Déclaration de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, sur le projet français pour l'Europe, à Madrid le 5 septembre 2005.

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Circonstance : Conférence des ambassadeurs espagnols dans l'Union européenne, à Madrid (Espagne) le 5 septembre 2005

Texte intégral

Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames, Messieurs,
Je m'exprimais la semaine dernière devant les Ambassadeurs de France réunis, et c'est un très grand honneur pour moi de pouvoir maintenant m'exprimer ici devant vous.
Je crois que c'est la première fois pour un ministre français, cela honore mon pays et j'en suis très reconnaissante à votre ministre, M. Moratinos, et à mon collègue et ami, secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Alberto Navarro.
Un peu plus de trois mois se sont écoulés depuis le référendum français du 29 mai. Comme beaucoup, vous vous êtes certainement interrogés sur ses raisons, et aussi sur ses conséquences. Et en particulier sur le projet européen de la France au lendemain de ce vote. C'est bien normal.
Je souhaite donc vous dire quel est aujourd'hui ce projet et, avant toute chose, vous confirmer bien sûr que la France restera pleinement engagée dans la construction européenne, comme le président de la République l'a écrit à tous ses partenaires dès le lendemain du référendum et comme le Premier ministre l'a aussi solennellement affirmé à la tribune de l'Assemblée nationale peu après sa nomination. Qu'il n'y ait aucun doute dans votre esprit : la France souhaite rester un élément moteur.
Et puis je veux aussi vous informer d'emblée d'un autre élément important de la position de la France.
Pour nous, le traité actuellement en vigueur, celui de Nice, n'est pas une solution durable car l'Europe élargie a besoin d'institutions rénovées pour fonctionner efficacement, démocratiquement et faciliter la prise de décision. C'était la raison d'être des travaux lors du Conseil européen de Laeken, pendant la Convention et la Conférence intergouvernementale. Aujourd'hui comme hier, ce besoin demeure.

Mais permettez-moi de centrer mon propos sur notre projet pour l'Europe.
Dans cette période de doutes et d'incertitudes, jamais il n'a été aussi important pour la France de réaffirmer la nature de son projet européen. C'est un devoir vis-à-vis de ses partenaires comme de ses citoyens, qui tous veulent savoir où nous allons. Je demeure à cet égard convaincue que l'Europe reste plus que jamais l'avenir de la France.
Comme le président de la République l'a dit, le projet de la France est celui d'une Europe politique, ambitieuse et solidaire.
L'Europe ne se résume pas à la mise en place d'une zone de libre-échange. Elle est depuis l'origine beaucoup plus que cela. La vision des fondateurs était bien de mettre les solidarités concrètes au service d'une ambition politique.
L'Europe n'est pas qu'un marché, elle est aussi une histoire, une culture, des principes, des valeurs communes et une volonté de s'unir pour défendre nos intérêts et peser sur les affaires du monde.
Une conscience européenne se forge progressivement : nous avons vu ces derniers jours, par exemple, combien les attentes sont fortes en matière de sécurité aérienne ou de mutualisation des moyens de lutte contre les incendies. Au moment des terribles feux au Portugal, l'Espagne et la France ont répondu présent. C'est une solidarité toute naturelle à l'égard d'un pays voisin. Cela montre aussi que, dès qu'un problème apparaît, les gens se demandent ce que l'Europe peut faire. Il y a un réflexe, c'est bien. Il y a une attente, aussi. Il faudra savoir y répondre et en tirer le meilleur.
Mais je reviens à notre projet. Ce projet d'une Europe forte et ambitieuse, la France veut le réaliser avec l'ensemble de ses partenaires, à 25.
C'est une Europe unie que nous voulons voir avancer, sachant que dans une Europe élargie il faudra utiliser les coopérations renforcées pour que certains ouvrent la voie à d'autres si nécessaire.
Ayant dit cela, je voudrais dire un mot de la nécessité, dans cette Europe, d'avoir un moteur.
Pour moi, la relation franco-allemande est particulière, ne serait-ce que par la responsabilité historique de nos deux pays. Mais entendons-nous bien : c'est pour entraîner les autres, pas une Europe à deux. Dans notre esprit, les choses sont très claires.
