Déclaration de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur la réforme des traités relatifs à l'Union européenne en vue de leur simplification et de leur constitutionnalisation et sur l'intégration de la charte des droits fondamentaux dans une future constitution européenne, Strasbourg le 16 novembre 2000.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Audition devant l'intergroupe "Constitution européenne" au Parlement européen, Strasbourg le 16 novembre 2000

Texte intégral

Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi tout d'abord de vous remercier de m'avoir convié à parler avec vous aujourd'hui de la réforme des traités et de la Charte des droits fondamentaux, tout en regrettant de n'avoir pu le faire plus tôt. Cette audition s'inscrit dans la continuité des échanges déjà riches que nous avons pu avoir au Parlement européen, notamment avant et après Biarritz, à deux reprises déjà, puisque, outre les débats qui ont suivi, le 24 octobre dernier, d'abord la présentation des résultats de ce Sommet informel, puis, la présentation par Olivier Duhamel de son excellent rapport sur la Constitutionnalisation des traités, nous avons rediscuté longuement de la Charte, il y a deux jours, en séance plénière.
Ces sujets majeurs exigent, j'en suis convaincu, que l'on en discute de façon approfondie et c'est donc avec plaisir que je vais faire le point, sans être trop long pour ne pas préempter le temps dont nous disposons pour la discussion.
A moins d'un mois maintenant du Conseil européen de Nice, je ne peux manquer de replacer mon propos dans ce contexte pour souligner une nouvelle fois le lien entre ce que nous faisons actuellement et la suite, les autres réformes que nous devrons envisager après la CIG et qui auront pour objet, entre autres, l'élaboration d'une Constitution pour l'Union européenne.
Vous êtes, je le sais bien, non seulement de parfaits connaisseurs de la chose européenne, mais également des hommes politiques, et à ce titre vous mesurez, comme moi, la nécessité d'une présentation prudente de ces questions, car rien ne serait pire que de donner le sentiment à Nice que ce que nous avons fait n'est, somme toute, pas grand-chose et que l'essentiel reste à faire. Gardons-nous donc de faire trop vite de l'ombre aux résultats de travaux qui, nous le voyons chaque jour, ne sont pas si simples.
Ceci posé, que peut-on attendre sur cette question de la réforme future des traités ?
Essayons d'abord de circonscrire le sujet. Il y a derrière le terme de réforme des traités, au moins trois choses :
- leur réécriture en vue d'une simplification : il s'agirait aussi de revoir la répartition des compétences entre les différents niveaux d'intervention ;
- la constitutionnalisation de ces textes : cet aspect est, à mon sens, déjà beaucoup plus ambitieux, car il ne s'agirait pas simplement de baptiser un ou des traités du beau nom de Constitution, il s'agirait d'accomplir un acte politique fondamental, fondateur même, qui se traduirait par l'adoption d'un texte de référence commun, d'une nature différente des traités ;
- enfin, l'intégration de la Charte des Droits fondamentaux, qui viendrait sans doute, dans un tel texte, prendre la place du préambule, qui est la partie d'une Constitution où l'on met précisément en exergue les valeurs et les principes communs, qui se trouveraient ensuite déclinés à travers les différents articles de la Constitution ;
- et puis, il y a une question subsidiaire, d'une autre nature, mais tout aussi importante : la méthode. Comment doit-on élaborer cette Constitution ? Qui sera impliqué dans le processus ?
Comme je l'avais souligné le 24 octobre, une Constitution est, par définition, un acte fondamental d'une grande portée politique, au meilleur sens du terme. On ne peut donc pas y voir simplement un exercice de clarification rédactionnelle, ni même de répartition des compétences. Cela va bien au-delà. Or, c'est précisément sur cette étape future, sur les contours exacts de cet avenir européen que nous ne sommes pas encore au clair entre nous. Sur ce point, je ne puis en dire guère plus qu'il y a trois semaines, même si, je crois, ces idées font leur chemin. Je pense - même s'il est encore trop tôt pour en parler précisément- qu'il faudra envisager quelque chose dans les conclusions de Nice. Vous comprendrez que je ne puisse, à ce stade, engager la Présidence. Je vous dis simplement, à titre personnel, ce que je pressens. Mais tout cela dépendra des résultats de la CIG.
Revenons, si vous le voulez bien, aux questions que j'ai énumérées.
Sur la simplification des Traités, nous en avons parlé, je crois qu'en effet, dans leur état actuel, les traités sont difficilement lisibles pour les citoyens. Le constat n'est pas nouveau. Mais si l'exigence de transparence doit nous guider dans notre travail d'explication de l'Europe à nos opinions, il ne faudrait pas non plus tomber dans un excès de démagogie. Les traités sont compliqués, soit ! Mais nous savons pourquoi : ils reflètent les efforts des Etats membres pour faire fonctionner cette Union sans cesse plus large, tout en lui permettant de progresser vers plus d'intégration. Pourquoi ne pas le dire, tout simplement ?
On peut donc essayer de clarifier, mais il faut éviter de créer, ce faisant, d'autres complications. Les travaux de l'Institut de Florence ont été menés avec sérieux, il n'empêche que les auteurs ont reconnu eux-mêmes qu'ils ne pouvaient pas garantir d'être parvenus à un résultat à droits constants. Alors prenons garde à ne pas compliquer en voulant à tout prix simplifier et réécrire ! Je ne suis pas sûr, à cet égard, que l'expérience de re-numérotation faite à Amsterdam ait été tellement heureuse pour la lisibilité de nos traités.
