Interview de M. Dominique Perben, ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, à "France Inter" le 4 juillet 2005, sur la sécurité routière et notamment l'installation de nouveaux radars, sur les négociations relatives au service minimum dans les transports en commun, et sur les relations entre MM. de Villepin et Sarkozy.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Vous aviez annoncé, le mois dernier, une pose dans le déploiement de nouveaux radars. N. Sarkozy, le ministre de l'Intérieur, n'était pas d'accord. D. de Villepin a tranché en faveur du ministre de l'Intérieur : il y aura 500 radars supplémentaires l'année prochaine. N'est-ce pas trop dur de se faire désavouer, comme ça, quand on vient de prendre ses fonctions ?
R - C'est le fonctionnement normal du Gouvernement ! Là, la décision a été préparée, j'allais dire, "publiquement", mais les arbitrages rendus par le Premier ministre entre plusieurs ministres, c'est tous les jours, c'est la vie normale.
Q - C'est quand même assez étonnant, parce que les radars ont montré leur efficacité, il y a moins de morts sur les routes et cela fait rentrer de l'argent dans les caisses de l'Etat - 70 millions d'euros. Et vous vouliez stopper tout cela. Je voudrais savoir comment s'est organisé le processus de décision. Qui a fait pression sur vous pour que l'on arrête de déploiement de radars ?
R - Personne n'a fait pression...
Q - Vraiment ? Parce que l'on dit que des élus UMP estimaient que ces radars mécontentaient beaucoup d'électeurs...
R - N'inventons pas des explications théoriques, fantasmatiques. La décision est prise, maintenant tout le monde est au boulot et c'est cela qui compte. Je voudrais rappeler quelques chiffres : l'année dernière, au moment des grands départs, il y avait trente radars mobiles sur les routes. Cette année, il y en a 300. On voit donc bien le développement. Et sur les 500 radars l'année prochaine, nous allons travailler pour mixer les radars fixes et les radars mobiles, étant précisé que nos allons faire un effort maximum pour que les radars fixes soient placés effectivement dans des zones dangereuses. Et puis le développement du nombre de radars au total va nous permettre d'aller plus loin dans le contrôle des routes départementales. On s'aperçoit que l'on a bien progressé en terme de diminution de la vitesse et en terme de sécurité, de diminution du nombre de victimes sur les grandes autoroutes, sur les routes nationales. Mais il y a encore un problème difficile, qui est celui du trajet domicile-travail, la petite route que l'on connaît par cur et où, malheureusement, on va trop vite. Il va donc falloir développer le contrôle aussi sur ce type de routes.
Q - On ne saura donc jamais d'où vous est venue cette idée assez étonnante, ce moratoire sur le déploiement des radars ?
R - On va de l'avant et on travaille !
Q - Il y avait d'autres éléments que vous aviez annoncés : vous aviez parlé de cette expérience d'allumage des feux de code pour les automobilistes en plein jour. Est-ce que cette expérience est définitivement abandonnée ? Elle mécontentait énormément les motards...
R - Il y a une analyse qui est en cours, qui a été demandée par le délégué interministériel, qui va nous permettre, d'ici à l'automne, de savoir quoi en penser. Certains pays l'ont tout de même adopté, avec des résultats ; d'autres hésitent à le faire. On fera donc un bilan en fin d'année et on verra les choses calmement.
Q - Mais quelle est votre opinion, en tant que ministre des Transports ?
R - Je pense qu'en particulier en période d'été, c'est sans doute d'une efficacité moyenne. En période d'hiver, la question se pose et il faut faire un bilan objectif.
Q - On avait prévu aussi un contrôle médical obligatoire pour les conducteurs les plus âgés et vous aviez décidé de supprimer cette mesure...
