Texte intégral
Mes chers amis, Tenir ici à Nevers nos journées parlementaires, l'année du centenaire de la naissance du Parti socialiste, était une évidence. Comment oublier ce que votre ville, votre département ont apporté à notre histoire. Château-Chinon et François Mitterrand. Nevers et Pierre Bérégovoy. Le bonheur du 10 mai 81. La douleur du 1er Mai 93. Autant de figures, de sentiments, de lieux qui ont tissé les fils de notre mémoire contemporaine. Qui ont " délimité Nevers comme une capitale " pour reprendre l'allégorie de Marguerite Duras dans " Hiroshima mon amour ". Permettez-moi, en votre nom à tous, de rendre un hommage particulier à Pierre Bérégovoy. Sa disparition tragique, qui nous a laissé une cicatrice au cur, ne doit jamais effacer ce qu'il nous a légué. La fidélité des amitiés. La permanence des engagements.
L'exigence de vérité et de volonté. La conciliation du rêve et du possible. Comme homme d'Etat, comme maire, comme militant socialiste, Pierre a été l'un des architectes du renouveau socialiste et de la modernisation du pays. Il aurait sans nul doute aimé cette période où il nous faut défricher de nouveaux chemins parce qu'il croyait en un socialisme évolutif, en un socialisme de son temps. Voilà pourquoi revenir à cette histoire n'est pas une nostalgie. Ses rameaux se prolongent aujourd'hui à Nevers avec Didier Boulaud et Martine Carillon Couvreur. A la Charité avec Gaëtan Gorce. A Château-Chinon avec René-Pierre Signé et Christian Paul. Ils s'étendent au département avec Marcel Charmant. A la région avec François Patriat. Chacun dans votre fonction, vous incarnez cette fidélité et ce renouveau permanent du combat des socialistes. Mes chers amis, Les cents jours sont passés et l'aigle n'a pas décollé. La France de M. de Villepin est la même que la France de M. Raffarin. L'allure est plus patricienne, l'ambition est plus affirmée, les mots sont plus choisis. Mais derrière la communication et le style, où est le changement ? Où est le sursaut ? Où est la confiance ? Le grand succès de librairie en cette rentrée s'intitule " la société de la peur ". La France conjugue toutes les crises, économique, sociale, morale, politique. Elle bat tous les records de chômage, de pauvreté, d'inégalités, de précarité, de dettes, de déficit, et l'on voudrait nous faire croire qu'une conférence de presse bien menée, quelques slogans habiles ont suffi à ressusciter Lazare. Il existe un incroyable décalage entre les lauriers médiatiques qu'on tresse au Premier ministre et ses résultats réels. Les cents jours de M. de Villepin ont été aussi inefficaces que les mille jours de M. Raffarin.
Nous aurons l'occasion cette après-midi de faire l'inventaire détaillé de la deuxième étape annoncée par le Premier ministre. Sur les trois grandes urgences, le chômage, l'atonie de la croissance, la crise du logement et l'envolée des prix de l'énergie, elle s'apparente aux façades de carton pâte du fameux Comte Potemkine. Trompe l'oeil, les statistiques triomphalistes sur une baisse du chômage. La création d'emplois salariés a été proche de zéro au premier semestre. L'investissement est au point mort. Comme son prédécesseur, M. de Villepin a recours aux expédients : l'arasement du code du travail avec le contrat nouvelle embauche et la radiation des chômeurs. La circulaire renforçant le contrôle de la recherche d'emploi en est le dernier avatar qui met le chômeur en obligation d'accepter n'importe quelle activité même si elle ne correspond pas à son salaire ou à sa qualification. Cette mise à l'index des chômeurs, toujours accusés de ne pas vouloir sortir de leur condition, est la choquante habitude de la droite pour maquiller son échec. Le travail manque en France parce qu'il n'y a plus de vraie politique industrielle et de recherche.
Plus de politique d'investissements et du pouvoir d'achat. Plutôt que de culpabiliser les chômeurs, la priorité est de sécuriser les parcours professionnels, d'élever le niveau de qualification à travers notamment la formation tout au long de la vie et d'instituer une fiscalité plus favorable pour le travail. A ce niveau, la politique de baisse des charges et de l'impôt sur le revenu du gouvernement est un carton pâte. Depuis trois ans elle n'a pas apporté un décimal de croissance.
