bloquer toutes les autres. C'est très important. En même temps, cette réforme est indispensable pour permettre l'élargissement de l'Union européenne. A 15, cela ne marche déjà pas tellement bien. On voit bien qu'à 27 ou 30, cela ne marcherait pas du tout. Donc, cette réforme est vitale. Vous me demandiez si on allait parvenir à un traité à Nice. Je vous réponds qu'il le faut parce que c'est essentiel. Je suis persuadé qu'à la fin, la pression de cette nécessité historique pèsera sur tous nos partenaires, comme elle pèse sur nous-mêmes. Mais je le redis aussi avec beaucoup de clarté : nous préférons qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité qui ne résoudrait aucune des questions auxquelles nous sommes confrontés. Et pour le coup, il ferait perdre à l'Union européenne le peu de lisibilité et de clarté qu'on lui reconnaît. Nous sommes donc dans une phase tout à fait décisive pour l'Union européenne.
Q - On voit que c'est déjà difficile à 15, vous avez évoqué tout à l'heure 27, voire 30 membres de l'Union européenne. On a parlé, pour essayer de palier ces difficultés, de ce qu'on appelle des coopérations renforcées. L'objectif est de permettre à certains pays d'avancer plus rapidement dans un certain nombre de domaines. N'avez-vous pas peur que ce soit perçu comme un club fermé qui serait une manière d'isoler des pays un peu plus en retard ? Que ce ne soit pas la solution ?
R - Précisons ce que sont ces coopérations renforcées. C'est l'idée que, dans une Europe où l'on est déjà 15, où l'on sera demain 20, 27 ou 30, il ne faut pas tout faire ensemble. On ne peut pas tous marcher exactement du même pas. D'ailleurs, j'observe que nous ne marchons pas du même pas. Je ne vais prendre qu'un exemple, qui n'est pas une coopération renforcée, mais qui y ressemble fort : l'euro. L'euro, qui s'est fait à 11 puis à 12 maintenant. Un pays vient de refuser d'y entrer. Deux autres sont encore en dehors. Alors quand on sera 27...
Q - Cela ne vous inquiète pas le "non" du Danemark ?
R - Non. Les Danois ont confirmé malheureusement ce qui était leur décision depuis 1992. Cela ne change rien, ni positivement, ni négativement. D'ailleurs, cela n'a pas changé non plus le cours de l'euro. Je m'en réjouis, parce que les marchés ont bien senti que l'euro était une monnaie dont la puissance, la force, dépassait cet épiphénomène. Je reviens aux coopérations renforcées. Il faut qu'il y ait de la flexibilité, de la souplesse, il faut qu'on puisse à deux, trois, quatre, cinq, huit, dix, entreprendre des projets. Huit, ce serait une bonne idée. Le faire sans rigidité excessive. Mais vous avez raison sur un autre point : si cet assouplissement est nécessaire, il ne faut pas, en même temps, que cela apparaisse comme étant la constitution d'une Europe à deux vitesses. Il est très important que ces coopérations renforcées restent ouvertes, que l'on puisse dire : " nous voulons faire tel ou tel projet à 10, mais en même temps, que ceux qui, ensuite, voudront nous rejoindre sachent que la porte est ouverte ". C'est tout à fait la conception française. Que l'on ne croie pas que c'est pour nous l'occasion de créer l'avant-garde, le noyau dur, le groupe pionnier. Ce sont des choses un peu différentes.
Q - Vous avez fait allusion tout à l'heure à la crainte des petits pays. Concevez-vous le rééquilibrage des institutions au sein de l'Union européenne comme un rééquilibrage en faveur des grands pays, qui seraient sous-représentés aujourd'hui ?
R - C'est l'inverse, vous savez. Quand on aura 27 pays membres de l'Union européenne, nous aurons des partenaires dont le plus important sera la Pologne, qui représente 40 millions d'habitants, à peu près l'équivalent de l'Espagne. Donc, il risque d'y avoir au total une minoration encore plus forte des grands pays. Nous souhaitons que les grands pays restent, - par exemple par la pondération des voix au Conseil, c'est-à-dire le nombre de vote qu'ils ont au sein du Conseil de l'Union européenne, - au stade où ils sont aujourd'hui. Nous ne voulons pas que leur poids s'accroisse, mais nous ne voulons pas non plus que la voix française devienne inaudible. Il est très important que, par exemple, trois pays comme la France, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, trois très grand pays à tous égards, puissent constituer ensemble une minorité de blocage dans l'Union européenne. Sinon, ce serait absurde. On aurait des majorités qui ne veulent rien dire. Donc, ce n'est pas du tout une volonté d'accroître une hégémonie qui n'existe pas, mais une volonté de conserver un poids qui, d'ailleurs aujourd'hui, n'est pas excessif.
Q - En un mot, après Nice, quelles ambitions pour l'Europe ? On parle d'une fédération européenne, des Etats-Unis d'Europe, je sais que vous n'y croyez pas tellement vous-même...Comment les hommes politiques vont-ils pouvoir redonner confiance aux citoyens dans l'Europe ?
R - Je ne crois pas effectivement qu'il y ait aujourd'hui un appétit pour le fédéralisme pur, pour le transfert de toutes les compétences à l'échelle européenne. Les Européens sont très attachés au fait national. Mais l'idée de fédération d'Etats-nations, telle qu'elle a été articulée par Jacques Delors il y a déjà quelques années, me convient parce qu'elle traduit bien ce que nous faisons : des réalités fédérales, comme la monnaie, la banque centrale européenne, ou la Commission elle-même, ou certaines politiques communes, mais aussi un respect des nations. La fédération d'Etats-nations, je réponds "oui", mais une fois que j'ai répondu "oui", il reste à savoir comment l'on fait./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2000)