Texte intégral
[...]
Q- Vous vous inquiétez de la sécheresse. J'ai lu vos déclarations hier et ous nous dites que dans certaines villes, dans certaines régions, dans certains départements, on pourrait manquer d'eau cet été ?
R- Si on ne faisait rien, on pourrait manquer d'eau. Mais on a quand même prévu, tous, nous les Français - les associations, le Gouvernement, les agriculteurs -, cette pénurie d'eau depuis l'hiver, depuis le mois de mars ; dans mon département, la Charente-maritime, on avait, en mars, le niveau d'eau dans nos rivières que l'on a d'habitude à la fin du mois d'août, le petit filet d'eau qui reste après un été très chaud. On a donc prévu à l'avance, tout le monde a pris ses précautions. Par exemple, les agriculteurs ont fait preuve de sens civique, en améliorant leurs plantations, par exemple avec moins de maïs, qui attrape de l'eau et plus de plantations... Il y a donc eu beaucoup de précautions en amont. Ceci étant, si on ne faisait pas attention, il y a des risques qui existent dans certaines régions de France. Je les ai donc rappelés hier, non pas pour faire peur, mais simplement pour que l'on sache bien que c'est une année de sécheresse extraordinaire, on est dans quelque chose qui n'est pas tout à fait 1976 ni 2003, on est pour l'instant entre les deux. Je discutais au Conseil des ministres à Luxembourg, hier, avec mon collègue portugais : au Portugal, c'est une sécheresse centenaire et, dans le sud du Portugal, ce sont les pompiers militaires qui apportent de l'eau pour nourrir le bétail. On n'en est heureusement pas là en France, mais je crois que c'est le moment de prendre des précautions, d'avoir un peu de civisme dans ses comportements, pour éviter une pénurie dans certains endroits à la fin de l'été.
Q- "Un peu de civisme"...
R- Pardon, "beaucoup de civisme" !
Q- Il va falloir que tout le monde s'y mette et que, par exemple, on arrête d'arroser, que des municipalités arrêtent d'arroser en plein jour et arrosent plutôt la nuit, que des particuliers aussi pensent aux gestes quotidiens, que des agriculteurs arrosent la nuit au lieu d'arroser le jour... Vous demandez à tout le monde de s'y mettre ?
R- Sous l'autorité des préfets, dans chaque département, ces mesures ont été prises dans les départements de l'Ouest et du Sud-Ouest depuis un certain temps. Vous avez raison : elles ne sont pas toujours respectées. On m'a donné hier des exemples. Même à la limite, entre deux départements, il y avait un arrêté dans un département et ça arrosait, et on franchissait le panneau limite entre les départements, on n'arrosait plus ! Tout cela va être maintenant coordonné...
Q- N'avez-vous pas les moyens de contrôler ?
R- Les moyens de contrôle existent. On ne va pas mettre un gendarme ou un policier derrière chaque jardinier du dimanche ou derrière chaque agriculteur, je crois que c'est une question de civisme. On sait bien qu'en plus, cela ne sert à rien d'arroser le jour : si vous avez un petit potager et que vous mettez de l'eau en plein cagnard, votre eau va partir dans le ciel. Il faut donc mieux arroser le matin ou le soir. Si tout le monde fait preuve de volonté, il n'y aura pas de soucis, les choses se passeront bien. Mais il faut que tout le monde fasse preuve de bonne volonté. C'est le rôle des pouvoirs publics, au moment en plus où il fait très chaud et donc où on est sensibilisé à ces questions-là, de le dire. Et ensuite, les choses se passeront normalement, mais il faudra être prudent et attentif tout au long de l'été.
