Interviews de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France 2" le 12 mars, sur la solidarité avec le peuple espagnol après l'attentat de Madrid et sur le mécontentement des chercheurs face au manque de crédits.

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Q- F. Laborde-. Avant d'évoquer la situation en France, un mot sur ce qui se passe en Espagne, cette épouvantable tragédie, ces attentats, dont on ne sait toujours pas exactement qui les a fomentés - ETA, Al-Qaïda, voire une association des deux ? Cela veut dire que le terrorisme [inaud.] est en train d'arriver sur le continent européen ?
R- "Ce n'est pas le premier acte terroriste, notamment en Espagne, mais c'est l'acte terroriste le plus épouvantable que l'on ait connu en Europe depuis toujours. Nous avons effectivement une solidarité immédiate à l'égard du peuple espagnol, nous avons aussi le sentiment d'avoir vu ses images se produire dans d'autres parties du monde et nous pouvons faire, comme vous l'avez d'ailleurs fait, des relations. Est-ce que ce qui s'est passé, y compris le 11 septembre, ne peut pas se reproduire ici même en Europe le 11 mars ? Toutes ces questions, nous les avons à l'esprit. Mais ce que nous devons faire, aujourd'hui, au-delà des mots qui ne seront jamais assez forts pour témoigner notre amitié à l'égard des Espagnols, c'est appeler au réflexe pour la démocratie. Parce que ce que veulent les terroristes, où qu'ils soient, c'est toucher la démocratie, les démocrates, les démocraties partout dans le monde, mais aussi le système même de la démocratie."
Q- Ce n'est pas un hasard si c'est à trois jours d'une élection ?
R- "Cela se passe à trois jours d'une élection en Espagne. Le réflexe que nous devons avoir, c'est de défendre l'idée même de la démocratie. Beaucoup s'interrogent : à quoi ça sert ? Est-ce qu'il faut voter ? Est-ce que c'est important d'être dans le système dans lequel nous sommes ? Est-ce que notre économie n'est pas elle-même perfectible ? Bien sûr, tout cela est vrai. Nous sommes dans des situations qui appellent des réformes profondes. Mais en même temps, nous sommes tous attachés à la démocratie. Et si on lâche sur la démocratie, si on doute du suffrage universel, si on commence à imaginer que les institutions ne sont plus forcément le lieu du rassemblement, alors, je pense que le terrorisme, d'une certaine manière, commence à avancer. Donc, il faut faire barrage, bien sûr en luttant contre les terroristes, en les arrêtant, en faisant en sorte de mener une guerre contre cette forme de violence aveugle, mais en même temps, comprendre que c'est la démocratie qui est notre bien le plus premier."
Q- La guerre contre le terrorisme a toujours été très étroite entre les Français et les Espagnols, que ce soit sous ce Gouvernement ou sous la majorité précédente. Qui a mis cela en place ?
R- "C'est F. Mitterrand, le premier, a voulu, dès que la démocratie espagnole est née, qu'il ait des relations extrêmement étroites entre nos deux pays pour lutter contre le terrorisme."
Q- Parce que la France servait un peu de base arrière à l'ETA ?
R- "Oui, il faut rappeler que l'Espagne est une jeune démocratie. Cela fait 25 ans et, en définitive, c'est la France qui, la première, a donné la main à cette jeune démocratie. Il n'y avait pas de raison pour que la violence puisse persister en Espagne. Donc, il y a au des relations étroite entre le Gouvernement français de l'époque et le gouvernement espagnol. Et heureusement, cela s'est poursuivi ; et aujourd'hui, cela doit encore se renforcer. D'abord pour protéger les Espagnols et je dirais même, pour nous protéger nous mêmes : ne pensons pas que le terrorisme est limité à une partie du monde, ou à tels ou tels de nos voisins. Nous sommes - et nous l'avons d'ailleurs souvent éprouvé dans notre chair - touchés par ce terrorisme."
Q- Le plan Vigipirate a été renforcé en France. Est-ce que vous pensez que ce climat d'inquiétude peut peser ? On voit bien qu'il peut peser sur les élections espagnoles, mais est-ce qu'il peut aussi peser sur les élections en France ?
