Interview conjointe de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, et de M. François Copé, ministre délégué au budget, dans "Le Figaro Économie", sur les principales mesures proposées par la réforme fiscale s'appliquant en 2007 sur les revenus 2006.

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Un impôt plus juste et plus efficace
Quelle est la philosophie générale de la réforme ?
Thierry BRETON. - Notre système fiscal est devenu tout à la fois trop complexe, inéquitable et parfois pénalisant sur le plan économique. Il ne récompense pas assez le travail, notamment des plus modestes et des classes moyennes, et peut constituer un frein à la compétitivité internationale de la France, par des taux d'imposition marginaux élevés. Le premier ministre souhaite une modernisation profonde de l'impôt sur le revenu qui accroisse sa lisibilité et le rende plus juste et plus efficace économiquement. Il veut en outre une réforme de la prime pour l'emploi (PPE) au profit des ménages modestes.
Jean-François COPÉ. - Trois mots clés nous ont guidés : la justice, la simplicité et l'attractivité de la France. Oui, cette réforme bouleverse profondément le paysage fiscal français. D'abord parce qu'elle est juste : il n'y aura aucun perdant et les principaux bénéficiaires sont les salariés des classes moyennes, ceux qui gagnent entre 1 000 et 3 500 euros par mois. Ensuite parce qu'elle pose pour principe qu'il est des niveaux de charge fiscale au-delà desquels les décideurs publics ne peuvent aller. C'est fondamentalement nouveau et cela fait des années que les Français souhaitaient une telle réforme. Ce projet de loi de finances est donc un très grand rendez-vous fiscal puisqu'il va répondre, de façon globale, juste et cohérente à des questions posées par les Français depuis très longtemps !
Je rappelle par ailleurs l'importance de la réforme de la taxe professionnelle pour notre économie.
La France va donc fixer un niveau d'impôt maximal qui ne pourra jamais être dépassé ?
T. B. - C'est ce que nous avons appelé le "bouclier fiscal". Nous sommes le seul pays au monde où l'on pouvait payer parfois beaucoup plus d'impôt que l'on a de revenus. Et cela ne concerne pas seulement les classes les plus aisées, contrairement à ce que l'on pourrait croire. D'où l'idée de mettre en place un plafond. L'article 1er du Code général des impôts, c'est un symbole, disposera désormais que nul contribuable français ne pourra payer des impôts directs totalisant plus de 60% de ses revenus.
Cette notion de plafond concerne l'addition de tous les impôts directs : impôt sur le revenu, impôts locaux, impôt sur la fortune. Cette mesure concerne 126 000 contribuables qui se trouvent, pour 90% d'entre eux, tout en bas de l'échelle des revenus : par exemple, ce sont des artisans qui ont eu une mauvaise année, des agriculteurs qui ont subi une mauvaise récolte, des salariés au chômage depuis plusieurs années, des créateurs d'entreprise dont l'activité met du temps à démarrer. On voit bien que c'est une mesure de justice et d'équité. En fixant un taux de 60%, nous nous situons dans une moyenne européenne : le Danemark est à 59%, la Suède et l'Espagne à 60%. Ce seuil nous semble donc pertinent.
Le plafonnement de l'impôt sur tous les revenus à 60% est-il une manière de réformer l'impôt sur la fortune sans le dire ?
T. B. - Ce n'est pas son objet prioritaire. Mais, sans remettre en cause en quoi que ce soit l'ISF, la réforme corrige mécaniquement ses principaux effets pervers : pour ceux qui avaient des revenus très faibles mais des impôts très élevés à cause de l'assujettissement de leur patrimoine à l'ISF et de la flambée de l'immobilier. Et, de l'autre côté, pour ceux contraints de vendre leurs actifs pour payer leurs impôts. Ceux-là ne seront donc plus incités à partir à l'étranger, ce qui sera bon pour l'emploi, l'investissement et la stabilité de l'actionnariat de nos entreprises.
L'autre volet de la réforme est le plafonnement des niches fiscales.
T. B. - C'est une contrepartie de justice compte tenu du plafonnement de l'impôt à 60% des revenus. Les contribuables, surtout ceux qui ont les moyens financiers et qui sont bien conseillés, pouvaient cumuler des réductions d'impôt diverses, de manière parfois excessive. L'égalité devant l'impôt était menacée. Chaque contribuable pourra désormais continuer à utiliser des "niches" comme il le souhaite, mais leur montant sera plafonné à 8 000 euros plus 750 euros par personne à charge. Le plafonnement de ces niches fiscales devrait concerner environ 10 000 contribuables.
Comment fonctionnera le nouvel impôt sur le revenu ?
J.-F. C. - Il sera d'abord simplifié. Nous avions 7 tranches et 6 taux. Nous faisons une opération "vérité des prix" en supprimant l'abattement de 20% et en abaissant dans le même temps le barème : le taux affiché est désormais le bon. Le nouveau barème sera : 5,5% pour le taux le plus bas, 14% et 30% pour les tranches intermédiaires et 40% pour la tranche la plus élevée.
