Conférence de presse conjointe de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, et de Mmes Catherine Colonna, ministre déléguée aux affaires européennes, et Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur les négociations commerciales à l'OMC, notamment le volet agricole, la directive Télévision sans frontières, l'information des Français sur l'Europe, les mesures contre le risque de grippe aviaire, Paris le 11 octobre 2005.

Prononcé le

Circonstance : Comité interministériel sur l'Europe à Paris le 11 octobre 2005

Texte intégral

Philippe Douste-Blazy - Le Premier ministre a présidé à 17h un Conseil interministériel sur l'Europe, au cours duquel un certain nombre d'importants sujets européens ont été évoqués.
Il s'agit de la troisième réunion de ce type, qui se tient tous les mois sous sa présidence.
Le Premier ministre nous a demandé, à Catherine Colonna, Christine Lagarde et moi-même, de vous présenter les principaux sujets abordés aujourd'hui.
Un mot d'abord rapidement sur la question des négociations à l'OMC sur laquelle Christrine Lagarde reviendra plus en détails, ainsi que sur la directive Télévision sans frontières.
Les négociations commerciales dans le cadre de l'OMC revêtent une importance considérable pour l'Europe et pour notre pays.
Il est majeur pour l'Europe que ces négociations :
- soient conformes aux objectifs et aux intérêts européens ; c'est à dire qu'elles progressent de manière équilibrée entre ses différents volets ;
- qu'elles permettent un développement des pays les plus pauvres.
C'est tout le sens des échanges que nous avons avec la Commission sur le sujet.
Or aujourd'hui, nous ne voyons pas suffisamment d'avancées vers ces deux objectifs :
- les négociations sur les intérêts européens "offensifs" ont peu progressé : c'est le cas des produits industriels ou de la protection des appellations d'origine dont vous savez à quel point elles sont importantes pour notre pays.
- le volet développement n'avance pas suffisamment pour les pays les plus pauvres : sur la question de l'accès des pays aux médicaments par exemple la question de la transposition dans les règles de l'OMC de l'accord qui était intervenu en août 2003 n'est toujours pas réglée. Ce n'est pas normal. L'insertion de ces pays dans le commerce international est un devoir et une chance pour tous.
Quant aux négociations agricoles, l'Union européenne a fait un certain nombre de concessions notamment avec la réforme de la PAC de 2003.
Les Etats-Unis ont fait des annonces par voie de presse hier dans le domaine agricole. Je note simplement que ces annonces doivent s'accompagner de réformes concrètes, comme l'Union européenne a su les faire. Et que ces déclarations de nos partenaires américains ne doivent pas être conditionnées par des demandes irréalistes envers les autres, tout particulièrement sur la question très sensible de l'accès au marché agricole.
Je rappelle que, contrairement aux idées reçues, l'Union européenne est l'espace commercial de loin le plus ouvert aux exportations des pays d'Afrique, de la Caraïbe et du Pacifique : l'UE importe 80 % des productions agricoles des pays les moins avancés.
J'ai évoqué le sujet au Conseil Affaires générales avec les ministres des Affaires étrangères des 25 pays de l'Union. J'en parlerai à nouveau lors du prochain Conseil en novembre et je suis certain de pouvoir compter sur le soutien d'un nombre important d'Etats membres. La France n'est pas isolée et notre réseau diplomatique est mobilisé pour expliquer notre position.
Ce que je voudrais vous dire de manière un peu solennelle, par rapport à ce que nous avons entendu, en particulier de la Commission, encore hier est que, à l'issue de ce Conseil interministériel, et alors que la négociation de l'OMC s'engage dans une phase cruciale, je veux rappeler au nom du gouvernement français les principes qui s'imposent aux négociateurs européens. Ce sont des décisions prises par le Conseil qui ont fixé le cadre des négociations. Le Conseil a rappelé pour la dernière fois en juillet 2005 ces principes au Conseil Affaires générales auquel nous participions Catherine Colonna, Christine Lagarde et moi-même.
