Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "LCI" le 27 février 2004, sur les raisons du dépôt d'une motion de censure par son groupe, à la veille d'échéances électorales, du débat sur le projet de loi organisant la décentralisation, après l'annonce par le gouvernement de bons chiffres pour l'emploi.

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Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- A. Hausser-. Le groupe socialiste a décidé de déposer une motion de censure contre la politique du Gouvernement. Est-ce que ce texte, cette action, ne tombe pas un peu mal, au moment où on annonce de bons chiffres pour l'emploi ?
R- "D'abord, une motion de censure tombe opportunément, dès lors que nous sommes à la veille d'une échéance importante. Les Français doivent savoir ce que pensent leurs élus de la politique du Gouvernement."
Q- Vous voulez les réveiller ?
R- "Je pense qu'ils sont en train de se réveiller et, en tout cas, de souffrir. Et ce qu'ils attendent de leurs élus, c'est de comprendre la situation qui est vécue par eux. Et je vois dans cette campagne une somme de souffrances, de frustrations, d'inquiétudes surtout, d'angoisses par rapport à l'avenir, notamment par rapport à l'emploi et au chômage. Quand sont annoncés des chiffres, comme vous le disiez, mais qui ne sont finalement que des trompe-l'oeil - j'allais presque dire des trompe-l'oeil électoraux -, parce que cette fameuse baisse du chômage qui tient à l'ampleur des radiations, c'est-à-dire des chômeurs que l'on décourage, voire que l'on interdit de s'inscrire, et en aucune façon à des créations d'emplois. Ce qui serait rassurant et ce que je serais heureux de pouvoir commenter aujourd'hui, c'est qu'il y ait une baisse statistique du chômage qui révèle plus d'emplois et, finalement, des chômeurs qui ont retrouvé le chemin de l'activité. Mais qu'est-ce que je suis obligé de constater ? L'ampleur des radiations, le fait qu'il y ait eu des personnes qui ont été renvoyées de l'Unedic et de l'ASS. Si le Gouvernement utilisait ce chiffre à des fins électorales - il peut y être tenté -, ce serait à la fois navrant, quand on sait le résultat, et choquant sur le plan démocratique. Rien que pour cela, cela vaudrait finalement une motion de censure."
Q- Que voulez-vous montrer ? Réunifier la gauche ? Vous parlez de la "veille d'une échéance". L'échéance se passe dans les urnes, elle ne se passe pas à l'Assemblée...
R- "A l'évidence mais, je le disais, nous sommes aussi dans une période où nous discutons un texte à l'Assemblée, qui est la future loi qui va organiser ce que je n'appelle pas la "décentralisation", mais sans doute le désengagement de l'Etat dans de nombreuses régions et départements, par rapport à des fonctions aussi essentielles que l'action sociale, notamment, ou l'action par rapport aux personnages âgées ou par rapport aux handicapés, ou les routes... Il est quand même normal - c'est le rôle du Parlement -, alors que nous sommes en consultation électorale sur ces mêmes sujets, d'appeler l'attention de l'opinion, d'interpeller le Gouvernement et de faire en sorte que la campagne démocratique que nous avons soit assise, si je puis dire, sur les sujets qui intéressent véritablement le plus les Français. C'est notre rôle de le faire. Je suis même extrêmement surpris que le Gouvernement puisse s'interroger sur la procédure que nous mettons en oeuvre, parce qu'elle permet - et il n'a rien à craindre - cette confrontation démocratique..."
Q- C'est de bonne guerre, tout cela...
R- "S'il était très fier de sa politique, je pense qu'il l'expliquerait davantage."
Q- Les transferts financiers qui seront inscrits dans la Constitution, cela ne vous convainc pas ?
R- "Ce qui est dit dans la Constitution, c'est un principe..."
Q- C'est ce qui sera dit...
R- "Non, la Constitution a déjà été modifiée. C'est donc un principe : c'est que normalement, il faut que tout transfert de charges soit compensé. Mais par exemple, prenons le RMI : le RMI va être renvoyé sur les conseils généraux, les départements. Tout RMI supplémentaire - et il y a de quoi penser qu'il y en aura davantage, compte tenu de l'ampleur des radiations des inscrits, jusque-là, au chômage -, quand il y aura plus de RMIstes, la compensation ne jouera plus. Ce sera le conseil général, le département, le contribuable local qui devra prendre en charge le surplus, hélas, de personnes mises ainsi en RMI. De la même manière, pour ce que l'on appelle le RMA, c'est-à-dire cette façon de subventionner le travail dans un certain nombre d'entreprises ou de secteurs publics : chaque fois qu'il y aura un recrutement de plus que prévu, ce seront les collectivités locales qui paieront. Et je dois aussi parler des routes : chaque fois qu'il y a une route supplémentaire, ce sera le conseil général qui paiera..."
Q- Et les députés ayant refusé le péage pour les routes, ce seront effectivement les contribuables qui paieront. Mais vous-mêmes, vous avez proposé la création de 100.000 emplois tremplins ; ce seront donc bien des emplois à la charge des régions ?
