Interview de M. Philippe de Villiers, président du Mouvement pour la France (MPF), à LCI le 16 juin 2005, sur le débat européen après le "non" français et hollandais au référendum sur la Constitution européenne, l'avenir de la PAC et la position du MPF en faveur de la "préférence communautaire".

Prononcé le

Circonstance : Réunion du Conseil européen à Bruxelles les 16 et 17 juin 2005

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

Q- Alors que s'ouvre ce sommet européen à Bruxelles, je vous ai apporté la presse ; les titres : "L'Europe paralysée", "L'Europe, la grande panne", "L'Europe en crise", "Chirac, l'homme malade de l'Europe". Vous aviez appelé à voter "non", le "non" a triomphé. Etes-vous un P. de Villiers heureux aujourd'hui ?
R- D'une certaine manière, oui, parce que le "non" a gagné, et qu'en réalité, ça y est, on remet tout à plat, il n'y a plus de tabous...
Q- Cela se détricote ?
R- ...Et ce que je veux dire, c'est que ce n'est pas le "non" qui a déclenché la crise à laquelle vous faite allusion, la crise de l'Union européenne telle qu'elle fonctionne...
Q- Cela n'a pas arrangé les choses...
R- ...C'est l'inverse : c'est la crise qui a déclenché le "non". Et donc, aujourd'hui, on a l'impression, quand on voit les titres et que l'on écoute les commentateurs, qu'au fond, les peuples sont un peu coupables, alors qu'en réalité, les peuples ont enrayé une machine broyeuse qui continue à broyer. Deux exemples : ce matin, en regardant le journal, les plaques d'immatriculation : vous croyez que cela fait plaisir à tout le monde ? On dépersonnalise encore un peu plus. Il y aura évidemment, l'Europe, mais il n'y aura plus les départements, donc on cherche à gommer toutes les identités. Deuxièmement...
Q- On cherche à gommer les identités ou à éviter les malversations ?
R- C'est le prétexte, mais la vraie raison, c'est Bruxelles qui est derrière tout cela, et qui veut absolument imposer le drapeau européen pour dépersonnaliser et uniformiser un peu plus l'Europe. Deuxième exemple, avec la subvention à la SNCM : voilà que la Cour de Justice de Bruxelles va maintenant nous interdire, va nous obliger, à rembourser, etc. Eh bien, c'est tout cela dont on ne veut plus ! Et c'est ce qu'on exprimé les peuples le 29 mai, le peuple français d'abord et le peuple néerlandais ensuite, c'est : "maintenant, ça suffit, on reconstruit autrement !".
Q- Mais alors précisément, "maintenant ça suffit !", regardez ce qui arrive aux agriculteurs auxquels vous aviez conseillé de voter "non" à la Constitution, eh bien c'est M. Barroso, c'est M. Juncker et c'est évidemment T. Blair qui remettent en cause la Politique agricole commune.
R- Si l'on veut sortir de cette difficulté, il y a une solution.
Q- Que faut-il faire ?
R- La préférence communautaire. Il est évident que, si l'on avait aujourd'hui la préférence communautaire, l'agriculture coûterait beaucoup moins cher, la Politique agricole commune, digne de ce nom - parce que, ce que l'on appelle "la PAC" ce n'est plus la PAC, c'est le découplage -, coûterait beaucoup moins cher au budget européen, et coûterait un tout petit peu plus cher aux consommateurs, mais elle permettrait à notre agriculture de se développer à nouveau, et à l'Europe de respirer. Si vous me permettez, ce que je propose, c'est que, vraiment, à partir d'aujourd'hui, les chefs d'Etat et de gouvernement se mettent autour de la table et rédigent une sorte de charte fondatrice, avec les points suivants : premier point, "la Constitution est morte", vous l'avez dit tout à l'heure dans votre éditorial, elle est morte. Donc, on constate le décès...
Q- Mais la renégociation que vous espériez ne se fait pas, elle est morte aussi.
R- Non, moi, je n'ai jamais voulu renégocier une autre constitution. Pour moi, l'Europe peut très bien fonctionner sans constitution...