Mettre notre taux marginal à 40%, c'est rendre notre taux d'impôt sur le revenu conforme à la moyenne européenne. C'est le même niveau, notamment, que le Royaume-Uni. Pourquoi 40% ? Parce que, si nous avions fait la translation directe, nous serions passés de 48% à 38%. Mais cela n'aurait pas pris en compte la part des contribuables au-delà de 117 900 euros qui sont déplafonnés et ne bénéficient plus de l'abattement de 20%. Si nous avions ramené le taux marginal à 38%, ces contribuables-là auraient été plus que gagnants ! La démarche n'aurait plus été conforme à l'esprit de progressivité. On a donc fixé le taux marginal à 40%, ce qui constitue un point d'équilibre.
Ce qu'il faut bien retenir, c'est que tout le monde sera gagnant à cette réforme ! Avec un effort tout particulier en direction des classes moyennes, conformément à ce que nous avait demandé le premier ministre. Plus de 70% des 3,5 milliards d'euros qui seront restitués aux Français iront aux foyers dont le revenu annuel est compris entre 10 000 et 40 000 euros.
Deux exemples : un célibataire qui déclare 25 000 euros par an verra son IR baisser de plus de 15%. Un couple avec deux enfants où chacun des conjoints gagne 2,5 fois le smic - donc 5 fois le smic au total - réalisera un gain de l'ordre de 10%.
Si l'on tient compte de l'effort réalisé sur la PPE, c'est au total près de 80% de l'effort de baisse des impôts qui bénéficiera directement aux ménages moyens et modestes.
Que se passe-t-il pour ceux qui ne bénéficiaient pas de l'abattement de 20% ?
J.-F. C. - Nous avons souhaité neutraliser la réforme pour ces catégories. Des abattements existent aujourd'hui pour les revenus des dividendes et pour les revenus fonciers : ils seront ajustés pour neutraliser la baisse du barème résultant de l'intégration de l'abattement de 20%.
Quel rapport entre la réforme de l'impôt sur le revenu et celle de la prime pour l'emploi ?
J.-F. C. - On ne peut comprendre l'une sans l'autre. La philosophie est la suivante : on ne peut continuer à rester dans un système où un RMiste qui reprend un travail, notamment à temps partiel, se retrouve dans une situation où il perd de l'argent ! Nous avons donc décidé d'augmenter massivement la PPE, pour rendre le travail nettement plus attractif que les revenus de l'assistance. Cette prime sera ainsi doublée en deux ans pour une personne qui reprend un travail à temps partiel et accrue de 50% pour un temps plein au niveau du smic. Et le premier ministre a souhaité mensualiser cette PPE, à compter du 1er mars 2006, pour améliorer sa visibilité.
Quel est le calendrier de la réforme de l'impôt sur le revenu ?
T. B. - Elle s'appliquera en 2007 pour les revenus 2006. En ce qui concerne le bouclier fiscal, le calendrier sera le suivant : en 2007, le contribuable remplira un formulaire dans lequel il pourra demander le remboursement du trop versé sur ses impôts payés en 2006, donc sur ses revenus 2005, son patrimoine à la fin de 2005 et ses impôts locaux. S'il a payé plus de 60% d'impôt par rapport à ses revenus, l'Etat lui remboursera son trop payé. L'Etat refacturera ensuite aux collectivités locales la part qui leur revient, au prorata des différents impôts (nationaux et locaux). L'Etat fera en quelque sorte l'avance.
Le même mécanisme sera d'ailleurs retenu pour la taxe professionnelle : l'Etat remboursera d'abord les entreprises et se tournera ensuite vers les collectivités locales.
Ce mécanisme suscite une levée de boucliers localement.
J.-F. C. - Il faut voir que cela ne concerne que 126 000 personnes sur 30 millions de contribuables qui paient des impôts locaux. Et il s'agit surtout de contribuables modestes.
Cette mécanique ne porte en aucun cas atteinte au principe de l'autonomie financière des collectivités locales qui fixe un plancher de ressources fiscales propres pour les grandes catégories de collectivités locales. Cela n'aura pas d'incidence sur le niveau de ressources propres.
La réduction du nombre de tranches ne réduit-elle pas la progressivité de l'impôt sur
le revenu ?
J.-F. C. - En aucun cas. La progressivité de l'impôt est préservée et les classes moyennes verront leur charge fortement allégée.
Pourquoi ne pas faire cette réforme dès 2006 ?
T. B. - Comme l'a indiqué le premier ministre, toutes nos marges de manoeuvre, soit les 4,5 milliards dont on dispose, sont consacrées à l'emploi. La seule mesure applicable dès 2006 concerne la PPE, car c'est une mesure en faveur de l'emploi.
En 2007, on aura une marge de manoeuvre supplémentaire, mécanique, du fait de l'inflation qui ira entièrement à la baisse des impôts.

(Source http://www.u-m-p.org, le 14 septembre 2005