Texte intégral
Messieurs les Présidents,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je tiens tout d'abord à vous remercier, Monsieur le Président Villepin, de votre invitation.
Je veux, d'autre part, adresser mes plus chaleureuses félicitations à Michel Barnier pour sa très brillante élection à la présidence de la Délégation pour l'Union européenne. Il avait toutes les qualités requises pour cela. D'ailleurs, comment pourrais-je ne pas me réjouir que le précédent ministre des Affaires européennes accède à cette haute fonction ? Cher Michel, je suis heureux que nous ayons ainsi la possibilité de travailler ensemble, encore plus étroitement, pour l'Europe et pour la place de la France en Europe.
Je sais que la délégation accueille un certain nombre de nouveaux membres que je salue, et je me réjouis de l'attraction que suscitent les questions européennes.
A tous je veux redire, que je suis très heureux de me retrouver parmi vous, pour cette audition commune. Je suis conscient que ma dernière intervention devant vous remonte à assez loin, le 8 avril dernier pour la Commission des Affaires étrangères, le 1er juillet pour la Délégation pour l'Union européenne. Je vais donc m'atteler aujourd'hui à vous donner, un peu à marche forcée, mon analyse des principaux événements intervenus dans l'actualité européenne de ces derniers mois.
Permettez-moi, par conséquent, d'entrer tout de suite dans le vif du sujet, en partant de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenue à Pörtschach, les 24 et 25 octobre dernier. Pourquoi ce point de départ ? Parce qu'en dépit des craintes qu'on avait pu exprimer et entendre ici ou là, cette réunion a tenu les promesses que nous avions placées en elle lors du Conseil européen de Cardiff. Elle était aussi - et je rappelle son absence pour mieux rendre hommage à son action au service de l'Europe - la première, en seize ans, sans la présence du chancelier Kohl.
Pörtschach, comme l'a indiqué le président du Conseil européen Viktor Klima a été une "réunion de visions, de réflexions, d'idées et d'impulsions pour l'avenir".
Ce serait sans doute faire acte de foi que d'évoquer, comme d'aucuns l'ont fait, "l'esprit de Pörtschach". Il n'empêche ! Avec le changement de majorité intervenu en Allemagne le 27 septembre - qui fait qu'aujourd'hui onze gouvernements sur quinze en Europe partagent, peu ou prou, les mêmes préoccupations politiques - les conditions semblent réunies pour voir émerger des orientations communes en Europe et, en ce qui nous concerne plus directement encore, dans la relation entre la France et l'Allemagne.
A cet égard, permettez-moi, d'un mot rapide, de vous dire les espoirs que nous pouvons fonder sur une relance de cette relation cardinale. Vous savez que Gerhard Schroeder, qui n'était alors pas encore officiellement investi comme chancelier, Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères, et Günter Verheugen, mon nouvel homologue, sont déjà venus à Paris.
Ce que nous ressentons chez nos nouveaux interlocuteurs, c'est peut-être un engagement européen moins inconditionnel - et encore... -, dans le discours, que celui de leurs prédécesseurs, mais, du coup, un souci plus grand aussi de le justifier auprès d'une opinion publique qui attend la nouvelle équipe sur le terrain des réalisations concrètes et, en particulier, de la lutte pour l'emploi. L'engagement européen du chancelier Schroeder sera donc sans doute plus pragmatique que celui du chancelier Kohl, mais, en même temps, à mon sens, plus déterminé encore à rapprocher l'Europe des préoccupations de ses citoyens.
C'est là, vous le savez, une ligne de conduite que le gouvernement français a fait sienne. C'est pourquoi, sur nombre de sujets, Lionel Jospin, Hubert Védrine et moi-même, sommes convaincus que des orientations communes pourront être dégagées. C'est à cette fin, vous le savez, qu'un "groupe de travail" a été mis en place au niveau des collaborateurs du Président, du Premier ministre et des ministres ; il doit faire un premier rapport d'étape avant le prochain sommet franco-allemand, les 30 novembre et 1er décembre prochain, à Potsdam.
Je reviens donc aux préoccupations qui se sont exprimées lors de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement, en disant tout d'abord qu'à Pörtschach s'est cristallisée l'aspiration à une réorientation profonde de la construction européenne.
A la veille du passage à l'euro, à l'avant-veille du grand élargissement - deux événements qui conduiront, sans nul doute, à des changements profonds dans la dimension voire dans la nature de l'Union - de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement ont pris clairement conscience de la nécessité d'une Europe plus proche de ses citoyens, et donc des problèmes réels et concrets liés à la situation économique et sociale, à la solidarité qui s'exprime au travers des politiques communes, à la sécurité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières, enfin à la transparence et à la légitimité des institutions de l'Union.
Peut-être, ainsi, commençons-nous à explorer le potentiel immense que constitue l'Europe-puissance, concept que nous avons déjà évoqué ensemble, non pas, bien entendu, comme une fin en soi, mais comme un outil au service du mieux-être de ses citoyens.
Je vous propose d'en juger par vous-même, sur la base des réflexions entendues à Pörtschach à propos :
- premièrement, de l'euro et de la crise financière ;
- deuxièmement, de la coordination des politiques économiques ;
- troisièmement, de la réforme des politiques communes dans le cadre de l'Agenda 2000 ;
- quatrièmement, de la sécurité intérieure et des développements de la PESC ;
- enfin, des initiatives à prendre pour rendre l'Europe plus efficace et plus démocratique ;
- ce qui m'amènera finalement à vous donner quelques éléments d'information sur la ratification du Traité d'Amsterdam.
1. Pörtschach, d'abord, a permis d'évoquer l'évolution du contexte économique et de souligner les effets d'ores et déjà bénéfiques de l'euro.
Le Premier ministre néerlandais, M. Wim Kok, a fait un exposé introductif de cette question, en constatant un sentiment général de confiance dans la force économique de l'Europe, qui est aujourd'hui plus stable que le reste du monde, grâce à l'euro. L'euro, en effet, existe d'ores et déjà sur les marchés. Il est une donnée fondamentale de notre environnement économique et financier. On le voit de manière spectaculaire avec l'effondrement des monnaies asiatiques et du rouble.
La zone euro offre ainsi, déjà, un pôle de stabilité, la spéculation internationale se concentrant sur d'autres monnaies. Ces résultats sont très appréciables, l'euro jouant un rôle de "bouclier protecteur" des turbulences monétaires internationales.