Q- Parlons de T. Blair, qui va intervenir aujourd'hui devant le Parlement européen de Strasbourg et présenter les priorités de ses six mois de présidence britannique de l'Union européenne. Il n'y va pas par quatre chemins : il n'aime apparemment pas les agriculteurs, et notamment les agriculteurs français ! Il dit qu'il faut réformer la PAC, qu'il faut de l'argent pour des emplois et pas pour des vaches, que l'Union européenne doit investir dans l'innovation et dans la formation, et non pas subventionner chaque vache à hauteur de 2 euros par jour !
R- C'est un propos qu'on peut juger excessif mais ce n'est pas à un membre du Gouvernement français de le dire. C'est un propos qui n'est pas la vérité. La vérité est que l'Europe a fait le choix, depuis les années 60, d'avoir une politique intégrée d'agriculture. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, M. Blair a raison, c'est à peu près 40 à 42 % du budget, et si on met en face la population purement agricole, on peut trouver que c'est choquant. Mais permettez-moi de donner deux arguments de bon sens. Le premier est que comme on a choisi de mettre la politique agricole quasiment comme la seule politique intégrée, il est normal que dans le budget européen, elle ait cette place. Si on mettait, demain, la recherche, l'éducation, la formation, la culture et la défense, on s'apercevrait naturellement que les budgets nationaux diminueraient du montant et que la part dans le budget européen serait beaucoup plus forte. Par exemple, on dit que les politiques publiques pour l'agriculture en Europe, européennes et nationales, représentent 3,5 % des dépenses des politiques publiques de tous les Etats européens et de l'Europe ensemble. Les politiques publiques de la défense, c'est plus de 7 %. C'est simplement parce que l'on a fait le choix de faire de cette politique la première politique en terme européen que par nature, et comme elle est la seule, elle occupe le budget européen. J'ajoute en plus qu'il ne faut pas simplement parler de la population agricole. Je donne un exemple en France : la population agricole, c'est 3 ou 4 %, mais la population qui dépend de l'agriculture, les industries agroalimentaires, l'artisanat, les servies, les banques etc., c'est 16 % de la population employée en France. En Europe, les industries agroalimentaires, c'est 2,5 millions d'emplois. Donc M. Blair utilise les chiffres pour marquer les esprits, mais ils ne correspondent pas à la réalité.
Q- Mais pourquoi ? Qu'a-t-il derrière la tête ?
R- Je pense que la PAC n'a jamais été vraiment acceptée par nos amis britanniques. Lorsqu'ils sont venus dans l'Europe, ils l'ont acceptée parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Il y a très peu d'agriculteurs en Grande-Bretagne et la Grande-Bretagne, à la tête du Commonwealth, a traditionnellement eu l'idée de se nourrir à bas prix, à l'extérieur de l'Europe, dans les pays qui étaient sous sa responsabilité politique ou avec lesquels elle avait des liens économiques. Alors que nous, Français, Allemands, Italiens et Espagnols, nous avons une autre vision : nous disons que nous devons produire en Europe pour alimenter nos citoyens ; pour avoir une excellente sécurité sanitaire - parce que ça aussi, quand on contrôle ses approvisionnements, on contrôle la sécurité sanitaire, donc la santé de ses concitoyens. Trois, nous exportons : la France est la première puissance exportatrice européenne et la deuxième mondiale - et ce n'est pas rien, ce sont des millions d'emplois qui sont derrière tout cela. Quatre, nous allons peut-être produire demain notre énergie. Dans cinquante ans, il n'y a plus de pétrole, mais on aura besoin de bioéthanol, de bioester, de l'énergie verte pour vivre au quotidien, pour nos voitures, pour notre chauffage etc. Et cinq, naturellement, pour tout cela, nous protégeons nos frontières et nous avons une politique de préférence communautaire. Voilà ce que nous disons et je pense que c'est un message cohérent. En particulier, j'insiste beaucoup sur la sécurité sanitaire, qui est aujourd'hui au cur des préoccupations de tout notre système de santé...
Q- Et qui n'a pas été au cur des préoccupations de la Grande- Bretagne ?
R- Il y a eu des moments difficiles...
