Texte intégral
Mesdames, Messieurs,
Je voudrais remercier le Président, Monsieur LEMETAYER, pour son invitation. Convenons qu'il a tout de même bien choisi son moment, bien organisé les choses, bien préparé les esprits. Si j'attendais une participation élevée des congressistes, je me réjouis de voir autant de médias s'intéresser à l'Agriculture ; ce n'est pas si courant.
J'ai répondu d'autant plus volontiers à cette invitation que vous l'aviez lancée au Salon de l'Agriculture où rien ne se refuse. Vous me l'avez adressée comme Premier secrétaire du Parti socialiste et également comme élu du département de la Corrèze que je ne suis pas le seul à labourer, mais qui est néanmoins un département qui sait ce que l'agriculture compte de richesses, d'emplois et de productions.
Nous devons ici rappeler ce que nous nous pensons être les missions de l'agriculture française. La première fonction de l'agriculture, c'est de produire. Et de produire de la qualité, ce n'est pas contradictoire. À mes yeux, l'autonomie alimentaire et la sécurité alimentaire forment le même objectif. Produire, produire de la qualité, produire pour les consommateurs français, européens, mais produire aussi pour le monde. C'est la deuxième fonction de l'agriculture, et notamment la fonction exportatrice, parce que le marché, il est vrai, est devenu mondial, parce qu'il y a une obligation morale, économique, politique de nourrir toute la planète et il ne serait pas acceptable que, dans un pays comme le nôtre, nous nous refusions à produire lorsqu'il y a encore tant de besoins.
Mais, au-delà de ce rôle essentiel pour le consommateur, au-delà de ces fonctions pour le pays, pour l'économie, pour l'industrie qui vit de l'agriculture, comme pour le système de distribution qui vit sur l'agriculture, le système agricole français doit également concourir à d'autres missions, à d'autres objectifs que l'on aurait tort d'opposer aux premiers. C'est-à-dire la protection de l'environnement, l'aménagement du territoire... l'espace rural dans son ensemble.
Il n'y a pas de ruralité sans agriculteur. Il ne peut donc pas y avoir d'ambition rurale, d'ambition d'aménagement du territoire s'il n'y a pas une politique agricole.
La Politique Agricole Commune a puissamment contribué au développement et à la modernisation de l'agriculture française. Ne pas le reconnaître serait une faute historique. La Politique Agricole a permis, par la préférence communautaire, de protéger mais aussi de développer l'agriculture sur tous les marchés. Le budget européen, jusqu'à ces dernières années, a été pour l'essentiel un budget agricole et dans ce budget européen, dans ce budget agricole, une grande part a été destinée à la France, premier pays bénéficiaire.
Mais, depuis le début des années 90, la donne a changé. Le cadre et les mécanismes ont considérablement évolué. D'abord, le marché s'est mondialisé. D'un système essentiellement conçu sur l'espace communautaire, nous sommes entrés dans l'espace planétaire avec l'ouverture de nos propres marchés aux produits venant de l'extérieur et la baisse des restitutions qui avaient permis aussi de développer nos exportations. Ce fut donc le premier changement, et il est considérable. Le deuxième changement fut le fait que nous sommes passés d'un soutien par les prix pour assurer le revenu des agriculteurs à un soutien par des aides directes, fondées sur des critères qui n'obéissent justement plus à la production.
La réforme de juin 2003, qui s'est faite sous l'égide de l'actuel gouvernement et du Président de la République avec tous les partenaires européens, a consacré l'évolution (agrandissement et concentration). D'un côté, et c'est un acquis, elle a consacré la pérennisation des aides jusqu'en 2013, mais -de l'autre- le découplage des aides. Les agriculteurs ne seront plus obligés de produire pour recevoir des aides.
D'où ce double malaise que nous ressentons tous :
- Un malaise par rapport à l'avenir : comment assurer le développement d'entreprises agricoles qui ont lourdement investi, qui sont sans doute aujourd'hui les entreprises les plus capitalistiques, c'est-à-dire qui utilisent les plus d'investissements, le plus de capitaux pour assurer la production ? Comment être sûr que l'entreprise d'aujourd'hui pourra être pérennisée lorsque l'on ne connaît plus les conditions de son revenu de demain et la manière avec laquelle il faudra assurer le résultat de l'exploitation et le remboursement des emprunts ?