R- "Que des régions et des départements s'engagent pour la création d'emplois dans les associations - et il y a besoin, aussi bien pour l'accompagnement des personnes âgées, que pour le soutien aux familles les plus en difficulté, que pour la culture, que pour le sport -, qu'il faille effectivement compenser toutes les diminutions et suppressions d'emplois-jeunes qui ont été engagées par l'actuel Gouvernement, oui, il faut le faire. Et c'est aux régions et aux départements, maintenant, de prendre leurs responsabilités. Je veux que les élections qui viennent, au mois de mars, soient des élections utiles. Je ne suis pas là simplement pour essayer de capter un malheur, une rancune à l'égard du Gouvernement. Je souhaite pour mon pays que les régions et les départements puissent utiliser toutes leurs compétences pour être utiles aux concitoyens, notamment sur l'emploi."
Q- Quand vous dites "utiles", ce sont des élections-sanction contre le Gouvernement ? "Utiles" pour vous aussi, pour la gauche qui doit se réveiller ?
R- "Non, utiles d'abord aux Français et aux citoyens. Il faut que ces élections qui concernent des collectivités, qui ont des moyens en termes de fonctionnement, mais surtout d'investissement, considérables, il faut que pour les lycées, pour la formation professionnelle, pour l'environnement, pour la politique de la ville, il y ait une amélioration. C'est possible dès 2004. Je pourrais dire aux citoyens : "Sanctionnez le Gouvernement, punissez-le, il y a matière". J'ai vu qu'il voulait même inventer un contrat à durée déterminée dans la fonction publique. On avait déjà la menace du contrat de mission dans le secteur privé, pour se substituer au contrat à durée indéterminée ; le Gouvernement nous a dit qu'il n'allait pas le faire. Et dans l'Etat, nous avons maintenant la preuve - et je vous le dis assez solennellement - qu'ils veulent mettre le contrat de mission, y compris dans la fonction publique. C'est-à-dire que maintenant, une partie des recrutements ne se ferait pas sous le statut de la fonction publique, mais avec des contrats à durée déterminée. Alors, à l'évidence, il y a des raisons d'être mécontent, mais en même temps, je souhaite que ces élections régionales soient l'occasion pour la gauche, non pas simplement d'obtenir un résultat sur la droite, mais de pouvoir agir dans les collectivités publiques, dans les collectivités locales, pour être utile aux Français."
Q- En somme, il ne faut pas trop nationaliser cette campagne ?
R- "Si, il faut la nationaliser, au sens où il y a une politique du Gouvernement à juger, à condamner, il y a des avertissements à lancer, il y a même des menaces à conjurer. J'évoquais le contrat à durée déterminée, et pour le secteur privé et pour le secteur public. Mais en même temps, il faut respecter l'enjeu : l'enjeu est aussi un enjeu territorial. Et nous pouvons agir à cette échelle-là, nous la gauche, si nous sommes majoritaires dans les régions, pour essayer de transformer la société, à la mesure des moyens et des compétences qui seront proposés."
Q- Il y a aussi un enjeu à l'intérieur du Parti socialiste, parce que tout le monde est en campagne. C'est un peu chacun pour soi dans cette campagne ? Vous jouez un peu votre leadership aussi, non ?
R- "Dans cette campagne, j'ai demandé à toutes les personnalités, à tous ceux qui font la force du Parti socialiste, de se mobiliser, parce que c'est une élection très importante..."
Q- Et tout le monde joue le jeu, pas perso ?
R- "Tout le monde joue le jeu... S'ils veulent le jouer perso, je ne pense pas qu'ils marqueront beaucoup de buts. C'est le jeu collectif qui l'emporte et je suis garant de ce collectif. Mais j'alerte aussi nos concitoyens : il n'y aura pas d'autres élections - certes, il y aura les élections européennes au mois de juin - avant 2007. J'ai bien compris que le Gouvernement voulait jouer la "brouille", c'est-à-dire l'abstention. Je pense que c'est la mobilisation et la participation qui renforceront notre démocratie."
Q- L'Assemblée va publier - il y a déjà eu beaucoup de fuites - le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur la canicule. On parle de "dysfonctionnements", on pointe le ministère de la Santé, évidemment. Le groupe socialiste met en cause le Gouvernement tout entier. Cela veut dire qu'on ne veut pas désigner un ministre en particulier ?
R- "Il faut éviter, ce qui est souvent une tentation, notamment dans un gouvernement qui est difficulté, c'est-à-dire le bouc émissaire, en disant "c'est lui", voire, en l'occurrence, seulement son entourage, parce que tout est fait pour que l'on désigne simplement le cabinet de J.-F. Mattei. Ce serait quand même une procédure qui ne serait pas digne que de s'en prendre à des anonymes et à un entourage. Donc, nous disons qu'il y a des décisions qui n'ont pas été prises suffisamment tôt, il y a des informations qui n'ont pas été transmises, il y a une alerte qui n'a pas été prononcée, et puis il y avait les crédits qui n'avaient pas été mis suffisamment pour les personnes âgées, voire qui avaient été supprimés. C'est pourquoi nous parlons d'une responsabilité collective et d'une responsabilité politique."
Q- Et vous ne demanderez aucune démission ?
R- "C'est au Gouvernement, maintenant, aux vues de ce rapport, de prendre les décisions qui s'imposent. D'abord des décisions pour améliorer les plans de réaction par rapport à des événements climatiques, de faire en sorte que les informations circulent mieux et que les alertes soient davantage [inaud], que les personnes âgées soient davantage suivies. Mais compte tenu de la gravité des conclusions de la commission, c'est vrai qu'il y aurait normalement, de la part du Premier ministre, une espèce d'aveu de dysfonctionnements qui sont apparus et non pas d'évitement de sa propre responsabilité."
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 27 février 2004)