Il appartient au commissaire européen au Commerce, premièrement, de s'y conformer ; deuxièmement, d'apporter la démonstration que les positions qu'il a exprimées ces derniers jours respectent pleinement ce cadre, c'est à dire les dispositions prises dans le cadre de la PAC de 1999 à 2003. Troisièmement, il incombe au commissaire de respecter pleinement l'obligation de transparence à laquelle il s'est engagé, ce qui implique information et pleine association du Conseil et des Etats membres à chaque étape significative de la négociation. Je rappelle en outre que cette négociation doit être globale et équilibrée. C'est une négociation stratégique pour l'économie française. C'est la raison pour laquelle elle doit être globale et équilibrée. Nous serons vigilants dans l'équilibre entre les trois volets qui, comme vous le savez, sont l'agriculture, l'industrie et les services. Sans oublier bien évidemment le développement cher au président de la République et à nous-même.
Nous avons également abordé la directive Télévision sans frontières.
C'est Renaud Donnedieu de Vabres qui l'a abordée. La Commission européenne doit présenter d'ici la fin de l'année une proposition de révision de cette directive. Il s'agit du seul grand texte européen dans le domaine de la culture et de la communication.
Nous avons fait le point sur les enjeux de cette négociation. L'objectif du gouvernement est très simple, il s'agit d'obtenir une extension effective de la directive aux nouveaux services de télévision, comme la vidéo à la demande, disponibles sur différents supports - télévision, Internet, téléphones portables.
A cette fin, la France souhaite que figurent, dans la future directive, des mesures ayant force juridique, qui poseront le principe d'une contribution de l'ensemble des services audiovisuels à l'objectif de promotion de la diversité culturelle.
Cette position s'inscrit dans la logique de la directive actuelle, qui garantit la cohérence de la réglementation des chaînes de télévision en Europe et qui contribue surtout au développement de la production audiovisuelle indépendante.
Elle est aussi une application directe du projet de convention sur la diversité culturelle, que soutient l'Union européenne et dont nous espérons l'adoption par l'UNESCO d'ici le 20 octobre.
Un calendrier de travail a été adopté pour optimiser les contacts des membres du gouvernement avec la Commission européenne en vue de faire valoir nos positions.
Catherine Colonna
Je souhaiterais faire un point d'étape sur un sujet important et dont je vous reparlerai, c'est l'ordre du jour du 4ème et prochain Comité interministériel, c'est la meilleure association du Parlement et des Français aux processus de décision européens. Nous ne sommes plus dans l'actualité brûlante comme dans le cas de l'OMC, nous sommes néanmoins dans une obligation ardente de mieux faire. L'un des messages que nous ont adressé les Français le 29 mai, c'est qu'ils souhaitent être mieux informés et mieux associés aux décisions qui les concernent. Ils nous ont dit clairement qu'ils souhaitaient une autre façon de faire l'Europe.
Ce message, le gouvernement le prend pleinement en compte et entend y répondre. C'est ainsi que dès le 15 juin, le Premier ministre a annoncé à la représentation nationale une série de mesures pour mieux associer le Parlement. Celui-ci pourra être désormais consulté sur un plus grand nombre de textes. Il y aura aussi davantage de débats sur les questions européennes et par ailleurs, des actions de sensibilisation aux problématiques européennes seront proposées aux parlementaires qui le souhaitent dans le cadre de déplacements à Bruxelles et à Strasbourg. C'est une action que nous mènerons avec notre collègue Henri Cuq.
Par ailleurs, le 29 août dernier, le président de la République a fait part de son souhait que les Français soient mieux associés aux processus de décision européens. Nous avons réfléchi à un dispositif et fait des propositions au Premier ministre. Celui-ci les évaluera et les transmettra au président de la République. Les propositions que nous envisageons visent à davantage associer non seulement le Parlement, j'en ai déjà parlé, mais aussi les partis politiques, les partenaires sociaux, les collectivités territoriales, les représentants de la société civile. A chaque échelon il faudra que nous nous efforcions d'informer, d'expliquer, de convaincre mais aussi de dialoguer et d'écouter nos compatriotes.
