Texte intégral
Mes chers amis, au moment de la conclusion de cette rencontre, vous comprendrez naturellement que je remercie d'abord ceux qui ont accepté de l'animer et ceux et celles qui l'ont organisée, ainsi que la Maison des polytechniciens qui nous a accueillis.
Il me semble que nous avons exactement atteint le but que nous nous étions fixé, c'est-à-dire que nous n'avons pas voulu d'une réunion émotionnelle avec de nombreux participants. Nous avons voulu avoir le temps et le climat de l'approfondissement.
La discussion qui vient d'avoir lieu et à laquelle je ferai allusion dans une minute car je la crois fondatrice sur la distinction des ordres dans Blaise Pascal, ne peut pas avoir lieu dans le climat que nous connaissons bien des effets de foule. Cette réflexion de fond, est cependant absolument nécessaire. C'est elle qui fonde un projet et permet son enracinement.
Comme vous le savez, nous avons fait de ces rencontres - quinze sont programmées d'ici au mois de juin sur chacun des grands sujets - un ferment d'organisation d'un débat beaucoup plus large, puisque ces rencontres seront publiées sous forme d'actes et éditées en DVD intégral, de manière que qui voudra s'en saisir, notamment évidemment parmi les adhérents de l'UDF puisse le faire. Ceux qui le souhaitent pourront participer par le biais d'Internet à la réflexion qui ne se conclut pas aujourd'hui, mais qui s'ouvre aujourd'hui. Chacun des colloques sera précédé d'une contribution adressée à tous ceux qui seront intéressés et suivi d'une réflexion qui amènera, le jour venu, à des conclusions qui formeront projet.
C'est donc une méthode pour la naissance d'un projet, qui est très différente de celle choisie par d'autres formations ou groupes politiques en France.
Nous pensons qu'il y a une très grande différence entre un projet et un programme. Un programme, ce sont des mesures. Un projet, c'est une vision. Mais ce n'est pas une vision abstraite, c'est une vision enracinée. Ce n'est pas une idéologie, un système. C'est un cap pour ici et pour maintenant.
On dit parfois que l'élection présidentielle, celle qui se trouve devant nous, c'est la rencontre d'un homme et d'un peuple. Un projet, c'est la rencontre d'une vision et d'un peuple, de la réalité de son histoire, de sa situation sociale, et morale, avec une analyse, et une volonté.
Ces colloques, ces forums, que nous avons programmés au nombre de quinze, jusqu'au mois de juin, sont enracinés dans le tissu social, intellectuel, de notre pays.
Ils réunissent et rassemblent des personnes de sensibilité différente.
Car un projet pour la France, ce n'est pas un projet pour un seul parti, pour une seule sensibilité, pour une seule 'cible', comme on dit. C'est un projet qui parle à tous et qui parle de tous.
Nous aimons bien le verbe 'fédérer'. Pour offrir à la France un avenir positif, pour qu'elle sorte de la situation inquiète, sombre, épuisée qui est la sienne, il faudra rassembler et fédérer. Et il faudra une inspiration communicative, une analyse qui ose appeler un chat un chat, et l'esprit pratique des constructeurs.
À ces deux conditions, l'enracinement et l'inspiration, une ère nouvelle pourra s'ouvrir.
Car notre pays n'est pas voué à son actuelle paralysie.
Rien dans son histoire, dans sa vitalité, dans son intelligence, ne le condamne à son actuel épuisement.
Au contraire, tout, dans son héritage, dans sa formation, dans son peuple, dans sa culture, dans son inventivité, tout dans son être lui promet une renaissance.
Tout dans sa crise actuelle est une injure et une blessure à son génie.
C'est parce que nous n'acceptons pas sa situation actuelle que nous avons dit non chaque fois qu'il le fallait.
Notre ennemi, comme chaque fois dans notre histoire, c'est la résignation et la soumission. Et notre allié, c'est la vitalité profonde et la richesse du peuple français, qui, comme d'autres, veut retrouver sa force, son optimisme et le sens de son histoire.
Comme chacun des Français le sent bien, dans sa vie même, notre pays arrive au bout de sa crise. Nous arrivons au bout d'une époque. Si je devais qualifier cette époque, je la nommerais époque de l'épuisement politique.
Guy Carcassonne nous a dit hier en termes durs le sentiment qui était le sien : depuis le milieu des années 80, vingt années sans inspiration.
Or la démocratie ne peut pas vivre sans inspiration, sans vision, sans que, pour les peuples et avec eux, pour les Français et avec eux, s'écrive une histoire, se conduise un mouvement.
Les alternances n'ont été qu'un aller-retour, toujours sanctionné de la même impuissance publique.
C'est cet épuisement qui est aujourd'hui l'ennemi de la démocratie française. Ces journées n'ont donc pas d'autre sujet : passer du temps de l'épuisement au temps entreprenant, au temps de la 'refondation'.
Un mot d'explication sur cette idée de 'refondation'.
Se met en scène dans l'optique de 2007 un débat entre 'rupture' et 'continuité'.
Au moins le mot 'continuité' ne souffre aucune ambiguïté. Il dit ce qu'il veut dire. Il s'agit de poursuivre une conception du pouvoir, qui à mes yeux, est condamnée à l'échec.
Si on continue, on continuera l'échec.
Et puis il y a le mot 'rupture'. C'est un mot qui mérite explication. Il faut voir ce qu'on a récemment introduit derrière ce mot.
Derrière le mot 'rupture', il y a désormais non plus la rupture avec la pratique politique des vingt dernières années, ce qui est légitime, indispensable, et nécessaire, mais la rupture avec les valeurs même du projet national français, du modèle républicain français, dont la constitution énumère les traits principaux : démocratique, laïque, social.
Quand on nous explique qu'il faudrait abandonner notre modèle social, c'est à un trait essentiel du projet national français que l'on cherche à porter atteinte.
Notre détermination est au contraire de retrouver l'inspiration du projet national français, et en particulier d'un modèle social qui mérite qu'on le réhabilite.
Notre conviction est que le modèle social français n'est pas moins nécessaire dans l'immense changement de la mondialisation : il est plus nécessaire qu'il ne l'a jamais été ! Cette aspiration à l'égalité des chances, à la justice, à la solidarité, n'est pas un handicap dans la globalisation, c'est un atout. La globalisation, la mondialisation, c'est une compétition. Nous croyons qu'un peuple se bat mieux, s'il est assuré de se serrer les coudes et qu'une certaine idée de la justice règne en son sein. On se bat mieux si on est soudés, plutôt que d'être dans le chacun pour soi.
Ce qu'on peut reprocher au modèle social français, ce n'est pas d'avoir failli, c'est d'avoir été abandonné, de ne plus s'appliquer, de ne plus porter les fruits qu'il aurait dû porter.
Non pas l'abandonner, comme un objet du passé, mais le retrouver, le 'refonder', comme il va falloir revisiter les grandes valeurs qui ont fait la France et leur redonner un sens à la mesure du XXIe siècle !
Martin Hirsch nous disait hier : " personne ne définit jamais le modèle social français ". Je ne veux pas rester dans ce flou.
Le modèle social français, pour moi, pour tous ceux qui n'ont pas oublié les valeurs républicaines, c'est deux valeurs principales : l'égalité des chances, et la solidarité.
L'égalité des chances, la méritocratie républicaine, 'à chacun selon ses mérites', non pas : 'à chacun selon ses relations, selon son quartier, selon sa situation de fortune'. Je fais ici référence à ce que nous a dit Robert Rochefort, comme à ce que nous a dit Eric Maurin au moment de notre congrès de janvier.
L'égalité des chances, c'est évidemment d'abord à l'école que cela se joue. À l'école, à l'université.