Bien entendu, cela ne doit pas nous exonérer de travailler à une nouvelle architecture financière internationale. Bien au contraire, l'euro crée pour nous une responsabilité nouvelle, que nous assumons.
La dernière réunion du Conseil de l'euro a ainsi été largement consacrée à débattre du mémorandum français présenté par Dominique Strauss-Kahn et, à Pörtschach, le nouveau chancelier allemand s'est félicité des propositions françaises, cependant qu'Oskar Lafontaine, le nouveau ministre allemand des Finances, s'est exprimé avec conviction sur la nécessité de limiter les fluctuations de change entre le dollar et l'euro.
Ces initiatives françaises et allemandes vont dans le même sens. Il s'agit de retrouver des formes de régulation efficace, de renforcer le contrôle du système financier mondial et d'obtenir une plus grande stabilité, indispensable pour garantir la sécurité des opérateurs et sauvegarder les perspectives de croissance. Il reste maintenant à mettre ces initiatives au centre des discussions à venir au sein du G7, probablement en les formulant au préalable dans un cadre franco-allemand.
D'ici le 1er janvier, l'objectif doit être, pour la zone euro, de parvenir à s'exprimer d'une seule voix sur tous les sujets qui appellent une coordination monétaire et financière internationale. L'expression commune, au G7/G8 et au FMI, doit refléter un équilibre satisfaisant entre l'euro-11 et la BCE. Il va de soi aussi que la coordination, en amont, des positions des Onze au sein du Conseil de l'euro doit devenir la règle. Telle est l'épure de l'exercice auquel les ministre de l'Economie et des Finances vont continuer de travailler. Je crois que cette solution répond aux inquiétudes que M. de Villepin a exprimées dans sa très intéressante communication sur la mise en place de l'Union monétaire et le démarrage de l'euro.
2. Mais Pörtschach, c'est mon deuxième point, a été aussi l'occasion de débattre d'un renforcement de la coordination des politiques économiques.
La présence de Gerhard Schroeder a permis, en effet, d'envisager très favorablement l'approfondissement de la réflexion en cours sur la coordination des politiques économiques. Pour ma part, et à la suite des premiers contacts que j'ai eus avec mon homologue allemand, Günther Verheugen, parallèlement aux échanges nourris qu'entretiennent Dominique Strauss-Kahan et Oskar Lafontaine, je vois principalement trois chantiers prioritaires pour la consolidation de la croissance et le développement de l'emploi en Europe :
- Nous devons consolider la croissance européenne, en inscrivant à l'agenda européen la relance des grands travaux d'Essen, et en nous efforçant d'apporter une réponse viable à la lancinante question de leur financement.
- Nous devons ensuite renforcer la procédure de Luxembourg, qui esquisse une première forme de convergence sur les questions d'emploi.
Gerhard Schroeder, qui l'a affirmé à Pörtschach, s'est prononcé en faveur "d'un pacte européen pour l'emploi", qui viendrait équilibrer "le pacte de stabilité et de croissance".
Dans un premier temps, en vue du Conseil européen de Vienne, il conviendrait de formuler avec notre partenaire allemand des propositions en vue de développer les objectifs quantifiés, et aussi d'assurer un contrôle effectif de la performance des Etats dans le domaine de l'emploi. J'y travaille activement, en liaison avec Martine Aubry et Nicole Pery, avec qui j'ai participé, le 21 octobre dernier, à une première concertation avec les représentants des organisations syndicales et patronales sur le projet de nouvelles lignes directrices pour l'emploi pour 1999. Mon sentiment est que l'attente des représentants du monde salarial est très forte et que nous devons épanouir pleinement les potentialités contenues dans le chapitre emploi du Traité d'Amsterdam.
- Enfin, le nouveau gouvernement de Bonn s'est exprimé sans ambiguïté sur sa volonté de faire progresser de manière décisive les travaux relatifs à l'harmonisation fiscale sous sa présidence au premier semestre 1999.
Nous serons particulièrement vigilants, à cet égard, à ce qu'un accord satisfaisant puisse être obtenu sur le projet de directive relatif à la taxation des produits de l'épargne.
3. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est aussi, une Europe plus solidaire. C'est pourquoi je dois aussi vous dire un mot sur l'Agenda 2000 et du rapport de la Commission sur les ressources propres, non pas que le sujet ait été traité au fond lors de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement, dont ce n'était d'ailleurs pas l'objet, mais parce que, à Pörtschach, Gerhard Schroeder a indiqué que le règlement de ce dossier allait être l'une des principales priorités de la future présidence allemande, au premier semestre de l'année prochaine.
Ceci me donne donc l'occasion de vous rappeler ici que, pour le gouvernement, l'Agenda 2000 est un paquet, qui doit donc faire l'objet d'une négociation d'ensemble. Cette négociation ne sera pas simple pour nous, compte tenu de notre situation actuelle plutôt avantageuse, il faut bien le reconnaître. Nous sommes un grand pays de l'Union, qui bénéficie à plein de la politique agricole, principale politique commune de l'Union. Dans cette négociation, nous défendrons à la fois nos intérêts nationaux fondamentaux, mais aussi l'intérêt communautaire. J'ai pris connaissance, à cet égard, des travaux de la délégation, tant sur la réforme des fonds structurels que sur la réforme de la PAC. Je ne rentrerai pas dans leur détail aujourd'hui. Je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler.
Nos intérêts nationaux fondamentaux, c'est à l'évidence la préservation de la Politique agricole commune. La PAC doit être réformée pour favoriser son insertion dans les marchés internationaux, pour affermir sa vocation exportatrice. Elle doit être réformée aussi pour mieux prendre en compte la multi-fonctionnalité du modèle agricole européen, tourné vers la production, mais également garant des équilibres du territoire, de la préservation de l'environnement, et d'un certain type d'exploitations qui contribuent à maintenir l'emploi en milieu rural.
Par conséquent, l'idée de renationalisation ou de cofinancement de la Politique agricole commune doit être rejetée, car la réforme de la PAC serait rendue totalement incompréhensible si elle devait se traduire par un désengagement financier de la part de l'Union.
L'intérêt communautaire doit aussi être justement appréhendé. Pour le gouvernement, cet intérêt commande d'abord d'adopter une programmation des dépenses qui soit compatible avec la discipline budgétaire générale de l'UEM.