- Un malaise par rapport au métier de l'agriculture : le paysan n'a plus de revenu directement lié à son travail et il va même avoir la cessibilité de ses droits à produire.
De là découle donc le double défi que nous aurons à relever :
* L'avenir de la Politique Agricole Commune et d'abord son application. Convenons que les modalités d'aujourd'hui sont inacceptables : lourdeur à travers des manuels de la conditionnalité qui exigent beaucoup plus qu'une formation universitaire, même en milieu agricole ; complexité dans les voies à paiement unique, caractère insupportable des contrôles, non pas parce qu'ils sont simplement inopinés mais parce qu'ils sont vexatoires ; conception presque suspicieuse de ces contrôles, et notamment par rapport au problème de l'identification du bétail. Le Ministre de l'Agriculture a fait des propositions. Soyons vigilants sur leur application. Quant aux sanctions, elles ne peuvent pas être acceptées en l'état tant elles sont disproportionnées par rapport aux montants des pénalités. Il est aussi question de l'avenir des ressources de la Politique Agricole Commune : Cette politique doit donc, normalement, être pérennisée jusqu'en 2013. Mais, à quel niveau ? Si le Conseil européen reste sur l'objectif fixé par la France, l'Allemagne et l'Italie -à savoir 1 % du budget européen par rapport à la richesse européenne, alors compte tenu de l'élargissement, il ne sera pas possible de financer le premier pilier (les aides), le second pilier (le développement rural) et l'objectif de compétition et d'emplois, c'est-à-dire aussi les politiques de cohésion. Il y a donc là un engagement clair à formuler : il faut que les grands pays, et notamment le nôtre, revoient la question budgétaire, la question des fonds européens si l'on veut que l'agriculture puisse être financée jusqu'en 2013.
Je fais cette proposition -et pas dans un sens simplement partisan, parce que c'est toujours facile de demander l'augmentation des budgets lorsque l'on est dans l'opposition : il faut que les uns et les autres nous nous engagions à porter à au moins 1,14 % du revenu communautaire le budget européen pour garantir le montant des crédits pour l'agriculture de 2007 à 2013.
* La Loi d'Orientation Agricole : Quelle agriculture pour demain ? Il faudrait tout de même que cette loi soit une loi durable, parce que si l'on change de Loi d'Orientation Agricole tous les trois ou quatre ans, je ne suis pas sûr que l'on donnera, justement, cette visibilité, ce sens stratégique, cette organisation de nos politiques dont le monde agricole a besoin.
Il faut dire clairement que cette Loi d'Orientation Agricole doit organiser les territoires, les professions et impulser les politiques indispensables. Voici quelques principes qui, aux yeux des socialistes, paraissent essentiels : D'abord, il n'y a pas de modèle unique. L'agriculture est forcément diverse en raison des structures, des productions, des tailles des exploitations. En revanche, si l'agriculture est diverse, elle doit poursuivre les mêmes objectifs : la production, la qualité, la sécurité alimentaire, la prise en compte de l'environnement, l'occupation du territoire. Je sais que vous discutez âprement du statut de l'entreprise agricole -et je ne veux pas interférer dans vos débats- mais, ce que je peux dire c'est qu'il faut sûrement une modernisation du statut de l'entreprise agricole mais pas un statut unique de l'entreprise agricole. Parce qu'il faut qu'il y ait cette liberté, cette souplesse. Parce que si l'agriculture est diverse, elle doit avoir des formes d'organisation et d'activités pour l'entreprise diverses aussi. À partir de là, il faut qu'il y ait toutes les formes qui soient envisagées : individuelle, sociétale, coopérative... Tout doit être mis au service de l'utilité pour l'agriculture, de trouver la meilleure organisation possible. Il ne faut pas céder à un virage libéral qui viendrait démanteler tous les outils qui ont permis le développement de l'agriculture depuis 50 ans : le statut du fermage, la politique des structures, les offices par produit, la politique des filières... Tout cela doit être non pas simplement conservé, mais adapté, modernisé, utilisé. Il s'agit là de politique d'organisation et de solidarité. Je ne crois pas que l'agriculture soit servie par le libéralisme. Au contraire. Elle a besoin de l'intervention, de règles, de solidarité, de vision d'avenir.