L'investissement et la consommation sont au point mort. Le commerce extérieur est sinistré. MM de Villepin et Breton nous promettent cette fois que la réduction des tranches de l'impôt sur le revenu va doper le pouvoir d'achat des classes moyennes en 2007. Faux. L'érosion de la progressivité et le plafonnement global des prélèvements vont une nouvelle fois profiter en priorité aux plus hauts revenus. Tout le monde peut constater que la baisse la plus forte concerne la tranche supérieure, en d'autres termes les 100 000 contribuables les plus fortunés. Ces baisses sont non seulement inégalitaires, elles sont irresponsables quand l'Etat est déjà grevé de déficits et de dettes. Quant au plafonnement, il est une façon hypocrite de supprimer l'ISF et viole l'esprit, sinon la lettre, de la Constitution, en portant directement atteinte à l'autonomie financière des collectivités locales. En réalité, la réforme Villepin est l'accomplissement du vieux rêve de la droite : casser la progressivité de l'impôt, faire payer la même proportion de prélèvements au multimillionnaire qu'à l'ouvrier. Inégalité d'autant plus choquante que le pouvoir d'achat est dévoré par la hausse des produits pétroliers. Poudre aux yeux, cette discussion de salon avec les distributeurs qui aboutit à un ridicule " observatoire des prix ". La seule chose qu'on observe est que rien ne baisse. Ni les prix, ni les taxes perçues indûment par l'Etat. Le gouvernement se perd dans un saupoudrage catégoriel sans effet pour le plus grand nombre. C'est une comédie " Total ". Comment peut-on appeler justement les Français à changer leurs habitudes de consommation et de production quand, dans le même temps, les crédits pour les transports publics urbains sont massivement gelés ou annulés et les fermetures de lignes ferroviaires envisagées. La vraie réponse est d'instituer une taxe sur les profits exceptionnels des compagnies pétrolières. Elle permettrait de compenser le rétablissement de la TIPP flottante et de financer un programme de transports collectifs et d'énergies alternatives.
Mais le moins tolérable est d'avoir autant de difficultés pour se loger en France. Comment concevoir que des millions de Français qui travaillent voient leurs revenus amputés d'un tiers à cause de l'inflation des loyers. Comment accepter la pénurie constante d'habitat social. Comment supporter que les plus déshérités vivent dans des conditions d'insalubrité dignes de Zola. Les incendies de la région parisienne ne sont pas le fruit de la fatalité. Ils sont la tragique rançon d'un marché immobilier non maîtrisé. Les 50 millions pour la rénovation d'urgence, la libération de quelques terrains, la promesse non financée de nouveaux logements sociaux apparaissent dérisoires au regard de l'enjeu. En ce moment sont réunis en congrès à Nantes les 2500 délégués de l'USH présidée par notre camarade Michel Delebarre. L'Etat a le devoir d'agir sur les mécanismes du marché.
" En facilitant la création d'offices publics fonciers régionaux qui pourraient préempter les terrains constructibles et constituer des réserves foncières.
" En mettant à disposition gratuitement les terrains dont l'Etat est propriétaire pour les programmes de logements sociaux.
" En créant une couverture logement qui garantisse mieux le locataire et le propriétaire.
" Enfin et surtout en faisant appliquer la loi. Ayons le courage de diminuer la dotation globale de fonctionnement pour les communes qui refusent délibérément d'appliquer les quotas de constructions sociales de la loi SRU. M. Sarkozy se décidera peut être alors à construire des HLM à Neuilly.
Toutes ces pistes feront l'objet de propositions de loi de notre groupe durant cette session.
Mes chers amis, la continuité du pouvoir dans l'échec masque un réel tournant politique dont nous devons prendre la mesure. L'UMP a brutalement tourné la page Chirac. Le jour même de son hospitalisation, les numéros 1 et 2 du gouvernement ont ouvert une indécente bataille de succession. On peut parler à ce niveau de " rupture " humaine mais surtout politique. La droite ne se cherche pas seulement un nouveau champion. Elle assume désormais au grand jour ses idées les plus conservatrices, celles qu'elle a mises en pratique sans le dire depuis trois ans. Désormais elle veut aller plus loin. En témoigne la surenchère de projets entre MM de Villepin, Sarkozy et même de Villiers qui veut devenir lepéniste à la place de Le Pen. Leur ambition ne se limite pas à changer notre système social, à l'aligner sur les standards anglo-saxons. Il vise à imposer une nouvelle hiérarchie de valeurs à la République. On le voit pour la laïcité avec la volonté affirmée du ministre de l'Intérieur de changer et d'orienter la loi de 1905 vers le communautarisme.
