Interview de M. Dominique Perben, ministre de la justice, à RTL le 4 mars 2004, sur les mesures prises pour faire face aux menaces terroristes sur le réseau ferroviaire d'un groupe inconnu se baptisant "AZF" et sur les décisions du Conseil constitutionnel censurant 2 dispositions de la loi sur la grande criminalité

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- J.-M. Aphatie-. Bonjour D. Perben... On a appris hier qu'un groupe qui se baptise "AZF" menaçait depuis quelques semaines l'Etat français d'un chantage à la bombe, une menace que le gouvernement prend au sérieux puisqu'un engin explosif, en état de fonctionner, a été retrouvé le 21 février dernier sous le ballast d'une voie ferrée près de Limoges. Une information judiciaire est ouverte. Elle a été confiée à deux juges anti-terroristes. Disposez-vous ce matin, dans cette affaire difficile, D. Perben, d'éléments nouveaux ?
R- " Si j'en avais, je ne vous les donnerais pas, évidemment. "
Q- C'est dommage
R- " ... Puisque nous sommes sur une affaire effectivement sérieuse. Je regrette qu'on en ait parlé autant depuis quarante-huit heures. Je ne pense pas que ça facilite le travail des services d'enquête. Vous l'avez rappelé, une information judiciaire a été ouverte il y a quelques jours. Elle est confiée à la responsabilité de J.-L. Bruguière. L'ensemble des services est mobilisé, vous l'imaginez bien, également la SNCF. Et nous recherchons très activement, depuis déjà plusieurs semaines, quels peuvent être les auteurs de ce mélange de sinistre plaisanterie et de menaces contre la sécurité des Français. Je puis vous dire que tout le monde est mobilisé, et j'espère qu'on va avoir très vite l'identification des auteurs. "
Q- Le nom de ce groupe étonne : "AZF"... Ca fait référence à l'usine qui avait explosé tout près de Toulouse.
R- " Bien entendu. Les méthodes également d'échanges d'informations, d'annonces de ce qu'ils veulent faire ou pas faire, etc... Tout ça a un côté à la fois roman policier un peu compliqué, mais en même temps, il semble que certains éléments techniques nous laissent à penser qu'il peut s'agir de gens suffisamment dangereux pour qu'on prenne cette affaire très au sérieux. Nous sommes mobilisés. "
Q- Origine crapuleuse... groupe politique ?
R- " Il est trop tôt pour le dire. Je pense qu'on est plutôt dans la crapulerie ! "
Q- Une chose étonne dans cette affaire, c'est que le gouvernement français, l'Etat français, qui d'habitude ne négocie jamais avec les terroristes, a l'air, là, d'être engagé dans une discussion avec paiement de rançon. Est-ce que dans cette affaire particulière, il y a un écart par rapport à ce que l'on croyait être un principe jusque là ?
R- " Ecoutez, les choses ne sont pas toujours aussi simples. Dans la réalité, il s'agit d'aller vers ces personnes. Je ne peux pas en dire plus. "
Q- Peut-on imaginer que le gouvernement, dans les heures ou les jours qui viennent, prendra des mesures, dans le cadre du "plan Vigipirate", de protection d'édifices publics, des gares. La SNCF a pris des dispositions mais le Gouvernement, lui ?
- " Mais des mesures sont déjà prises ! "
Dans le cadre du plan Vigipirate ?
R- " Quel que soit le cadre du plan, des mesures sont prises, et depuis déjà plusieurs jours, des mesures de surveillance. "
Q- Des mesures sur lesquelles vous ne communiquez pas.
R- " Absolument. "
Q- Vous l'avez dit au début : la presse a rendu publique hier cette affaire. C'est La Dépêche du Midi qui a rompu un embargo que le ministère de l'Intérieur avait demandé à des journalistes, qui connaissaient déjà depuis plusieurs jours des éléments d'information, de garder pour eux. Vous dites que cela complique l'enquête ?
R- " Bien sûr ! "
Q- De quelle manière cela la complique-t-elle ?
R- " C'est plus difficile de travailler, je dirais sous le feu des projecteurs que de travailler dans la discrétion, et ça peut modifier le comportement des gens que nous essayons de poursuivre. "
Q- En même temps, dans une société moderne, il est difficile de garder ces informations secrètes.
R- " Oui, mais vous savez la transparence n'est pas une valeur absolue. Et je pense que dans ces affaires, comme dans beaucoup d'autres, il faut aussi savoir prendre ses responsabilités professionnelles et déontologiques. "
Q- Et ne doit-on pas à ceux qui envisagent de prendre le train ce type d'information ? il y a peut-être un danger.
R- " Vous croyez qu'il y a moins de danger ce matin, depuis que la presse en parle ? "
Q- Autant de danger, mais chacun prend du coup son billet de train en connaissance de cause.
R- " Oui, ce n'est peut-être pas aussi simple que ça. "
Q- Le Conseil Constitutionnel a censuré hier deux dispositions de votre projet de loi, D. Perben. Il concernait la grande criminalité. L'une des demandes du Conseil Constitutionnel vise à encadrer plus précisément la notion de grande criminalité, et puis la procédure du "plaider coupable" sera aussi dans sa phase terminale rendue publique. "C'est une rectification vigoureuse pour le Gouvernement", vient de dire A. Duhamel. Vous en convenez ?