De ce point de vue, les propositions de la Commission sont, à l'évidence, beaucoup trop coûteuses sur les fonds structurels, et j'ai eu l'occasion le 13 octobre dernier de le redire à Mme Wulf-Mathies, commissaire européen chargée de la politique régionale de l'Union, à l'occasion de la visite du Premier ministre à la Commission.
Nous estimons que l'effort pour les Quinze devrait se borner à reconduire l'effort consenti dans le cadre du paquet Delors II. Compte tenu du niveau de développement atteint par l'ensemble des pays de l'Union, rien ne peut justifier d'accroître la dimension redistributrice du budget communautaire.
L'intérêt communautaire commande aussi de rejeter toute généralisation du système de correction que l'Union a accordé, dans le passé, au Royaume-Uni.
Ainsi que le souligne justement la Commission, dans son récent rapport sur les ressources propres, les distorsions actuelles de financement, absolument incontestables, comme je l'ai moi-même indiqué à plusieurs reprises, prennent largement leur source dans la correction accordée dans le passé au Royaume-Uni.
Plutôt que de généraliser de telles dérogations à des pays qui sont, aujourd'hui, dans une situation financière vis-à-vis de l'Union plus défavorable que ne l'était celle du Royaume-Uni en 1984, il conviendrait donc de poser la question d'un retour aux sources et à la logique de l'intérêt communautaire, qui doit reprendre le pas sur la logique pernicieuse du juste retour.
4. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est aussi, naturellement, une Union qui se préoccupe davantage de leur sécurité intérieure et extérieure.
Le Premier ministre espagnol, José Maria Aznar, a introduit les travaux à Pörtschach, en rappelant qu'à Cardiff, le Conseil européen avait invité le Conseil et la Commission à travailler à la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Sur cette base, la présidence autrichienne avait proposé, le 1er juillet dernier, une réflexion portant en particulier sur la définition d'une politique commune en matière de visas, d'asile et d'immigration.
Pour que votre information soit complète, je vous indique que ces sujets ont été inscrits à l'ordre du jour du Conseil informel des ministres de l'Intérieur et de la Justice, qui s'est tenu à Vienne le 29. Ce que je retiens, c'est qu'il y a encore beaucoup de différences, entre les Etats membres, dans l'appréciation des phénomènes d'asile et d'immigration, compte tenu non seulement des traditions qui prévalent dans chacun d'entre eux, des liens historiques que chacun entretient avec tel ou tel autre pays tiers source d'immigration, mais aussi des différences de nature entre les mouvements d'immigration et les facteurs qui les déclenchent.
Il faudra donc examiner toutes ces questions de façon progressive et pragmatique, en distinguant sans doute selon l'origine et les causes des flux migratoires, mais aussi en distinguant mieux immigration et asile, immigration et traitement des problèmes spécifiques des réfugiés. En tout état de cause, l'évolution des débats nous paraît plutôt encourageante. Encore une fois, rien n'est arrêté ; il s'agit seulement à ce stade d'orienter la réflexion, ce que nous avons pu faire lors de ce Conseil informel, puisque toutes les suggestions que nous avions transmises à la présidence autrichienne ont été presque intégralement reprises par elle.
Enfin, je vous signale qu'à Pörstchach, les Quinze ont décidé, sur proposition de la Finlande qui exercera la présidence de l'Union au deuxième semestre de 1999, de réunir à l'automne prochain un sommet spécial consacré à la justice et aux affaires intérieures.
S'agissant ensuite la Politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil européen informel a, je crois, été l'occasion d'engager au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement une réflexion particulièrement utile. A vrai dire, on ne pouvait imaginer une introduction plus stimulante que celle de Tony Blair pour faire le constat, malheureusement partagé par nombre de participants, que la situation actuelle en matière de politique étrangère et de sécurité est "inacceptable", marquée par "la faiblesse et la confusion" et qu'elle appelle des choix clairs sur la définition d'une véritable politique européenne de défense.
Je n'entrerai pas aujourd'hui dans une discussion au fond sur ce sujet, qui mériterait qu'on y consacre une audition entière et je serai naturellement disposé à le faire si vous le souhaitez.
Ce que j'observe néanmoins, c'est la montée en puissance d'un débat qui, comme l'a indiqué le président de la République, va prendre corps dans la perspective à la fois de la prochaine réunion ministérielle des pays membres de l'UEO, les 16 et 17 novembre prochain, à laquelle je participerai, de la mise en oeuvre du Traité d'Amsterdam et du prochain sommet de l'Alliance atlantique qui se tiendra à Washington, en avril 1999. La première réunion informelle, hier, à Vienne, des ministres de la Défense des Quinze, en est un autre signe.
5. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est enfin une construction plus démocratique, à la fois plus compréhensible et plus transparente.
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur cette exigence démocratique, qui est l'une des conditions de l'Europe populaire que le gouvernement français appelle de ses voeux. J'observe que la réflexion, lancée à Cardiff, a progressé substantiellement à Pörtschach, notamment en termes de calendrier et de méthode.
Comme vous le savez, en effet, la présidence autrichienne a l'intention de proposer, à Vienne, un "programme d'action" pour le traitement des questions ouvertes à Cardiff : fonctionnement des institutions, subsidiarité, légitimité démocratique et, naturellement, réformes institutionnelles.
Nous étions au départ un peu sceptiques sur cette idée, d'abord parce que la réflexion est récente, ensuite parce que nous devons nous donner le temps de la réflexion sur son contenu, chacune des questions requérant un traitement sérieux, enfin parce que, comme le chancelier Schroeder, nous pensons que le prochain Conseil européen doit d'abord concentrer sa réflexion sur les autres dossiers lourds notamment l'Agenda 2000.