La vraie, la seule question encore une fois, c'est de savoir ce que nous voulons faire de cette Europe. Quand nous serons d'accord sur un schéma clair, nous pourrons l'énoncer simplement aux peuples européens. Et, dès lors que le cadre général sera clairement défini, peu importe que l'on ait, à côté, des articles plus techniques. Les deux aspects peuvent très bien coexister et se compléter. Donc il faut d'abord se mettre d'accord sur le fond et non décréter a priori qu'on va rédiger une Constitution.
Deuxième point : la répartition des compétences. Question bien connue et maintes fois débattue ! Elle correspond sans aucun doute à un vrai besoin, mais l'exercice est complexe et nous devons prendre garde à ne pas briser ce qui fait la spécificité de la Communauté depuis les origines, ce mélange, variable selon les secteurs, mais toujours très subtil de compétences partagées. Un tel exercice ne doit pas conduire à modifier les équilibres, ni à revenir en arrière, au nom du principe de subsidiarité, comme certains semblent le souhaiter.
Car, si comme le pense François Bayrou, la question de la Constitution européenne présente l'intérêt de pouvoir rassembler à la fois les eurosceptiques et les europositifs, elle est loin de leur permettre de se retrouver tous sur un terrain commun.
Car, encore une fois, quand on a dit qu'il fallait une Constitution on n'a pas dit pour quoi faire. Or, si je me réfère aux positions les plus argumentées qui ont été présentées jusqu'ici, notamment celle de François Bayrou/et Daniel Cohn-Bendit (dans la version présentée au printemps dernier, car j'avoue ne pas avoir eu le temps d'examiner en détail le dernier projet) ou celle de Juppé/Toubon, - pardonnez-moi cette référence franco-française - je la cite à titre exemplatif-, elles sont aux antipodes : et je vois mal comment elles pourraient réconcilier eurosceptiques et europositifs :
- la première, défendue par Bayrou/Cohn-Bendit, traduit une orientation très nettement fédéraliste et malgré les distinctions que leurs auteurs ont essayé de faire entre compétences exclusives, compétences de coordination et compétences partagées, au bout du compte, presque tout semble de compétence européenne ;
- la seconde, présentée par Alain Juppé et Jacques Toubon me semble, à l'inverse, plutôt en retrait par rapport à l'existant et traduit la tendance de certains - qui ne s'exprime pas seulement en France - de revenir, à la faveur de cet exercice de constitutionnalisation, je crois, sur certains acquis de l'Union.
Cela montre à mon sens, non pas qu'il ne faut pas tenter l'exercice, mais qu'il y a un travail de réflexion, de décantation à faire, auquel le Parlement européen apporte activement sa contribution. Je crois qu'il faut continuer à nourrir le débat, entrer dans le vif du sujet, examiner au fond ce vers quoi on pourrait aller, explorer, tester plusieurs voies possibles. A cet égard, votre Intergroupe a un rôle déterminant à jouer.
Dernier point : la méthode.
Vous reposez, à la faveur de ce débat, la question du rôle du Parlement européen dans la réforme des traités, en soulignant que la méthode de la Conférence intergouvernementale n'est pas satisfaisante. Il est vrai que l'élaboration de la Charte des Droits fondamentaux a donné l'occasion d'explorer avec succès une autre méthode, dont la Présidence n'a eu qu'à se féliciter. Tous d'ailleurs ont salué son efficacité.
Alors, faut-il la reproduire telle quelle ? Faut-il s'en inspirer ? Si oui, comment ?
Le processus constitutionnel dont nous parlons représente quelque chose de beaucoup plus large que l'élaboration de la Charte. Je ne veux pas par là minimiser la portée de ce texte, dont vous savez par ailleurs tout le bien que je pense. Mais, il s'agirait incontestablement d'un processus d'une autre nature, qui aurait pour objectif l'élaboration d'un texte d'une dimension politique fondamentale. Or, si le Parlement européen a son mot à dire et il n'a pas attendu aujourd'hui pour le faire, - et il continuera, notamment par votre voix, en tout cas je l'espère -, force est de reconnaître qu'il n'a pas les pouvoirs d'une assemblée constituante. C'est une donnée qu'il faut avoir à l'esprit et je ne veux pas préempter l'issue d'une discussion qui n'a pas encore commencé, à Quinze, sur ce sujet.
Un dernier mot, si vous le permettez, sur la Charte des Droits fondamentaux, qui, comme je l'ai dit à plusieurs reprises devant votre Assemblée et dans d'autres enceintes, devrait avoir sa place dans une Constitution européenne, par exemple comme préambule.
Je sais à quel point le Parlement européen tient à ce que la Charte soit intégrée dès maintenant dans les traités et les réticences de certains Etats membres ont conduit à envisager une intégration indirecte, par une simple mention à l'article 6 du Traité. Comme je l'ai indiqué dans notre débat de mardi, même cette solution est loin d'être acquise. Je ne peux que vous confirmer que certains s'y opposent fermement, pas forcément pour les mêmes raisons d'ailleurs. Ainsi, on trouve parmi les opposants à cette option aussi bien des Etats qui prônent une intégration en bonne et due forme, que des Etats qui refusent de conférer la moindre valeur contraignante à la Charte.
Raison de plus - à mon sens, et je parle en mon nom personnel - pour envisager, le moment venu, son intégration dans une Constitution.
Mais encore une fois, la forme que devra prendre la réflexion sur l'après-Nice et le contenu des travaux à mener restent à préciser et je ne peux que vous inviter à poursuivre et à nourrir le débat qui s'est engagé sur ce sujet. Je suis précisément ici, aujourd'hui, pour en débattre avec vous. Je suis donc très impatient des échanges que nous allons avoir..

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 novembre 2000)