Il y a aussi la nécessité de politiques contractuelles. Il y a nécessité d'un contrat entre la société et l'agriculture. Non pas simplement pour donner une légitimité aux aides (on ne saurait pas comment les verser), mais pour que la société reconnaisse les fonctions éminentes de l'agriculture et que, de ce point de vue, l'agriculture ne reçoit pas des subventions mais la contrepartie d'une activité. C'est pourquoi, je crois encore, je crois toujours à la nécessité de contrat permettant de fixer une population durablement sur nos territoires. Il nous faut aussi insister sur la diversification des débouchés. L'agriculture, c'est fait pour nourrir ; c'est fait aussi pour l'industrie aujourd'hui, et pas simplement agro-alimentaire. Il faut développer absolument cette conception aussi du travail agricole à travers les productions non alimentaires, à travers les bio-carburants. Il y a là, dans le contexte que l'on sait d'un prix du pétrole qui restera élevé et qui deviendra de plus en plus élevé, des sources nouvelles d'énergie. De ce point de vue, il y a un gisement important de la production agricole. Il faut qu'il y ait, dans la Loi d'Orientation Agricole, des mécanismes d'aide à l'innovation, à la Recherche, à la formation et des aides spécifiques pour cette diversification.
Les Régions doivent s'impliquer dans ces politiques. Il y aurait là une contradiction de faire une loi d'orientation avec des engagements de l'Etat sans que les Régions ne participent à ces choix pour la formation, pour l'innovation et pour la Recherche.
Trop de jeunes agriculteurs s'installent sans aide aucune. Trop de jeunes s'installent alors qu'ils n'ont pas la formation nécessaire. Il faut donc donner priorité à la formation, au soutien budgétaire pour l'installation ; et donc priorité à la politique des structures.
Il faut aussi aborder la question du foncier. C'est une question essentielle. Le problème qui est posé, c'est le prix de la terre, l'occupation de l'espace. Il y a un conflit de l'espace rural entre ce qui doit relever de l'agriculture et ce qui doit relever de l'occupation de l'habitat ou industriel. Il faut faire attention qu'à travers ces conflits d'usage, à travers l'augmentation du prix de la terre, il ne soit plus possible de s'installer ou de s'agrandir durablement. C'est pourquoi, il faut absolument faire des opérateurs fonciers des acteurs de protection de l'espace agricole
Je veux aussi aborder la question de la distribution. C'est un sujet qui revient souvent, mais faudrait-il aussi qu'on le traite. Depuis plusieurs années, on regarde à juste raison le conflit ; on suggère des solutions contractuelles. Pourquoi pas. Mais, s'il faut une loi là-dessus (non pas une loi de plus), il faut que ce soit une loi de clarté sur les responsabilités des uns et des autres et qui empêche que ce soit sur les mêmes que se fasse la marge.
CONCLUSION
Il y a des choix nationaux qui nous appartiennent et qui relèvent de l'intervention des politiques, c'est légitime. Il y a des choix européens aussi qui relèvent également des gouvernements ou des responsables politiques.
Finalement, l'Europe est un élevage intensif de boucs émissaires. Il est tellement commode de s'en prendre à l'Europe quand on a soi-même participé aux décisions qui sont appliquées au niveau européen ; c'est tellement commode de désigner le coupable de ce que l'on a, nous-mêmes, laissé faire !
Je refuse cette distinction. Je pense même que l'enjeu de la Constitution européenne est de placer clairement la responsabilité politique au bon niveau. Ceux qui doivent décider en France, en Europe, ce sont les élus du suffrage universel et personne d'autre. Et, il s'agit de dire, dans une Constitution, que c'est précisément au Parlement européen de voter la loi européenne. C'est tellement simple, mais c'est la condition qui va nous permettre de faire que la Commission européenne procède du suffrage universel à l'occasion des élections législatives dans chacun des pays, mais aussi des élections européennes.