Q- Comme la vache folle... Mais qu'allez-vous faire concrètement pour répliquer à T. Blair ?
R- D'abord, on va expliquer ces arguments. Et il faut bien voir que l'Angleterre est très isolée dans l'Europe. J'étais lundi et mardi au Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche à Luxembourg : attaquant la PAC, il n'y avait personne, même la ministre britannique, Mme Beckett, qui va présider nos travaux à partir du 1er juillet, n'a aucun moment tenu des propos contre la PAC. Il y a l'agitation des discours, il y a les grandes envolées, et puis il y a la réalité. Je vais même vous donner un exemple précis : alors que nous étions au lendemain, malheureusement, de l'échec du Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche a voté à l'unanimité - je dis bien à l'unanimité - un règlement de développement rural extrêmement important pour la cohésion territoriale de notre ruralité.
Q- Mais quelles voies, quelles pressions avons-nous, alors que nous avons dit "non" à l'Europe et que les agriculteurs français ont voté "non" ?
R- Ce n'est pas vrai, permettez-moi de vous corriger. Il y a eu la distinction entre les communes rurales, c'est-à-dire les communes de moins de 2 500 habitants, qui ont voté, en très forte moyenne, pour le "non" et quand on regarde de plus près - les instituts de sondage l'ont fait - les votes des agriculteurs, on s'aperçoit que naturellement, les quelques partisans de J. Bové et de quelques autres ont voté "non", mais que le syndicalisme majoritaire - les jeunes agriculteurs, les membres de la FNSEA, enfin tous ceux qui sont dans la famille majoritaire de l'agriculture - ont voté à 63 % pour le "oui", c'est-à-dire plus bien plus qu'ils ne l'ont fait au moment de Maastricht. Il ne faut donc pas confondre une ruralité, qui a de légitimes inquiétudes - problèmes de service public, problèmes, on l'a vu, dans la Creuse au printemps -, les questions qui ont été posées quant à une inquiétude de la ruralité, et une profession, exploitant agricole, qui sont des chefs d'entreprise, qui ont bien compris que leur intérêt c'était l'Europe et qui ont voté majoritairement pour le oui, il faut bien distinguer, parce que souvent, l'amalgame et fait et vous le faisiez par mégarde.
Q- "Toutes nos marges budgétaires iront à l'emploi", a dit D. de Villepin le 8 juin dernier. Le Gouvernement s'aperçoit, après trois ans de Gouvernement qu'il faut lutter contre
le chômage ?
R- C'est injuste, monsieur Bourdin ! On a fait que cela, et d'ailleurs, je dois dire aussi, nos prédécesseurs, tous les gouvernements ont fait cela depuis vingt ans. Simplement, quand on s'aperçoit que cela ne va pas aux résultats que nous souhaiterions et qu'en particulier, sur le terrain, la mise en place du plan de cohésion sociale demande plus de temps que prévu à cause des lourdeurs administratives, eh bien le Premier ministre a raison, il force le dispositif, il va devant le Parlement avec des ordonnances pour faire en sorte que les mesures soient adoptées avant le début septembre et il force le dispositif, parce que c'est vrai que l'on ne peut pas admettre dans notre société de continuer de voir monter le chômage, c'est quelque chose d'inacceptable pour un pays comme la France.
Q- Ce qui veut dire que certaines marges budgétaires n'allaient pas à l'emploi avant ?
R- Non, mais cela veut dire que l'on cherche des idées nouvelles et qu'on les a trouvées...
Q- C'est-à-dire qu'avant le 8 juin, on ne consacrait pas tous nos efforts à la lutte contre le chômage ?
R- Non, ce n'est pas du tout cela. Simplement, c'est comme lorsque vous êtes en voiture sur le Boulevard des Maréchaux - enfin, plus maintenant, parce qu'il y a les travaux du tramway - : il y a des moments où vous êtes en première, et vous passez la seconde. Ce n'est pas parce que vous avez changé de voiture ni changé d'avis, c'est simplement parce que vous avez senti la nécessité d'accélérer.