On le voit pour le droit du sol à nouveau mis sur la sellette par ceux-là mêmes qui se montrent incapables de faire respecter les lois de la République. Après la morne plaine des cent jours, on veut maintenant nous imposer la morte-saison de la Restauration. Le plus allant et le plus direct en la matière est Nicolas Sarkozy. Son programme semble tout droit inspiré des néo-conservateurs américains : dérégulation du travail, dumping fiscal, retrait de la puissance publique, limitation des prestations sociales, universités payantes. C'est aussi le programme de Mme Merkel en Allemagne. Les mots d'égalité, de solidarité, d'assistance sont remplacés par l'enrichissement et le mérite individuel, la sélection, le communautarisme, la discrimination positive. Bien sûr cette prétendue " rupture " est un gigantesque tour de passe-passe qui veut faire oublier la responsabilité collective de la droite dans la faillite du pays.
Bien sûr l'Allemagne vient de prouver qu'il n'y a pas de fatalité à ce bond en arrière, que nos peuples restent attachés à l'Etat social. Encore faut-il que la gauche se réveille. Qu'elle sorte de ses querelles de boutique et offre une alternative crédible. La droite nous lance un véritable défi de société. Ce n'est pas en restant figés, repliés sur nous-mêmes, que nous le relèverons. Je suis de ceux qui pensent que la crise globale que traverse notre pays va bien au-delà d'un mode de gestion. Elle met en jeu son identité, ses valeurs, son mode d'organisation, son rapport au monde. Si les nouvelles thèses de la droite rencontrent une audience, alors même qu'elle échoue dans la conduite des affaires, c'est aussi parce que nous peinons à repenser l'Etat providence, à traiter globalement ses difficultés face à la mondialisation et aux inégalités qu'elle génère. La politique des pansements ne suffit plus. Comme en 1936, comme en 1981, c'est un nouveau contrat social qu'il nous faut inventer, c'est une refondation républicaine qu'il nous faut mener. Une refondation qui donne un sens et une réalité à nos valeurs : l'égalité, la solidarité, la volonté, mais aussi la simplicité et l'efficacité. Je veux en prendre quatre exemples qui vont alimenter notre travail parlementaire durant cette session. La réforme fiscale tout d'abord. Oui notre système de prélèvements est devenu illisible, incompréhensible, inefficace et surtout injuste. Il privilégie la taxation indirecte plutôt que la progressivité. Il pénalise le travail davantage que la rente et le patrimoine. Il favorise toujours plus les gros contribuables au détriment de tous les autres. J'ai dit pourquoi la réforme Villepin ne fera qu'accentuer cette dérive. C'est tout le système qu'il faut remettre à plat. La véritable égalité est de le rendre plus universel, plus simple et plus progressif. La citoyenneté se fonde sur la contribution de chacun à l'effort national, à mesure de ses moyens. C'est dans cet esprit que nous proposons la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, l'adossement de la taxe d'habitation sur les revenus. Quelle que soit son étendue, ce grand impôt -dont le barème serait mieux lissé- aurait le mérite d'améliorer la progressivité, de favoriser les revenus du travail, de sortir du magma d'exonérations sans alourdir le prélèvement global.
Egalité, simplicité, efficacité. Les mêmes principes doivent s'appliquer à la rénovation de la sécurité sociale. Le récent rapport de la Cour des comptes est une condamnation sans appel de la noyade gouvernementale. La réforme Douste-Blazy n'a servi à rien. Toutes les branches sont dans le rouge et le déficit pulvérise tous les records. Je veux le dire avec force. Les Français n'accepteront plus de payer l'ardoise des erreurs du pouvoir sous la forme de nouveaux déremboursements ou d'une augmentation supplémentaire de la CSG. Ce qui est aujourd'hui en cause, c'est le courage de réformer l'organisation et les structures de notre système de soins, d'exiger des professions médicales et de l'industrie du médicament qu'elles participent à l'effort de redressement, de rénover un système hospitalier financièrement asphyxié. Soit nous le faisons, soit nous ouvrons la porte à la privatisation du système de santé dont rêve l'UMP. Le troisième exemple concerne la réforme de l'Etat. Jamais la droite n'a autant parlé de son autorité. Jamais elle ne l'a autant fragilisée. L'Etat est devenu un mendiant criblé de dettes. Comme citoyens et comme élus locaux, nous vivons chaque jour son déclin. Dans la multiplication des annulations de crédits. Dans la violation des contrats de plan. Dans la vente d'EDF, de GDF ou des autoroutes. Dans son impuissance à faire respecter ses lois et ses règles, à donner aux services publics les marges de leurs missions. Les inondations de Louisiane, où la carence des services publics a désorganisé les secours et amplifié la catastrophe, devraient pourtant donner à réfléchir. L'égalité et l'efficacité commencent par la réhabilitation de l'action publique. Il faut parler avec franchise sur ce point aux Français. L'Etat doit avoir les moyens de garantir la cohésion sociale et territoriale du pays mais aussi sa compétitivité. Encore faut-il leur dire clairement où commence et où s'arrête l'Etat. Quelles sont ses missions, son rôle, son étendue. Où est-t-il le plus efficace, où doit-il déléguer aux collectivités locales, à la société civile, faciliter la négociation et le contrat. Non l'Etat ne peut pas tout faire, ne doit pas tout faire. La société a besoin de responsabilités. J'ai proposé, avec d'autres comme Bernard Derosier, la rédaction d'une charte de l'Etat qui définisse précisément ses missions. Nous aurions ainsi l'opportunité de relancer et de simplifier la décentralisation, de négocier sur des bases saines le périmètre, les effectifs et les moyens des services publics. En d'autres termes, nous aurions la capacité de transformer l'Etat infirmier qui soigne dans l'urgence en un Etat garant de l'égalité, en un Etat stratège qui trace l'avenir, en un Etat qui protège effectivement ses citoyens.