C'est bien la raison pour laquelle la France s'est réjouie de voir le nouveau gouvernement espagnol adopter une nouvelle ambition pour l'Europe et vouloir jouer un rôle moteur. C'est une nouvelle formidable, une très bonne chose. Je m'en réjouis, comme membre d'un gouvernement qui croit à l'Europe et comme amie de l'Espagne. Cette orientation est très importante et nous avons déjà tenu des sommets à 3, Espagne, Allemagne et France, qui illustrent la présence de l'Espagne dans le coeur de l'Europe. Essayons de continuer à bâtir dans cette direction.
Mais, avant tout, comment, dans le contexte actuel, aller de l'avant pour bâtir ce projet d'une Europe politique, ambitieuse et solidaire ? Je pense qu'il nous faut combiner plusieurs actions :
1 - Rendre l'Europe plus concrète ;
2 - Relever le défi de la mondialisation ;
3 - Faire entendre davantage la voix de l'Europe dans le monde.
1) La priorité doit être de rendre l'Europe plus concrète.
Si l'on tire les conséquences du 29 mai, il faut répondre aux attentes qui se sont exprimées. Cela passe par le développement de politiques efficaces et par des projets ambitieux et utiles.
Consolidons bien sûr les politiques actuelles qui ont fait leurs preuves et qui constituent le socle de la construction européenne - je pense notamment à la PAC - mais donnons aussi une impulsion aux politiques qui répondent aux attentes qui se sont exprimées.
Quand on se demande quelle est la préoccupation première des citoyens français, espagnols ou polonais, la réponse est simple : c'est l'emploi et la croissance.
Il y a cinq ans à Lisbonne, nous nous étions donné pour objectif de faire de l'Union la zone la plus compétitive au monde à l'horizon 2010. Reconnaissons-le, nous en sommes encore loin. Il faudra mettre les bouchées doubles. Nous devons davantage défendre l'économie européenne en utilisant les outils que nous avons su mettre en place.
Avec l'euro nous avons réussi à nous doter d'une monnaie mondiale et stable, qui nous protège des chocs extérieurs et des dévaluations compétitives. Il nous faut à présent développer une meilleure coordination des politiques économiques, pour agir dans le même sens et être plus efficaces. Toutes les potentialités de l'Eurogroupe ne sont pas utilisées, vous m'avez parlé, Cher Alberto, de l'idée d'un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement des pays ayant en commun l'euro pour prendre un certain nombre de décisions et utiliser ce qui les réunit : je trouve qu'elle mérite d'être étudiée.
La conquête des emplois de demain passe également par une action plus volontariste en matière de politique industrielle, de recherche, d'innovation et de grands réseaux. Nous avons réussi à faire Airbus. Utilisons les moyens à notre disposition, avec les grands projets tels ITER et Galileo, avec l'approfondissement du marché intérieur, pour faire émerger les grands champions européens de demain. Il y a une attente.
Sur la recherche, nous nous sommes donné l'objectif d'augmenter fortement le pourcentage du PIB qui y est consacré, pour atteindre 3 %. Il faut tenir le rythme. Le projet de budget pour 2007-2013 permettait de faire un premier pas en prévoyant 33 % de plus pour la recherche et l'innovation. Ce projet, je tiens à le faire remarquer, était donc un budget de modernisation, répondant aux besoins de l'Union élargie et c'est pourquoi nous l'avions accepté.
Il faut développer tout à la fois les budgets nationaux et, en complément, le budget européen pour la Recherche et le Développement. Il faut les deux.
La question reste aujourd'hui entière. L'Union a besoin d'un budget pour les années qui viennent et il est souhaitable qu'un accord soit conclu le plus rapidement possible sur la base de la proposition luxembourgeoise, pour un budget auquel chacun devra contribuer équitablement.
Sur le budget comme sur la stratégie de Lisbonne nous devons maintenir une concertation étroite entre Paris et Madrid. Le gouvernement français a récemment lancé la mise en uvre du Pacte européen pour la jeunesse, ainsi que la création d'une Agence de l'innovation industrielle, et a lancé un plan de développement de pôles de compétitivité, dont certains ont vocation européenne. Des synergies importantes pourraient être mises à profit avec les mesures élaborées par le gouvernement espagnol, comme le plan "Ingenio 2010".