Mais cela se joue ensuite aussi, sous d'autres formes, moins apparentes : l'égalité des chances entre la première chance et la deuxième chance. L'égalité des chances devant l'emploi, que l'on soit jeune, pour sa première expérience, ou senior, (selon un terme que je déteste parce que c'est cette loi de notre temps qui interdit d'appeler les choses par leur nom), plus vieux, au-delà de cinquante ans.
L'égalité des chances, ce n'est pas la discrimination, même positive, c'est le contraire, et cela implique une refondation.
Et la deuxième valeur, c'est la solidarité. La solidarité qui interdit que l'on laisse quelqu'un sur le bord de la route. Et la solidarité aussi mérite d'être revisitée. Parce qu'on n'est pas quitte, si l'on ne veut pas laisser quelqu'un sur le bord de la route, on n'est pas quitte avec un chèque. Autrefois, dans une société au tissu social dense, où le voisinage, les travaux domestiques, les travaux de la ferme ou de l'atelier, occupaient facilement les bras et les esprits, un chèque, c'était beaucoup.
Aujourd'hui M. Hirsch nous l'a dit, le RMI, les minima sociaux ont changé de visage, ce n'est pas un dépannage, c'est souvent une exclusion de longue durée.
Mais ce n'est pas en renonçant à la solidarité qu'on lui redonnera son sens, c'est en la refondant.
La maison est branlante. Elle a beaucoup de fissures. Il y a ceux qui refusent de voir les lézardes. Il y a ceux qui veulent la démolir. Et il y a ceux qui veulent la reconstruire, en lui redonnant les fondations solides qu'elle mérite. Nous sommes ceux qui veulent la reconstruire. Ce sont des projets différents, et ces projets seront en confrontation.
Nous voulons la refondation du projet national français, à commencer par notre modèle social, en les reconnaissant dans leur valeur, dans leur jeunesse, dans leur pertinence face aux temps que nous allons vivre.
Mais pour 'refonder', il va falloir, en effet, 'rompre' la spirale de l'échec. Il va falloir tourner la page sur ces années grises et sur la pratique politique qui nous a conduits où nous sommes.
Et pour cela, rien n'est plus important, que d'identifier les racines du 'mal français', comme le définissait Alain Peyrefitte, il y a déjà trente ans !
Je dis les racines. Car sur le mal français, tout le monde ou presque est d'accord. Et comment en serait-il autrement ? Je veux simplement rappeler les éléments évidents qui ont été établis au long de ces journées.
Charles de Courson et Jean Arthuis reprennent inlassablement les chiffres du déficit et de la dette, qui a dépassé 1100 milliards affichés, courant vers les 1200 milliards, 80 000 au bas mot par foyer français. Et Alain Etchegoyen nous a rappelé que l'augmentation des taux nous pendait au nez, non pas comme un sifflet, mais comme une grenade dégoupillée.
Alain Benveniste nous a rappelé les chiffres de la création d'entreprises en France : nous avons 40 entreprises pour mille habitants, 60 en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, 80 en Italie ou en Espagne. Nous en créons 4 par an, ils en créent 6 ou 8.
Martin Hirsch et Robert Rochefort nous ont dit que la pauvreté avait recommencé à croître en France, y compris chez les jeunes, y compris chez ceux qui travaillent, y compris désormais chez les plus âgés, chez les retraités.
A-t-on conscience de ces données accablantes ? Oui, bien sûr, puisque tout le monde est accablé. Essaie-t-on de les combattre. Oui, bien sûr. Nos gouvernants, les dirigeants français ne sont pas à ce point désinvolte qu'ils ignorent ce qui se passe dans notre pays.
Alors où est le problème ?
C'est qu'on refait constamment les mêmes politiques pour soigner les symptômes, et qu'on ne va jamais jusqu'aux causes, jusqu'aux racines.
Tant qu'on ne comprendra pas les racines du mal, tant qu'on se limitera à soigner les symptômes, par les mêmes remèdes, toujours repris, on rencontrera les mêmes échecs.
Il faut découvrir les racines pour pouvoir s'attaquer aux causes.
Bien des racines ont été représentées devant vous pendant ces deux jours.
Je voudrais seulement en évoquer trois.
Il y a un drame entre la France et son État. C'est l'État qui a fait la France. C'est vrai. La société française a été créée par son État. Mais comme il arrive quelquefois entre enfants et parents, il refuse son émancipation, et, symétriquement, se voit requis de régler tous les problèmes de la nation qu'il a créée.
Une des racines du mal français est que l'on s'adresse à l'État pour résoudre les problèmes de la société à la place de la société, les problèmes des Français à la place des Français.
Et l'État se présente lui-même, dans ses principaux représentants, comme ce thaumaturge, cet omnipotent impotent, prêt à s'occuper de tout, à faire des lois sur tout.
Si l'on considère qu'il n'y a de légitimité que dans l'État, dès lors il n'y a de recours que dans l'État.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que les citoyens demandent à l'État tout ce qui leur manque, exige qu'il les garantisse de tout risque, impose l'exercice de toute solidarité, répare tout accident, exerce le monopole de préparation de l'avenir, devienne le garant de toute incertitude.
Ces derniers mois, on a demandé à l'État, par exemple, de définir la vérité historique sur l'une des périodes les plus brûlantes de notre histoire par le vote d'une loi ( !) sur le statut officiel de la colonisation au XIXe et au XXe siècle. On lui demande de bien vouloir assurer le complément de la feuille de paie par la prime pour l'emploi. On fait inscrire dans la constitution le principe de précaution. On lui demande de régir par une loi nationale le mode de remplacement des professeurs. On lui demande hier de garantir le gavage des oies et des canards. Il nomme par une décision hautement politique le responsable de l'opéra, et s'impose le devoir de créer par une décision unilatérale une école d'économie aussitôt joliment dénommée Paris school of economics. Et certains s'apprêtent à lui demander de former des imams pour garantir 'un islam de France, et non pas un islam en France'.
Or tout cela convenait à la monarchie absolue, au Consulat ou à l'Empire, à la République jacobine, mais pas au siècle où nous sommes entrés.
Le pacte implicite qui unit les Français et leur État autour de l'affirmation de sa toute-puissance, de son universelle compétence, de sa totale légitimité est un mal français.
Pour deux raisons : la société contemporaine, qui se caractérise par la croissance continue de la quantité d'information disponible, par la multiplication des options disponibles, par la mobilisation de compétences et d'expériences diverses, ne peut plus se gérer par un centre de décision unique et tout-puissant.
Et, deuxième raison, parce que l'État est lui-même victime de sa complexité croissante, où il s'étouffe, et où il se perd.
J'ai été très heureux que l'on évoque pendant ce colloque la prolifération des sigles. Certains pourront y voir une anecdote, je vois pour ma part dans la croissance de ce labyrinthe un des visages de ce mal pris à la racine.
" Il faut d'urgence réunir dans une réunion au sommet autour de la table le CAS, le CAE, le COR, le CES, la DATAR "
Le Sénat vient de publier un 'petit dictionnaire des sigles indispensables ", uniquement dans la vie administrative, bien sûr. Il y en a 998 ! Pourquoi ne sont-ils pas arrivés à mille, c'est un grand mystère, ou une grande honnêteté intellectuelle.
J'ai pris par curiosité la lettre Z. Cela donne ceci : ZAC Zone d'aménagement concerté, ZAD Zone d'aménagement différé, ZAN, Zone d'agglomération nouvelle, ZEE, Zone économique exclusive, ZEP, Zone d'éducation prioritaire.
Zone d'environnement protégé, ZES, Zone en excédent structurel, ZFU, Zone franche urbaine, ZIF, Zone d'intervention foncière, ZPE, Zone de protection écologique, ZPPAUP, Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysage, ZRR, Zones de revitalisation rurale, ZRU, Zone de redynamisation urbaine, ZSP, Zone de solidarité urbaine, ZUP, Zone à urbaniser en priorité, ZUS, Zone urbaine sensible.
