Entretien de Mme Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, à RTL le 11 juillet 2005, sur la lutte contre le terrorisme, le processus de ratification du Traité constitutionnel européen et le financement de l'Union européenne élargie.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Catherine Colonna.
R - Bonjour
Q - Avant d'évoquer le référendum sur le Traité constitutionnel européen qui s'est déroulé hier au Luxembourg, quelques mots sur les attentats qui se sont déroulés à Londres la semaine dernière. De votre point de vue, Catherine Colonna, l'Union européenne est-elle armée pour faire face aujourd'hui au défi du terrorisme ?
R - L'Union européenne est un cadre indispensable en plus des coopérations entre tel ou tel Etat, la coopération internationale est indispensable parce que, lorsqu'un terroriste présumé passe par exemple, par hypothèse, de Hambourg à Paris puis à Londres, seule une coopération entre Européens peut donner les réponses.
Q - Mais passer de Hambourg à Paris selon les accords Schengen, sans qu'il puisse être contrôlé aux frontières françaises, certains y voient là une source de faiblesse.
R - Ce n'est pas cela qui est en cause. D'ailleurs, dans le cas des attentats qui viennent de se produire en Grande-Bretagne, des attentats terroristes que nous condamnons évidemment, la Grande-Bretagne n'est pas dans l'espace Schengen. En revanche, ce qui est nécessaire, c'est qu'au sein de l'espace européen, au sein de l'espace Schengen également, la coopération entre pays se développe, entre les services de renseignement, entre polices, entre justices.
Q - Qu'elle se développe parce qu'aujourd'hui elle est peut-être à un niveau insuffisant encore ?
R - Beaucoup a été fait depuis le 11 septembre 2001. Les Européens ont mis en place une coopération opérationnelle, ils ont également nommé un coordinateur de la lutte contre le terrorisme. Le mandat d'arrêt européen est désormais en vigueur, beaucoup de choses ont été faites, Europol a vu son rôle renforcé. Il reste toujours à faire.
Q - Avez-vous des nouvelles ce matin des ressortissants français qui étaient à Londres, notamment ce jeune homme Ihab Slimane, qui a pris le métro jeudi matin et dont on n'a pas de nouvelles encore ?
R - Il y a en effet encore une dizaine de ressortissants français dont nous n'avons pas de nouvelles. Au fil des heures, nous espérons avoir davantage d'informations, mais pour le moment, il y a toujours un certain nombre de personnes dont nous sommes sans nouvelles.
Q - Hier, 56 % des électeurs luxembourgeois ont voté "oui" au Traité constitutionnel européen. Jean-Claude Juncker, le Premier ministre luxembourgeois, était assez euphorique. On peut le comprendre. Et dans son euphorie il a dit que les Français devraient peut-être revoter l'année prochaine sur le Traité constitutionnel. C'est sérieux cela, Catherine Colonna ?
R - Je n'imagine pas qu'il soit possible de faire voter les Français une deuxième fois sur le même texte. Néanmoins, ce vote positif au Luxembourg est très important parce qu'il démontre que le projet européen peut encore convaincre les peuples. Donc au-delà du cas du Luxembourg, qui est important, car c'est un Etat fondateur qui montre son attachement à l'Europe...
Q - Petit Etat et 43 % des électeurs luxembourgeois ont voté "non" ce qui surprend visiblement, même la classe politique luxembourgeoise, qui était unanimement pour le "oui".
R - Après deux votes négatifs en France et aux Pays-Bas, après que l'on ait vu des inquiétudes se développer un peu partout en Europe, c'est un résultat remarquable parce qu'au-delà du cas du Luxembourg c'est important pour l'ensemble de l'Europe. Cela montre aussi qu'il n'y a pas de dynamique des "non".
Q - Il n'y a pas non plus de dynamique des "oui". Puisque la France a voté "non", vous disiez qu'il n'était pas envisageable...
R - Malte, Chypre, le Luxembourg, depuis le référendum aux Pays-Bas, ont ratifié ce Traité.