Autre préoccupation quotidienne de nos concitoyens : la sécurité. Répondons-y également par des projets concrets. Qu'il s'agisse de sécurité aérienne ou maritime, de la protection des consommateurs, de l'environnement, de la sécurité civile ou de la lutte contre l'immigration clandestine, la grande criminalité ou le terrorisme, l'Europe nous offre un cadre d'action efficace.
Les attentats de Madrid ont tragiquement démontré l'urgence d'un renforcement de la coopération européenne dans la lutte contre le terrorisme. Notre coopération policière et judiciaire bilatérale exceptionnelle préfigure d'ailleurs parfois les avancées dans le cadre du G5 et au niveau de l'Union, qu'il s'agisse de casiers judiciaires communs, du mandat d'arrêt européen, ou d'équipes communes d'enquête. Je suis convaincue que nous devons combiner les différents niveaux de réponse pour être efficaces, à 2, à 5, à 25 ou autre. Nous serons d'autant plus efficaces que nous saurons additionner les niveaux de réponse.
2) L'Europe devra savoir aussi relever les défis de la mondialisation
Les citoyens ont de fortes interrogations et de fortes attentes à propos de la mondialisation, comme l'a montré la campagne référendaire en France, et c'est vrai, je pense, au-delà de la France.
N'oublions pas tout ce que celle-ci nous apporte. Mais les citoyens européens attendent aussi de l'Union européenne qu'elle contribue à la maîtriser, qu'elle les protège de ses effets négatifs, qu'elle les aide à en tirer les bénéfices et à adapter nos sociétés.
La crise récente, que nous venons de vivre au sein de l'Union européenne, a conduit tous les Etats membres à se poser de façon plus pressante la grande question d'aujourd'hui : comment faire de l'Europe un ensemble qui concilie davantage d'efficacité économique - qui nous apporte de la croissance et de l'emploi - et une dimension sociale à laquelle tous les pays européens sont attachés, avec bien sûr des différences en fonction de leur histoire ?
Un mot de prudence sur cette question complexe : sur ces sujets, ne nous laissons pas abuser par la fausse querelle entre les anciens et les modernes. Tout le monde veut une Europe qui avance. Comme tous les Etats membres, comme l'Espagne et la Pologne, la France veut une Union résolument tournée vers l'avenir, qui marche, qui crée des emplois, qui soit dynamique et efficace dans la compétition internationale, qui aide nos sociétés à s'adapter et qui permette à chacun d'épanouir ses talents. Mais il est tout aussi vrai qu'aucun de nos partenaires n'est prêt à accepter la remise en cause des valeurs européennes que sont le refus des discriminations, la solidarité entre les générations, la reconnaissance et le respect des partenaires sociaux.
Essayons plutôt de voir ce qui nous réunit. Nous partageons donc le même objectif. Le choix n'est pas entre immobilisme et dumping social ou fiscal, entre initiative et solidarité. Les chefs d'Etat ou de gouvernement évoqueront l'ensemble de ces questions lors du sommet informel du mois d'octobre, d'une façon ouverte et pragmatique. C'est en tout cas dans cet état d'esprit que nous abordons cette échéance.
Plus généralement, étudions les idées qui ont été mises sur la table pour que l'Europe reste fidèle à ses valeurs sociales dans la mondialisation : par exemple la promotion des normes sociales et environnementales dans les relations commerciales extérieures de l'Union et l'harmonisation fiscale, notamment des systèmes d'impôt sur les sociétés, pour éviter des distorsions de concurrence anormales.
3) Troisième et dernier axe d'action :
Développer des politiques efficaces, c'est aussi pour l'Europe défendre ses intérêts et faire entendre sa voix dans le monde.
On ne mesure pas toujours ce qu'on a obtenu, c'est l'Union européenne qui a permis d'obtenir des avancées sur le changement climatique - notamment lors du Sommet du G8 malgré les aléas sur le Protocole de Kyoto depuis 1997 -, l'aide au développement ou bien encore le commerce et la justice internationale avec la CPI ? Une seule leçon : quand l'Europe est unie pour porter ses valeurs communes et promouvoir ses intérêts, elle est forte. Il devra continuer à en être ainsi dans le cadre des négociations commerciales internationales à l'OMC La France y veillera, comme j'en suis sûr l'Espagne.