Il faut que la responsabilité politique soit claire, y compris quand il y a décision en matière de politique agricole commune. On ne peut pas simplement, à la fin d'une négociation, dire que l'on a perdu parce que l'Europe nous a obligés à faire des concessions. Un compromis, c'est toujours un compromis politique ; pas simplement entre la France et l'Europe, mais entre les Européens. Il est toujours trop facile de laisser penser que c'est la faute des autres, anonymes, qui nous imposeraient une politique que nous n'avons pas décidée, puisque nous avons la possibilité, aujourd'hui, à travers ce Traité constitutionnel, de faire en sorte que le niveau de responsabilités soit situé, que les décisions soient effectivement politiques et qu'à ce moment-là, même les parlements nationaux puissent s'en saisir pour la première fois lorsqu'il y a des projets de directives. Je pense que c'est là une échéance importante.
On nous dit qu'il y a finalement une manière de nous débarrasser de ce qui ne nous plait pas en Europe : ne pas voter pour la Constitution européenne. Ce serait tellement simple ! On dit " non ", et d'un seul coup, tout ce qui ne nous plait pas disparaît ! Ce n'est pas cela qui va se produire. Si l'on refusait -et c'est le droit du peuple de le faire, il n'y aurait que le Traité constitutionnel qui disparaîtrait et pas le reste. Voilà le paradoxe.
En matière de renégociation de la Politique Agricole Commune, il vaut mieux que l'Europe soit solide et que la France soit forte. Car, sinon, la menace qui pèse est les tentations de renationalisation de la Politique Agricole Commune. Il y aura de moins en moins de dépenses agricoles (que chacun se débrouille donc) dans le budget européen.
Chacun va décider de son propre avenir, et c'est bien qu'il en soit ainsi. C'est bien que ce soit le peuple, à travers toutes ses sensibilités, qui fasse le choix. Mais qu'il le fasse en connaissance de cause et qu'il sache bien de quoi il s'agit : de la politique, sûrement, de l'organisation de l'Europe, à l'évidence, de la démocratie en Europe, c'est l'objectif.
J'ai confiance car je sais que, au-delà de vous qui connaissez ce qu'est l'agriculture en Europe, pour beaucoup de nos concitoyens (au-delà des mécontentements, des vicissitudes, des frustrations et des colères), notre avenir est en Europe.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)
Je voudrais remercier le Président, Monsieur LEMETAYER, pour son invitation. Convenons qu'il a tout de même bien choisi son moment, bien organisé les choses, bien préparé les esprits. Si j'attendais une participation élevée des congressistes, je me réjouis de voir autant de médias s'intéresser à l'Agriculture ; ce n'est pas si courant.
J'ai répondu d'autant plus volontiers à cette invitation que vous l'aviez lancée au Salon de l'Agriculture où rien ne se refuse. Vous me l'avez adressée comme Premier secrétaire du Parti socialiste et également comme élu du département de la Corrèze que je ne suis pas le seul à labourer, mais qui est néanmoins un département qui sait ce que l'agriculture compte de richesses, d'emplois et de productions.
Nous devons ici rappeler ce que nous nous pensons être les missions de l'agriculture française. La première fonction de l'agriculture, c'est de produire. Et de produire de la qualité, ce n'est pas contradictoire. À mes yeux, l'autonomie alimentaire et la sécurité alimentaire forment le même objectif. Produire, produire de la qualité, produire pour les consommateurs français, européens, mais produire aussi pour le monde. C'est la deuxième fonction de l'agriculture, et notamment la fonction exportatrice, parce que le marché, il est vrai, est devenu mondial, parce qu'il y a une obligation morale, économique, politique de nourrir toute la planète et il ne serait pas acceptable que, dans un pays comme le nôtre, nous nous refusions à produire lorsqu'il y a encore tant de besoins.
Mais, au-delà de ce rôle essentiel pour le consommateur, au-delà de ces fonctions pour le pays, pour l'économie, pour l'industrie qui vit de l'agriculture, comme pour le système de distribution qui vit sur l'agriculture, le système agricole français doit également concourir à d'autres missions, à d'autres objectifs que l'on aurait tort d'opposer aux premiers. C'est-à-dire la protection de l'environnement, l'aménagement du territoire... l'espace rural dans son ensemble.
Il n'y a pas de ruralité sans agriculteur. Il ne peut donc pas y avoir d'ambition rurale, d'ambition d'aménagement du territoire s'il n'y a pas une politique agricole.