R- "Je pense que chacun doit avoir à l'esprit ce qui se passe, justement par rapport à la démocratie. Quelle est la meilleure forme de réaction ? Je pense notamment pour les Espagnols ? Il va y avoir une manifestation considérable, ce soir, en Espagne, et nous devons tous en être solidaires. Mais deuxièmement, il va y avoir des élections dimanche ; le premier mouvement des Espagnols, par rapport à cette guerre qui leur est faite, qui nous est faite, c'est de défendre la démocratie, c'est d'aller voter massivement. Je dirais la même chose pour toutes les élections qui vont se produire. Nous sommes, dans une certaine mesure, menacés, agressés, nous sommes là en défense de la démocratie ; donc, nous devons marquer notre force démocratique."
Q- Le Premier ministre Aznar dit qu'il quitte le pouvoir à 51 ans ; c'est assez jeune. C'est en général, en France, plutôt le moment où on est candidat. Cela vous inspire quels commentaires ?
R- "Il est au pouvoir depuis huit ans, il a considéré qu'il avait fait ce qu'il pouvait faire pour son pays. Il n'a pas les mêmes opinions que les miennes, il est libéral conservateur, je suis socialiste. Mais en même temps, c'est un exemple : quand on perd les élections, il faut savoir s'effacer - L. Jospin l'a montré - mais en même temps, quand on a gouverné longtemps, il faut aussi savoir passer la main. Je pense que beaucoup en France devrait s'en inspirer."
Q- Les élections régionales en France vont de passer sous fond de contestations, de manifestations en tout genre. C'est une bonne chose, pour le PS, que de voir les professeurs, les infirmières, les chercheurs dans la rue ?
R- "Ce n'est pas nous qui créons les manifestations. Je veux ici vous le dire, parce qu'à un moment, on pourrait le croire..."
Q- Ce n'est pas ce que l'on dit partout...
R- "A entendre le Gouvernement, ce serait parce qu'il y aurait une politisation. Mais c'est tout simplement parce qu'il y a du mécontentement ! Que demandent les chercheurs ? Ils demandent 20 millions d'euros pour obtenir de 550 permanents qui leur permettraient de croire de nouveau en la parole du Gouvernement, d'arrêter ce mouvement et de poursuivre leur travail. On a besoin du travail des chercheurs. Que demandent les enseignants ?"
Q- Sur les chercheurs, quand C. Allègre disait qu'il fallait "dégraisser le mammouth", il ne pensait pas aussi à un certain secteur de la recherche ?
R- "Je ne sais pas à quoi il pensait, mais en tout cas, il ne devait pas penser à la recherche..."
Q- Parce que cela fait très longtemps que les chercheurs disent, y compris sous la gauche, qu'ils n'ont pas assez de crédits etc.
R- "Les chercheurs demandent depuis longtemps qu'il y ait un effort national en faveur de la recherche fondamentale, parce que c'est elle qui permet les découvertes, le progrès scientifique, le progrès médical. Quand je vois des chercheurs défiler, je me dis qu'il faut les soutenir, non pas parce qu'il s'agirait d'une catégorie sociale qui le demanderait, mais parce que c'est notre avenir à long terme, y compris sur le plan économique. Je ne comprends donc pas l'attitude du Gouvernement, les chercheurs non plus. Donc, il sont dans le mouvement. Les enseignants voient aujourd'hui - rendez-vous compte - les postes qui sont mis au concours [pour] des jeunes qui préparaient des examens, des concours, qui savaient qu'il allait y avoir un certain nombre de places, on leur diminue ces places, ces postes au concours, de 40 % ! Alors, effectivement, ils sont également dans la rue. De la même manière que les enseignants, les personnes de l'éducation craignent beaucoup qu'à la rentrée, il y ait des diminutions de postes, et donc diminution de classes, de service public. Là encore, il y a du mécontentement, donc il y a de la protestation. Je souhaite que cela soit réglé. Ce que je veux dire aussi, c'est qu'il y a des risques, après les élections, que sur trois sujets - Sécurité sociales, emploi, notamment droit du travail et service public, notamment EDF et sa privatisation -, il y ait encore beaucoup de sujets de mécontentement. Si on peut dire "non" maintenant, à travers les élections, je pense que c'est nécessaire et c'est utile."
Q- Avec tout ce mécontentement, théoriquement, le PS devrait emporter haut la main un certain nombre de régions. Ce n'est pas vraiment le cas ; qu'est-ce qui se passe ?
R- "Nous verrons bien dans les élections. S'il y a un échec pour les uns, il devrait y avoir normalement une avancée pour les autres. Mais je ne cherche pas à capter le mécontentement : je cherche à faire des propositions pour que l'on puisse donner un espoir. Quand il n'y a plus d'espoir, c'est souvent la rue qui finit pas imposer sa vue."
(Source http://www.parti-socialiste.fr, le 12 mars 2004)