Q- Dans les domaines qui vous concernent, l'agriculture et la pêche, quels sont les efforts que vous allez consacrer pour l'emploi ?
R- C'est un secteur dans lequel on peut faire énormément pour l'emploi. Je vais vous donner un exemple dans l'agriculture : dans la loi d'orientation agricole, qui sera discutée au Parlement à partir de l'automne, qui est un texte très important souhaité par le président de la République, nous avons une mesure pour le remplacement des éleveurs. Un jeune, aujourd'hui, qui est éleveur bovin ou caprin etc., il se dit qu'il ne peut pas partir : soit j'ai un troupeau laitier et je dois être là matin et soir, même avec les systèmes de traite automatiques ; soit je suis obligé de surveiller mon troupeau, s'il est en pâturage. On va donc créer une mesure dans cette loi, permettant aux jeunes de partir : l'Etat va prendre en charge le remplacement. Voilà un domaine d'emploi. Dans la ruralité, où il y a beaucoup de personnes isolées - on en parle beaucoup en ce moment avec la canicule -, il y a des tas d'emplois de service et de proximité que l'on peut créer. Et l'industrie agroalimentaire - aujourd'hui où J. Arthuis nous parle de son rapport sur les délocalisations - n'est pas délocalisable, puisqu'elle est liée à une ressource qui est ici : quand vous faites du yaourt dans un bassin laitier, vous avez la ressource à côté, vous n'allez pas faire le lait en Bretagne et allez produire le yaourt en Hongrie. L'industrie agroalimentaire et l'agriculture sont donc en capacité de créer beaucoup d'emplois qu'elle ne le font actuellement. Nous allons proposer de nouvelles mesures dans la loi d'orientation agricole également.
Q- Sauf que Bruxelles fait mal à l'emploi, par exemple pour les pêcheurs d'anchois, dont on va parler...
R- Bien sûr que l'on va en parler, c'est une affaire grave !
Q- Et c'est Bruxelles qui décide l'interdiction de la pêche à l'anchois, pendant trois mois, dans le Golfe de Gascogne.
R- Je vais dire deux mots de l'histoire. Il y a eu la pêche aux anchois par les Espagnols, au printemps, qui se fait toujours avant la nôtre. Il n'y avait pas d'anchois, donc les Espagnols ont eu de grandes difficultés et ont demandé à la Commission européenne d'arrêter la pêche pour protéger la ressource. Nous avons trouvé que la mesure demandée par les Espagnols était trop importante : la Commission, sous la pression des Espagnols, voulait nous imposer six mois de fermeture. Nous avons demandé, dans un premier temps, que l'on fasse plutôt une zone de protection, ce que l'on appelle un "box", une boîte dans laquelle on ne va pas pêcher. Cela a été refusé par le Commission. Nous avons pu obtenir une mesure qui n'est pas bonne mais qui est la moins mauvaise possible : trois mois de fermeture seulement, à partir juillet - cela permet donc encore de pêcher quelques mois - et, surtout, à tout moment, un comité scientifique se réunira et si l'on voit, comme cela s'est déjà produit à d'autres périodes dans la vie de l'anchois dans le Golfe de Gascogne, que la ressource revient - parce ce que ce sont des choses que l'on ne maîtrise pas, qui ne sont pas aussi rationnelles qu'on le pense -, la Commission a pris l'engagement, y compris pendant la durée des trois mois, y compris dans les premiers jours des trois mois, de rouvrir la pêche, si scientifiquement, on s'est aperçu que la ressource anchois est revenue. Nous allons recevoir les pêcheurs aujourd'hui et nous allons essayer de prendre naturellement avec eux des mesures de compensation.