Sur la scène internationale, l'Europe s'est dotée des premiers instruments pour bâtir une politique étrangère et de sécurité commune. Elle joue par exemple un rôle important dans le Processus de paix au Proche-Orient depuis la Conférence de Madrid de 1991. Le principe "paix contre territoire" a fait son chemin. Le monde entier s'est félicité du récent retrait de Gaza, qui a été géré de manière exemplaire. L'Europe doit rester présente et continuer à accompagner le processus qui, à travers la Feuille de route, doit amener une paix fondée sur deux Etats démocratiques, vivant côte à côte en sécurité.
Mais l'Europe pourrait faire encore bien davantage en matière de politique extérieure et de défense, comme le propose d'ailleurs le projet de traité constitutionnel. Voilà un domaine dans lequel il existe un profond besoin d'Europe et où nous avons enregistré des progrès significatifs : à la fois dans les instruments concrets et sur le terrain, en Bosnie, en République démocratique du Congo il y a peu ou à Aceh bientôt. Là encore, la France et l'Espagne entretiennent des coopérations remarquables, dans le cadre des Euroforces, d'un groupement tactique, de la force de gendarmerie européenne, coopérations qui sont pleinement mises à profit dans le cadre de la PESD.
Enfin, pour peser davantage dans les affaires du monde, nous devons aussi porter notre vision des choses de façon ambitieuse. La voix de l'Europe est porteuse de nos valeurs, elle n'est pas celle des autres, elle est souvent singulière. Elle a, de plus, un rôle à jouer dans la société internationale.
Alors je pourrais à ce titre vous parler de l'Afrique et du besoin de solidarité, de notre attachement au rôle des Nations unies ou du monde multipolaire... Mais je veux juste aujourd'hui évoquer un seul sujet, le processus euro-méditerranéen, à la fois en raison de son importance intrinsèque et parce qu'il souligne nos responsabilités dans le monde d'aujourd'hui.
La France et l'Espagne font partie des pays de l'Union qui en sont conscients. Elles ont oeuvré de concert depuis Barcelone, en 1995, pour tendre la main aux pays concernés et les accompagner sur la voie du développement de leurs économies, de l'affermissement de l'Etat de droit et de l'épanouissement de la démocratie, dans le respect de leur histoire, de leur culture, de leur identité.
Des étapes importantes ont été franchies depuis dix ans dans l'approfondissement de ce partenariat, mais beaucoup reste à faire pour que la Méditerranée devienne un ensemble économique et social plus cohérent. Paris et Madrid ont fait des propositions conjointes pour élargir le champ de la coopération euro-méditerranéenne, notamment aux questions migratoires et relancer les trois volets du processus.
La conférence des chefs d'Etat et de gouvernement qui aura lieu les 27 et 28 novembre sera l'occasion de réaffirmer la solidarité entre les deux rives de la Méditerranée. Je voudrais ici saluer devant vous le travail remarquable de la diplomatie espagnole pour préparer cette échéance majeure et maintenir en haut de l'agenda la priorité méditerranéenne de l'Union européenne. Nous sommes à vos côtés dans cette tâche et nous savons ce que la politique méditerranéenne de l'Union doit à votre engagement et votre détermination. Je puis vous assurer que le président de la République y attache la plus grande importance. Il le redira à Barcelone en novembre, mais je voulais d'ores et déjà vous en faire part.
Dans un monde menacé de grands désordres comme l'est le monde d'aujourd'hui, il est essentiel de développer des espaces de coopération, de faire progresser le dialogue et la compréhension, en un mot de faire prévaloir ce qui unit les hommes.
Je crois que l'Espagne et la France ont une responsabilité particulière à cet égard.
Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Voilà ce que je voulais vous dire sur la position de la France. Comme vous l'aurez constaté, dans de nombreux domaines la France et l'Espagne partagent la même vision du projet européen et elles mettent leurs capacités en commun pour faire avancer ce projet.
Vous l'avez vu, l'engagement de la France en Europe est intact. Vous pouvez compter sur elle, comme nous savons pouvoir compter sur l'engagement européen de l'Espagne, pour continuer à prendre toute sa part dans l'élaboration d'un projet européen politique, ambitieux et solidaire.
Je vous en remercie.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 septembre 2005)