Q - Il est inenvisageable de revoter avez-vous dit, cela veut dire que la renégociation du Traité est inévitable ?
R - Personne n'a parlé de renégociation. Moi je ne vois pas comment il serait possible de faire voter les Français une deuxième fois, le président de la République l'a dit lui-même bien sûr et le Premier ministre également. Cela dit laissons le temps faire son oeuvre, les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement, au Conseil européen du mois de juin, ont décidé de se revoir dans un an et d'évaluer, à ce moment là, la situation. Nous aurons une vision plus complète de la situation en Europe.
Q - Il est envisageable que ce Traité constitutionnel européen entre en vigueur sans que la France y soit associée ?
R - Nous sommes vingt-cinq Etats membres, il faut donc vingt-cinq ratifications pour que le Traité entre en vigueur.
Q - Pas tout à fait. Je n'ai pas révisé mon Traité mais je crois qu'il était dit qu'au bout de la procédure, si 4/5ème des Etats ne l'ont pas ratifié, il pourra entrer en vigueur éventuellement.
R - Il était prévu, et il est toujours prévu, de se revoir à la fin de l'année 2006, si un certain nombre de pays manquent à l'appel. Néanmoins, l'entrée en vigueur, juridiquement, ne peut se faire qu'avec l'ensemble des pays qui ont ratifié.
Q - C'est la diplomatie qui vous empêche de dire une chose évidente : c'est que ce Traité constitutionnel européen est mort, malgré le "oui" luxembourgeois.
R - C'est parce que je ne le crois pas. Le processus continue. La décision des chefs d'Etats et de gouvernement au Conseil européen est la seule décision sage et démocratique parce que, précisément, elle permet aux Etats qui veulent s'exprimer de le faire. Le Luxembourg l'a fait, d'autres suivront.
Q - Nous vivons actuellement sous Présidence britannique en Europe. Pensez-vous que dans les six mois qui viennent, et en tout cas jusqu'à la fin décembre, un accord sur le budget soit possible, et hélas, les attentats de Londres peuvent-ils, de ce point de vue, favoriser un accord pour montrer une certaine Union européenne ?
R - Nous souhaitons tous, bien sûr, qu'un accord soit possible, et même qu'il soit trouvé. L'heure n'est évidemment pas à la polémique après les attentats qui ont frappé la Grande-Bretagne et vous avez vu que la compétition entre Paris et Londres sur les Jeux Olympiques, ou les difficultés à trouver un accord sur le budget ont été effacées rapidement par un élan de solidarité. Il faudra se remettre au travail tous ensemble, entre Européens. Je crois que, quand l'essentiel est en jeu, et c'est bien le cas, nous sommes capables de nous unir et nous sommes capables de faire prévaloir l'esprit européen, qui est l'esprit de solidarité.
Q - Et donc la France pourrait aussi faire un pas sur la PAC, un compromis, si les Anglais en font un ?
R - La Politique agricole commune (PAC) n'est pas en cause. La France a fait d'énormes efforts au Conseil européen au mois de juin en acceptant d'aller au-delà des engagements qu'elle pensait devoir prendre. Ce sont des efforts de solidarité concrets puisqu'ils représentaient, sur la période du futur budget 2007-2013, 10 milliards d'euros supplémentaires. On a vu alors qui était prêt à faire des efforts et qui ne l'était pas. Nous sommes toujours prêts à les faire si cela peut faciliter un bon accord.
Q - Donc il y a des possibilités de compromis autour de la PAC notamment ?
R - La PAC n'est pas en cause, je le redis. D'ailleurs, ce n'est pas elle qui était au centre des débats du Conseil européen. La question qui se pose, c'est celle du financement de l'Union élargie : comment financer les politiques communes et comment financer l'élargissement ? Qui a fait quoi ? Vingt pays avaient accepté la proposition luxembourgeoise, cinq l'ont refusée. (...)./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juillet 2005)