Texte intégral
Comment avons-nous pu arriver à cette situation paradoxale où de nombreux éleveurs de porcs sont aujourd'hui amenés au dépôt de bilan, alors que, dans le même temps, de nombreux projets de création de porcheries industrielles émergent un peu partout en France ?
En guise de première réponse, il est utile de rappeler, d'une part que nous n'avons pas, loin s'en faut, toujours été dans un contexte de surproduction porcine et, d'autre part, que l'organisation communautaire du marché du porc est particulièrement libérale. De ces deux données est né un mélange explosif dont font les frais, en termes de chute des prix et d'écoulement de la production, les éleveurs français. Il y a vingt ans, la France ne produisait que 80 pour 100 de la viande de porc qu'elle consommait, et les économistes s'inquiétaient de cette situation. Aujourd'hui, notre pays produit près de 110 % de sa consommation, et certains estiment que l'on pourrait encore progresser jusqu'en atteindre 120 %. Le problème se lit dans ces chiffres.
Cette évolution a été rendue possible grâce - si l'on m'autorise le terme - à ce que l'on appelle le cycle du porc. Quand les cours montent, les éleveurs produisent plus, ce qui a pour effet de créer une crise de surproduction, qui entraîne une chute des cours suivie de faillites ; dès lors, la production diminue, les cours remontent et ceux qui restent peuvent accroître leur production. C'est ainsi que, sur les vingt dernières années, la production française a augmenté de 50 % alors que le nombre des élevages a été divisé par trois. Nous avons donc assisté sur cette période à une réussite économique assortie d'un véritable drame social pour les producteurs, au bénéfice - pour combien de temps ? - de ceux qui restaient, mais aussi, il faut honnêtement en convenir, de l'ensemble de la filière agro-alimentaire et de l'emploi salarié. Cela est particulièrement vrai notamment dans la région bretonne toujours mobilisée par la légitime volonté de sa population de vivre et travailler au pays.
Seul un encadrement fort du marché aurait pu empêcher une telle évolution. Or l'organisation communautaire du marché du porc fonctionne a minima, l'Union européenne agit, comme pour beaucoup d'autres dossiers par éclipses. Elle n'intervient que très ponctuellement pour soutenir certaines exportations. De plus, contrairement à une idée largement répandue, les aides nationales ou européennes à la production sont interdites, alors qu'elles auraient pu exister assorties de contreparties.
Les porcheries industrielles qui se sont développées dans ce contexte ne peuvent produire qu'une viande standard ne répondant pas exactement aux besoins des consommateurs, et dans des conditions qui posent de réels problèmes ; sanitaires avec l'utilisation généralisée d'antibiotiques, et environnementaux par l'impact des effluents - odeurs et pollution - à des kilomètres à la ronde.
Que faire pour sortir de cette impasse ? je vois trois pistes :
- agir sur les volumes produits,
- inciter à produire de manière moins intensive, à travers un dispositif contractuel,
- contraindre réglementairement à produire dans des conditions déterminées.
Agir sur les volumes produits, c'est certainement le préalable à toute autre disposition, et il faut savoir mettre fin à cette course folle entre producteurs et entre pays, dans laquelle nous n'avons guère d'espoir de victoire puisque l'on sait fort bien que quelques énormes usines à cochons, c'est l'expression consacrée, installées dans des zones quasi désertiques proches du Corn belt peuvent produire en masse et sans tenir compte des nuisances à des prix de revient très inférieurs à ceux qu'on peut envisager chez nous, quelles que soient les compétences techniques de nos éleveurs. Il est donc impératif que l'Union européenne mette en place un véritable dispositif de contrôle de la production sans lequel il n'y aura pas de stabilisation du marché. Les Pays-Bas en limitant le nombre des truies et, dans une moindre mesure, la France en jouant sur le poids des animaux, ont pris des dispositions qui vont dans le bon sens mais qui doivent être généralisées en Europe pour être efficaces.
Inciter à produire de manière moins intensive. La loi d'orientation agricole adoptée l'année dernière nous offre une possibilité d'intervenir à travers le CTE, le Contrat territorial d'exploitation. Des aides contractuelles permettant de mieux protéger l'environnement sont désormais acceptées par l'Union européenne, en dehors des contraintes, libérales en l'espèce, des organisations communautaires de marché. Il faut utiliser au maximum cette possibilité pour réorienter nos modes de production.
Les contraintes réglementaires étaient le seul outil dont nous disposions jusqu'à présent à travers notamment la législation sur les installations classées et la directive " nitrates ". Il faut bien admettre qu'elles n'ont pas été d'une grande efficacité. L'application de cette directive est particulièrement difficile. En particulier lorsqu'on se heurte à de la mauvaise foi, difficile de contraindre certains éleveurs, lorsqu'ils se retranchent derrière la crise de la production et qu'ils ne sont pas réellement désavoués par leurs pairs. Reste le contrôle des structures, dont le principe a été adopté au printemps dernier à travers un amendement de François Colcombet à la loi d'orientation agricole. S'il est appliqué rapidement et systématiquement, il sera en mesure d'avoir un réel impact. Il faut aller dans cette direction.
Sur un plan général, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mon point de vue sur la vocation exportatrice de l'agriculture. Elle est réelle mais elle ne se résume pas à des productions à grandes quantités et à très bas prix qui ne sont rien d'autre que de la surproduction masquée. Elle passe, les chiffres le montrent bien, par des productions à forte plus value, c'est-à-dire des productions typées et de qualité correspondant au goût des consommateurs alarmés à juste titre par certaines dérives peu compatibles avec les principes de précaution et de prudence.