Tout cela rend l'État illisible, verbeux, mais en fait dans la réalité un monopole pour initiés.
Et donc soigner cette première racine du mal français, c'est redéfinir l'État et son rôle, en se fixant comme but une société de l'autonomie.
L'État ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il faut faire naître, ou plus exactement révéler et légitimer la capacité de la société civile. Capacité à penser, à vouloir, à faire. Et légitimité à penser, à vouloir, à faire.
Il faut que l'État fasse tout ce qu'il doit et la société tout ce qu'elle peut.
Si nous avions le temps, ce serait passionnant de lire notre histoire en découvrant les éléments de la grande bataille qui s'est livrée dans les siècles de notre histoire entre le projet de toute-puissance de l'État et le projet d'autonomie de la société.
D'un côté la loi Le Chapelier en 1790 qui interdit toute forme d'organisation sociale et professionnelle, les corporations, pour laisser le citoyen solitaire en face-à-face avec l'État. De l'autre, après la guerre de 40, l'organisation de la démocratie sociale et des syndicats. Je pourrais même montrer comment le lointain Édit de Nantes, et trois siècles plus tard la loi de 1905 dont nous allons fêter le centenaire, au contraire, fondent une autonomie réciproque de l'État et du monde des convictions religieuses.
Je me proposerais de montrer comment la distinction des ordres chez Pascal est une préfiguration de la séparation des pouvoirs des grands penseurs de la démocratie, comment c'est la même pensée, le même grand courant d'autonomie de l'humanité.
Et nous verrions alors apparaître une vision, un projet de société, un projet humaniste, dont il suffit de parcourir le monde en pensée pour voir combien il est non pas banal, mais rare, encore aujourd'hui. Combien il est riche et exige qu'on se batte pour lui.
Et combien il est exigeant. Oblige à des réformes profondes, profondissimes.
Une société de l'autonomie, ce sont des règles de séparation des pouvoirs et des partenaires.
L'État soumis aux mêmes règles de justice que les autres acteurs de la société française et même que les acteurs de la société civile.
Nous en avons des exemples tous les jours de ce manquement, de cette absence de transparence. Nous avons des exemples tous les jours de cette inéquité, au ens propre, de ce 'deux poids, deux mesures' que l'Etat impose à la société française.
Par exemple, l'Etat impose des règles extrêmement strictes en termes de Contrat à Durée Déterminée à tous les employeurs français. Et il envoie ses inspecteurs du travail pour sanctionner tout manquement. Mais pour lui-même, il se donne le droit de renouveler presque ad libitum les contrats précaires. Il y a des professeurs dans la fonction publique qui se voient renouveler un contrat précaire depuis des années.
Ce serait une révolution de dire : les mêmes règles s'appliquent à tous, aux employeurs privés comme aux employeurs publics, à l'État comme à tous les autres.
On le voit, je prends l'actualité la plus récente, avec l'affaire de la privatisation des sociétés autoroutières.
L'État ne respecte même pas les règles qu'il se fixe à lui-même. On nous annonce un décret de privatisation, dans une opacité savamment entretenue. Le montant nous dit-on dans les discours officiels est fixé à dix ou douze milliards d'Euros. Et nous qui avons dit notre hostilité sur le principe, qui observons ce que rapportent cette année les sociétés autoroutières au budget de l'État, un milliard et demi d'Euros ( !), nous nous étonnons de la modicité de cette somme, puisque nous savons bien que les emprunts sont en voie d'amortissement et que donc les dividendes, forcément vont croître. On nous dit, pour simplifier, que nous n'y connaissons rien. Or nous apprenons, par une fuite, par le Canard enchaîné, que l'estimation du Plan est à peu près le double de la somme prévue Qui fera respecter à l'État la loi, les règles de transparence, qu'il a lui-même édictées ?
Même chose pour le processus de privatisation lui-même : une loi a été votée en 1986, interdisant qu'une privatisation se fasse sans l'assentiment du parlement lorsque l'État est majoritaire dans le capital de l'entreprise. Rien de plus normal et de plus juste : la propriété des Français, payée par les Français, ne peut pas être aliénée sans l'assentiment de leurs représentants. Or l'État est majoritaire dans le capital des sociétés autoroutières, comme il le dit lui-même dans tous ses documents.
On nous dit : inutile de vouloir obtenir un jugement sur ce point, l'affaire est déjà jugée. Puisque les magistrats du Conseil d'État se sont déjà prononcés en tant que conseil du gouvernement, ils débouteront tout citoyen qui mettrait en cause la validité de la procédure. Cette affirmation réitérée, par des conseillers dans les couloirs, par des ministres à la tribune, montre tout le chemin qui reste à faire. Nous déposerons un recours au Conseil d'Etat pour rappeler une règle de Droit simple et définitive. Un jugement ne peut être prononcé qu'au terme d'une procédure contradictoire, après avoir écouté les arguments des parties. Nul ne peut être à la fois juge et conseil des parties.
Mais l'autonomie, cela n'exige pas seulement des efforts de la part de l'État.
Car c'est une question centrale que celle de la légitimité des partenaires, de leur enracinement, de la vérification de leur mandat.
Par exemple, la question de la transparence des financements de la vie syndicale est une question centrale. Tout le monde sait, et tout le monde répète à l'envi que l'organisation de deux domaines majeurs de la vie de la nation, sa sécurité sociale et son système de formation continue, est entièrement irréformable, entièrement obérée, par le partage prononcé il y a plus d'un demi-siècle. Tout le monde dit avec un air entendu, en se poussant du coude, qu'il est fort dangereux d'aborder ces questions. Et tout le monde dit " vous savez bien pourquoi "
" Vous savez bien pourquoi ", je vais le traduire en Français : parce que le financement des grandes centrales syndicales, laisse-t-on entendre, et leurs emplois, comprenez leurs emplois fictifs, dépend de leur mainmise sur les organisations qui sont censées régir les deux grands domaines en question. C'est pourquoi, il ne pourra y avoir de légitimité indiscutable que quand cette question du financement de la vie syndicale aura été traitée. Il ne peut y avoir autonomie que s'il n'y a pas de soupçons, pas de doutes sur l'équilibre interne et la transparence de ces grands systèmes de représentation que sont les syndicats.
L'État ne peut pas, en un monde saisi de mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l'invention, l'ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l'autonomie. Une société de l'autonomie repose sur la séparation des pouvoirs, la légitimité de partenaires civils, leur reconnaissance, et donc la transparence.
Quant aux choix collectifs, ils ne deviennent possibles et justes que par l'exercice d'une démocratie refondée.
Aux racines du mal français, il y a le mépris pour la démocratie.
Ce mépris est un drame. Pas seulement un drame moral. Pas seulement une atteinte aux principes. Ce mépris est un drame collectif parce qu'il affecte la capacité de notre peuple à se conduire, à décider de son avenir.
Quant le peuple ne sait pas, il est incapable de vouloir. La volonté ne peut pas se former en l'absence d'information juste.
L'affaire de la dette. Sa croissance continue. Le tort fait aux Français. Je ne dis pas seulement " jeunes Français ". Bien sûr, " jeunes " mais " jeunes ", c'est nous, nos enfants, nos frères. C'est nous parce qu'il est totalement illusoire de croire que les jeunes vont s'épuiser à la tâche sans exiger des générations précédentes d'en partager la charge
C'est une idée fausse, une idée d'apparence que de croire que la charge de la dette reposera sur les générations à venir. Elle pèsera sur toutes. On ne travaille pas seulement contre l'avenir, on travaille contre les droits acquis de tous les Français et singulièrement de ceux qui se croyaient tranquilles.
Racines du mal démocratique : nous ne sommes pas en démocratie, pas en démocratie républicaine, nous sommes, sous Mitterrand comme sous Chirac dans une sorte de monarchie élective, sans même les parlements d'ancien régime.