La Politique Agricole Commune a puissamment contribué au développement et à la modernisation de l'agriculture française. Ne pas le reconnaître serait une faute historique. La Politique Agricole a permis, par la préférence communautaire, de protéger mais aussi de développer l'agriculture sur tous les marchés. Le budget européen, jusqu'à ces dernières années, a été pour l'essentiel un budget agricole et dans ce budget européen, dans ce budget agricole, une grande part a été destinée à la France, premier pays bénéficiaire.
Mais, depuis le début des années 90, la donne a changé. Le cadre et les mécanismes ont considérablement évolué. D'abord, le marché s'est mondialisé. D'un système essentiellement conçu sur l'espace communautaire, nous sommes entrés dans l'espace planétaire avec l'ouverture de nos propres marchés aux produits venant de l'extérieur et la baisse des restitutions qui avaient permis aussi de développer nos exportations. Ce fut donc le premier changement, et il est considérable. Le deuxième changement fut le fait que nous sommes passés d'un soutien par les prix pour assurer le revenu des agriculteurs à un soutien par des aides directes, fondées sur des critères qui n'obéissent justement plus à la production.
La réforme de juin 2003, qui s'est faite sous l'égide de l'actuel gouvernement et du Président de la République avec tous les partenaires européens, a consacré l'évolution (agrandissement et concentration). D'un côté, et c'est un acquis, elle a consacré la pérennisation des aides jusqu'en 2013, mais -de l'autre- le découplage des aides. Les agriculteurs ne seront plus obligés de produire pour recevoir des aides.
D'où ce double malaise que nous ressentons tous :
- Un malaise par rapport à l'avenir : comment assurer le développement d'entreprises agricoles qui ont lourdement investi, qui sont sans doute aujourd'hui les entreprises les plus capitalistiques, c'est-à-dire qui utilisent les plus d'investissements, le plus de capitaux pour assurer la production ? Comment être sûr que l'entreprise d'aujourd'hui pourra être pérennisée lorsque l'on ne connaît plus les conditions de son revenu de demain et la manière avec laquelle il faudra assurer le résultat de l'exploitation et le remboursement des emprunts ?
- Un malaise par rapport au métier de l'agriculture : le paysan n'a plus de revenu directement lié à son travail et il va même avoir la cessibilité de ses droits à produire.
De là découle donc le double défi que nous aurons à relever :
* L'avenir de la Politique Agricole Commune et d'abord son application. Convenons que les modalités d'aujourd'hui sont inacceptables : lourdeur à travers des manuels de la conditionnalité qui exigent beaucoup plus qu'une formation universitaire, même en milieu agricole ; complexité dans les voies à paiement unique, caractère insupportable des contrôles, non pas parce qu'ils sont simplement inopinés mais parce qu'ils sont vexatoires ; conception presque suspicieuse de ces contrôles, et notamment par rapport au problème de l'identification du bétail. Le Ministre de l'Agriculture a fait des propositions. Soyons vigilants sur leur application. Quant aux sanctions, elles ne peuvent pas être acceptées en l'état tant elles sont disproportionnées par rapport aux montants des pénalités. Il est aussi question de l'avenir des ressources de la Politique Agricole Commune : Cette politique doit donc, normalement, être pérennisée jusqu'en 2013. Mais, à quel niveau ? Si le Conseil européen reste sur l'objectif fixé par la France, l'Allemagne et l'Italie -à savoir 1 % du budget européen par rapport à la richesse européenne, alors compte tenu de l'élargissement, il ne sera pas possible de financer le premier pilier (les aides), le second pilier (le développement rural) et l'objectif de compétition et d'emplois, c'est-à-dire aussi les politiques de cohésion. Il y a donc là un engagement clair à formuler : il faut que les grands pays, et notamment le nôtre, revoient la question budgétaire, la question des fonds européens si l'on veut que l'agriculture puisse être financée jusqu'en 2013.
Je fais cette proposition -et pas dans un sens simplement partisan, parce que c'est toujours facile de demander l'augmentation des budgets lorsque l'on est dans l'opposition : il faut que les uns et les autres nous nous engagions à porter à au moins 1,14 % du revenu communautaire le budget européen pour garantir le montant des crédits pour l'agriculture de 2007 à 2013.
