Discours de M. Renaud Dutreil, ministre des PME, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, sur le contenu de son projet de loi sur les PME, notamment en matière de transmission d'entreprises, d'évolution du statut de collaborateur, de modification du cadre des négociations commerciales avec la notion "des marges arrières", Paris le 13 juin 2005.

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Circonstance : Discussion du projet de loi PME au Sénat le 13 juin 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Il y a deux ans, je défendais devant vous la " loi sur l'initiative économique ".
Aujourd'hui, j'ai l'honneur de défendre devant votre assemblée la " loi PME ", qui en constitue d'une certaine manière le second volet.
[Preuve que l'effort du gouvernement en faveur de la création d'emplois par les entreprises n'a connu aucun répit depuis trois ans.]
Si la première loi visait à libérer la création d'entreprises -objectif qu'elle a rempli avec succès- la deuxième a pour but de faciliter la vie, la croissance et la transmission des entreprises. Car le tout n'est pas de naître, encore faut-il grandir et prospérer !
Cet effort continu en faveur de l'emploi dans les entreprises, nous sommes bien résolus à y jeter toutes nos forces, pour répondre aux inquiétudes légitimes et au désarroi bien réel de très nombreux Français.
Comme l'a indiqué le Premier ministre dans son discours de politique générale,
L'emploi est la priorité absolue du gouvernement.
Or, les PME sont le fer de lance de la création d'emplois dans notre pays. (Ne perdons pas de vue que les PME représentent 99 % des entreprises et 63 % de l'emploi total)
Il apparaît donc très clairement que le Ministère des PME se voit confié un rôle capital dans ce nouvel effort. Cette place centrale de l'entreprise n'est pas une question d'idéologie ou de doctrine, c'est une question de pragmatisme.
Notre manière d'agir sera simple : pas de préjugé, pas de dogmatisme : des résultats !
Pour lutter contre le chômage, nous devons revenir à la racine de la croissance et de l'emploi : l'innovateur, le créateur, son contrat avec un employé, sa volonté d'en prendre un deuxième, puis un troisième. Et lever, une à une, toutes les barrières qui empêchent les entreprises de se créer, d'embaucher, de se développer, de se transmettre.
Il existe en France plus d'un million d'entreprises unipersonnelles ; il suffirait que chacune d'elles embauche un employé pour que le chômage recule de manière significative !
Autre chiffre : si nous avions dans les services d'hôtellerie-restauration le même taux d'emplois que certains pays européens, nous aurions 1,2 millions de chômeurs en moins.
Mon ambition est très claire : libérer l'énergie potentielle d'entreprises françaises, libérer les rêves et les ambitions de cette économie profondément populaire qui fait la base même de notre devenir.
Pour cela, mon action suivra deux objectifs inséparables : le développement des PME et le développement de l'emploi.
Le développement des PME :
C'est aujourd'hui mon premier objectif. La comparaison avec la plupart des autres pays développés n'est pas très flatteuse pour la France. Un seul exemple : nous consacrons au soutien de l'innovation moins de crédits que la Finlande !
De même la diffusion des nouvelles technologies, des compétences scientifiques, l'utilisation des ressources universitaires et de la recherche sont encore trop peu fréquentes.
Enfin l'insuffisance des capitaux propres, les difficultés à mobiliser rapidement des ressources financières sont des handicaps très lourds en particulier lorsqu'il s'agit de fusionner des entreprises ou de les transmettre. Il ne suffit pas de dire que nos plus belles PME passent sous contrôle étranger les unes après les autres, il faut vraiment s'attaquer aux problèmes !
L'exposé de ces difficultés vous donne les lignes de force de l'action que je souhaite développer, en collaboration avec plusieurs de mes collègues du gouvernement.
Il ne s'agit pas pour moi de faire de nouvelles lois, même si dans de nombreux cas les règles doivent être encore améliorées. Mais nous devons ensemble mobiliser les énergies, concentrer les moyens financiers souvent éparpillés pour les orienter dans la même direction, soutenir des réseaux, enfin monter des opérations concrètes dans des zones à fort potentiel.