La voie est claire mais ce n'est pas celle de la facilité. C'est pourquoi votre réflexion est essentielle. Je vous souhaite d'excellents travaux.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 29 février 2000)
En guise de première réponse, il est utile de rappeler, d'une part que nous n'avons pas, loin s'en faut, toujours été dans un contexte de surproduction porcine et, d'autre part, que l'organisation communautaire du marché du porc est particulièrement libérale. De ces deux données est né un mélange explosif dont font les frais, en termes de chute des prix et d'écoulement de la production, les éleveurs français. Il y a vingt ans, la France ne produisait que 80 pour 100 de la viande de porc qu'elle consommait, et les économistes s'inquiétaient de cette situation. Aujourd'hui, notre pays produit près de 110 % de sa consommation, et certains estiment que l'on pourrait encore progresser jusqu'en atteindre 120 %. Le problème se lit dans ces chiffres.
Cette évolution a été rendue possible grâce - si l'on m'autorise le terme - à ce que l'on appelle le cycle du porc. Quand les cours montent, les éleveurs produisent plus, ce qui a pour effet de créer une crise de surproduction, qui entraîne une chute des cours suivie de faillites ; dès lors, la production diminue, les cours remontent et ceux qui restent peuvent accroître leur production. C'est ainsi que, sur les vingt dernières années, la production française a augmenté de 50 % alors que le nombre des élevages a été divisé par trois. Nous avons donc assisté sur cette période à une réussite économique assortie d'un véritable drame social pour les producteurs, au bénéfice - pour combien de temps ? - de ceux qui restaient, mais aussi, il faut honnêtement en convenir, de l'ensemble de la filière agro-alimentaire et de l'emploi salarié. Cela est particulièrement vrai notamment dans la région bretonne toujours mobilisée par la légitime volonté de sa population de vivre et travailler au pays.
Seul un encadrement fort du marché aurait pu empêcher une telle évolution. Or l'organisation communautaire du marché du porc fonctionne a minima, l'Union européenne agit, comme pour beaucoup d'autres dossiers par éclipses. Elle n'intervient que très ponctuellement pour soutenir certaines exportations. De plus, contrairement à une idée largement répandue, les aides nationales ou européennes à la production sont interdites, alors qu'elles auraient pu exister assorties de contreparties.
Les porcheries industrielles qui se sont développées dans ce contexte ne peuvent produire qu'une viande standard ne répondant pas exactement aux besoins des consommateurs, et dans des conditions qui posent de réels problèmes ; sanitaires avec l'utilisation généralisée d'antibiotiques, et environnementaux par l'impact des effluents - odeurs et pollution - à des kilomètres à la ronde.
Que faire pour sortir de cette impasse ? je vois trois pistes :
- agir sur les volumes produits,
- inciter à produire de manière moins intensive, à travers un dispositif contractuel,
- contraindre réglementairement à produire dans des conditions déterminées.
Agir sur les volumes produits, c'est certainement le préalable à toute autre disposition, et il faut savoir mettre fin à cette course folle entre producteurs et entre pays, dans laquelle nous n'avons guère d'espoir de victoire puisque l'on sait fort bien que quelques énormes usines à cochons, c'est l'expression consacrée, installées dans des zones quasi désertiques proches du Corn belt peuvent produire en masse et sans tenir compte des nuisances à des prix de revient très inférieurs à ceux qu'on peut envisager chez nous, quelles que soient les compétences techniques de nos éleveurs. Il est donc impératif que l'Union européenne mette en place un véritable dispositif de contrôle de la production sans lequel il n'y aura pas de stabilisation du marché. Les Pays-Bas en limitant le nombre des truies et, dans une moindre mesure, la France en jouant sur le poids des animaux, ont pris des dispositions qui vont dans le bon sens mais qui doivent être généralisées en Europe pour être efficaces.
Inciter à produire de manière moins intensive. La loi d'orientation agricole adoptée l'année dernière nous offre une possibilité d'intervenir à travers le CTE, le Contrat territorial d'exploitation. Des aides contractuelles permettant de mieux protéger l'environnement sont désormais acceptées par l'Union européenne, en dehors des contraintes, libérales en l'espèce, des organisations communautaires de marché. Il faut utiliser au maximum cette possibilité pour réorienter nos modes de production.
Les contraintes réglementaires étaient le seul outil dont nous disposions jusqu'à présent à travers notamment la législation sur les installations classées et la directive " nitrates ". Il faut bien admettre qu'elles n'ont pas été d'une grande efficacité. L'application de cette directive est particulièrement difficile. En particulier lorsqu'on se heurte à de la mauvaise foi, difficile de contraindre certains éleveurs, lorsqu'ils se retranchent derrière la crise de la production et qu'ils ne sont pas réellement désavoués par leurs pairs. Reste le contrôle des structures, dont le principe a été adopté au printemps dernier à travers un amendement de François Colcombet à la loi d'orientation agricole. S'il est appliqué rapidement et systématiquement, il sera en mesure d'avoir un réel impact. Il faut aller dans cette direction.
Sur un plan général, j'ai déjà eu l'occasion d'exprimer mon point de vue sur la vocation exportatrice de l'agriculture. Elle est réelle mais elle ne se résume pas à des productions à grandes quantités et à très bas prix qui ne sont rien d'autre que de la surproduction masquée. Elle passe, les chiffres le montrent bien, par des productions à forte plus value, c'est-à-dire des productions typées et de qualité correspondant au goût des consommateurs alarmés à juste titre par certaines dérives peu compatibles avec les principes de précaution et de prudence.
La voie est claire mais ce n'est pas celle de la facilité. C'est pourquoi votre réflexion est essentielle. Je vous souhaite d'excellents travaux.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 29 février 2000)