Il faudra certainement utiliser très largement l'outil Internet, nous ne l'avions pas suffisamment fait dans le passé. A la fois pour donner des informations et pour être un cadre de débat. C'est ainsi, par exemple, qu'au Comité interministériel précédent, au mois de septembre, il avait été décidé de créer un nouveau portail sur l'Europe. Et puis je commencerai une série de rencontres avec les partenaires sociaux à partir de vendredi. Nous retrouverons ce sujet. Il est important que tous les Français comprennent les enjeux européens et soient associés à la marche des choses. Nous aborderons de nouveau cela au prochain Comité interministériel.
Un dernier mot sur ce point. Les propositions, qui sont en cours d'élaboration, sont évidemment complémentaires des propositions qui ont été faites par Michel Herbillon, dans son rapport remis au Premier ministre au mois de juin dernier, rapport qu'il avait intitulé "la fracture européenne". L'objet de ce rapport était de mieux informer les Français sur l'Europe. Ce sont souvent des actions de long terme, nos propositions sont complémentaires de ces actions de long terme, les unes comme les autres sont nécessaires. Je crois, pour reprendre une formule de Michel Herbillon que le silence que nous avons trop longtemps entretenu sur l'Europe est le plus mauvais service que l'on puisse lui rendre. Il faut au contraire parler d'Europe, en parler plus souvent, en parler non pas de façon théorique mais concrètement en regardant ce qu'elle fait et ce qu'elle ne fait pas, comme je dis toujours en regardant ce qu'elle pourrait faire, ce qu'elle devrait faire mais aussi parfois ce qu'elle devrait ne pas faire.
Christine Lagarde
Je vais juste ajouter quelques points complémentaires puisque Philippe Douste-Blazy a très bien rappelé les questions concernant en particulier le mandat du commissaire européen qui, dans le dialogue OMC, représente les 25 Etats membres de l'Union européenne. Vigilance et fermeté s'imposent, parce qu'il y a tout simplement une accélération du processus de la négociation actuelle qui a été véritablement une réponse à une initiative française, puisque tant Dominique Bussereau au titre de l'Agriculture que moi-même avons contacté nos partenaires européens dans le cadre de ce dialogue OMC pour rappeler au commissaire européen qui représente les 25 Etats membres les lignes rouges de son mandat, c'est-à-dire les points en deçà desquels il n'est pas question qu'il négocie pour le compte des 25 Etats membres. A la suite de cette démarche, les Etats-Unis, qui sont une partie importante dans cette négociation et qui n'avaient pas bougé du tout pendant très longtemps, ont fait une avancée à laquelle le commissaire européen a cru devoir répondre en allant probablement un peu au-delà du cadre du mandat dans lequel il opérait et probablement avec insuffisamment de transparence vis-à-vis des Etats membres. C'est dans ce cadre là que Philippe Douste-Blazy faisait ce rappel au mandat qui est indispensable.
Ce qu'il faut savoir aussi, c'est que nous sommes actuellement en phase d'élaboration et de travail intensif avec l'ensemble de nos partenaires européens, avec un certain nombre d'autres partenaires qui sont intéressés par les questions de l'OMC qui sont bien sûr les questions d'agriculture où nous souhaitons sanctuariser la Politique agricole commune telle qu'elle a été modifiée en 2003. Mais il y a les questions industrielles où l'économie française a des intérêts offensifs extrêmement importants à faire valoir, le secteur des services où nous avons aussi des intérêts à faire valoir pour toute une partie de l'économie française, et puis la question du développement. Nous souhaitons encourager l'accès au développement par toute une série de pays en développement ou de pays moins avancés et qui méritent d'avancer sur ce chemin là.
Cet effort de coalition et de dialogue se poursuit ; je me rends à Genève demain et jeudi pour rencontrer un certain nombre de mes homologues dans ce débat là et il est évident que les positions françaises qui ont été rappelées tout à l'heure seront défendues avec vigueur et vigilance.
Q - (Sur le problème de la grippe aviaire qui serait aux portes de l'Europe ?)
R - Philippe Douste-Blazy - Comme vous le savez, les autorités turques ont abattu les oiseaux restants et l'exploitation a été désinfectée. Les périmètres de quarantaine ont été mis en place. Les tests effectués par un laboratoire turc ont montré qu'il s'agissait d'un virus d'influenza aviaire du sous-type H5. Des analyses complémentaires sont en cours de réalisation au laboratoire communautaire de référence au Royaume-Uni. Nous avons les résultats en fin de semaine pour savoir si cela appartient au type H5, aujourd'hui personne ne le sait.