Le développement de l'emploi
De véritables gisements existent ! Une récente étude [Ipsos pour CGPME] montre que 57 % des dirigeants de PME tablent sur une augmentation de leur activité au cours des mois qui viennent, mais qu'un grand nombre redoutent d'embaucher en raison des contraintes !
Les mesures annoncées la semaine dernière par le Premier Ministre permettront de libérer ce potentiel. Elles ne tarderont pas : je pense en particulier au contrat " nouvelle embauche " pour les TPE qui entrera en vigueur au 1er septembre. Il créera plus de souplesse pour l'employeur tout en assurant des garanties supplémentaires au salarié.
Cette disposition sera insérée dans le projet de loi d'habilitation sur l'emploi qui sera soumis à votre assemblée dans quelques jours; elle sera regroupée avec les dispositions concernant les dispositions allégeant la charge financière du passage du seuil des 10 salariés et la prime de retour à l'emploi pour les jeunes qui prennent un emploi dans un secteur connaissant des difficultés de recrutement.
Mais notre action ne doit pas se limiter à ce volet législatif, aussi essentiel soit-il. Je compte en particulier m'atteler à un problème bien connu : la difficulté rencontrée par de nombreuses TPE pour trouver la main d'uvre dont elles ont besoin. J'entends donc, en partenariat avec les grands réseaux (APCM, CCI, etc.), développer de nombreuses initiatives et des actions de terrain pour améliorer la mise en relation des demandeurs et des offreurs d'emploi. Des jeunes sans emploi et des emplois sans jeunes, - c'est à la fois un scandale pour l'esprit et une aberration sociale ! En particulier, un nouveau réseau, TOUS POUR L'EMPLOI, créé à mon initiative en 2004, mobilisera tous les conseils des entreprises, pour que nous disposions en France de 180 000 prescripteurs d'embauche, motivés et formés.
Je souhaite maintenant vous exposer brièvement l'esprit de ce projet de loi.
Il poursuit quatre objectifs principaux, qui se ramènent finalement tous à l'emploi :
1. Appuyer la création et le développement des entreprises.
2. Favoriser l'emploi en améliorant différents statuts jusqu'ici précaires ou mal définis. (collaborateurs, conjoints ou libéraux).
3. Faciliter la transmission d'entreprises, pour ne pas voir disparaître des savoirs, des techniques et des gisements d'emplois.
4. Enfin, revoir le cadre juridique des relations commerciales dans un souci d'équilibre, de transparence, et de sécurité de l'ensemble des acteurs.
1. Appuyer la création
Pour appuyer la création, le projet de loi prévoit d'encourager l'accompagnement des entrepreneurs et repreneurs.
Il faut savoir en effet que l'accompagnement permet de réduire de moitié les défaillances d'entreprise dans les premières années d'activité. Or, un trop grand nombre de chefs d'entreprise se lancent sans bénéficier de suffisamment de conseils.
Afin de mieux répondre à cette attente, le projet de loi prévoit que les actions d'accompagnement deviennent éligibles au financement de la formation professionnelle (article 1er) et que les fonds d'assurance formation engagent des actions au bénéfice des créateurs-repreneurs, qu'ils soient artisans, commerçants ou professionnels libéraux (article 2).
Toujours pour encourager la création, nous devons faciliter le financement des projets : en particulier pour les entrepreneurs individuels en phase de démarrage, qui ne peuvent pas offrir de garanties réelles aux établissements de crédit. Afin de mieux répondre à ce besoin, l'article 5 prévoit que les dons familiaux destinés à financer une opération de création ou de reprise seront désormais possibles en franchise de droits de mutation. Nous entendons également permettre le développement du micro-crédit (article 6), en direction des entreprises individuelles.
Nous voulons aussi faciliter l'autofinancement des entreprises individuelles dans les trois premières années de leur création ou de leur reprise. Nous le ferons en leur permettant de déduire de leur résultat fiscal une somme de 15 000 , consacrée à une dotation-provision pour l'investissement. La constitution d'une telle provision aura également pour effet de lisser le résultat comptable et de leur permettre ainsi de mieux gérer leur trésorerie.