Egalité, simplicité, efficacité. La dernière priorité que je voulais évoquer concerne l'enseignement supérieur. Je le dis avec gravité : notre université est une bombe à retardement. Le sinistre budgétaire qu'elle vit depuis plusieurs années rend chaque rentrée de plus en plus explosive. Les étudiants sont confrontés aux pires inégalités matérielles : flambée des droits d'inscription, impossibilité de se loger, assèchement des bourses, dégradation des locaux, carences de l'orientation, absence de débouchés professionnels.
Dans ces conditions, la proposition faite par N. Sarkozy d'abolir la gratuité d'accès à l'université est l'étincelle qui peut tout embraser. La sélection par l'argent est non seulement inacceptable dans les principes, elle est un complet contresens au moment où la mondialisation appelle l'élévation du niveau de formation de chaque citoyen. Je l'ai dit lors de la loi Fillon, je considère que la Nation doit s'engager tout entière à travers une loi de programmation scolaire et universitaire. L'Etat accepte de programmer la construction d'un porte-avion sur vingt ans et le refuse pour le parcours éducatif de nos enfants. Il faut en finir avec cette absurdité. L'Université a besoin d'un plan de rattrapage qui la mette au niveau de ses concurrentes mondiales. C'est le point de départ d'une réforme de structures beaucoup plus ample :
la constitution de grands pôles universitaires avec les grandes écoles et les laboratoires de recherche ;
la redéfinition du premier cycle, où se concentre le gros de l'échec des étudiants, avec une orientation plus draconienne, la prise en compte des possibilités de sortie sur le marché du travail, une meilleure anticipation des secteurs d'avenir;
enfin le développement de nouvelles voies d'accès pour les élèves issus des milieux populaires et l'extension à grande échelle des bourses au mérite afin de faire reculer la ségrégation sociale qui caractérise notre enseignement supérieur. Egalité, simplicité, efficacité.
Permettez-moi de m'arrêter un instant supplémentaire sur cette notion de simplicité. Notre République est en crise parce qu'elle est devenue incompréhensible, inaccessible pour le citoyen. Nous empilons les réformes, les lois, les structures, les niveaux de décisions, trop souvent sans souci de cohérence et d'évaluation. Notre organisation politique, sociale et administrative est devenue un labyrinthe sans plan d'accès. Comment le citoyen peut-il alors exercer son contrôle démocratique ? La complexité du système dilue la responsabilité. Elle enferme le politique dans la gestion des contingences.