Néanmoins, sur cet aspect aussi, Pörtschach a été utile :
- d'abord, parce que les chefs d'Etat et de gouvernement ont réaffirmé, de façon consensuelle, déterminée, leur volonté d'améliorer le fonctionnement pratique des institutions : ainsi, le Protocole sur la subsidiarité, annexé au Traité d'Amsterdam, sera mis en oeuvre de façon anticipée ; surtout un accent particulier à été mis sur le renforcement de l'efficacité et du rôle de coordination du Conseil Affaires générales : dans cette logique, les Etats membres sont appelés à améliorer leur coordination interne, cependant que le rôle propre des ministres délégués aux Affaires européennes devrait, au sein du CAG, s'intensifier ;
- ensuite, parce que nous avons pu constater que nos nouveaux interlocuteurs allemands sont parfaitement d'accord avec nous sur la nécessité de régler, avant les prochains élargissements, les questions institutionnelles qui n'ont pu l'être à Amsterdam : le format et l'efficacité de la Commission, la généralisation du vote à la majorité qualifiée au Conseil et, liée au point du précédent, la pondération des voix au sein de ce même Conseil. Le nouveau chancelier, le nouveau ministre des Affaires étrangères et le nouveau ministre des Affaires européennes allemands y ont également insisté lors de leur visite à Paris. C'est de bon augure.
- enfin, parce que le nouveau chancelier allemand, comme nous, a souhaité qu'on se donne du temps pour la réflexion, et proposé qu'à Vienne, le Conseil européen charge "la présidence allemande de mettre au point un calendrier de travail concret et une liste de thèmes", qui pourraient ensuite être adoptés lors du Conseil européen de Cologne, en juin prochain.
Au total, l'approche qui se dégage de Pörtschach nous paraît raisonnable, pragmatique et, surtout, cohérente par rapport aux autres échéances prévues à la mi-99, je pense évidemment à l'élection du prochain Parlement européen et à la désignation de la prochaine Commission européenne ; mais, bien entendu, je pense aussi à l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, ce qui m'amène, à présent, à évoquer avec vous en quelques mots la perspective de sa ratification.
6. Ce n'est pas la première fois que nous abordons la question de la ratification du Traité d'Amsterdam. C'était même l'objet essentiel de ma dernière audition devant la délégation, le 1er juillet. Mais la procédure ayant maintenant été lancée, je voudrais faire, devant vous, le point des travaux.
Sur le calendrier, d'abord, vous savez que j'ai toujours souhaité que le processus de ratification soit achevé au début de l'année 1999 afin d'éviter toute interférence avec les élections européennes de juin prochain. Ceci ne pourrait, à mon sens, que fausser le débat.
Le président de la République et le gouvernement ont adopté un projet de loi de révision constitutionnelle en Conseil des ministres, le 29 juillet dernier, et des dates ont été fixées pour l'examen de ce texte par les assemblées avant la fin de l'année : les 24 et 25 novembre pour une première lecture à l'Assemblée nationale, le 16 décembre pour le Sénat.
Le Congrès - puisque c'est la procédure retenue à ce jour par le président de la République - devrait ainsi pouvoir se réunir le 18 janvier. Ceci devrait nous permettre d'achever ensuite la procédure de ratification, au plus tard début mars.
J'espère, pour ma part, que ce calendrier pourra être tenu : non seulement parce que nous serons alors un des derniers Etats membres de l'Union à ratifier ce traité, peut-être même le dernier ; mais surtout parce que le gouvernement souhaite que cet important débat puisse se dérouler avec toute la place qu'il mérite.
Sur le fond, à présent, quels sont les éléments nouveaux ?
S'agissant de la révision constitutionnelle, le gouvernement, comme il l'a toujours fait par le passé, en pareilles circonstances, s'est tout simplement calé sur la décision du Conseil constitutionnel.
Il n'a donc proposé de modifier que le seul article 88-2 de la Constitution pour autoriser par avance les transferts de compétences qui seront nécessaires, lorsque le Conseil décidera, le cas échéant, de passer à la majorité qualifiée dans les matières relatives à l'immigration, aux visas et à l'asile.
En même temps, le gouvernement est conscient de la nécessité d'associer plus étroitement le Parlement aux travaux de l'Union. Vous-mêmes, je le sais, y avez beaucoup travaillé. Vous avez fait plusieurs propositions, en particulier vous-même, Michel Barnier, en vue d'étendre l'article 88-4, c'est-à-dire la possibilité d'un contrôle parlementaire, aux actes des deuxième et troisième piliers, ainsi qu'aux documents préparatoires à ces actes, publiés par la Commission.
Sur le premier point, au moins, cette demande me paraît tout à fait légitime et juridiquement praticable.
Il n'en va pas de même, selon moi, d'autres idées, notamment de celle d'instaurer un contrôle de constitutionnalité des projets d'actes de droit communautaire de celle tendant à introduire un contrôle parlementaire sur la négociation des traités, ou encore de celle consistant à faire ratifier, dans cinq ans, les décisions que prendra le Conseil en matière d'immigration et d'asile. Dans tous les cas, le résultat serait, en effet, de modifier l'équilibre des pouvoirs instauré par la Constitution de 1958 ou de porter atteinte aux engagements que nous avons pris au niveau européen. Je n'en dis pas plus à ce stade.
Une fois achevée, cette révision constitutionnelle permettra de passer à la ratification du Traité. Celle-ci pose un certain nombre de questions. Nous en avons parlé plusieurs fois depuis sa signature à Amsterdam, le 2 octobre dernier.
Je continue, pour ma part, de plaider pour la ratification de ce traité, malgré ses imperfections. Il contient certes une lacune majeure : l'absence d'avancée substantielle sur le plan institutionnel. Nous l'avons signifié clairement à nos partenaires en signant, avec la Belgique et l'Italie, une déclaration annexée au Traité.
Depuis, cette exigence, pour laquelle nous plaidons sans relâche depuis un an, s'est progressivement imposée à nos partenaires et je vous ai dit ce qui avait été proposé à Pörtschach et ce que nous espérions de la future présidence allemande.
Nous aurons aussi à voir comment tenir compte de ce préalable institutionnel à l'élargissement, dans le texte même de la loi autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation quelque peu résumée de "l'actualité européenne". J'avoue avoir privilégié l'actualité la plus récente, mais qui me paraît toucher aux véritables enjeux de la construction européenne. J'ai conscience que bien d'autres sujets auraient pu être évoqués, en particulier les sujets liés à l'action extérieure de l'Union.
C'est pourquoi, je suis prêt maintenant, si vous le souhaitez, à répondre à toutes les questions que vous voudriez me poser.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
Je tiens tout d'abord à vous remercier, Monsieur le Président Villepin, de votre invitation.