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(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juin 2005)
Q- Vous vous inquiétez de la sécheresse. J'ai lu vos déclarations hier et ous nous dites que dans certaines villes, dans certaines régions, dans certains départements, on pourrait manquer d'eau cet été ?
R- Si on ne faisait rien, on pourrait manquer d'eau. Mais on a quand même prévu, tous, nous les Français - les associations, le Gouvernement, les agriculteurs -, cette pénurie d'eau depuis l'hiver, depuis le mois de mars ; dans mon département, la Charente-maritime, on avait, en mars, le niveau d'eau dans nos rivières que l'on a d'habitude à la fin du mois d'août, le petit filet d'eau qui reste après un été très chaud. On a donc prévu à l'avance, tout le monde a pris ses précautions. Par exemple, les agriculteurs ont fait preuve de sens civique, en améliorant leurs plantations, par exemple avec moins de maïs, qui attrape de l'eau et plus de plantations... Il y a donc eu beaucoup de précautions en amont. Ceci étant, si on ne faisait pas attention, il y a des risques qui existent dans certaines régions de France. Je les ai donc rappelés hier, non pas pour faire peur, mais simplement pour que l'on sache bien que c'est une année de sécheresse extraordinaire, on est dans quelque chose qui n'est pas tout à fait 1976 ni 2003, on est pour l'instant entre les deux. Je discutais au Conseil des ministres à Luxembourg, hier, avec mon collègue portugais : au Portugal, c'est une sécheresse centenaire et, dans le sud du Portugal, ce sont les pompiers militaires qui apportent de l'eau pour nourrir le bétail. On n'en est heureusement pas là en France, mais je crois que c'est le moment de prendre des précautions, d'avoir un peu de civisme dans ses comportements, pour éviter une pénurie dans certains endroits à la fin de l'été.
Q- "Un peu de civisme"...
R- Pardon, "beaucoup de civisme" !
Q- Il va falloir que tout le monde s'y mette et que, par exemple, on arrête d'arroser, que des municipalités arrêtent d'arroser en plein jour et arrosent plutôt la nuit, que des particuliers aussi pensent aux gestes quotidiens, que des agriculteurs arrosent la nuit au lieu d'arroser le jour... Vous demandez à tout le monde de s'y mettre ?
R- Sous l'autorité des préfets, dans chaque département, ces mesures ont été prises dans les départements de l'Ouest et du Sud-Ouest depuis un certain temps. Vous avez raison : elles ne sont pas toujours respectées. On m'a donné hier des exemples. Même à la limite, entre deux départements, il y avait un arrêté dans un département et ça arrosait, et on franchissait le panneau limite entre les départements, on n'arrosait plus ! Tout cela va être maintenant coordonné...
Q- N'avez-vous pas les moyens de contrôler ?
R- Les moyens de contrôle existent. On ne va pas mettre un gendarme ou un policier derrière chaque jardinier du dimanche ou derrière chaque agriculteur, je crois que c'est une question de civisme. On sait bien qu'en plus, cela ne sert à rien d'arroser le jour : si vous avez un petit potager et que vous mettez de l'eau en plein cagnard, votre eau va partir dans le ciel. Il faut donc mieux arroser le matin ou le soir. Si tout le monde fait preuve de volonté, il n'y aura pas de soucis, les choses se passeront bien. Mais il faut que tout le monde fasse preuve de bonne volonté. C'est le rôle des pouvoirs publics, au moment en plus où il fait très chaud et donc où on est sensibilisé à ces questions-là, de le dire. Et ensuite, les choses se passeront normalement, mais il faudra être prudent et attentif tout au long de l'été.
Q- Parlons de T. Blair, qui va intervenir aujourd'hui devant le Parlement européen de Strasbourg et présenter les priorités de ses six mois de présidence britannique de l'Union européenne. Il n'y va pas par quatre chemins : il n'aime apparemment pas les agriculteurs, et notamment les agriculteurs français ! Il dit qu'il faut réformer la PAC, qu'il faut de l'argent pour des emplois et pas pour des vaches, que l'Union européenne doit investir dans l'innovation et dans la formation, et non pas subventionner chaque vache à hauteur de 2 euros par jour !