Q- Avec Nice, qui est un bon Traité ?
R- Non, le Traité de Nice, ce n'est pas moi non plus...
Q- Je sais bien, mais c'est lui [qui] va régir maintenant le fonctionnement de l'Europe.
R- Quand un véhicule est dans le fossé, on va chercher le garagiste et puis on sort la voiture du fossé, et puis on regarde après, et on voit les pièces qu'il faut changer. Donc, c'est exactement ce qu'il faut faire. Deuxièmement, on suspend la négociation sur l'entrée de la Turquie. Incroyable, la déclaration de Barroso ! C'est un dictateur ce type, il n'a pas écouté le message !
Q- Si la majorité des 25 souhaite que l'on continue, comme prévu, les négociations avec la Turquie, elles commenceront bien à l'automne.
R- Voilà, et puis ensuite, on aura le "non" du peuple danois, le "non" du peuple etc. Et une fois que tous les peuples auront dit "non", et qu'on aura, d'un côté, les technocrates autour de M. Barroso, Juncker et les autres, et les peuples de l'autre côté, on dira qu'il y a un divorce entre l'Union européenne et... Oui, évidemment, il y a un décrochage, il y a un décalage. C'est ce qui se passe actuellement. Je conseille à tous ces gens-là d'écouter ce qui a été dit pendant la campagne française et pendant la campagne néerlandaise. Troisièmement, la préférence communautaire. Et quatrièmement, le respect des démocraties nationales. Je souhaite que le président de la République française dise : désormais, le droit constitutionnel français sera supérieur au droit européen.
Q- Concrètement : J. Chirac arrive à Bruxelles aujourd'hui, il va discuter avec ses partenaires ; c'est T. Blair qui est en position de force, vous en convenez ?
R- Vous savez pourquoi ?
Q- A votre avis ?
R- Parce que Chirac s'est lui-même affaibli.
Q- Le "non" ne l'a pas arrangé...
R- Mais Chirac a décidé de faire un référendum en France. Supposons un instant qu'il ait dit au peuple français : "je suis le chef de l'Etat, je ne m'engage pas, c'est vous qui discutez, c'est vous qui décidez". Il aurait été dans la situation de pouvoir reprendre la main, le 30 mai au matin. Alors que là, il s'est engagé, engagé davantage, engagé à l'excès, jusqu'au jeudi soir, en disant "c'est le "oui" ou le chaos, et la France sera isolée". Or, aujourd'hui, tous les Français voient qu'il a menti, puisque la France n'est pas du tout isolée, au contraire : les moutons noirs auraient bientôt été un troupeau, avec tous les peuples qui sont en train de dire "non". Donc, quand on ment au peuple, évidemment, on s'affaiblit soi-même.
Q- Je répète ma question : il arrive à Bruxelles...
R- C'est triste pour la France de voir que c'est T. Blair qui redevient l'homme fort de l'Europe, alors que J. Chirac avait toutes les cartes en main s'il avait simplement dit, en tapant du poing sur la table : "je veux une Europe qui respecte les démocraties nationales et une Europe de la coopération".
Q- En l'état actuel des choses, que peut-il faire à Bruxelles, et que lui conseillez-vous à Bruxelles pendant ces deux jours ? A la fois, sur le budget, sur la Constitution, et sur la Turquie éventuellement ?
R- Premièrement, sur la Turquie, il faut qu'il dise qu'on s'est engagés à tort dans un processus absurde, qu'on garde le périmètre européen. C'est la question du périmètre, il faut vraiment la régler aujourd'hui cette question du périmètre.
Q- On ne commence pas les négociations à l'automne ?
R- Voilà. Deuxièmement, il y a la question de l'architecture : "J'ai entendu le message, vous avez tous entendu le message des peuples" - je parle à la place de Chirac...
Q- Oui, j'ai bien compris, allez-y.
R- Il y a une demande de respect des démocraties nationales, "on ne veut pas être gouvernés par d'autres", c'est cela le message des peuples. Donc, comment fait-on pour serrer la ceinture des technocrates ? Troisièmement...