Elle le rend incapable de définir des priorités claires, nettes, compréhensibles qui soient négociables et acceptables par le plus grand nombre. Nous en débattrons demain, mais cette question ne peut se limiter à celle des institutions. Elle impose d'aborder toute la question de la démocratie dans sa plénitude dont, bien sûr, la démocratie sociale. Voilà, mes chers amis, quelques exemples de ce travail de refondation républicaine. C'est notre obligation. C'est notre raison d'être. Notre socialisme ne s'est jamais contenté de gérer les acquis. Il veut penser la France du XXIe siècle, dans une économie mondialisée, en restant fidèle à ses valeurs. Rien n'est plus faux que le débat entre " gestion raisonnable " et transformation radicale. Nul d'entre nous ici ne veut faire l'impasse sur la nécessité de forger une économie de marché compétitive où les entreprises peuvent investir et créer des emplois. Mais nous savons tous que la crise française est trop forte pour se contenter de quelques sparadraps sociaux. Il nous faut recréer une alternative globale. Elle commence dans la bataille parlementaire. Face à une droite qui échoue mais qui s'assume, nous serons une opposition intransigeante qui se fait respecter. Sur chaque projet, nous présenterons des contre-propositions charpentées, lisibles pour tous. Nous le ferons tous ensemble par delà nos pluralités. J'ai la fierté de présider un groupe d'esprits libres. Nous débattons de tout sans tabou, sans idées reçues, mais nous savons toujours transcender nos différences quand l'intérêt général est en jeu. Cette cohésion est la clé de nos succès. Je le répète, la droite nous a lancé un défi de société. Soyons au rendez vous. Bien au-delà de 2007, s'y joue la renaissance du pays.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 29 septembre 2005)
L'exigence de vérité et de volonté. La conciliation du rêve et du possible. Comme homme d'Etat, comme maire, comme militant socialiste, Pierre a été l'un des architectes du renouveau socialiste et de la modernisation du pays. Il aurait sans nul doute aimé cette période où il nous faut défricher de nouveaux chemins parce qu'il croyait en un socialisme évolutif, en un socialisme de son temps. Voilà pourquoi revenir à cette histoire n'est pas une nostalgie. Ses rameaux se prolongent aujourd'hui à Nevers avec Didier Boulaud et Martine Carillon Couvreur. A la Charité avec Gaëtan Gorce. A Château-Chinon avec René-Pierre Signé et Christian Paul. Ils s'étendent au département avec Marcel Charmant. A la région avec François Patriat. Chacun dans votre fonction, vous incarnez cette fidélité et ce renouveau permanent du combat des socialistes. Mes chers amis, Les cents jours sont passés et l'aigle n'a pas décollé. La France de M. de Villepin est la même que la France de M. Raffarin. L'allure est plus patricienne, l'ambition est plus affirmée, les mots sont plus choisis. Mais derrière la communication et le style, où est le changement ? Où est le sursaut ? Où est la confiance ? Le grand succès de librairie en cette rentrée s'intitule " la société de la peur ". La France conjugue toutes les crises, économique, sociale, morale, politique. Elle bat tous les records de chômage, de pauvreté, d'inégalités, de précarité, de dettes, de déficit, et l'on voudrait nous faire croire qu'une conférence de presse bien menée, quelques slogans habiles ont suffi à ressusciter Lazare. Il existe un incroyable décalage entre les lauriers médiatiques qu'on tresse au Premier ministre et ses résultats réels. Les cents jours de M. de Villepin ont été aussi inefficaces que les mille jours de M. Raffarin.
Nous aurons l'occasion cette après-midi de faire l'inventaire détaillé de la deuxième étape annoncée par le Premier ministre. Sur les trois grandes urgences, le chômage, l'atonie de la croissance, la crise du logement et l'envolée des prix de l'énergie, elle s'apparente aux façades de carton pâte du fameux Comte Potemkine. Trompe l'oeil, les statistiques triomphalistes sur une baisse du chômage. La création d'emplois salariés a été proche de zéro au premier semestre. L'investissement est au point mort. Comme son prédécesseur, M. de Villepin a recours aux expédients : l'arasement du code du travail avec le contrat nouvelle embauche et la radiation des chômeurs. La circulaire renforçant le contrôle de la recherche d'emploi en est le dernier avatar qui met le chômeur en obligation d'accepter n'importe quelle activité même si elle ne correspond pas à son salaire ou à sa qualification. Cette mise à l'index des chômeurs, toujours accusés de ne pas vouloir sortir de leur condition, est la choquante habitude de la droite pour maquiller son échec. Le travail manque en France parce qu'il n'y a plus de vraie politique industrielle et de recherche.
Plus de politique d'investissements et du pouvoir d'achat. Plutôt que de culpabiliser les chômeurs, la priorité est de sécuriser les parcours professionnels, d'élever le niveau de qualification à travers notamment la formation tout au long de la vie et d'instituer une fiscalité plus favorable pour le travail. A ce niveau, la politique de baisse des charges et de l'impôt sur le revenu du gouvernement est un carton pâte. Depuis trois ans elle n'a pas apporté un décimal de croissance.
