Déclaration de M. François Loos, ministre délégué à l'industrie, sur la gestion des déchets radioactifs et l'organisation prochaine d'un débat public avant la préparation d'un projet de loi en 2006 sur le sujet, Bar-le-Duc le 23 juillet 2005.

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Circonstance : Visite du laboratoire souterrain de recherche sur le stockage géologique des déchets radioactifs, à Bure (Meuse) le 23 août 2005

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Préfet,
Mesdames,
Messieurs les journalistes,
1. Tout d'abord, je voudrais rappeler le contexte dans lequel se situe ma visite de ce jour
L'énergie nucléaire nous apporte une électricité à un prix compétitif; elle réduit notre dépendance énergétique vis-à-vis du pétrole ; elle n'émet pas de dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre responsable du changement climatique. Au moment où le prix du baril flambe et où le changement climatique est avéré, le choix du nucléaire, fait par la France dans les années 1970, démontre toute sa pertinence.
Cette industrie offre donc de nombreux avantages ; mais elle présente également des inconvénients. Elle produit notamment des déchets radioactifs, qu'il convient de gérer avec la plus grande rigueur. Pour 90% de ces déchets des solutions définitives existent déjà : ils sont stockés en surface sur des sites exploités par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) dans les départements de la Manche et de l'Aube.
Les 10% restants sont entreposés dans des installations de surface qui ont été conçues pour durer quelques dizaines d'années, à La Hague, à Marcoule et à Cadarache. Ces installations sont sûres mais elles n'ont pas été construites pour recevoir ces déchets de façon définitive.
Que ferons-nous alors de ces déchets ? Les remettrons-nous dans des entreposages de surface, ou bien à quelques centaines de mètres de profondeur ? A moins que nous puissions les " incinérer " dans les réacteurs nucléaires du futur qui les " consommeraient "?
Je considère que c'est le devoir moral des générations présentes, qui bénéficient des avantages du nucléaire en terme de prix ou d'émission de CO2, d'apporter une réponse à cette question (à la destination des déchets), encore ouverte. Cette question se pose d'ailleurs quelle que soit la place que nous accorderons au nucléaire dans notre futur bouquet énergétique. En effet, il existe déjà des déchets radioactifs ; ils ont été produits depuis plus de quarante ans ; il nous appartient de dégager des solutions sûres et pérennes de gestion.
C'est pour répondre à ces questions, qui se posent à la France comme aux autres pays qui ont choisi l'énergie nucléaire, que des programmes de recherche ambitieux ont été lancés dans le cadre de la loi du 30 décembre 1991, qu'on appelle la " Loi Bataille ". Cette loi a prévu qu'un nouveau projet de loi sur la gestion des déchets radioactifs serait déposé devant le parlement avant le 30 décembre 2006.
Cette échéance sera respectée et même anticipée puisqu'un projet de loi sera présenté au Parlement au printemps de l'année prochaine.
A la veille du lancement d'un grand débat public et quelques mois avant la préparation puis la transmission au Parlement d'un projet de loi sur ce sujet, il m'a paru indispensable de pouvoir constater par moi-même et sur le terrain l'importance et la qualité des travaux de recherche réalisés dans le cadre de cette loi.
Cette loi a fixé trois axes de recherche : la séparation/transmutation, le stockage en couches géologiques [axe 2] et l'entreposage de longue durée en surface[axe 3]. Aujourd'hui, sur la suggestion des deux présidents de Conseil général concernés, je visite le laboratoire de Bure, dans lequel ont été menées des recherches sur le second de ces axes. Vendredi, je visiterai le site de Marcoule, sur lequel ont été menées des recherches sur les deux autres axes.
