Déclaration de Mme Marie George Buffet, secrétaire nationale du PCF, sur les objectifs qui devraient être, selon elle, ceux de la délégation française au Conseil européen après le vote non au référendum sur la Constitution européenne, à Paris, Assemblée nationale, le 15 juin 2005.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat suivant la déclaration du gouvernement sur le Conseil européen des 16 et 17 juin 2005, à Paris, Assemblée nationale, le 15 juin 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mes chers collègues,
Le 29 mai dernier, malgré une pression invraisemblable en faveur du " oui ", notre peuple a rejeté massivement le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Il a affirmé clairement que l'Europe telle qu'elle s'était construite ne lui convenait pas. Il a repoussé un texte qui plaçait en son coeur le règne de " la concurrence libre et non-faussée " et, par là même, constitutionnalisait le libéralisme. Il a lancé un appel à une autre Europe, bâtie sur d'autres fondements : le progrès social, les droits, la démocratie, la coopération, le co-développement et la paix. Ce vote traduit un profond rejet des politiques libérales menées en Europe et en France. Il doit conduire les dirigeants européens et les chefs d'Etat et de gouvernement à de profondes remises en cause. Ce d'autant que quelques jours après notre référendum, les Pays-Bas ont rendu le même verdict. Et dans de nombreux pays de l'Union européenne, le rejet de ce texte continue de monter. Le Président de la Convention peut encore bien expliquer dans un quotidien avec un mépris d'un autre temps, que le peuple n'aurait pas dû être consulté sur un tel dossier, il peut dire " on continue ". Les faits sont là.
Une situation nouvelle est créée en Europe. Et franchement, cette séance de l'Assemblée nationale, limitée, sans véritable débat, sans vote sur un mandat clair pour les représentants de la France au Conseil des chefs d'Etat et de gouvernements est en complet décalage avec la force, la qualité du débat populaire et des exigences démocratiques.
Mes chers collègues,
Le peuple français s'est prononcé. La signature de notre pays doit donc être retirée au bas du document officiel. Il s'agit du premier geste à produire et il ne tarde que trop à venir. Il ne saurait y avoir de faux-fuyants ; la voix de la France, cette grande voix courageuse et marquante qui a dit " non ", doit être portée par ses représentants avec toute la force requise au coeur des instances concernées. Notre peuple a délivré un mandat clair qui ne saurait être trahi : il faut entamer un processus démocratique pour redéfinir les fondements de l'Union européenne.
La majorité des Français attend des signes, des actes. La deuxième disposition que la France doit soutenir après ce vote est la suspension immédiate des directives inscrites à l'agenda de Lisbonne, qui constituent rien moins qu'une mise en oeuvre du traité rejeté : directive sur la libéralisation des services dite Bolkestein, directive sur l'allongement de la durée légale du temps de travail, appel à l'amplification du démantèlement des retraites et de la protection sociale.
Toutes les directives imposant la mise en concurrence des services publics doivent être suspendues, celle sur les sites portuaires, celle sur la libéralisation du fret ferroviaire visant le démantèlement de la SNCF. Les cheminots vous l'ont encore fait savoir cette semaine en manifestant contre la mise en circulation du premier convoi privé de transport de marchandise. Vous devez également arrêter immédiatement la casse du secteur public de l'énergie et renoncer à la privatisation de Gaz de France. L'Europe doit exiger le retrait de l'éducation, de la santé et de la culture du champ des négociations de l'Accord général sur le commerce des services.
Vous ne pouvez ni soutenir dans les instances européennes ni appliquer les politiques désavouées par notre peuple, cela serait un déni de démocratie. Cela serait poursuivre une fuite en avant libérale qui conduit l'Europe à la ruine.
Tous les indicateurs montrent que la conjoncture dans la zone euro se dégrade depuis plusieurs mois. La consommation des ménages freine, l'industrie est entrée en récession, le chômage est massif, avec 20 millions de chômeurs en Europe, et la précarité s'étend, tirant vers le bas les salaires. Les divergences économiques et sociales se creusent. Dans ce contexte, le pacte de stabilité joue un rôle dépressif : il vaudrait mieux organiser à l'échelle de l'union une relance des dépenses de santé, d'éducation, d'emploi, de logement social, de culture, de recherche. Il faut mettre radicalement en cause les principes du pacte de stabilité pour concevoir un pacte pour l'emploi, les qualifications et la croissance. La Banque Centrale Européenne devrait contribuer à soutenir par création monétaire un effort concerté de relance des dépenses publiques utiles. La Banque Centrale Européenne devrait avoir pour priorité l'emploi et la croissance réelle. Une baisse sélective des taux d'intérêt s'impose pour favoriser des investissements plus créateurs d'emploi et de formation, et combattre la spéculation financière et les délocalisations. Celles de Facom, Nestlé, Timing, STMicroelectronics, Selestica, ou encore de nombreuses entreprises du textile. Parallèlement, des mesures de convergence sociales et fiscales permettant de lutter contre le dumping doivent être prises dans les meilleurs délais.