L'investissement et la consommation sont au point mort. Le commerce extérieur est sinistré. MM de Villepin et Breton nous promettent cette fois que la réduction des tranches de l'impôt sur le revenu va doper le pouvoir d'achat des classes moyennes en 2007. Faux. L'érosion de la progressivité et le plafonnement global des prélèvements vont une nouvelle fois profiter en priorité aux plus hauts revenus. Tout le monde peut constater que la baisse la plus forte concerne la tranche supérieure, en d'autres termes les 100 000 contribuables les plus fortunés. Ces baisses sont non seulement inégalitaires, elles sont irresponsables quand l'Etat est déjà grevé de déficits et de dettes. Quant au plafonnement, il est une façon hypocrite de supprimer l'ISF et viole l'esprit, sinon la lettre, de la Constitution, en portant directement atteinte à l'autonomie financière des collectivités locales. En réalité, la réforme Villepin est l'accomplissement du vieux rêve de la droite : casser la progressivité de l'impôt, faire payer la même proportion de prélèvements au multimillionnaire qu'à l'ouvrier. Inégalité d'autant plus choquante que le pouvoir d'achat est dévoré par la hausse des produits pétroliers. Poudre aux yeux, cette discussion de salon avec les distributeurs qui aboutit à un ridicule " observatoire des prix ". La seule chose qu'on observe est que rien ne baisse. Ni les prix, ni les taxes perçues indûment par l'Etat. Le gouvernement se perd dans un saupoudrage catégoriel sans effet pour le plus grand nombre. C'est une comédie " Total ". Comment peut-on appeler justement les Français à changer leurs habitudes de consommation et de production quand, dans le même temps, les crédits pour les transports publics urbains sont massivement gelés ou annulés et les fermetures de lignes ferroviaires envisagées. La vraie réponse est d'instituer une taxe sur les profits exceptionnels des compagnies pétrolières. Elle permettrait de compenser le rétablissement de la TIPP flottante et de financer un programme de transports collectifs et d'énergies alternatives.
Mais le moins tolérable est d'avoir autant de difficultés pour se loger en France. Comment concevoir que des millions de Français qui travaillent voient leurs revenus amputés d'un tiers à cause de l'inflation des loyers. Comment accepter la pénurie constante d'habitat social. Comment supporter que les plus déshérités vivent dans des conditions d'insalubrité dignes de Zola. Les incendies de la région parisienne ne sont pas le fruit de la fatalité. Ils sont la tragique rançon d'un marché immobilier non maîtrisé. Les 50 millions pour la rénovation d'urgence, la libération de quelques terrains, la promesse non financée de nouveaux logements sociaux apparaissent dérisoires au regard de l'enjeu. En ce moment sont réunis en congrès à Nantes les 2500 délégués de l'USH présidée par notre camarade Michel Delebarre. L'Etat a le devoir d'agir sur les mécanismes du marché.
" En facilitant la création d'offices publics fonciers régionaux qui pourraient préempter les terrains constructibles et constituer des réserves foncières.
" En mettant à disposition gratuitement les terrains dont l'Etat est propriétaire pour les programmes de logements sociaux.
" En créant une couverture logement qui garantisse mieux le locataire et le propriétaire.
" Enfin et surtout en faisant appliquer la loi. Ayons le courage de diminuer la dotation globale de fonctionnement pour les communes qui refusent délibérément d'appliquer les quotas de constructions sociales de la loi SRU. M. Sarkozy se décidera peut être alors à construire des HLM à Neuilly.
Toutes ces pistes feront l'objet de propositions de loi de notre groupe durant cette session.
Mes chers amis, la continuité du pouvoir dans l'échec masque un réel tournant politique dont nous devons prendre la mesure. L'UMP a brutalement tourné la page Chirac. Le jour même de son hospitalisation, les numéros 1 et 2 du gouvernement ont ouvert une indécente bataille de succession. On peut parler à ce niveau de " rupture " humaine mais surtout politique. La droite ne se cherche pas seulement un nouveau champion. Elle assume désormais au grand jour ses idées les plus conservatrices, celles qu'elle a mises en pratique sans le dire depuis trois ans. Désormais elle veut aller plus loin. En témoigne la surenchère de projets entre MM de Villepin, Sarkozy et même de Villiers qui veut devenir lepéniste à la place de Le Pen. Leur ambition ne se limite pas à changer notre système social, à l'aligner sur les standards anglo-saxons. Il vise à imposer une nouvelle hiérarchie de valeurs à la République. On le voit pour la laïcité avec la volonté affirmée du ministre de l'Intérieur de changer et d'orienter la loi de 1905 vers le communautarisme.
On le voit pour le droit du sol à nouveau mis sur la sellette par ceux-là mêmes qui se montrent incapables de faire respecter les lois de la République. Après la morne plaine des cent jours, on veut maintenant nous imposer la morte-saison de la Restauration. Le plus allant et le plus direct en la matière est Nicolas Sarkozy. Son programme semble tout droit inspiré des néo-conservateurs américains : dérégulation du travail, dumping fiscal, retrait de la puissance publique, limitation des prestations sociales, universités payantes. C'est aussi le programme de Mme Merkel en Allemagne. Les mots d'égalité, de solidarité, d'assistance sont remplacés par l'enrichissement et le mérite individuel, la sélection, le communautarisme, la discrimination positive. Bien sûr cette prétendue " rupture " est un gigantesque tour de passe-passe qui veut faire oublier la responsabilité collective de la droite dans la faillite du pays.