R- C'est un propos qu'on peut juger excessif mais ce n'est pas à un membre du Gouvernement français de le dire. C'est un propos qui n'est pas la vérité. La vérité est que l'Europe a fait le choix, depuis les années 60, d'avoir une politique intégrée d'agriculture. Ce qui veut dire qu'aujourd'hui, M. Blair a raison, c'est à peu près 40 à 42 % du budget, et si on met en face la population purement agricole, on peut trouver que c'est choquant. Mais permettez-moi de donner deux arguments de bon sens. Le premier est que comme on a choisi de mettre la politique agricole quasiment comme la seule politique intégrée, il est normal que dans le budget européen, elle ait cette place. Si on mettait, demain, la recherche, l'éducation, la formation, la culture et la défense, on s'apercevrait naturellement que les budgets nationaux diminueraient du montant et que la part dans le budget européen serait beaucoup plus forte. Par exemple, on dit que les politiques publiques pour l'agriculture en Europe, européennes et nationales, représentent 3,5 % des dépenses des politiques publiques de tous les Etats européens et de l'Europe ensemble. Les politiques publiques de la défense, c'est plus de 7 %. C'est simplement parce que l'on a fait le choix de faire de cette politique la première politique en terme européen que par nature, et comme elle est la seule, elle occupe le budget européen. J'ajoute en plus qu'il ne faut pas simplement parler de la population agricole. Je donne un exemple en France : la population agricole, c'est 3 ou 4 %, mais la population qui dépend de l'agriculture, les industries agroalimentaires, l'artisanat, les servies, les banques etc., c'est 16 % de la population employée en France. En Europe, les industries agroalimentaires, c'est 2,5 millions d'emplois. Donc M. Blair utilise les chiffres pour marquer les esprits, mais ils ne correspondent pas à la réalité.
Q- Mais pourquoi ? Qu'a-t-il derrière la tête ?
R- Je pense que la PAC n'a jamais été vraiment acceptée par nos amis britanniques. Lorsqu'ils sont venus dans l'Europe, ils l'ont acceptée parce qu'ils ne pouvaient pas faire autrement. Il y a très peu d'agriculteurs en Grande-Bretagne et la Grande-Bretagne, à la tête du Commonwealth, a traditionnellement eu l'idée de se nourrir à bas prix, à l'extérieur de l'Europe, dans les pays qui étaient sous sa responsabilité politique ou avec lesquels elle avait des liens économiques. Alors que nous, Français, Allemands, Italiens et Espagnols, nous avons une autre vision : nous disons que nous devons produire en Europe pour alimenter nos citoyens ; pour avoir une excellente sécurité sanitaire - parce que ça aussi, quand on contrôle ses approvisionnements, on contrôle la sécurité sanitaire, donc la santé de ses concitoyens. Trois, nous exportons : la France est la première puissance exportatrice européenne et la deuxième mondiale - et ce n'est pas rien, ce sont des millions d'emplois qui sont derrière tout cela. Quatre, nous allons peut-être produire demain notre énergie. Dans cinquante ans, il n'y a plus de pétrole, mais on aura besoin de bioéthanol, de bioester, de l'énergie verte pour vivre au quotidien, pour nos voitures, pour notre chauffage etc. Et cinq, naturellement, pour tout cela, nous protégeons nos frontières et nous avons une politique de préférence communautaire. Voilà ce que nous disons et je pense que c'est un message cohérent. En particulier, j'insiste beaucoup sur la sécurité sanitaire, qui est aujourd'hui au cur des préoccupations de tout notre système de santé...
Q- Et qui n'a pas été au cur des préoccupations de la Grande- Bretagne ?
R- Il y a eu des moments difficiles...