Et cela pervertit toute notre vie publique.
En deux temps : quand le souverain est intact, c'est la cour.
Je pourrais signer chacun des mots, chacune des lignes du réquisitoire qui va suivre. Celui qui l'écrit est un indiscutable expert du sérail, non pas du sérail d'ancien régime, mais de toutes les arcanes de la République d'aujourd'hui. La cour " a perverti la République. La précarité grandissante de l'élection a conduit nombre de politiques à privilégier la démagogie, l'immobilisme. La 'curialisation' des murs est une réalité toujours présente, masquée par la 'République des camarades'. La Cour constitue un système légal, à défaut d'être légitime, qui se nourrit du pouvoir et ne peut exister qu'à sa marge. Elle se grossit de rêves misérables et impérieux, se gargarise d'un sourire, d'une parole du Prince, d'une nomination à une place prestigieuse ou lucrative, d'une décoration ou d'une invitation à dîner, comme on assistait au lever du roi ou à la toilette de Talleyrand " Est-ce un problème ou au contraire un raffinement de fin de règne que l'auteur de ces lignes ait été précisément celui qui, en expert, a tiré toutes les ficelles de ce théâtre de marionnettes, pour le compte de Jacques Chirac, ces dix dernières années, puisqu'il se nomme Dominique de Villepin
Mais il y a pire : la monarchie quand le souverain est atteint, par l'âge, par un accident de santé, par la perte de crédit, ce n'est plus seulement la cour, avec ses ridicules et ses bassesses, c'est la guerre de succession La guerre absolue, à bas bruit, toutes les capacités de l'État ordonnée en un affrontement des clans, pour régler une succession qui par ailleurs n'est pas encore ouverte.
La concentration des pouvoirs, la désinvolture absolue à l'égard du parlement érigée en règle, et théorisée, les nominations arbitraires et claniques, l'absence de vraie séparation des pouvoirs entre la vie politique et la vie économique, entre le pouvoir politique et les médias.
Le Parlement, la Turquie. Les ordonnances. La privatisation des autoroutes.
La mise en servitude de la majorité par l'exécutif. Exemple : l'utilisation des 'classes moyennes' pour faire passer le projet de budget.
Il y a plusieurs choses qu'un citoyen attaché à la démocratie ne devrait pas accepter dans ce projet de budget.
Un budget doit être sincère. Or Charles de Courson a établi, le rapporteur général UMP du budget a confirmé, qu'alors que la progression de la dépense a été 'contenue', nous dit-on, à 1,8 %, les chiffres réels, découlant du projet de budget lui-même, dépassent les 4 % !
Et une réforme fiscale doit être juste et transparente.
Vous l'avez entendu hier dans ce colloque : nous dire que la réforme fiscale est conduite pour les " classes moyennes ", c'est tenter d'abuser les Français. La réforme fiscale est faite pour avantager les plus hauts contributeurs à l'impôt sur le revenu et les contributeurs les plus importants à l'impôt sur la fortune qui seront dispensés de taxes locales et même dans quelques milliers de cas largement dispensés d'impôt sur le revenu.
Il peut y avoir des raisons de poser le problème de ces gros contributeurs, dont un nombre substantiel quitte la France. Et ce n'est pas un avantage pour notre pays. Mais qu'on le fasse clairement, qu'on l'assume, et qu'on ne prétende pas que ce sont les classes moyennes qui sont l'objet de la sollicitude gouvernementale.
Refonder la République en démocratie. Tout cela dépend d'une condition principale : le rétablissement des pouvoirs d'un Parlement digne de ce nom et de la place qu'il tient dans les autres démocraties. Le rétablissement de la séparation des pouvoirs. Le choix d'un État impartial, par d'un État dominé par un parti, même si c'est successivement. Cela implique, par exemple, un changement dans la pratique des nominations, dont beaucoup devraient être rendues aux communautés compétentes, et dont les autres, celles des corps de contrôle, devraient être prononcées par des majorités qualifiées après audition. Dans le domaine de la séparation des pouvoirs, étendre le CSA au-delà de l'audiovisuel au pluralisme de la presse écrite, et l'établissement de garanties d'autonomie entre les propriétaires de presse et l'État.
Troisième racine du mal français, -je m'arrêterai à trois, même si j'en aperçois bien d'autres que j'étudierai dans un livre-, notre immobilisme en matière économique ou sociale.
Nous avons eu hier un échange sur la répartition des charges sociales.
Nous avons bâti, au fil du temps, une protection sociale dont la charge repose quasi-exclusivement sur le travail. Alors les meilleurs esprits nous disent : c'est normal, puisque au bout du compte, c'est toujours le travail qui paie.
Cette idée admise par tous ignore une réalité, mais concentrer les charges sur le travail en amont, c'est empêcher qu'un grand nombre d'emplois soit créé.
Les pays qui ont fait un autre choix, comme les pays scandinaves, ont un taux d'emploi très supérieur au nôtre.
Et ce n'est pas surprenant puisque cette répartition des charges revient à imposer aux produits et services élaborés en France un droit de douane à l'envers, qui les grève, et dont sont exonérés les produits et services élaborés dans les pays sans protection sociale.
Penser une autre architecture, 'TVA sociale' 'contribution sur les échanges financiers' ou d'autres modes de financement, ce n'est sans doute pas facile, mais c'est se donner des marges de manoeuvre pour la feuille de paie et pour l'emploi.
Et sans marges de manoeuvre, rien ne changera.
Même réflexion pour notre architecture d'aide sociale.
Valérie Létard nous a montré hier, exemples à l'appui, quel parcours du combattant ce pouvait être que de revenir à l'emploi quand on relevait de minima sociaux. Au cours d'une rencontre sur le terrain cet été, sans journalistes, nous avons étudié nombre de cas particuliers qui montraient à quelle relégation, à quelle exclusion de fait, conduisait la multiplicité des aides, parent isolé, adulte handicapé, RMI, etc.
Il faut une simplification drastique, qui conduise à une architecture différente de notre protection sociale : aide unique compatible de manière dégressive avec tout revenu actif qui pourra être trouvé.
Un de nos intervenants disait : on nous parle de bouclier fiscal, on devrait parler de 'bouclier social', puisque la taxation à 100 % existe en France dans un certain nombre de cas. Elle ne touche pas l'ISF, qui se délocalise assez bien, mais elle touche ceux qui relèvent des minima sociaux revenant à l'emploi à qui on prend tout ce qu'ils ont gagné par cet effort nouveau, et au-delà !
Il faut enfin réhabiliter le risque. Entreprise, image de l'entreprise, possibilité des risques, possibilité de l'échec. J'ai toujours été frappé de l'absence de seconde chance.
Voilà trois racines du mal français. Il y en a bien d'autres, que nous allons découvrir en abordant chacun des grands sujets d'inquiétude, d'épuisement, de la société française.
Notre perspective est, comme vous le voyez, une démarche de pleine autonomie, dans une vision de refondation.
Nous croyons que le modèle français de valeurs est actuel, impérieusement actuel, non pas en dépit de la mondialisation, mais pour affronter la compétition de la mondialisation. Spécialement, le modèle social, dans son projet est actuel, même s'il est trahi.
Mais pour retrouver ce modèle français, il faut accepter de tourner la page sur vingt années de pratique impuissante.
J'en propose trois aujourd'hui, qui sont à la racine de notre épuisement.
Il faut redéfinir l'État dans la société et les rapports réciproques entre l'État et la société.
Il faut accepter de devenir une démocratie. Il faut repenser les cadres de notre architecture économique et sociale pour retrouver des marges de manoeuvre.
Si nous ne changeons pas les causes, nous ne changerons pas les conséquences. Ce que nous voulons, c'est changer les conséquences pour que le mal français ne soit demain plus un thème de congrès, mais un souvenir pour papier historique.
Merci beaucoup.