* La Loi d'Orientation Agricole : Quelle agriculture pour demain ? Il faudrait tout de même que cette loi soit une loi durable, parce que si l'on change de Loi d'Orientation Agricole tous les trois ou quatre ans, je ne suis pas sûr que l'on donnera, justement, cette visibilité, ce sens stratégique, cette organisation de nos politiques dont le monde agricole a besoin.
Il faut dire clairement que cette Loi d'Orientation Agricole doit organiser les territoires, les professions et impulser les politiques indispensables. Voici quelques principes qui, aux yeux des socialistes, paraissent essentiels : D'abord, il n'y a pas de modèle unique. L'agriculture est forcément diverse en raison des structures, des productions, des tailles des exploitations. En revanche, si l'agriculture est diverse, elle doit poursuivre les mêmes objectifs : la production, la qualité, la sécurité alimentaire, la prise en compte de l'environnement, l'occupation du territoire. Je sais que vous discutez âprement du statut de l'entreprise agricole -et je ne veux pas interférer dans vos débats- mais, ce que je peux dire c'est qu'il faut sûrement une modernisation du statut de l'entreprise agricole mais pas un statut unique de l'entreprise agricole. Parce qu'il faut qu'il y ait cette liberté, cette souplesse. Parce que si l'agriculture est diverse, elle doit avoir des formes d'organisation et d'activités pour l'entreprise diverses aussi. À partir de là, il faut qu'il y ait toutes les formes qui soient envisagées : individuelle, sociétale, coopérative... Tout doit être mis au service de l'utilité pour l'agriculture, de trouver la meilleure organisation possible. Il ne faut pas céder à un virage libéral qui viendrait démanteler tous les outils qui ont permis le développement de l'agriculture depuis 50 ans : le statut du fermage, la politique des structures, les offices par produit, la politique des filières... Tout cela doit être non pas simplement conservé, mais adapté, modernisé, utilisé. Il s'agit là de politique d'organisation et de solidarité. Je ne crois pas que l'agriculture soit servie par le libéralisme. Au contraire. Elle a besoin de l'intervention, de règles, de solidarité, de vision d'avenir.
Il y a aussi la nécessité de politiques contractuelles. Il y a nécessité d'un contrat entre la société et l'agriculture. Non pas simplement pour donner une légitimité aux aides (on ne saurait pas comment les verser), mais pour que la société reconnaisse les fonctions éminentes de l'agriculture et que, de ce point de vue, l'agriculture ne reçoit pas des subventions mais la contrepartie d'une activité. C'est pourquoi, je crois encore, je crois toujours à la nécessité de contrat permettant de fixer une population durablement sur nos territoires. Il nous faut aussi insister sur la diversification des débouchés. L'agriculture, c'est fait pour nourrir ; c'est fait aussi pour l'industrie aujourd'hui, et pas simplement agro-alimentaire. Il faut développer absolument cette conception aussi du travail agricole à travers les productions non alimentaires, à travers les bio-carburants. Il y a là, dans le contexte que l'on sait d'un prix du pétrole qui restera élevé et qui deviendra de plus en plus élevé, des sources nouvelles d'énergie. De ce point de vue, il y a un gisement important de la production agricole. Il faut qu'il y ait, dans la Loi d'Orientation Agricole, des mécanismes d'aide à l'innovation, à la Recherche, à la formation et des aides spécifiques pour cette diversification.
Les Régions doivent s'impliquer dans ces politiques. Il y aurait là une contradiction de faire une loi d'orientation avec des engagements de l'Etat sans que les Régions ne participent à ces choix pour la formation, pour l'innovation et pour la Recherche.
Trop de jeunes agriculteurs s'installent sans aide aucune. Trop de jeunes s'installent alors qu'ils n'ont pas la formation nécessaire. Il faut donc donner priorité à la formation, au soutien budgétaire pour l'installation ; et donc priorité à la politique des structures.