Bien sûr l'Allemagne vient de prouver qu'il n'y a pas de fatalité à ce bond en arrière, que nos peuples restent attachés à l'Etat social. Encore faut-il que la gauche se réveille. Qu'elle sorte de ses querelles de boutique et offre une alternative crédible. La droite nous lance un véritable défi de société. Ce n'est pas en restant figés, repliés sur nous-mêmes, que nous le relèverons. Je suis de ceux qui pensent que la crise globale que traverse notre pays va bien au-delà d'un mode de gestion. Elle met en jeu son identité, ses valeurs, son mode d'organisation, son rapport au monde. Si les nouvelles thèses de la droite rencontrent une audience, alors même qu'elle échoue dans la conduite des affaires, c'est aussi parce que nous peinons à repenser l'Etat providence, à traiter globalement ses difficultés face à la mondialisation et aux inégalités qu'elle génère. La politique des pansements ne suffit plus. Comme en 1936, comme en 1981, c'est un nouveau contrat social qu'il nous faut inventer, c'est une refondation républicaine qu'il nous faut mener. Une refondation qui donne un sens et une réalité à nos valeurs : l'égalité, la solidarité, la volonté, mais aussi la simplicité et l'efficacité. Je veux en prendre quatre exemples qui vont alimenter notre travail parlementaire durant cette session. La réforme fiscale tout d'abord. Oui notre système de prélèvements est devenu illisible, incompréhensible, inefficace et surtout injuste. Il privilégie la taxation indirecte plutôt que la progressivité. Il pénalise le travail davantage que la rente et le patrimoine. Il favorise toujours plus les gros contribuables au détriment de tous les autres. J'ai dit pourquoi la réforme Villepin ne fera qu'accentuer cette dérive. C'est tout le système qu'il faut remettre à plat. La véritable égalité est de le rendre plus universel, plus simple et plus progressif. La citoyenneté se fonde sur la contribution de chacun à l'effort national, à mesure de ses moyens. C'est dans cet esprit que nous proposons la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, l'adossement de la taxe d'habitation sur les revenus. Quelle que soit son étendue, ce grand impôt -dont le barème serait mieux lissé- aurait le mérite d'améliorer la progressivité, de favoriser les revenus du travail, de sortir du magma d'exonérations sans alourdir le prélèvement global.
Egalité, simplicité, efficacité. Les mêmes principes doivent s'appliquer à la rénovation de la sécurité sociale. Le récent rapport de la Cour des comptes est une condamnation sans appel de la noyade gouvernementale. La réforme Douste-Blazy n'a servi à rien. Toutes les branches sont dans le rouge et le déficit pulvérise tous les records. Je veux le dire avec force. Les Français n'accepteront plus de payer l'ardoise des erreurs du pouvoir sous la forme de nouveaux déremboursements ou d'une augmentation supplémentaire de la CSG. Ce qui est aujourd'hui en cause, c'est le courage de réformer l'organisation et les structures de notre système de soins, d'exiger des professions médicales et de l'industrie du médicament qu'elles participent à l'effort de redressement, de rénover un système hospitalier financièrement asphyxié. Soit nous le faisons, soit nous ouvrons la porte à la privatisation du système de santé dont rêve l'UMP. Le troisième exemple concerne la réforme de l'Etat. Jamais la droite n'a autant parlé de son autorité. Jamais elle ne l'a autant fragilisée. L'Etat est devenu un mendiant criblé de dettes. Comme citoyens et comme élus locaux, nous vivons chaque jour son déclin. Dans la multiplication des annulations de crédits. Dans la violation des contrats de plan. Dans la vente d'EDF, de GDF ou des autoroutes. Dans son impuissance à faire respecter ses lois et ses règles, à donner aux services publics les marges de leurs missions. Les inondations de Louisiane, où la carence des services publics a désorganisé les secours et amplifié la catastrophe, devraient pourtant donner à réfléchir. L'égalité et l'efficacité commencent par la réhabilitation de l'action publique. Il faut parler avec franchise sur ce point aux Français. L'Etat doit avoir les moyens de garantir la cohésion sociale et territoriale du pays mais aussi sa compétitivité. Encore faut-il leur dire clairement où commence et où s'arrête l'Etat. Quelles sont ses missions, son rôle, son étendue. Où est-t-il le plus efficace, où doit-il déléguer aux collectivités locales, à la société civile, faciliter la négociation et le contrat. Non l'Etat ne peut pas tout faire, ne doit pas tout faire. La société a besoin de responsabilités. J'ai proposé, avec d'autres comme Bernard Derosier, la rédaction d'une charte de l'Etat qui définisse précisément ses missions. Nous aurions ainsi l'opportunité de relancer et de simplifier la décentralisation, de négocier sur des bases saines le périmètre, les effectifs et les moyens des services publics. En d'autres termes, nous aurions la capacité de transformer l'Etat infirmier qui soigne dans l'urgence en un Etat garant de l'égalité, en un Etat stratège qui trace l'avenir, en un Etat qui protège effectivement ses citoyens.