(Source http://www.udf.org, le 24 octobre 2005)
Il me semble que nous avons exactement atteint le but que nous nous étions fixé, c'est-à-dire que nous n'avons pas voulu d'une réunion émotionnelle avec de nombreux participants. Nous avons voulu avoir le temps et le climat de l'approfondissement.
La discussion qui vient d'avoir lieu et à laquelle je ferai allusion dans une minute car je la crois fondatrice sur la distinction des ordres dans Blaise Pascal, ne peut pas avoir lieu dans le climat que nous connaissons bien des effets de foule. Cette réflexion de fond, est cependant absolument nécessaire. C'est elle qui fonde un projet et permet son enracinement.
Comme vous le savez, nous avons fait de ces rencontres - quinze sont programmées d'ici au mois de juin sur chacun des grands sujets - un ferment d'organisation d'un débat beaucoup plus large, puisque ces rencontres seront publiées sous forme d'actes et éditées en DVD intégral, de manière que qui voudra s'en saisir, notamment évidemment parmi les adhérents de l'UDF puisse le faire. Ceux qui le souhaitent pourront participer par le biais d'Internet à la réflexion qui ne se conclut pas aujourd'hui, mais qui s'ouvre aujourd'hui. Chacun des colloques sera précédé d'une contribution adressée à tous ceux qui seront intéressés et suivi d'une réflexion qui amènera, le jour venu, à des conclusions qui formeront projet.
C'est donc une méthode pour la naissance d'un projet, qui est très différente de celle choisie par d'autres formations ou groupes politiques en France.
Nous pensons qu'il y a une très grande différence entre un projet et un programme. Un programme, ce sont des mesures. Un projet, c'est une vision. Mais ce n'est pas une vision abstraite, c'est une vision enracinée. Ce n'est pas une idéologie, un système. C'est un cap pour ici et pour maintenant.
On dit parfois que l'élection présidentielle, celle qui se trouve devant nous, c'est la rencontre d'un homme et d'un peuple. Un projet, c'est la rencontre d'une vision et d'un peuple, de la réalité de son histoire, de sa situation sociale, et morale, avec une analyse, et une volonté.
Ces colloques, ces forums, que nous avons programmés au nombre de quinze, jusqu'au mois de juin, sont enracinés dans le tissu social, intellectuel, de notre pays.
Ils réunissent et rassemblent des personnes de sensibilité différente.
Car un projet pour la France, ce n'est pas un projet pour un seul parti, pour une seule sensibilité, pour une seule 'cible', comme on dit. C'est un projet qui parle à tous et qui parle de tous.
Nous aimons bien le verbe 'fédérer'. Pour offrir à la France un avenir positif, pour qu'elle sorte de la situation inquiète, sombre, épuisée qui est la sienne, il faudra rassembler et fédérer. Et il faudra une inspiration communicative, une analyse qui ose appeler un chat un chat, et l'esprit pratique des constructeurs.
À ces deux conditions, l'enracinement et l'inspiration, une ère nouvelle pourra s'ouvrir.
Car notre pays n'est pas voué à son actuelle paralysie.
Rien dans son histoire, dans sa vitalité, dans son intelligence, ne le condamne à son actuel épuisement.
Au contraire, tout, dans son héritage, dans sa formation, dans son peuple, dans sa culture, dans son inventivité, tout dans son être lui promet une renaissance.
Tout dans sa crise actuelle est une injure et une blessure à son génie.
C'est parce que nous n'acceptons pas sa situation actuelle que nous avons dit non chaque fois qu'il le fallait.
Notre ennemi, comme chaque fois dans notre histoire, c'est la résignation et la soumission. Et notre allié, c'est la vitalité profonde et la richesse du peuple français, qui, comme d'autres, veut retrouver sa force, son optimisme et le sens de son histoire.
Comme chacun des Français le sent bien, dans sa vie même, notre pays arrive au bout de sa crise. Nous arrivons au bout d'une époque. Si je devais qualifier cette époque, je la nommerais époque de l'épuisement politique.
Guy Carcassonne nous a dit hier en termes durs le sentiment qui était le sien : depuis le milieu des années 80, vingt années sans inspiration.
Or la démocratie ne peut pas vivre sans inspiration, sans vision, sans que, pour les peuples et avec eux, pour les Français et avec eux, s'écrive une histoire, se conduise un mouvement.
Les alternances n'ont été qu'un aller-retour, toujours sanctionné de la même impuissance publique.
C'est cet épuisement qui est aujourd'hui l'ennemi de la démocratie française. Ces journées n'ont donc pas d'autre sujet : passer du temps de l'épuisement au temps entreprenant, au temps de la 'refondation'.
Un mot d'explication sur cette idée de 'refondation'.
Se met en scène dans l'optique de 2007 un débat entre 'rupture' et 'continuité'.
Au moins le mot 'continuité' ne souffre aucune ambiguïté. Il dit ce qu'il veut dire. Il s'agit de poursuivre une conception du pouvoir, qui à mes yeux, est condamnée à l'échec.
Si on continue, on continuera l'échec.
Et puis il y a le mot 'rupture'. C'est un mot qui mérite explication. Il faut voir ce qu'on a récemment introduit derrière ce mot.
Derrière le mot 'rupture', il y a désormais non plus la rupture avec la pratique politique des vingt dernières années, ce qui est légitime, indispensable, et nécessaire, mais la rupture avec les valeurs même du projet national français, du modèle républicain français, dont la constitution énumère les traits principaux : démocratique, laïque, social.
Quand on nous explique qu'il faudrait abandonner notre modèle social, c'est à un trait essentiel du projet national français que l'on cherche à porter atteinte.
Notre détermination est au contraire de retrouver l'inspiration du projet national français, et en particulier d'un modèle social qui mérite qu'on le réhabilite.
Notre conviction est que le modèle social français n'est pas moins nécessaire dans l'immense changement de la mondialisation : il est plus nécessaire qu'il ne l'a jamais été ! Cette aspiration à l'égalité des chances, à la justice, à la solidarité, n'est pas un handicap dans la globalisation, c'est un atout. La globalisation, la mondialisation, c'est une compétition. Nous croyons qu'un peuple se bat mieux, s'il est assuré de se serrer les coudes et qu'une certaine idée de la justice règne en son sein. On se bat mieux si on est soudés, plutôt que d'être dans le chacun pour soi.
Ce qu'on peut reprocher au modèle social français, ce n'est pas d'avoir failli, c'est d'avoir été abandonné, de ne plus s'appliquer, de ne plus porter les fruits qu'il aurait dû porter.
Non pas l'abandonner, comme un objet du passé, mais le retrouver, le 'refonder', comme il va falloir revisiter les grandes valeurs qui ont fait la France et leur redonner un sens à la mesure du XXIe siècle !
Martin Hirsch nous disait hier : " personne ne définit jamais le modèle social français ". Je ne veux pas rester dans ce flou.
Le modèle social français, pour moi, pour tous ceux qui n'ont pas oublié les valeurs républicaines, c'est deux valeurs principales : l'égalité des chances, et la solidarité.
L'égalité des chances, la méritocratie républicaine, 'à chacun selon ses mérites', non pas : 'à chacun selon ses relations, selon son quartier, selon sa situation de fortune'. Je fais ici référence à ce que nous a dit Robert Rochefort, comme à ce que nous a dit Eric Maurin au moment de notre congrès de janvier.
L'égalité des chances, c'est évidemment d'abord à l'école que cela se joue. À l'école, à l'université.
Mais cela se joue ensuite aussi, sous d'autres formes, moins apparentes : l'égalité des chances entre la première chance et la deuxième chance. L'égalité des chances devant l'emploi, que l'on soit jeune, pour sa première expérience, ou senior, (selon un terme que je déteste parce que c'est cette loi de notre temps qui interdit d'appeler les choses par leur nom), plus vieux, au-delà de cinquante ans.