Q- Comme la vache folle... Mais qu'allez-vous faire concrètement pour répliquer à T. Blair ?
R- D'abord, on va expliquer ces arguments. Et il faut bien voir que l'Angleterre est très isolée dans l'Europe. J'étais lundi et mardi au Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche à Luxembourg : attaquant la PAC, il n'y avait personne, même la ministre britannique, Mme Beckett, qui va présider nos travaux à partir du 1er juillet, n'a aucun moment tenu des propos contre la PAC. Il y a l'agitation des discours, il y a les grandes envolées, et puis il y a la réalité. Je vais même vous donner un exemple précis : alors que nous étions au lendemain, malheureusement, de l'échec du Conseil des chefs d'Etat et de gouvernement, le Conseil des ministres de l'Agriculture et de la Pêche a voté à l'unanimité - je dis bien à l'unanimité - un règlement de développement rural extrêmement important pour la cohésion territoriale de notre ruralité.
Q- Mais quelles voies, quelles pressions avons-nous, alors que nous avons dit "non" à l'Europe et que les agriculteurs français ont voté "non" ?
R- Ce n'est pas vrai, permettez-moi de vous corriger. Il y a eu la distinction entre les communes rurales, c'est-à-dire les communes de moins de 2 500 habitants, qui ont voté, en très forte moyenne, pour le "non" et quand on regarde de plus près - les instituts de sondage l'ont fait - les votes des agriculteurs, on s'aperçoit que naturellement, les quelques partisans de J. Bové et de quelques autres ont voté "non", mais que le syndicalisme majoritaire - les jeunes agriculteurs, les membres de la FNSEA, enfin tous ceux qui sont dans la famille majoritaire de l'agriculture - ont voté à 63 % pour le "oui", c'est-à-dire plus bien plus qu'ils ne l'ont fait au moment de Maastricht. Il ne faut donc pas confondre une ruralité, qui a de légitimes inquiétudes - problèmes de service public, problèmes, on l'a vu, dans la Creuse au printemps -, les questions qui ont été posées quant à une inquiétude de la ruralité, et une profession, exploitant agricole, qui sont des chefs d'entreprise, qui ont bien compris que leur intérêt c'était l'Europe et qui ont voté majoritairement pour le oui, il faut bien distinguer, parce que souvent, l'amalgame et fait et vous le faisiez par mégarde.
Q- "Toutes nos marges budgétaires iront à l'emploi", a dit D. de Villepin le 8 juin dernier. Le Gouvernement s'aperçoit, après trois ans de Gouvernement qu'il faut lutter contre
le chômage ?
R- C'est injuste, monsieur Bourdin ! On a fait que cela, et d'ailleurs, je dois dire aussi, nos prédécesseurs, tous les gouvernements ont fait cela depuis vingt ans. Simplement, quand on s'aperçoit que cela ne va pas aux résultats que nous souhaiterions et qu'en particulier, sur le terrain, la mise en place du plan de cohésion sociale demande plus de temps que prévu à cause des lourdeurs administratives, eh bien le Premier ministre a raison, il force le dispositif, il va devant le Parlement avec des ordonnances pour faire en sorte que les mesures soient adoptées avant le début septembre et il force le dispositif, parce que c'est vrai que l'on ne peut pas admettre dans notre société de continuer de voir monter le chômage, c'est quelque chose d'inacceptable pour un pays comme la France.
Q- Ce qui veut dire que certaines marges budgétaires n'allaient pas à l'emploi avant ?
R- Non, mais cela veut dire que l'on cherche des idées nouvelles et qu'on les a trouvées...
Q- C'est-à-dire qu'avant le 8 juin, on ne consacrait pas tous nos efforts à la lutte contre le chômage ?