Egalité, simplicité, efficacité. La dernière priorité que je voulais évoquer concerne l'enseignement supérieur. Je le dis avec gravité : notre université est une bombe à retardement. Le sinistre budgétaire qu'elle vit depuis plusieurs années rend chaque rentrée de plus en plus explosive. Les étudiants sont confrontés aux pires inégalités matérielles : flambée des droits d'inscription, impossibilité de se loger, assèchement des bourses, dégradation des locaux, carences de l'orientation, absence de débouchés professionnels.
Dans ces conditions, la proposition faite par N. Sarkozy d'abolir la gratuité d'accès à l'université est l'étincelle qui peut tout embraser. La sélection par l'argent est non seulement inacceptable dans les principes, elle est un complet contresens au moment où la mondialisation appelle l'élévation du niveau de formation de chaque citoyen. Je l'ai dit lors de la loi Fillon, je considère que la Nation doit s'engager tout entière à travers une loi de programmation scolaire et universitaire. L'Etat accepte de programmer la construction d'un porte-avion sur vingt ans et le refuse pour le parcours éducatif de nos enfants. Il faut en finir avec cette absurdité. L'Université a besoin d'un plan de rattrapage qui la mette au niveau de ses concurrentes mondiales. C'est le point de départ d'une réforme de structures beaucoup plus ample :
la constitution de grands pôles universitaires avec les grandes écoles et les laboratoires de recherche ;
la redéfinition du premier cycle, où se concentre le gros de l'échec des étudiants, avec une orientation plus draconienne, la prise en compte des possibilités de sortie sur le marché du travail, une meilleure anticipation des secteurs d'avenir;
enfin le développement de nouvelles voies d'accès pour les élèves issus des milieux populaires et l'extension à grande échelle des bourses au mérite afin de faire reculer la ségrégation sociale qui caractérise notre enseignement supérieur. Egalité, simplicité, efficacité.
Permettez-moi de m'arrêter un instant supplémentaire sur cette notion de simplicité. Notre République est en crise parce qu'elle est devenue incompréhensible, inaccessible pour le citoyen. Nous empilons les réformes, les lois, les structures, les niveaux de décisions, trop souvent sans souci de cohérence et d'évaluation. Notre organisation politique, sociale et administrative est devenue un labyrinthe sans plan d'accès. Comment le citoyen peut-il alors exercer son contrôle démocratique ? La complexité du système dilue la responsabilité. Elle enferme le politique dans la gestion des contingences.
Elle le rend incapable de définir des priorités claires, nettes, compréhensibles qui soient négociables et acceptables par le plus grand nombre. Nous en débattrons demain, mais cette question ne peut se limiter à celle des institutions. Elle impose d'aborder toute la question de la démocratie dans sa plénitude dont, bien sûr, la démocratie sociale. Voilà, mes chers amis, quelques exemples de ce travail de refondation républicaine. C'est notre obligation. C'est notre raison d'être. Notre socialisme ne s'est jamais contenté de gérer les acquis. Il veut penser la France du XXIe siècle, dans une économie mondialisée, en restant fidèle à ses valeurs. Rien n'est plus faux que le débat entre " gestion raisonnable " et transformation radicale. Nul d'entre nous ici ne veut faire l'impasse sur la nécessité de forger une économie de marché compétitive où les entreprises peuvent investir et créer des emplois. Mais nous savons tous que la crise française est trop forte pour se contenter de quelques sparadraps sociaux. Il nous faut recréer une alternative globale. Elle commence dans la bataille parlementaire. Face à une droite qui échoue mais qui s'assume, nous serons une opposition intransigeante qui se fait respecter. Sur chaque projet, nous présenterons des contre-propositions charpentées, lisibles pour tous. Nous le ferons tous ensemble par delà nos pluralités. J'ai la fierté de présider un groupe d'esprits libres. Nous débattons de tout sans tabou, sans idées reçues, mais nous savons toujours transcender nos différences quand l'intérêt général est en jeu. Cette cohésion est la clé de nos succès. Je le répète, la droite nous a lancé un défi de société. Soyons au rendez vous. Bien au-delà de 2007, s'y joue la renaissance du pays.
(Source http://www.deputessocialistes.fr, le 29 septembre 2005)