L'égalité des chances, ce n'est pas la discrimination, même positive, c'est le contraire, et cela implique une refondation.
Et la deuxième valeur, c'est la solidarité. La solidarité qui interdit que l'on laisse quelqu'un sur le bord de la route. Et la solidarité aussi mérite d'être revisitée. Parce qu'on n'est pas quitte, si l'on ne veut pas laisser quelqu'un sur le bord de la route, on n'est pas quitte avec un chèque. Autrefois, dans une société au tissu social dense, où le voisinage, les travaux domestiques, les travaux de la ferme ou de l'atelier, occupaient facilement les bras et les esprits, un chèque, c'était beaucoup.
Aujourd'hui M. Hirsch nous l'a dit, le RMI, les minima sociaux ont changé de visage, ce n'est pas un dépannage, c'est souvent une exclusion de longue durée.
Mais ce n'est pas en renonçant à la solidarité qu'on lui redonnera son sens, c'est en la refondant.
La maison est branlante. Elle a beaucoup de fissures. Il y a ceux qui refusent de voir les lézardes. Il y a ceux qui veulent la démolir. Et il y a ceux qui veulent la reconstruire, en lui redonnant les fondations solides qu'elle mérite. Nous sommes ceux qui veulent la reconstruire. Ce sont des projets différents, et ces projets seront en confrontation.
Nous voulons la refondation du projet national français, à commencer par notre modèle social, en les reconnaissant dans leur valeur, dans leur jeunesse, dans leur pertinence face aux temps que nous allons vivre.
Mais pour 'refonder', il va falloir, en effet, 'rompre' la spirale de l'échec. Il va falloir tourner la page sur ces années grises et sur la pratique politique qui nous a conduits où nous sommes.
Et pour cela, rien n'est plus important, que d'identifier les racines du 'mal français', comme le définissait Alain Peyrefitte, il y a déjà trente ans !
Je dis les racines. Car sur le mal français, tout le monde ou presque est d'accord. Et comment en serait-il autrement ? Je veux simplement rappeler les éléments évidents qui ont été établis au long de ces journées.
Charles de Courson et Jean Arthuis reprennent inlassablement les chiffres du déficit et de la dette, qui a dépassé 1100 milliards affichés, courant vers les 1200 milliards, 80 000 au bas mot par foyer français. Et Alain Etchegoyen nous a rappelé que l'augmentation des taux nous pendait au nez, non pas comme un sifflet, mais comme une grenade dégoupillée.
Alain Benveniste nous a rappelé les chiffres de la création d'entreprises en France : nous avons 40 entreprises pour mille habitants, 60 en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, 80 en Italie ou en Espagne. Nous en créons 4 par an, ils en créent 6 ou 8.
Martin Hirsch et Robert Rochefort nous ont dit que la pauvreté avait recommencé à croître en France, y compris chez les jeunes, y compris chez ceux qui travaillent, y compris désormais chez les plus âgés, chez les retraités.
A-t-on conscience de ces données accablantes ? Oui, bien sûr, puisque tout le monde est accablé. Essaie-t-on de les combattre. Oui, bien sûr. Nos gouvernants, les dirigeants français ne sont pas à ce point désinvolte qu'ils ignorent ce qui se passe dans notre pays.
Alors où est le problème ?
C'est qu'on refait constamment les mêmes politiques pour soigner les symptômes, et qu'on ne va jamais jusqu'aux causes, jusqu'aux racines.
Tant qu'on ne comprendra pas les racines du mal, tant qu'on se limitera à soigner les symptômes, par les mêmes remèdes, toujours repris, on rencontrera les mêmes échecs.
Il faut découvrir les racines pour pouvoir s'attaquer aux causes.
Bien des racines ont été représentées devant vous pendant ces deux jours.
Je voudrais seulement en évoquer trois.
Il y a un drame entre la France et son État. C'est l'État qui a fait la France. C'est vrai. La société française a été créée par son État. Mais comme il arrive quelquefois entre enfants et parents, il refuse son émancipation, et, symétriquement, se voit requis de régler tous les problèmes de la nation qu'il a créée.
Une des racines du mal français est que l'on s'adresse à l'État pour résoudre les problèmes de la société à la place de la société, les problèmes des Français à la place des Français.
Et l'État se présente lui-même, dans ses principaux représentants, comme ce thaumaturge, cet omnipotent impotent, prêt à s'occuper de tout, à faire des lois sur tout.
Si l'on considère qu'il n'y a de légitimité que dans l'État, dès lors il n'y a de recours que dans l'État.
C'est pourquoi il ne faut pas s'étonner que les citoyens demandent à l'État tout ce qui leur manque, exige qu'il les garantisse de tout risque, impose l'exercice de toute solidarité, répare tout accident, exerce le monopole de préparation de l'avenir, devienne le garant de toute incertitude.
Ces derniers mois, on a demandé à l'État, par exemple, de définir la vérité historique sur l'une des périodes les plus brûlantes de notre histoire par le vote d'une loi ( !) sur le statut officiel de la colonisation au XIXe et au XXe siècle. On lui demande de bien vouloir assurer le complément de la feuille de paie par la prime pour l'emploi. On fait inscrire dans la constitution le principe de précaution. On lui demande de régir par une loi nationale le mode de remplacement des professeurs. On lui demande hier de garantir le gavage des oies et des canards. Il nomme par une décision hautement politique le responsable de l'opéra, et s'impose le devoir de créer par une décision unilatérale une école d'économie aussitôt joliment dénommée Paris school of economics. Et certains s'apprêtent à lui demander de former des imams pour garantir 'un islam de France, et non pas un islam en France'.
Or tout cela convenait à la monarchie absolue, au Consulat ou à l'Empire, à la République jacobine, mais pas au siècle où nous sommes entrés.
Le pacte implicite qui unit les Français et leur État autour de l'affirmation de sa toute-puissance, de son universelle compétence, de sa totale légitimité est un mal français.
Pour deux raisons : la société contemporaine, qui se caractérise par la croissance continue de la quantité d'information disponible, par la multiplication des options disponibles, par la mobilisation de compétences et d'expériences diverses, ne peut plus se gérer par un centre de décision unique et tout-puissant.
Et, deuxième raison, parce que l'État est lui-même victime de sa complexité croissante, où il s'étouffe, et où il se perd.
J'ai été très heureux que l'on évoque pendant ce colloque la prolifération des sigles. Certains pourront y voir une anecdote, je vois pour ma part dans la croissance de ce labyrinthe un des visages de ce mal pris à la racine.
" Il faut d'urgence réunir dans une réunion au sommet autour de la table le CAS, le CAE, le COR, le CES, la DATAR "
Le Sénat vient de publier un 'petit dictionnaire des sigles indispensables ", uniquement dans la vie administrative, bien sûr. Il y en a 998 ! Pourquoi ne sont-ils pas arrivés à mille, c'est un grand mystère, ou une grande honnêteté intellectuelle.
J'ai pris par curiosité la lettre Z. Cela donne ceci : ZAC Zone d'aménagement concerté, ZAD Zone d'aménagement différé, ZAN, Zone d'agglomération nouvelle, ZEE, Zone économique exclusive, ZEP, Zone d'éducation prioritaire.
Zone d'environnement protégé, ZES, Zone en excédent structurel, ZFU, Zone franche urbaine, ZIF, Zone d'intervention foncière, ZPE, Zone de protection écologique, ZPPAUP, Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysage, ZRR, Zones de revitalisation rurale, ZRU, Zone de redynamisation urbaine, ZSP, Zone de solidarité urbaine, ZUP, Zone à urbaniser en priorité, ZUS, Zone urbaine sensible.
Tout cela rend l'État illisible, verbeux, mais en fait dans la réalité un monopole pour initiés.
Et donc soigner cette première racine du mal français, c'est redéfinir l'État et son rôle, en se fixant comme but une société de l'autonomie.