Je veux, d'autre part, adresser mes plus chaleureuses félicitations à Michel Barnier pour sa très brillante élection à la présidence de la Délégation pour l'Union européenne. Il avait toutes les qualités requises pour cela. D'ailleurs, comment pourrais-je ne pas me réjouir que le précédent ministre des Affaires européennes accède à cette haute fonction ? Cher Michel, je suis heureux que nous ayons ainsi la possibilité de travailler ensemble, encore plus étroitement, pour l'Europe et pour la place de la France en Europe.
Je sais que la délégation accueille un certain nombre de nouveaux membres que je salue, et je me réjouis de l'attraction que suscitent les questions européennes.
A tous je veux redire, que je suis très heureux de me retrouver parmi vous, pour cette audition commune. Je suis conscient que ma dernière intervention devant vous remonte à assez loin, le 8 avril dernier pour la Commission des Affaires étrangères, le 1er juillet pour la Délégation pour l'Union européenne. Je vais donc m'atteler aujourd'hui à vous donner, un peu à marche forcée, mon analyse des principaux événements intervenus dans l'actualité européenne de ces derniers mois.
Permettez-moi, par conséquent, d'entrer tout de suite dans le vif du sujet, en partant de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement qui s'est tenue à Pörtschach, les 24 et 25 octobre dernier. Pourquoi ce point de départ ? Parce qu'en dépit des craintes qu'on avait pu exprimer et entendre ici ou là, cette réunion a tenu les promesses que nous avions placées en elle lors du Conseil européen de Cardiff. Elle était aussi - et je rappelle son absence pour mieux rendre hommage à son action au service de l'Europe - la première, en seize ans, sans la présence du chancelier Kohl.
Pörtschach, comme l'a indiqué le président du Conseil européen Viktor Klima a été une "réunion de visions, de réflexions, d'idées et d'impulsions pour l'avenir".
Ce serait sans doute faire acte de foi que d'évoquer, comme d'aucuns l'ont fait, "l'esprit de Pörtschach". Il n'empêche ! Avec le changement de majorité intervenu en Allemagne le 27 septembre - qui fait qu'aujourd'hui onze gouvernements sur quinze en Europe partagent, peu ou prou, les mêmes préoccupations politiques - les conditions semblent réunies pour voir émerger des orientations communes en Europe et, en ce qui nous concerne plus directement encore, dans la relation entre la France et l'Allemagne.
A cet égard, permettez-moi, d'un mot rapide, de vous dire les espoirs que nous pouvons fonder sur une relance de cette relation cardinale. Vous savez que Gerhard Schroeder, qui n'était alors pas encore officiellement investi comme chancelier, Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères, et Günter Verheugen, mon nouvel homologue, sont déjà venus à Paris.
Ce que nous ressentons chez nos nouveaux interlocuteurs, c'est peut-être un engagement européen moins inconditionnel - et encore... -, dans le discours, que celui de leurs prédécesseurs, mais, du coup, un souci plus grand aussi de le justifier auprès d'une opinion publique qui attend la nouvelle équipe sur le terrain des réalisations concrètes et, en particulier, de la lutte pour l'emploi. L'engagement européen du chancelier Schroeder sera donc sans doute plus pragmatique que celui du chancelier Kohl, mais, en même temps, à mon sens, plus déterminé encore à rapprocher l'Europe des préoccupations de ses citoyens.
C'est là, vous le savez, une ligne de conduite que le gouvernement français a fait sienne. C'est pourquoi, sur nombre de sujets, Lionel Jospin, Hubert Védrine et moi-même, sommes convaincus que des orientations communes pourront être dégagées. C'est à cette fin, vous le savez, qu'un "groupe de travail" a été mis en place au niveau des collaborateurs du Président, du Premier ministre et des ministres ; il doit faire un premier rapport d'étape avant le prochain sommet franco-allemand, les 30 novembre et 1er décembre prochain, à Potsdam.
Je reviens donc aux préoccupations qui se sont exprimées lors de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement, en disant tout d'abord qu'à Pörtschach s'est cristallisée l'aspiration à une réorientation profonde de la construction européenne.
A la veille du passage à l'euro, à l'avant-veille du grand élargissement - deux événements qui conduiront, sans nul doute, à des changements profonds dans la dimension voire dans la nature de l'Union - de nombreux chefs d'Etat et de gouvernement ont pris clairement conscience de la nécessité d'une Europe plus proche de ses citoyens, et donc des problèmes réels et concrets liés à la situation économique et sociale, à la solidarité qui s'exprime au travers des politiques communes, à la sécurité, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des frontières, enfin à la transparence et à la légitimité des institutions de l'Union.
Peut-être, ainsi, commençons-nous à explorer le potentiel immense que constitue l'Europe-puissance, concept que nous avons déjà évoqué ensemble, non pas, bien entendu, comme une fin en soi, mais comme un outil au service du mieux-être de ses citoyens.
Je vous propose d'en juger par vous-même, sur la base des réflexions entendues à Pörtschach à propos :
- premièrement, de l'euro et de la crise financière ;
- deuxièmement, de la coordination des politiques économiques ;
- troisièmement, de la réforme des politiques communes dans le cadre de l'Agenda 2000 ;
- quatrièmement, de la sécurité intérieure et des développements de la PESC ;
- enfin, des initiatives à prendre pour rendre l'Europe plus efficace et plus démocratique ;
- ce qui m'amènera finalement à vous donner quelques éléments d'information sur la ratification du Traité d'Amsterdam.
1. Pörtschach, d'abord, a permis d'évoquer l'évolution du contexte économique et de souligner les effets d'ores et déjà bénéfiques de l'euro.
Le Premier ministre néerlandais, M. Wim Kok, a fait un exposé introductif de cette question, en constatant un sentiment général de confiance dans la force économique de l'Europe, qui est aujourd'hui plus stable que le reste du monde, grâce à l'euro. L'euro, en effet, existe d'ores et déjà sur les marchés. Il est une donnée fondamentale de notre environnement économique et financier. On le voit de manière spectaculaire avec l'effondrement des monnaies asiatiques et du rouble.
La zone euro offre ainsi, déjà, un pôle de stabilité, la spéculation internationale se concentrant sur d'autres monnaies. Ces résultats sont très appréciables, l'euro jouant un rôle de "bouclier protecteur" des turbulences monétaires internationales.