Concernant la Roumanie, il s'agissait d'un petit élevage familial mixte composé de 53 poulets et 47 canards, dans lequel 40 canards et un seul poulet sont morts. Les autorités sanitaires roumaines ont abattu le cheptel et mis en place une zone de surveillance. Des prélèvements sont en cours d'analyse au laboratoire communautaire de référence.
Dans les deux cas, les résultats des analyses seront disponibles au plus tôt le 12 octobre 2005.
L'Union européenne a pris ce jour une clause de sauvegarde interdisant l'entrée des animaux vivants et produits turcs ; la Roumanie a pris des mesures internes similaires d'interdiction d'exportation des animaux vivants et produits, qui équivalent à une mesure de clause de sauvegarde.
Dès le 8 octobre 2005, Xavier Bertrand et Dominique Bussereau, le ministre chargé de la Santé et le ministre chargé de l'Agriculture, ont saisi l'Agence française de Sécurité sanitaire des aliments et lui ont demandé d'analyser la situation et de formuler toute nouvelle recommandation pour les élevages de volailles et la faune sauvage, actualisée en conséquence.
Nous, nous avons des recommandations.
S'agissant des régions touchées, les autorités françaises ont décidé d'informer les Français vivant dans ces régions ou ceux qui souhaiteraient s'y rendre de cette situation. Des mesures de prudence doivent être suivies : éviter tout contact étroit avec des volailles dans les élevages ou les marchés aux oiseaux.
Vous savez par ailleurs que la décision a été prise par le gouvernement de doter nos ambassades et consulats de médicaments anti-viraux et de masques de protection, de sorte que les Français de l'étranger puissent être pris en charge.
Compte-tenu du risque spécifique en Asie, il a été décidé par mesure de précaution, de renforcer l'approvisionnement pour les ambassades des 12 pays touchés par l'épizootie permettant de prendre en charge la totalité de nos compatriotes.
Je rappelle qu'il y a une réunion des 25 ministres de la Santé les 20 et 21 octobre, et un Conseil Agriculture les 24-25.
Les autorités françaises souhaitent que la Commission prenne l'initiative d'une harmonisation de la communication destinée aux voyageurs et aux ressortissants européens résidant à l'étranger, afin que des recommandations communes puissent être adressées à ces personnes via les ambassades et services consulaires des Etats membres.
Par ailleurs, en ce qui concerne les mesures vétérinaires, la France demande à la Commission de bien vouloir envisager sans retard :
- les mesures qu'il conviendrait d'adopter en cas de confirmation de la présence de virus d'influenza aviaire du type de celui sévissant en Asie du Sud-Est, en Turquie ou en Roumanie, tant pour la protection des élevages de volailles qu'en termes de surveillance de l'avifaune sauvage ;
- le renforcement de la surveillance de la faune sauvage autochtone ou migratrice dans les pays touchés, notamment dans les zones de passage connues ;
A cette fin, le gouvernement français estime nécessaire que l'expertise de l'Autorité européenne de sécurité alimentaire soit sollicitée sur ces différents points.
Christine Lagarde
Les points sur lesquels il nous semble que le commissaire Mandelson est allé au-delà de ce qui était compatible et conforme aux principes de son mandat et à son obligation de transparence à l'égard des Etats membres concernent en particulier les positions qu'il a prises en matière de marché agricole c'est à dire tout ce qui concerne à la fois les supports internes, les subventions à l'exportation mais en particulier l'accès au marché. C'est sur ce troisième volet au sein du pilier agriculture, accès au marché, qu'il nous semble, sous réserve du chiffrage que nous sommes en train de faire avec Dominique Bussereau dans le cadre d'un groupe de travail que nous avons mis en commun, que nous sommes en train de vérifier si ces chiffrages lui permettent, dans cette proposition, de rester à l'intérieur des lignes rouges qui lui avaient été rappelées de manière très ferme et collective de la part d'un certain nombre d'Etats membres ou si avec cette proposition là il est au bord de la ligne rouge ou du mauvais côté de la ligne rouge.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 octobre 2005)