Il faut aussi aborder la question du foncier. C'est une question essentielle. Le problème qui est posé, c'est le prix de la terre, l'occupation de l'espace. Il y a un conflit de l'espace rural entre ce qui doit relever de l'agriculture et ce qui doit relever de l'occupation de l'habitat ou industriel. Il faut faire attention qu'à travers ces conflits d'usage, à travers l'augmentation du prix de la terre, il ne soit plus possible de s'installer ou de s'agrandir durablement. C'est pourquoi, il faut absolument faire des opérateurs fonciers des acteurs de protection de l'espace agricole
Je veux aussi aborder la question de la distribution. C'est un sujet qui revient souvent, mais faudrait-il aussi qu'on le traite. Depuis plusieurs années, on regarde à juste raison le conflit ; on suggère des solutions contractuelles. Pourquoi pas. Mais, s'il faut une loi là-dessus (non pas une loi de plus), il faut que ce soit une loi de clarté sur les responsabilités des uns et des autres et qui empêche que ce soit sur les mêmes que se fasse la marge.
CONCLUSION
Il y a des choix nationaux qui nous appartiennent et qui relèvent de l'intervention des politiques, c'est légitime. Il y a des choix européens aussi qui relèvent également des gouvernements ou des responsables politiques.
Finalement, l'Europe est un élevage intensif de boucs émissaires. Il est tellement commode de s'en prendre à l'Europe quand on a soi-même participé aux décisions qui sont appliquées au niveau européen ; c'est tellement commode de désigner le coupable de ce que l'on a, nous-mêmes, laissé faire !
Je refuse cette distinction. Je pense même que l'enjeu de la Constitution européenne est de placer clairement la responsabilité politique au bon niveau. Ceux qui doivent décider en France, en Europe, ce sont les élus du suffrage universel et personne d'autre. Et, il s'agit de dire, dans une Constitution, que c'est précisément au Parlement européen de voter la loi européenne. C'est tellement simple, mais c'est la condition qui va nous permettre de faire que la Commission européenne procède du suffrage universel à l'occasion des élections législatives dans chacun des pays, mais aussi des élections européennes.
Il faut que la responsabilité politique soit claire, y compris quand il y a décision en matière de politique agricole commune. On ne peut pas simplement, à la fin d'une négociation, dire que l'on a perdu parce que l'Europe nous a obligés à faire des concessions. Un compromis, c'est toujours un compromis politique ; pas simplement entre la France et l'Europe, mais entre les Européens. Il est toujours trop facile de laisser penser que c'est la faute des autres, anonymes, qui nous imposeraient une politique que nous n'avons pas décidée, puisque nous avons la possibilité, aujourd'hui, à travers ce Traité constitutionnel, de faire en sorte que le niveau de responsabilités soit situé, que les décisions soient effectivement politiques et qu'à ce moment-là, même les parlements nationaux puissent s'en saisir pour la première fois lorsqu'il y a des projets de directives. Je pense que c'est là une échéance importante.
On nous dit qu'il y a finalement une manière de nous débarrasser de ce qui ne nous plait pas en Europe : ne pas voter pour la Constitution européenne. Ce serait tellement simple ! On dit " non ", et d'un seul coup, tout ce qui ne nous plait pas disparaît ! Ce n'est pas cela qui va se produire. Si l'on refusait -et c'est le droit du peuple de le faire, il n'y aurait que le Traité constitutionnel qui disparaîtrait et pas le reste. Voilà le paradoxe.
En matière de renégociation de la Politique Agricole Commune, il vaut mieux que l'Europe soit solide et que la France soit forte. Car, sinon, la menace qui pèse est les tentations de renationalisation de la Politique Agricole Commune. Il y aura de moins en moins de dépenses agricoles (que chacun se débrouille donc) dans le budget européen.
Chacun va décider de son propre avenir, et c'est bien qu'il en soit ainsi. C'est bien que ce soit le peuple, à travers toutes ses sensibilités, qui fasse le choix. Mais qu'il le fasse en connaissance de cause et qu'il sache bien de quoi il s'agit : de la politique, sûrement, de l'organisation de l'Europe, à l'évidence, de la démocratie en Europe, c'est l'objectif.
J'ai confiance car je sais que, au-delà de vous qui connaissez ce qu'est l'agriculture en Europe, pour beaucoup de nos concitoyens (au-delà des mécontentements, des vicissitudes, des frustrations et des colères), notre avenir est en Europe.
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 29 mars 2005)