Bien entendu, cela ne doit pas nous exonérer de travailler à une nouvelle architecture financière internationale. Bien au contraire, l'euro crée pour nous une responsabilité nouvelle, que nous assumons.
La dernière réunion du Conseil de l'euro a ainsi été largement consacrée à débattre du mémorandum français présenté par Dominique Strauss-Kahn et, à Pörtschach, le nouveau chancelier allemand s'est félicité des propositions françaises, cependant qu'Oskar Lafontaine, le nouveau ministre allemand des Finances, s'est exprimé avec conviction sur la nécessité de limiter les fluctuations de change entre le dollar et l'euro.
Ces initiatives françaises et allemandes vont dans le même sens. Il s'agit de retrouver des formes de régulation efficace, de renforcer le contrôle du système financier mondial et d'obtenir une plus grande stabilité, indispensable pour garantir la sécurité des opérateurs et sauvegarder les perspectives de croissance. Il reste maintenant à mettre ces initiatives au centre des discussions à venir au sein du G7, probablement en les formulant au préalable dans un cadre franco-allemand.
D'ici le 1er janvier, l'objectif doit être, pour la zone euro, de parvenir à s'exprimer d'une seule voix sur tous les sujets qui appellent une coordination monétaire et financière internationale. L'expression commune, au G7/G8 et au FMI, doit refléter un équilibre satisfaisant entre l'euro-11 et la BCE. Il va de soi aussi que la coordination, en amont, des positions des Onze au sein du Conseil de l'euro doit devenir la règle. Telle est l'épure de l'exercice auquel les ministre de l'Economie et des Finances vont continuer de travailler. Je crois que cette solution répond aux inquiétudes que M. de Villepin a exprimées dans sa très intéressante communication sur la mise en place de l'Union monétaire et le démarrage de l'euro.
2. Mais Pörtschach, c'est mon deuxième point, a été aussi l'occasion de débattre d'un renforcement de la coordination des politiques économiques.
La présence de Gerhard Schroeder a permis, en effet, d'envisager très favorablement l'approfondissement de la réflexion en cours sur la coordination des politiques économiques. Pour ma part, et à la suite des premiers contacts que j'ai eus avec mon homologue allemand, Günther Verheugen, parallèlement aux échanges nourris qu'entretiennent Dominique Strauss-Kahan et Oskar Lafontaine, je vois principalement trois chantiers prioritaires pour la consolidation de la croissance et le développement de l'emploi en Europe :
- Nous devons consolider la croissance européenne, en inscrivant à l'agenda européen la relance des grands travaux d'Essen, et en nous efforçant d'apporter une réponse viable à la lancinante question de leur financement.
- Nous devons ensuite renforcer la procédure de Luxembourg, qui esquisse une première forme de convergence sur les questions d'emploi.
Gerhard Schroeder, qui l'a affirmé à Pörtschach, s'est prononcé en faveur "d'un pacte européen pour l'emploi", qui viendrait équilibrer "le pacte de stabilité et de croissance".
Dans un premier temps, en vue du Conseil européen de Vienne, il conviendrait de formuler avec notre partenaire allemand des propositions en vue de développer les objectifs quantifiés, et aussi d'assurer un contrôle effectif de la performance des Etats dans le domaine de l'emploi. J'y travaille activement, en liaison avec Martine Aubry et Nicole Pery, avec qui j'ai participé, le 21 octobre dernier, à une première concertation avec les représentants des organisations syndicales et patronales sur le projet de nouvelles lignes directrices pour l'emploi pour 1999. Mon sentiment est que l'attente des représentants du monde salarial est très forte et que nous devons épanouir pleinement les potentialités contenues dans le chapitre emploi du Traité d'Amsterdam.
- Enfin, le nouveau gouvernement de Bonn s'est exprimé sans ambiguïté sur sa volonté de faire progresser de manière décisive les travaux relatifs à l'harmonisation fiscale sous sa présidence au premier semestre 1999.
Nous serons particulièrement vigilants, à cet égard, à ce qu'un accord satisfaisant puisse être obtenu sur le projet de directive relatif à la taxation des produits de l'épargne.
3. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est aussi, une Europe plus solidaire. C'est pourquoi je dois aussi vous dire un mot sur l'Agenda 2000 et du rapport de la Commission sur les ressources propres, non pas que le sujet ait été traité au fond lors de la réunion informelle des chefs d'Etat et de gouvernement, dont ce n'était d'ailleurs pas l'objet, mais parce que, à Pörtschach, Gerhard Schroeder a indiqué que le règlement de ce dossier allait être l'une des principales priorités de la future présidence allemande, au premier semestre de l'année prochaine.
Ceci me donne donc l'occasion de vous rappeler ici que, pour le gouvernement, l'Agenda 2000 est un paquet, qui doit donc faire l'objet d'une négociation d'ensemble. Cette négociation ne sera pas simple pour nous, compte tenu de notre situation actuelle plutôt avantageuse, il faut bien le reconnaître. Nous sommes un grand pays de l'Union, qui bénéficie à plein de la politique agricole, principale politique commune de l'Union. Dans cette négociation, nous défendrons à la fois nos intérêts nationaux fondamentaux, mais aussi l'intérêt communautaire. J'ai pris connaissance, à cet égard, des travaux de la délégation, tant sur la réforme des fonds structurels que sur la réforme de la PAC. Je ne rentrerai pas dans leur détail aujourd'hui. Je pense que nous aurons l'occasion d'en reparler.
Nos intérêts nationaux fondamentaux, c'est à l'évidence la préservation de la Politique agricole commune. La PAC doit être réformée pour favoriser son insertion dans les marchés internationaux, pour affermir sa vocation exportatrice. Elle doit être réformée aussi pour mieux prendre en compte la multi-fonctionnalité du modèle agricole européen, tourné vers la production, mais également garant des équilibres du territoire, de la préservation de l'environnement, et d'un certain type d'exploitations qui contribuent à maintenir l'emploi en milieu rural.
Par conséquent, l'idée de renationalisation ou de cofinancement de la Politique agricole commune doit être rejetée, car la réforme de la PAC serait rendue totalement incompréhensible si elle devait se traduire par un désengagement financier de la part de l'Union.
L'intérêt communautaire doit aussi être justement appréhendé. Pour le gouvernement, cet intérêt commande d'abord d'adopter une programmation des dépenses qui soit compatible avec la discipline budgétaire générale de l'UEM.