Enfin, ce projet rénove le prêt participatif. Il étend aux entreprises individuelles la possibilité pour un créancier de percevoir une partie de la rémunération de ses prêts sous forme d'un partage des bénéfices.
Mais une fois que l'entreprise existe, encore faut-il que ceux qui en assurent le fonctionnement puissent bénéficier d'un certain nombre de sécurités, et ne vivent pas en redoutant l'avenir !
2. Favoriser de bonnes conditions d'emploi
a. En améliorant le statut des collaborateurs
C'est pourquoi ce projet de loi prévoit une très sensible amélioration du statut des conjoints collaborateurs.
Mesure essentielle, car les conjoints de commerçants et d'artisans apportent une contribution importante à la marche de l'entreprise. Mais leurs droits à la retraite sont jusqu'ici très réduits en cas de séparation ou de décès lorsqu'ils ne sont pas salariés ou associés. Dans beaucoup de cas, ils n'ont pas la possibilité de se former ou de faire valider leurs acquis issus de l'expérience. Les dispositions de ce projet de loi sont destinées à combler ces lacunes.
La prise en compte de leur activité et la reconnaissance de leurs droits supposera désormais l'adhésion obligatoire à l'un des trois statuts existants : conjoint-collaborateur, salarié ou associé (article 10). Jusqu'ici facultative, cette adhésion n'était souvent pas saisie dans toute son importance, et de nombreux conjoints, après un accident de la vie, se retrouvaient sans retraite, sans qualification reconnue
En outre, et afin de mieux protéger le patrimoine familial, la responsabilité des conjoints devra se limiter aux biens communs du couple, les biens propres du conjoint devant être protégés. Ainsi en cas de dépassement non intentionnel du mandat de gestion, le conjoint ne pourra être appelé en garantie sur ses biens propres (article 11).
Enfin, l'adhésion au statut du conjoint-collaborateur permettra de se constituer des droits propres en matière d'assurance-vieillesse (article 12). Le statut ouvrira également un droit à la formation ainsi que la faculté de valider les acquis de l'expérience (article 14).
Autre mesure, très attendue par les professions libérales : le contrat de collaborateur libéral (article 15). Il donnera un cadre juridique aux collaborateurs de professionnels libéraux qui ne disposaient jusqu'à présent que du statut de salarié.
3. Faciliter la transmission d'entreprises
J'en viens à présent à la transmission d'entreprises :
L'objectif de ce texte est d'encourager les transmissions, de réduire les défaillances d'entreprises et de préparer les mutations démographiques à venir.
Plusieurs mesures permettront de faire des progrès dans ce domaine :
La Création d'un abattement fiscal applicable à la base pour les donations d'entreprise avec réserve d'usufruit, l'ancien régime ne concernant que les transferts de pleine propriété.
Le relèvement de l'abattement fiscal sur les transmissions d'entreprises de 50 à 75 %.
L'Institution d'une prime à la transmission d'entreprise accompagnée.
La Création du tutorat en entreprise, qui étend les facultés de cumul emploi-retraite, jusqu'ici réservé aux retraités indépendants à l'ensemble des retraités salariés
La Création de la location d'actions qui permet de limiter le recours aux garanties d'actifs ou de passifs et permet aux locataires d'exercer les droits des usufruitiers.
J'en viens maintenant aux dispositions sur les relations entre l'industrie et le commerce.
4. Revoir le cadre des relations commerciales
Sur ce sujet capital, nous devons tous ensemble bien mesurer notre responsabilité.
L'histoire de ce dossier est bien connue : elle montre, en particulier sur la question des marges arrières, qu'il faut faire preuve d'équilibre.
Nous devons garder une conscience aiguë du fait que nous touchons là aux données fondamentales de l'économie française : à l'évolution de la production, mais aussi du pouvoir d'achat et de la consommation, aux centaines de milliers d'emplois dans la grande distribution comme dans la production, en particulier dans les PME et dans le commerce de détail.