R - Non, il ne s'agit pas de "supprimer". Il n'y avait rien de concret. Je me suis interrogé sur le fait de savoir s'il ne fallait pas aller vers le renforcement du rôle du médecin traitant habituel, qui connaît son malade ou qui connaît son patient, plutôt que d'introduire un dispositif à caractère administratif. C'est là-dessus que je souhaite que l'on travaille, parce qu'il me paraît important qu'effectivement on puisse contrôler la capacité à conduire, non seulement des personnes relativement âgées mais aussi des personnes plus jeunes, qui peuvent avoir à un moment donné une difficulté, soit visuelle, soit en termes de réflexes. Et je pense qu'il faut que l'on travaille avec le corps médical, pour voir comment faire en sorte que la personne soit alertée et puis qu'à un moment donné, on lui dise que ce n'est pas possible, que c'est trop dangereux.
Q - Comment cela pourrait-il se faire ? Avez-vous déjà une idée ?
R - Avec le corps médical, il faut qu'on en discute et qu'on voie comment ils peuvent effectivement jouer ce rôle, qui me paraît absolument indispensable pour la sécurité des personnes concernées et évidemment des autres.
Q - Parmi les projets que vous avez annoncés, il y a aussi des mesures pour lutter contre le débridage des cyclomoteurs. Comment cela va-t-il se passer ?
R - D'abord, de quoi s'agit-il ? Beaucoup de scooters et de cyclomoteurs sont débridés, soit tout de suite à la vente, soit quelques semaines plus tard. C'est terriblement dangereux, parce que ces deux-roues ne sont pas faits pour la vitesse à laquelle ils arrivent. Et en particulier le jeune, qui normalement doit être limité à 50 km/h, peut aller jusqu'à 80 ou 90 km/h, ce qui est à l'origine de beaucoup d'accidents. Or il faut savoir que si nous avons progressé à l'égard de l'ensemble de la population en matière de diminution du nombre de victimes - 3.000 morts en moins en trois ans -, en matière de jeunes et en matière de cyclos en particulier, on ne progresse pas suffisamment. Il faut donc sanctionner plus sévèrement la commercialisation de scooters et de deux roues débridés, sanctionner l'utilisation de ce type de débridage et on pense aller jusqu'à l'immobilisation du véhicule pour vraiment faire comprendre aux jeunes que c'est dangereux. Nous allons utiliser la semaine de la sécurité routière, au mois d'octobre, pour faire, avec les principaux de collèges, avec tout le monde éducatif, un travail d'information en direction de ces jeunes et de leurs parents, pour qu'ils comprennent bien le danger de ce type de formule.
Q - Une des grandes promesses électorales de J. Chirac, c'est ce fameux service minimum garanti en cas de grève dans les transports. C'est vraiment un serpent de mer qui refait surface à échéance assez régulière. Où en êtes-vous ? Avez-vous finalement l'intention de légiférer dans ce domaine dans les prochains mois ?
R - Les choses avancent de manière contractuelle. C'est ce que mon prédécesseur, G. de Robien, avait engagé, aussi bien avec la SNCF qu'avec la RATP. Eventuellement, il faudra que l'on avance aussi davantage avec d'autres grandes entreprises de transports, dans les grandes villes de province. L'idée est de voir si l'on peut se mettre d'accord entre les entreprises, les organisateurs de transports, pour assurer un service garanti à la population. Car l'objectif, quel est-il ? C'est que même les jours de grève, on trouve un minimum de trains, de métros ou de bus pour pouvoir aller à son travail. Aujourd'hui, sur la région parisienne, il y a eu un accord RATP-syndicats des transports parisiens, et SNCF-syndicats des transports parisiens, qui prévoit que l'on puisse disposer de 30 % des trains SNCF pendant les jours de grève et de 50 % du service de la RATP. Si effectivement ce dispositif tient, à ce moment-là, on sera arrivé à un résultat contractuel et il ne serait pas nécessaire d'aller jusqu'à la loi. Le but n'est pas de faire ou de ne pas faire une loi : le but est qu'il y ait des trains et des bus les jours de grève.
Q - Le but aussi est d'éviter une grève générale : vous savez que les syndicats sont totalement opposés à ce principe d'un service minimum garanti...