L'État ne peut pas et ne doit pas tout faire. Il faut faire naître, ou plus exactement révéler et légitimer la capacité de la société civile. Capacité à penser, à vouloir, à faire. Et légitimité à penser, à vouloir, à faire.
Il faut que l'État fasse tout ce qu'il doit et la société tout ce qu'elle peut.
Si nous avions le temps, ce serait passionnant de lire notre histoire en découvrant les éléments de la grande bataille qui s'est livrée dans les siècles de notre histoire entre le projet de toute-puissance de l'État et le projet d'autonomie de la société.
D'un côté la loi Le Chapelier en 1790 qui interdit toute forme d'organisation sociale et professionnelle, les corporations, pour laisser le citoyen solitaire en face-à-face avec l'État. De l'autre, après la guerre de 40, l'organisation de la démocratie sociale et des syndicats. Je pourrais même montrer comment le lointain Édit de Nantes, et trois siècles plus tard la loi de 1905 dont nous allons fêter le centenaire, au contraire, fondent une autonomie réciproque de l'État et du monde des convictions religieuses.
Je me proposerais de montrer comment la distinction des ordres chez Pascal est une préfiguration de la séparation des pouvoirs des grands penseurs de la démocratie, comment c'est la même pensée, le même grand courant d'autonomie de l'humanité.
Et nous verrions alors apparaître une vision, un projet de société, un projet humaniste, dont il suffit de parcourir le monde en pensée pour voir combien il est non pas banal, mais rare, encore aujourd'hui. Combien il est riche et exige qu'on se batte pour lui.
Et combien il est exigeant. Oblige à des réformes profondes, profondissimes.
Une société de l'autonomie, ce sont des règles de séparation des pouvoirs et des partenaires.
L'État soumis aux mêmes règles de justice que les autres acteurs de la société française et même que les acteurs de la société civile.
Nous en avons des exemples tous les jours de ce manquement, de cette absence de transparence. Nous avons des exemples tous les jours de cette inéquité, au ens propre, de ce 'deux poids, deux mesures' que l'Etat impose à la société française.
Par exemple, l'Etat impose des règles extrêmement strictes en termes de Contrat à Durée Déterminée à tous les employeurs français. Et il envoie ses inspecteurs du travail pour sanctionner tout manquement. Mais pour lui-même, il se donne le droit de renouveler presque ad libitum les contrats précaires. Il y a des professeurs dans la fonction publique qui se voient renouveler un contrat précaire depuis des années.
Ce serait une révolution de dire : les mêmes règles s'appliquent à tous, aux employeurs privés comme aux employeurs publics, à l'État comme à tous les autres.
On le voit, je prends l'actualité la plus récente, avec l'affaire de la privatisation des sociétés autoroutières.
L'État ne respecte même pas les règles qu'il se fixe à lui-même. On nous annonce un décret de privatisation, dans une opacité savamment entretenue. Le montant nous dit-on dans les discours officiels est fixé à dix ou douze milliards d'Euros. Et nous qui avons dit notre hostilité sur le principe, qui observons ce que rapportent cette année les sociétés autoroutières au budget de l'État, un milliard et demi d'Euros ( !), nous nous étonnons de la modicité de cette somme, puisque nous savons bien que les emprunts sont en voie d'amortissement et que donc les dividendes, forcément vont croître. On nous dit, pour simplifier, que nous n'y connaissons rien. Or nous apprenons, par une fuite, par le Canard enchaîné, que l'estimation du Plan est à peu près le double de la somme prévue Qui fera respecter à l'État la loi, les règles de transparence, qu'il a lui-même édictées ?
Même chose pour le processus de privatisation lui-même : une loi a été votée en 1986, interdisant qu'une privatisation se fasse sans l'assentiment du parlement lorsque l'État est majoritaire dans le capital de l'entreprise. Rien de plus normal et de plus juste : la propriété des Français, payée par les Français, ne peut pas être aliénée sans l'assentiment de leurs représentants. Or l'État est majoritaire dans le capital des sociétés autoroutières, comme il le dit lui-même dans tous ses documents.
On nous dit : inutile de vouloir obtenir un jugement sur ce point, l'affaire est déjà jugée. Puisque les magistrats du Conseil d'État se sont déjà prononcés en tant que conseil du gouvernement, ils débouteront tout citoyen qui mettrait en cause la validité de la procédure. Cette affirmation réitérée, par des conseillers dans les couloirs, par des ministres à la tribune, montre tout le chemin qui reste à faire. Nous déposerons un recours au Conseil d'Etat pour rappeler une règle de Droit simple et définitive. Un jugement ne peut être prononcé qu'au terme d'une procédure contradictoire, après avoir écouté les arguments des parties. Nul ne peut être à la fois juge et conseil des parties.
Mais l'autonomie, cela n'exige pas seulement des efforts de la part de l'État.
Car c'est une question centrale que celle de la légitimité des partenaires, de leur enracinement, de la vérification de leur mandat.
Par exemple, la question de la transparence des financements de la vie syndicale est une question centrale. Tout le monde sait, et tout le monde répète à l'envi que l'organisation de deux domaines majeurs de la vie de la nation, sa sécurité sociale et son système de formation continue, est entièrement irréformable, entièrement obérée, par le partage prononcé il y a plus d'un demi-siècle. Tout le monde dit avec un air entendu, en se poussant du coude, qu'il est fort dangereux d'aborder ces questions. Et tout le monde dit " vous savez bien pourquoi "
" Vous savez bien pourquoi ", je vais le traduire en Français : parce que le financement des grandes centrales syndicales, laisse-t-on entendre, et leurs emplois, comprenez leurs emplois fictifs, dépend de leur mainmise sur les organisations qui sont censées régir les deux grands domaines en question. C'est pourquoi, il ne pourra y avoir de légitimité indiscutable que quand cette question du financement de la vie syndicale aura été traitée. Il ne peut y avoir autonomie que s'il n'y a pas de soupçons, pas de doutes sur l'équilibre interne et la transparence de ces grands systèmes de représentation que sont les syndicats.
L'État ne peut pas, en un monde saisi de mouvement rapide et général, trouver les réponses à la place de la société. La création, l'invention, l'ouverture de voies nouvelles, nécessitent une société de l'autonomie. Une société de l'autonomie repose sur la séparation des pouvoirs, la légitimité de partenaires civils, leur reconnaissance, et donc la transparence.
Quant aux choix collectifs, ils ne deviennent possibles et justes que par l'exercice d'une démocratie refondée.
Aux racines du mal français, il y a le mépris pour la démocratie.
Ce mépris est un drame. Pas seulement un drame moral. Pas seulement une atteinte aux principes. Ce mépris est un drame collectif parce qu'il affecte la capacité de notre peuple à se conduire, à décider de son avenir.
Quant le peuple ne sait pas, il est incapable de vouloir. La volonté ne peut pas se former en l'absence d'information juste.
L'affaire de la dette. Sa croissance continue. Le tort fait aux Français. Je ne dis pas seulement " jeunes Français ". Bien sûr, " jeunes " mais " jeunes ", c'est nous, nos enfants, nos frères. C'est nous parce qu'il est totalement illusoire de croire que les jeunes vont s'épuiser à la tâche sans exiger des générations précédentes d'en partager la charge
C'est une idée fausse, une idée d'apparence que de croire que la charge de la dette reposera sur les générations à venir. Elle pèsera sur toutes. On ne travaille pas seulement contre l'avenir, on travaille contre les droits acquis de tous les Français et singulièrement de ceux qui se croyaient tranquilles.
Racines du mal démocratique : nous ne sommes pas en démocratie, pas en démocratie républicaine, nous sommes, sous Mitterrand comme sous Chirac dans une sorte de monarchie élective, sans même les parlements d'ancien régime.
Et cela pervertit toute notre vie publique.