Voilà ce qui devrait être votre feuille de route pour le Conseil européen en ce qui concerne l'immédiat.
Que faire désormais pour faire avancer l'Europe ? D'abord, prendre acte que ce traité ne verra pas le jour : il a été rejeté. Il a été rejeté non par défaut d'explication, mais parce qu'il gravait dans le marbre constitutionnel une politique libérale source de souffrances sociales, de reculs, et ne comportait aucune grande avancée démocratique. Le 29 mai ne peut être mis en parenthèse. Le traité ne s'appliquera pas. Le processus de ratification prévu lorsqu'il est sous forme référendaire peut servir de base à de grands débats populaires. Mais si le débat doit se poursuivre et s'amplifier sur l'ensemble du continent, il doit désormais s'engager sur la refondation de l'Europe. Refonder l'Europe, c'est d'abord s'interroger sur les droits fondamentaux, sociaux de la personne, sur les valeurs qui rassemblent les peuples européens.
Ce travail essentiel ne pourra être réalisé dans le cadre d'une Convention restreinte et sans légitimité. Il ne pourra être négocié seulement par les instances actuelles qui viennent d'être sanctionnées et sont tentées de trouver des subterfuges pour maintenir leurs choix désastreux. Il faut un nouveau cadre pour effectuer ce travail, permettant aux peuples européens et à leurs forces politiques, syndicales, associatives d'être les acteurs, actrices d'une nouvelle construction de l'Europe. Le Parlement européen et les parlements nationaux doivent prendre leur part à ce processus. Les citoyennes et les citoyens doivent y être associés directement, des forces progressistes européennes viennent d'initier une démarche populaire en ce sens. Imaginons la force formidable d'un tel bouillonnement démocratique pour l'Europe. Un texte établissant les droits et les grands principes de l'Union, desquels il faudra évidemment ôter ce qui en est aujourd'hui l'épine dorsale, c'est-à-dire la concurrence libre et non faussée, la libre circulation des capitaux, bases de la doctrine politique qu'est le libéralisme, devra être ratifié par consultation dans chaque pays. Un tel processus, loin de l'affaiblir, consolidera l'Union européenne parce qu'elle sera construite avec et pour les peuples.
C'est à partir de là, et pour servir ces objectifs définis démocratiquement, que devront s'écrire de nouveaux traités qui devront nécessairement transformer les politiques de l'Union : politique économique, politique monétaire, politique sociale, politique étrangère C'est à partir de là qu'il faudra se doter d'institutions adéquates.
Pour honorer pleinement les droits sociaux et fondamentaux définis en commun, et les valeurs communes aux peuples d'Europe, il faudra mettre au coeur des politiques européennes des systèmes de protection sociale de haut niveau, des services publics étendus, démocratisés, coopérant ensemble, des institutions beaucoup plus participatives et proches des citoyennes et des citoyens, des garanties véritables pour les droits sociaux, une politique économique et monétaire favorisant l'emploi, les salaires et la formation plutôt que les marchés financiers. Il faudra engager l'Union sur des combats politiques progressistes tels que le désarmement et la paix, l'annulation totale de la dette des pays pauvres, le co-développement planétaire, la régulation équitable des échanges, le progrès social
Notre peuple regarde. Il attend que sa voix soit entendue. C'est peu dire que les signes donnés par votre gouvernement ne vont pas dans ce sens. Vous poursuivez avec violence la casse du code du travail. Comment a-t-il été possible d'imaginer cette période d'essai de deux ans, qui installe les salariés dans une précarité longue durée, dans des rapports humains et sociaux totalement déséquilibrés au sein de l'entreprise ? Pensez-vous, que ce soit là une réponse digne ? Pensez-vous que ce soit là une réponse crédible pour l'emploi. Suite à ce cinglant désaveu qui frappe votre majorité, vous avez choisi la provocation. Comment a-t-il été possible d'imaginer cette politique de quotas, de sélection des étrangers à nos portes, revenant à une philosophie coloniale? En digne continuateur de Monsieur Raffarin, vous vous entêtez dans une politique violente de régression sociale. Vous prenez ainsi de lourdes responsabilités, en choisissant de gouverner contre le peuple.
La majorité de nos compatriotes veulent voir leur vote enfin respecté, ils veulent voir leur "non" argumenté et porté avec la fierté qui est la leur, ils veulent voir ce que vous allez faire pour que se bâtisse une autre Europe. Le 16 juin prochain, le jour d'ouverture de ce Conseil, partout en France se tiendront des rassemblements pour vous montrer et montrer aux dirigeants européens que la mobilisation des urnes va se poursuivre. Déjà une pétition circule qui vise le million de signatures pour changer de politique en Europe. Monsieur le Premier ministre, vous nous avez présenté hier des interrogations, mais il n'y a pas d'autre choix pour votre gouvernement : demain vous devrez porter la voix de notre peuple.
(Source http://www.groupe-communiste.assemblee-nationale.fr, le 17 juin 2005)