R - Je le sais bien, j'ai commencé à les rencontrer, je sais tout cela. L'objectif est donc d'avoir un service garanti les jours de grève. Et je pense que l'on progresse vraiment, j'ai bon espoir que l'on arrive à ce résultat de façon contractuelle, de façon négociée.
Q - On vous sent quand même très prudent, vous sentez que ce sujet est explosif ?
R - Il est explosif, mais en même temps, il faut que l'on arrive à ce que ces discussions aboutissent et à ce qu'il y ait effectivement un accord. Sinon, il faut voir qu'il y a dix millions de personnes concernées les jours de grève et qu'il y a une espèce d'obligation de service rendu à la population.
Q - Vous êtes aussi membre de l'UMP et ancien ministre de la Justice ; estimez-vous que le président de votre parti, N. Sarkozy, omniprésent sur tous les fronts en ce moment, en fait trop quand il dit qu'il veut "nettoyer" La Courneuve ou "faire payer les magistrats" qui remettent en liberté des détenus qui purgent de longues peines ?
R - Chacun a son vocabulaire. J'ai été ministre de la Justice pendant trois ans, et donc, vous me permettrez de ne pas prendre la parole à la place de mon successeur.
Q - Mais vous connaissez bien les dossiers, on peut connaître votre opinion.
R - Oui, bien entendu. Je crois que dans un gouvernement, comme l'a dit D. de Villepin encore une fois ce week-end, il y a des tempéraments différents. Ce qui compte, c'est qu'on travaille ensemble et que les décisions d'arbitrage du Premier ministre soient rendues dans la clarté et dans l'efficacité. Il faut agir. J'étais encore en province ce week-end, et vraiment, ce qui revient comme un leitmotiv, c'est "agissez, bougez, avancez, réglez les problèmes !", c'est ce dont il s'agit.
Q - Donc, c'est bien que N. Sarkozy parle de tout ?
R - Je ne suis pas là pour distribuer les bons et les mauvais points.
Q - Ce n'est pas les bons points et les mauvais points, c'est connaître votre opinion.
R - Nicolas parle avec son tempérament, avec son vocabulaire. C'est effectivement, en général pas le même vocabulaire que le mien, par exemple, mais ce qui compte, c'est d'aller plus loin en matière de sécurité pour les Français.
Q - Encore une fois, vous êtes ancien garde des Sceaux, vous avez vu que vendredi dernier, plus de deux cents magistrats ont manifesté devant le Palais de justice de Paris pour protester contre les propos de N. Sarkozy, c'est quand même plutôt rare. Ils ont dénoncé "la démagogie" de N. Sarkozy qui veut faire payer les juges. Qu'en pensez-vous ?
R - Je ne pense pas qu'il y ait de démagogie de N. Sarkozy dans cette affaire de juges. Il y a L'expression d'une colère, d'une réaction face à une réalité humaine qui était tragique. Je pense à l'assassinat de cette jeune femme par un récidiviste. Sur le fond du dossier, le Premier ministre a tranché, il a donné clairement un objectif à mon successeur ministre de la Justice, en matière de renforcement des textes sur la récidive. Je crois que l'affaire est maintenant réglée, en ce sens que des orientations précisent ont été prises, ont été arbitrées et le Gouvernement va proposer au Parlement un texte sur ce sujet.
Q - Il y a une rivalité permanente en ce moment entre D. de Villepin et N. Sarkozy ; qui, pour l'instant, marque les meilleurs points ?
R - Il y a d'autant plus un sujet de rivalité qu'il n'y a pas une émission de radio où on n'en parle pas ! J'observe ce matin qu'on est sur le sujet depuis au moins deux ou trois minutes ; n'exagérons rien ! Il y a, encore une fois, des personnalités. Il est clair que N. Sarkozy est un homme énergique et président de l'UMP. Pour vivre le Gouvernement tous les jours, je puis vous dire que le Premier ministre fait son boulot et tranche.
Q - Et cela va tenir longtemps ?
R - On a vingt-deux mois devant nous, vingt-deux mois de travail à faire et on a des résultats à rendre où nous devons rendre compte aux Français, c'est ça l'important.
(Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 5 juillet 2005)