En deux temps : quand le souverain est intact, c'est la cour.
Je pourrais signer chacun des mots, chacune des lignes du réquisitoire qui va suivre. Celui qui l'écrit est un indiscutable expert du sérail, non pas du sérail d'ancien régime, mais de toutes les arcanes de la République d'aujourd'hui. La cour " a perverti la République. La précarité grandissante de l'élection a conduit nombre de politiques à privilégier la démagogie, l'immobilisme. La 'curialisation' des murs est une réalité toujours présente, masquée par la 'République des camarades'. La Cour constitue un système légal, à défaut d'être légitime, qui se nourrit du pouvoir et ne peut exister qu'à sa marge. Elle se grossit de rêves misérables et impérieux, se gargarise d'un sourire, d'une parole du Prince, d'une nomination à une place prestigieuse ou lucrative, d'une décoration ou d'une invitation à dîner, comme on assistait au lever du roi ou à la toilette de Talleyrand " Est-ce un problème ou au contraire un raffinement de fin de règne que l'auteur de ces lignes ait été précisément celui qui, en expert, a tiré toutes les ficelles de ce théâtre de marionnettes, pour le compte de Jacques Chirac, ces dix dernières années, puisqu'il se nomme Dominique de Villepin
Mais il y a pire : la monarchie quand le souverain est atteint, par l'âge, par un accident de santé, par la perte de crédit, ce n'est plus seulement la cour, avec ses ridicules et ses bassesses, c'est la guerre de succession La guerre absolue, à bas bruit, toutes les capacités de l'État ordonnée en un affrontement des clans, pour régler une succession qui par ailleurs n'est pas encore ouverte.
La concentration des pouvoirs, la désinvolture absolue à l'égard du parlement érigée en règle, et théorisée, les nominations arbitraires et claniques, l'absence de vraie séparation des pouvoirs entre la vie politique et la vie économique, entre le pouvoir politique et les médias.
Le Parlement, la Turquie. Les ordonnances. La privatisation des autoroutes.
La mise en servitude de la majorité par l'exécutif. Exemple : l'utilisation des 'classes moyennes' pour faire passer le projet de budget.
Il y a plusieurs choses qu'un citoyen attaché à la démocratie ne devrait pas accepter dans ce projet de budget.
Un budget doit être sincère. Or Charles de Courson a établi, le rapporteur général UMP du budget a confirmé, qu'alors que la progression de la dépense a été 'contenue', nous dit-on, à 1,8 %, les chiffres réels, découlant du projet de budget lui-même, dépassent les 4 % !
Et une réforme fiscale doit être juste et transparente.
Vous l'avez entendu hier dans ce colloque : nous dire que la réforme fiscale est conduite pour les " classes moyennes ", c'est tenter d'abuser les Français. La réforme fiscale est faite pour avantager les plus hauts contributeurs à l'impôt sur le revenu et les contributeurs les plus importants à l'impôt sur la fortune qui seront dispensés de taxes locales et même dans quelques milliers de cas largement dispensés d'impôt sur le revenu.
Il peut y avoir des raisons de poser le problème de ces gros contributeurs, dont un nombre substantiel quitte la France. Et ce n'est pas un avantage pour notre pays. Mais qu'on le fasse clairement, qu'on l'assume, et qu'on ne prétende pas que ce sont les classes moyennes qui sont l'objet de la sollicitude gouvernementale.
Refonder la République en démocratie. Tout cela dépend d'une condition principale : le rétablissement des pouvoirs d'un Parlement digne de ce nom et de la place qu'il tient dans les autres démocraties. Le rétablissement de la séparation des pouvoirs. Le choix d'un État impartial, par d'un État dominé par un parti, même si c'est successivement. Cela implique, par exemple, un changement dans la pratique des nominations, dont beaucoup devraient être rendues aux communautés compétentes, et dont les autres, celles des corps de contrôle, devraient être prononcées par des majorités qualifiées après audition. Dans le domaine de la séparation des pouvoirs, étendre le CSA au-delà de l'audiovisuel au pluralisme de la presse écrite, et l'établissement de garanties d'autonomie entre les propriétaires de presse et l'État.
Troisième racine du mal français, -je m'arrêterai à trois, même si j'en aperçois bien d'autres que j'étudierai dans un livre-, notre immobilisme en matière économique ou sociale.
Nous avons eu hier un échange sur la répartition des charges sociales.
Nous avons bâti, au fil du temps, une protection sociale dont la charge repose quasi-exclusivement sur le travail. Alors les meilleurs esprits nous disent : c'est normal, puisque au bout du compte, c'est toujours le travail qui paie.
Cette idée admise par tous ignore une réalité, mais concentrer les charges sur le travail en amont, c'est empêcher qu'un grand nombre d'emplois soit créé.
Les pays qui ont fait un autre choix, comme les pays scandinaves, ont un taux d'emploi très supérieur au nôtre.
Et ce n'est pas surprenant puisque cette répartition des charges revient à imposer aux produits et services élaborés en France un droit de douane à l'envers, qui les grève, et dont sont exonérés les produits et services élaborés dans les pays sans protection sociale.
Penser une autre architecture, 'TVA sociale' 'contribution sur les échanges financiers' ou d'autres modes de financement, ce n'est sans doute pas facile, mais c'est se donner des marges de manoeuvre pour la feuille de paie et pour l'emploi.
Et sans marges de manoeuvre, rien ne changera.
Même réflexion pour notre architecture d'aide sociale.
Valérie Létard nous a montré hier, exemples à l'appui, quel parcours du combattant ce pouvait être que de revenir à l'emploi quand on relevait de minima sociaux. Au cours d'une rencontre sur le terrain cet été, sans journalistes, nous avons étudié nombre de cas particuliers qui montraient à quelle relégation, à quelle exclusion de fait, conduisait la multiplicité des aides, parent isolé, adulte handicapé, RMI, etc.
Il faut une simplification drastique, qui conduise à une architecture différente de notre protection sociale : aide unique compatible de manière dégressive avec tout revenu actif qui pourra être trouvé.
Un de nos intervenants disait : on nous parle de bouclier fiscal, on devrait parler de 'bouclier social', puisque la taxation à 100 % existe en France dans un certain nombre de cas. Elle ne touche pas l'ISF, qui se délocalise assez bien, mais elle touche ceux qui relèvent des minima sociaux revenant à l'emploi à qui on prend tout ce qu'ils ont gagné par cet effort nouveau, et au-delà !
Il faut enfin réhabiliter le risque. Entreprise, image de l'entreprise, possibilité des risques, possibilité de l'échec. J'ai toujours été frappé de l'absence de seconde chance.
Voilà trois racines du mal français. Il y en a bien d'autres, que nous allons découvrir en abordant chacun des grands sujets d'inquiétude, d'épuisement, de la société française.
Notre perspective est, comme vous le voyez, une démarche de pleine autonomie, dans une vision de refondation.
Nous croyons que le modèle français de valeurs est actuel, impérieusement actuel, non pas en dépit de la mondialisation, mais pour affronter la compétition de la mondialisation. Spécialement, le modèle social, dans son projet est actuel, même s'il est trahi.
Mais pour retrouver ce modèle français, il faut accepter de tourner la page sur vingt années de pratique impuissante.
J'en propose trois aujourd'hui, qui sont à la racine de notre épuisement.
Il faut redéfinir l'État dans la société et les rapports réciproques entre l'État et la société.
Il faut accepter de devenir une démocratie. Il faut repenser les cadres de notre architecture économique et sociale pour retrouver des marges de manoeuvre.
Si nous ne changeons pas les causes, nous ne changerons pas les conséquences. Ce que nous voulons, c'est changer les conséquences pour que le mal français ne soit demain plus un thème de congrès, mais un souvenir pour papier historique.
Merci beaucoup.
(Source http://www.udf.org, le 24 octobre 2005)