De ce point de vue, les propositions de la Commission sont, à l'évidence, beaucoup trop coûteuses sur les fonds structurels, et j'ai eu l'occasion le 13 octobre dernier de le redire à Mme Wulf-Mathies, commissaire européen chargée de la politique régionale de l'Union, à l'occasion de la visite du Premier ministre à la Commission.
Nous estimons que l'effort pour les Quinze devrait se borner à reconduire l'effort consenti dans le cadre du paquet Delors II. Compte tenu du niveau de développement atteint par l'ensemble des pays de l'Union, rien ne peut justifier d'accroître la dimension redistributrice du budget communautaire.
L'intérêt communautaire commande aussi de rejeter toute généralisation du système de correction que l'Union a accordé, dans le passé, au Royaume-Uni.
Ainsi que le souligne justement la Commission, dans son récent rapport sur les ressources propres, les distorsions actuelles de financement, absolument incontestables, comme je l'ai moi-même indiqué à plusieurs reprises, prennent largement leur source dans la correction accordée dans le passé au Royaume-Uni.
Plutôt que de généraliser de telles dérogations à des pays qui sont, aujourd'hui, dans une situation financière vis-à-vis de l'Union plus défavorable que ne l'était celle du Royaume-Uni en 1984, il conviendrait donc de poser la question d'un retour aux sources et à la logique de l'intérêt communautaire, qui doit reprendre le pas sur la logique pernicieuse du juste retour.
4. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est aussi, naturellement, une Union qui se préoccupe davantage de leur sécurité intérieure et extérieure.
Le Premier ministre espagnol, José Maria Aznar, a introduit les travaux à Pörtschach, en rappelant qu'à Cardiff, le Conseil européen avait invité le Conseil et la Commission à travailler à la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice.
Sur cette base, la présidence autrichienne avait proposé, le 1er juillet dernier, une réflexion portant en particulier sur la définition d'une politique commune en matière de visas, d'asile et d'immigration.
Pour que votre information soit complète, je vous indique que ces sujets ont été inscrits à l'ordre du jour du Conseil informel des ministres de l'Intérieur et de la Justice, qui s'est tenu à Vienne le 29. Ce que je retiens, c'est qu'il y a encore beaucoup de différences, entre les Etats membres, dans l'appréciation des phénomènes d'asile et d'immigration, compte tenu non seulement des traditions qui prévalent dans chacun d'entre eux, des liens historiques que chacun entretient avec tel ou tel autre pays tiers source d'immigration, mais aussi des différences de nature entre les mouvements d'immigration et les facteurs qui les déclenchent.
Il faudra donc examiner toutes ces questions de façon progressive et pragmatique, en distinguant sans doute selon l'origine et les causes des flux migratoires, mais aussi en distinguant mieux immigration et asile, immigration et traitement des problèmes spécifiques des réfugiés. En tout état de cause, l'évolution des débats nous paraît plutôt encourageante. Encore une fois, rien n'est arrêté ; il s'agit seulement à ce stade d'orienter la réflexion, ce que nous avons pu faire lors de ce Conseil informel, puisque toutes les suggestions que nous avions transmises à la présidence autrichienne ont été presque intégralement reprises par elle.
Enfin, je vous signale qu'à Pörstchach, les Quinze ont décidé, sur proposition de la Finlande qui exercera la présidence de l'Union au deuxième semestre de 1999, de réunir à l'automne prochain un sommet spécial consacré à la justice et aux affaires intérieures.
S'agissant ensuite la Politique étrangère et de sécurité commune, le Conseil européen informel a, je crois, été l'occasion d'engager au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement une réflexion particulièrement utile. A vrai dire, on ne pouvait imaginer une introduction plus stimulante que celle de Tony Blair pour faire le constat, malheureusement partagé par nombre de participants, que la situation actuelle en matière de politique étrangère et de sécurité est "inacceptable", marquée par "la faiblesse et la confusion" et qu'elle appelle des choix clairs sur la définition d'une véritable politique européenne de défense.
Je n'entrerai pas aujourd'hui dans une discussion au fond sur ce sujet, qui mériterait qu'on y consacre une audition entière et je serai naturellement disposé à le faire si vous le souhaitez.
Ce que j'observe néanmoins, c'est la montée en puissance d'un débat qui, comme l'a indiqué le président de la République, va prendre corps dans la perspective à la fois de la prochaine réunion ministérielle des pays membres de l'UEO, les 16 et 17 novembre prochain, à laquelle je participerai, de la mise en oeuvre du Traité d'Amsterdam et du prochain sommet de l'Alliance atlantique qui se tiendra à Washington, en avril 1999. La première réunion informelle, hier, à Vienne, des ministres de la Défense des Quinze, en est un autre signe.
5. Une Europe plus proche de ses citoyens, c'est enfin une construction plus démocratique, à la fois plus compréhensible et plus transparente.
J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer sur cette exigence démocratique, qui est l'une des conditions de l'Europe populaire que le gouvernement français appelle de ses voeux. J'observe que la réflexion, lancée à Cardiff, a progressé substantiellement à Pörtschach, notamment en termes de calendrier et de méthode.
Comme vous le savez, en effet, la présidence autrichienne a l'intention de proposer, à Vienne, un "programme d'action" pour le traitement des questions ouvertes à Cardiff : fonctionnement des institutions, subsidiarité, légitimité démocratique et, naturellement, réformes institutionnelles.
Nous étions au départ un peu sceptiques sur cette idée, d'abord parce que la réflexion est récente, ensuite parce que nous devons nous donner le temps de la réflexion sur son contenu, chacune des questions requérant un traitement sérieux, enfin parce que, comme le chancelier Schroeder, nous pensons que le prochain Conseil européen doit d'abord concentrer sa réflexion sur les autres dossiers lourds notamment l'Agenda 2000.