Nous devons donc veiller à agir graduellement. Il ne s'agit ni de provoquer une baisse brutale des prix industriels ou des prix à la consommation, ni de maintenir le statu quo qui a provoqué pendant plusieurs années des hausses de prix anormales et bien identifiées. Ces pratiques, de l'avis général, aboutissent à des comportements commerciaux irrationnels dans un contexte de complexité croissante et d'insécurité juridique inacceptable pour les entreprises.
Les mesures définies par ce projet de loi atteignent je le crois un point d'équilibre et le gouvernement tient fortement à ce que l'article 31 cur de ce dispositif soit voté en l'état.
Le projet de loi modifie le calcul du seuil de revente à perte, celle-ci demeurant une infraction pénale. Par cette mesure, il s'agit de limiter les " marges arrières " à 20 % du prix net des produits. Le gouvernement a prévu un dispositif transitoire de six mois permettant de parvenir à cette limite de façon progressive. Ce que nous attendons de cette mesure c'est le retour à une négociation commerciale normale dans laquelle les parties fixent avant tout le prix des produits et non pas des rémunérations annexes versées en sens inverse par le producteur au distributeur. Empêchant définitivement l'inflation de ces marges nous introduisons un facteur de modération des prix qui n'est pas un facteur de déstabilisation puisque nous écartons la réintégration brutale de toutes les " marges arrières " dans le seuil de revente à perte. Soyons sérieux sur ce point. Ceux qui veulent le statu quo veulent le maintien de versements considérables hors de toute logique commerciale des producteurs aux distributeurs. Ceux qui, à l'inverse, veulent jouer aux " apprentis sorciers " en modifiant le texte sous la seule pression de tel ou tel groupe d'intérêts particuliers, risquent de s'écarter dangereusement de l'intérêt général de notre économie, dont nous sommes ici comptables, devant le peuple français.
Remettons les pratiques dans le bon sens avec un peu de pragmatisme et la dignité de ceux qui répugnent à compromettre le suffrage universel avec le porte-parolat des lobbies, aussi respectables soient-ils.
Mais nous devons aussi nous intéresser à d'autres pratiques.
Vous le savez, les " accords de gammes " conduisent parfois à l'éviction du marché de certaines PME. Un encadrement plus strict de cette pratique sera donc mis en place (articles 26 et 32) ; les abus, comme le refus de vente et la venté liée, seront interdits et sanctionnés.
Nous maintenons bien sur la primauté des conditions générales de vente établies par le fournisseur afin de permettre que la négociation s'engage sur des bases claires connues de tous.
Le projet de loi donne ensuite de la coopération commerciale (article 28) une définition légale et renforce les exigences formelles attachées au contrat de coopération commerciale. De plus, il prévoit l'obligation de formaliser dans un contrat les services autres que de coopération commerciale rendus par le distributeur.
De même et pour faciliter l'administration de la preuve et l'exercice des sanctions par le juge, l'administration se voit reconnaître le droit, bien que n'étant pas partie au contrat, de se fonder sur les dispositions de l'article 1315 du code civil pour demander au distributeur, sous le contrôle du juge commercial, de justifier de la réalité des services rendus à son fournisseur.
Enfin nous souhaitons encadrer plus strictement sans les interdire les enchères électroniques à distance. Les interdire n'aurait aucun sens. D'abord parce qu'elles sont souhaitées par de nombreux producteurs et non pas seulement les acheteurs car elles sont sources de progrès et de productivité. Dans de grands secteurs industriels elles vont de paire avec l'EDI (échange des données informatisées) lié aux nécessités de la production à flux tendu. Ensuite parce qu'interdire de tels moyens modernes aboutit presqu'inévitablement à leur délocalisation à l'étranger.
Le projet comporte enfin un projet de réforme et de réorganisation significatif des CCI. Je suis très heureux que des travaux que j'avais engagés il y a deux ans et demi puissent enfin aboutir dans un très large consensus.
Voilà, Mesdames et Messieurs les sénateurs, les grandes lignes du projet de loi que je soumets à votre examen.
Je vous remercie
(Source http://www.pme.gouv.fr, le 14 juin 2005)