R- " Ecoutez je ne sais pas si elle est vigoureuse, c'est une rectification, sur un texte comme celui-là, je le rappelle : 224 articles de loi. Donc il était assez naturel. Moi je m'attendais à ce qu'il y ait un certain nombre de rectifications de frontières, comme on dit quelquefois. Ce sont des textes complexes sur le plan juridique, qui nécessitent pendant toute la discussion, d'abord la préparation du texte, puis la discussion avec le Parlement, de veiller bien sûr à la constitutionnalité des choses, puisqu'on touche là, pour partie, aux libertés individuelles. Donc on est très vite sur des questions de constitutionnalité. Nous y avions fait très attention, avec des constitutionnalistes qui sont dans mes services. Bon, je n'étais pas à l'abri bien entendu de telle ou telle rectification. Donc deux articles sur 224 ont été retouchés par le Conseil Constitutionnel. Non pas sur la définition d'ailleurs de la criminalité organisée, mais sur les conditions de nullité, et je crois que le Conseil a levé une ambiguïté de la rédaction qui avait été adoptée au Parlement. Et je pense que c'est bien, parce que je pense que ça devrait rassurer l'ensemble je dirais des juristes, des praticiens de la loi, et je m'en réjouis tout à fait. Quant à l'affaire de la publicité de la séance de validation de la peine du "plaider-coupable", le Parlement avait hésité. Dans mon texte, au départ, il y avait cette publicité. Ensuite, un peu à la demande des avocats - d'ailleurs les choses sont paradoxales parfois - nous avions avec le Parlement réintroduit la confidentialité, parce que les avocats ne souhaitaient pas que tout se sache, si jamais finalement ils devaient aller à l'audience. Le Conseil constitutionnel a tranché. Je crois que c'est bien. Ce que je souhaite très profondément, c'est qu'après une polémique très largement artificielle, cette décision du Conseil Constitutionnel ramène la sérénité. Et dès les prochains jours, dès que la loi sera promulguée par le président de la République, je mettrai en place un comité de pilotage pour veiller aux conditions d'application de ce texte dans lequel. "
Q- Un comité de pilotage, avec des fonctionnaires ?
R- " Dans lequel je souhaite introduire des magistrats de terrain, c'est-à-dire des gens qui vraiment ont la pratique de tous les jours, et qui pourront nous aider dans la pédagogie de la loi. Et je souhaite également que des avocats puissent nous aider à définir, de façon précise, les conditions d'application du texte. "
Q- Comité de pilotage, ce qui veut dire que la loi, éventuellement, pourra être revue ?
R- " Non. Il s'agit là de sa mise en application. Vous savez, une loi de 224 articles, il faut un certain nombre de circulaires d'application, d'instructions d'application qui comptent beaucoup. Comment conseiller les procureurs de la République pour la mise en oeuvre du "plaider coupable", par exemple ? Eh bien, ça c'est un sujet que l'on peut aborder avec les professionnels, même au niveau de l'application de la loi. "
Q- Le Conseil constitutionnel a rendu cette décision dans sa formation actuelle, et c'était sa dernière décision. La semaine prochaine, trois nouveaux membres vont entrer au conseil. Une question précise : on note que la semaine prochaine va entrer au Conseil, P. Steinmetz, qui était jusqu'à récemment le directeur de cabinet de J.-P. Raffarin à Matignon. Et certains s'étonnent de cette nomination, parce que P. Steinmetz peut être amené à étudier des lois, dont il a eu connaissance, qu'il a commencé à élaborer quand il était directeur de cabinet à Matignon. Est-ce qu'il y a là quelque chose qui vous parait problématique ?
R- " Il ne sera pas rapporteur. "
Q- Rapporteur de quoi ?
R- " De ces textes au sein du Conseil constitutionnel. "
Q- Qu'en savez-vous ?
R- " Parce qu'il pourra le décider avec le président du Conseil Constitutionnel, tout simplement. "
Q- Mais vous, vous n'êtes pas au Conseil Constitutionnel.
- " J'ajoute que les textes de loi sur lesquels il a travaillé, compte tenu des délais d'examen par le Conseil Constitutionnel, je pense que c'est déjà derrière nous. "
Q- Donc ça n'est pas un problème.
R- " Puisque ça fait maintenant déjà un certain nombre de mois qu'il a quitté ses fonctions. Non, je trouve la polémique sur les nominations des membres du Conseil Constitutionnel - polémique d'ailleurs bien limitée puisque ça se réduit pour l'essentiel à Monsieur Montebourg - c'est assez cocasse ! Moi j'ai un prédécesseur dans la fonction de Garde des Sceaux, qui est R. Badinter, qui a été garde des Sceaux pendant cinq ans. Il est sorti du ministère de la justice pour aller prendre la présidence du Conseil Constitutionnel. Monsieur Dumas, ministre des Affaires Etrangères de F. Mitterrand, ami très proche de F. Mitterrand, a été président du Conseil Constitutionnel. Alors je ne sais pas, Monsieur Montebourg découvre que P. Mazeaud connaît J. Chirac. Mais P. Mazeaud c'est d'abord le grand juriste que tout le monde a connu au Parlement ! "
Q- D'un mot : Cesare Batisti, l'Italien qui était incarcéré et libéré hier, a dit hier soir en sortant de la prison de la Santé : "les perbenades, ça suffit ! laissez-moi en paix " ! Qu'est-ce que vous lui répondez ?
R- " Ecoutez, on n'est pas dans Pagnol, là ! Dans cette affaire, je vais dire simplement une chose : il se trouve que le ministre de la justice français, que Perben, applique la loi. Depuis le début j'applique la loi, les tribunaux font leur métier, et je pense qu'il faut que chacun comprenne que nous sommes dans un état de droit, et que nous sommes dans un espace européen, judiciaire. "
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 mars 2004)