Q- Cela veut dire que l'on se donne du temps, on continue ou pas le processus chez
les autres ?
R- Non, on arrête le processus ! A moins que s'ils veulent prendre une
gifle par mois...
Q- Vous parliez de démocratie, ils ont quand même le droit de se prononcer !
R- Si vraiment, l'Union européenne veut se prendre... Parce que là, une gifle plus une gifle, cela fait une paire de claques, vous avez vu : France, Pays-Bas. S'ils veulent cela tous les mois, mais qu'ils continuent ! C'est l'euro masochisme, c'est extraordinaire !
Q- Donc, on arrête le processus, d'accord. Et le budget ?
R- A partir du moment où, de toute façon, - c'est le droit du Traité, la convention de Vienne - un seul pays dit "non", il n'y a plus de traité. ce sont les principes "jus cogens" de la Convention de Vienne.
Q- Donc, c'est la France qui impose finalement son point de vue et la Hollande ?
R- La France impose son point de vue, on ne veut pas de ce traité, et donc, on va revenir au traité de Nice...
Q- Et les autres n'ont même pas besoin de se prononcer, puisque nous nous sommes prononcés pour eux, d'une certaine manière ?
R- Si Chirac veut être populaire auprès de ses collègues, je vais vous dire, il leur ôte ce poids, parce que...
Q- Bien, et le budget ?
R- ...Il dit aux Danois : "vous ne vous prononcerez pas" ; aux Polonais, et même aux Luxembourgeois - regardez dans quel état est M. Juncker...
Q- Le budget ? La ristourne ?
R- Sur la question du budget, d'abord, chacun discute, c'est normal. Parce que le budget, c'est quoi ? Ce sont les contribuables. Savez-vous combien on paye ? La contribution de la France, c'est 3,5 milliards. ce n'est quand même pas rien, entre ce que l'on donne à Bruxelles et ce que l'on reçoit. Alors on nous dit : "vous vous rendez compte, vous recevez beaucoup pour l'agriculture !". Mais on paye plus, nous, la France, aujourd'hui, que l'on ne reçoit. Donc, je propose deux choses : premièrement, pas question de payer davantage pour la France, pas question ! Deuxièmement, pas question d'augmenter le plafond du budget européen, et troisièmement, imposer la préférence...
Q- Là, vous êtes d'accord avec Chirac. Cela arrive !
R- Quand Chirac revient au bon sens, oui et qu'il se rapproche du peuple français, cela arrive, effectivement. Et cela veut dire que ce n'est pas une pétition de principe de ma part. Et troisièmement, établir la préférence communautaire en matière agricole et industrielle, parce qu'on retrouve à ce moment-là l'esprit de l'Europe, c'est-à-dire l'esprit du marché commun, et cela coûtera beaucoup moins cher. Et enfin, demander aux technocrates de se serrer la ceinture, parce que cette morgue de M. Barroso, qui continue à faire comme si le "oui" l'avait emporté partout, c'est insupportable !
Q- France, quels seront-ils en 2007 ? Allez-vous en tirer parti, notamment pour vous présenter à l'élection présidentielle ?
R- Je suis un représentant du peuple français, je ne suis pas un actionnaire, donc il n'y a pas de dividendes.
Q- Donc, il n'y aura pas de de Villiers candidat à la présidentielle ?
R- J'accroche juste le mot au passage, le mot "dividende". Et je ne fais pas carrière, sinon, cela serait fait.
Q- Et indépendamment de la carrière ?
R- Moi, avant le 29 mai, d'ailleurs je vous l'avais dit, je veux faire gagner le "non", c'était ma mission. Maintenant, ma mission c'est : faites respecter votre "non". Il y a eu beaucoup de questions pendant cette campagne qui ont été évoquées, par exemple la question de l'euro, la question de l'immigration. Ces questions méritent de donner lieu à un grand débat. Si le "non" n'est pas respecté, comme c'est le cas actuellement, qu'il est piétiné, il faudra en tirer les conclusions. Et je pense que l'élection présidentielle sera le deuxième tour du référendum.
(Source : premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 16 juin 2005)