R- Non, ce n'est pas du tout cela. Simplement, c'est comme lorsque vous êtes en voiture sur le Boulevard des Maréchaux - enfin, plus maintenant, parce qu'il y a les travaux du tramway - : il y a des moments où vous êtes en première, et vous passez la seconde. Ce n'est pas parce que vous avez changé de voiture ni changé d'avis, c'est simplement parce que vous avez senti la nécessité d'accélérer.
Q- Dans les domaines qui vous concernent, l'agriculture et la pêche, quels sont les efforts que vous allez consacrer pour l'emploi ?
R- C'est un secteur dans lequel on peut faire énormément pour l'emploi. Je vais vous donner un exemple dans l'agriculture : dans la loi d'orientation agricole, qui sera discutée au Parlement à partir de l'automne, qui est un texte très important souhaité par le président de la République, nous avons une mesure pour le remplacement des éleveurs. Un jeune, aujourd'hui, qui est éleveur bovin ou caprin etc., il se dit qu'il ne peut pas partir : soit j'ai un troupeau laitier et je dois être là matin et soir, même avec les systèmes de traite automatiques ; soit je suis obligé de surveiller mon troupeau, s'il est en pâturage. On va donc créer une mesure dans cette loi, permettant aux jeunes de partir : l'Etat va prendre en charge le remplacement. Voilà un domaine d'emploi. Dans la ruralité, où il y a beaucoup de personnes isolées - on en parle beaucoup en ce moment avec la canicule -, il y a des tas d'emplois de service et de proximité que l'on peut créer. Et l'industrie agroalimentaire - aujourd'hui où J. Arthuis nous parle de son rapport sur les délocalisations - n'est pas délocalisable, puisqu'elle est liée à une ressource qui est ici : quand vous faites du yaourt dans un bassin laitier, vous avez la ressource à côté, vous n'allez pas faire le lait en Bretagne et allez produire le yaourt en Hongrie. L'industrie agroalimentaire et l'agriculture sont donc en capacité de créer beaucoup d'emplois qu'elle ne le font actuellement. Nous allons proposer de nouvelles mesures dans la loi d'orientation agricole également.
Q- Sauf que Bruxelles fait mal à l'emploi, par exemple pour les pêcheurs d'anchois, dont on va parler...
R- Bien sûr que l'on va en parler, c'est une affaire grave !
Q- Et c'est Bruxelles qui décide l'interdiction de la pêche à l'anchois, pendant trois mois, dans le Golfe de Gascogne.
R- Je vais dire deux mots de l'histoire. Il y a eu la pêche aux anchois par les Espagnols, au printemps, qui se fait toujours avant la nôtre. Il n'y avait pas d'anchois, donc les Espagnols ont eu de grandes difficultés et ont demandé à la Commission européenne d'arrêter la pêche pour protéger la ressource. Nous avons trouvé que la mesure demandée par les Espagnols était trop importante : la Commission, sous la pression des Espagnols, voulait nous imposer six mois de fermeture. Nous avons demandé, dans un premier temps, que l'on fasse plutôt une zone de protection, ce que l'on appelle un "box", une boîte dans laquelle on ne va pas pêcher. Cela a été refusé par le Commission. Nous avons pu obtenir une mesure qui n'est pas bonne mais qui est la moins mauvaise possible : trois mois de fermeture seulement, à partir juillet - cela permet donc encore de pêcher quelques mois - et, surtout, à tout moment, un comité scientifique se réunira et si l'on voit, comme cela s'est déjà produit à d'autres périodes dans la vie de l'anchois dans le Golfe de Gascogne, que la ressource revient - parce ce que ce sont des choses que l'on ne maîtrise pas, qui ne sont pas aussi rationnelles qu'on le pense -, la Commission a pris l'engagement, y compris pendant la durée des trois mois, y compris dans les premiers jours des trois mois, de rouvrir la pêche, si scientifiquement, on s'est aperçu que la ressource anchois est revenue. Nous allons recevoir les pêcheurs aujourd'hui et nous allons essayer de prendre naturellement avec eux des mesures de compensation.
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(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 juin 2005)