Néanmoins, sur cet aspect aussi, Pörtschach a été utile :
- d'abord, parce que les chefs d'Etat et de gouvernement ont réaffirmé, de façon consensuelle, déterminée, leur volonté d'améliorer le fonctionnement pratique des institutions : ainsi, le Protocole sur la subsidiarité, annexé au Traité d'Amsterdam, sera mis en oeuvre de façon anticipée ; surtout un accent particulier à été mis sur le renforcement de l'efficacité et du rôle de coordination du Conseil Affaires générales : dans cette logique, les Etats membres sont appelés à améliorer leur coordination interne, cependant que le rôle propre des ministres délégués aux Affaires européennes devrait, au sein du CAG, s'intensifier ;
- ensuite, parce que nous avons pu constater que nos nouveaux interlocuteurs allemands sont parfaitement d'accord avec nous sur la nécessité de régler, avant les prochains élargissements, les questions institutionnelles qui n'ont pu l'être à Amsterdam : le format et l'efficacité de la Commission, la généralisation du vote à la majorité qualifiée au Conseil et, liée au point du précédent, la pondération des voix au sein de ce même Conseil. Le nouveau chancelier, le nouveau ministre des Affaires étrangères et le nouveau ministre des Affaires européennes allemands y ont également insisté lors de leur visite à Paris. C'est de bon augure.
- enfin, parce que le nouveau chancelier allemand, comme nous, a souhaité qu'on se donne du temps pour la réflexion, et proposé qu'à Vienne, le Conseil européen charge "la présidence allemande de mettre au point un calendrier de travail concret et une liste de thèmes", qui pourraient ensuite être adoptés lors du Conseil européen de Cologne, en juin prochain.
Au total, l'approche qui se dégage de Pörtschach nous paraît raisonnable, pragmatique et, surtout, cohérente par rapport aux autres échéances prévues à la mi-99, je pense évidemment à l'élection du prochain Parlement européen et à la désignation de la prochaine Commission européenne ; mais, bien entendu, je pense aussi à l'entrée en vigueur du Traité d'Amsterdam, ce qui m'amène, à présent, à évoquer avec vous en quelques mots la perspective de sa ratification.
6. Ce n'est pas la première fois que nous abordons la question de la ratification du Traité d'Amsterdam. C'était même l'objet essentiel de ma dernière audition devant la délégation, le 1er juillet. Mais la procédure ayant maintenant été lancée, je voudrais faire, devant vous, le point des travaux.
Sur le calendrier, d'abord, vous savez que j'ai toujours souhaité que le processus de ratification soit achevé au début de l'année 1999 afin d'éviter toute interférence avec les élections européennes de juin prochain. Ceci ne pourrait, à mon sens, que fausser le débat.
Le président de la République et le gouvernement ont adopté un projet de loi de révision constitutionnelle en Conseil des ministres, le 29 juillet dernier, et des dates ont été fixées pour l'examen de ce texte par les assemblées avant la fin de l'année : les 24 et 25 novembre pour une première lecture à l'Assemblée nationale, le 16 décembre pour le Sénat.
Le Congrès - puisque c'est la procédure retenue à ce jour par le président de la République - devrait ainsi pouvoir se réunir le 18 janvier. Ceci devrait nous permettre d'achever ensuite la procédure de ratification, au plus tard début mars.
J'espère, pour ma part, que ce calendrier pourra être tenu : non seulement parce que nous serons alors un des derniers Etats membres de l'Union à ratifier ce traité, peut-être même le dernier ; mais surtout parce que le gouvernement souhaite que cet important débat puisse se dérouler avec toute la place qu'il mérite.
Sur le fond, à présent, quels sont les éléments nouveaux ?
S'agissant de la révision constitutionnelle, le gouvernement, comme il l'a toujours fait par le passé, en pareilles circonstances, s'est tout simplement calé sur la décision du Conseil constitutionnel.
Il n'a donc proposé de modifier que le seul article 88-2 de la Constitution pour autoriser par avance les transferts de compétences qui seront nécessaires, lorsque le Conseil décidera, le cas échéant, de passer à la majorité qualifiée dans les matières relatives à l'immigration, aux visas et à l'asile.
En même temps, le gouvernement est conscient de la nécessité d'associer plus étroitement le Parlement aux travaux de l'Union. Vous-mêmes, je le sais, y avez beaucoup travaillé. Vous avez fait plusieurs propositions, en particulier vous-même, Michel Barnier, en vue d'étendre l'article 88-4, c'est-à-dire la possibilité d'un contrôle parlementaire, aux actes des deuxième et troisième piliers, ainsi qu'aux documents préparatoires à ces actes, publiés par la Commission.
Sur le premier point, au moins, cette demande me paraît tout à fait légitime et juridiquement praticable.
Il n'en va pas de même, selon moi, d'autres idées, notamment de celle d'instaurer un contrôle de constitutionnalité des projets d'actes de droit communautaire de celle tendant à introduire un contrôle parlementaire sur la négociation des traités, ou encore de celle consistant à faire ratifier, dans cinq ans, les décisions que prendra le Conseil en matière d'immigration et d'asile. Dans tous les cas, le résultat serait, en effet, de modifier l'équilibre des pouvoirs instauré par la Constitution de 1958 ou de porter atteinte aux engagements que nous avons pris au niveau européen. Je n'en dis pas plus à ce stade.
Une fois achevée, cette révision constitutionnelle permettra de passer à la ratification du Traité. Celle-ci pose un certain nombre de questions. Nous en avons parlé plusieurs fois depuis sa signature à Amsterdam, le 2 octobre dernier.
Je continue, pour ma part, de plaider pour la ratification de ce traité, malgré ses imperfections. Il contient certes une lacune majeure : l'absence d'avancée substantielle sur le plan institutionnel. Nous l'avons signifié clairement à nos partenaires en signant, avec la Belgique et l'Italie, une déclaration annexée au Traité.
Depuis, cette exigence, pour laquelle nous plaidons sans relâche depuis un an, s'est progressivement imposée à nos partenaires et je vous ai dit ce qui avait été proposé à Pörtschach et ce que nous espérions de la future présidence allemande.
Nous aurons aussi à voir comment tenir compte de ce préalable institutionnel à l'élargissement, dans le texte même de la loi autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam.
J'en ai à présent terminé avec cette présentation quelque peu résumée de "l'actualité européenne". J'avoue avoir privilégié l'actualité la plus récente, mais qui me paraît toucher aux véritables enjeux de la construction européenne. J'ai conscience que bien d'autres sujets auraient pu être évoqués, en particulier les sujets liés à l'action extérieure de l'Union.
C'est pourquoi, je suis prêt maintenant, si vous le souhaitez, à répondre à toutes les questions que vous voudriez me poser.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 4 octobre 2001)