2. Je veux souligner l'importance des travaux scientifiques qui ont été menés dans ces installations
Le programme de recherche initié par la loi de 1991 a permis d'obtenir des résultats scientifiques de qualité. Ils sont le fruit du remarquable travail mené durant quatorze années sous l'égide du CEA et de l'Andra. Ces établissements ont su mobiliser, au-delà de leurs propres équipes, les meilleures compétences académiques disponibles en France comme à l'étranger. Des moyens financiers à la hauteur des enjeux ont été consacrés aux recherches sur les 3 axes de la loi : près de 2,5 milliards d'euros ont ainsi été investis. Par ailleurs, des équipements scientifiques de premier rang ont été utilisés pour mener les recherches. Ainsi, pour le stockage, le laboratoire souterrain de recherche de Bure a permis d'étudier in situ, une couche géologique vieille de 150 millions d'années. Les chiffres de près de dix années d'études menées par l'Andra sur le site de Bure sont éloquents : plusieurs dizaines de forages profonds, des kilomètres de carottes prélevées, près de 250 mètres de galeries creusées à l'horizontale à près de 500 mètres de profondeur, dont une galerie expérimentale de 40 mètres de long à 445 mètres sous terre.
Ces différents programmes de recherche ont enfin été évalués de façon indépendante tout au long de ces 15 dernières années, conformément à la loi du 30 décembre 1991. Ils ont également fait l'objet d'un examen attentif par le Parlement, notamment grâce aux travaux menés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). La convergence des moyens déployés, tant humains que techniques et financiers, a permis d'obtenir des résultats décisifs. Ces résultats ont été présentés dans des rapports de synthèse, qui ont été remis au ministre délégué à la recherche et à l'enseignement supérieur et à moi-même le 30 juin dernier et qui peuvent être consultés notamment sur Internet.
Ces rapports feront l'objet, d'ici à début 2006, à ma demande, de plusieurs évaluations indépendantes : par la Commission nationale d'évaluation, par une revue d'experts internationaux sous l'égide de l'OCDE et par l'Autorité de sûreté nucléaire. J'attends avec intérêt ces évaluations, en particulier sur la faisabilité et la réversibilité des différentes solutions. En attendant, j'observe aussi ce que font nos voisins, collègues étrangers ; je note en particulier que les allemands, les finlandais et les américains ont d'ores et déjà opté pour le stockage en couches géologiques et sont plus ou moins avancés sur cette voie.
3. Mais il importe que ce sujet ne soit pas réservé à un petit cercle d'experts, industriels et associatifs
S'agissant d'un sujet important pour la protection de la santé et de l'environnement des générations présentes et futures, le Gouvernement a décidé de saisir la Commission nationale du débat public (CNDP) afin qu'elle organise un débat public sur la gestion de ces déchets.
La CNDP a accepté d'organiser ce débat qui commencera en septembre et s'achèvera en janvier. Accessible au plus grand nombre, il permettra à chacun de s'informer et d'exprimer ses préoccupations sur le sujet de la gestion des déchets radioactifs. Il pourra ainsi éclairer le Gouvernement au moment de préparer le projet de loi qui sera soumis à l'examen parlementaire.
Chacun de nous, en tant que consommateur d'électricité, produit des déchets radioactifs. C'est donc un sujet qui nous concerne tous, que nous habitions, ou non, près d'une installation nucléaire ou d'un laboratoire de recherche.
L'ensemble des Français, tous les Français, chaque Français est concerné par ce sujet. Nos concitoyens veulent être mieux informés sur le nucléaire : l'occasion leur en est donnée et je les invite à la saisir en participant à ce débat, en allant aux réunions et aux expositions qui seront organisées par la Commission particulière du débat public ou en consultant les documents qu'elle diffusera sur papier ou sur son site Internet.
Je souhaite que le dialogue qui naîtra à l'occasion de ce débat soit marqué par la pédagogie et la transparence dans la présentation des enjeux mais aussi par l'écoute et le respect des différentes opinions exprimées. Ce sont là les conditions d'un débat serein, que j'appelle de mes vux.
4.Après les évaluations techniques et le débat public, un projet de loi marquera l'entrée dans le temps des décisions
Le Gouvernement disposera début 2006 des rapports de recherche et de leurs évaluations, du rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et du bilan du débat public. Sur la base de ces éléments, la position du Gouvernement sera finalisée début 2006 et transmise au Parlement sous la forme d'un projet de loi. Il pourra être examiné par le Parlement dès le second trimestre 2006.
Il est de notre responsabilité de prendre les décisions nécessaires pour que soient définies et progressivement mises en uvre des solutions de gestion sûres et pérennes pour tous les déchets radioactifs. Je citerai à ce titre une phrase du rapport publié en mars 2005 par les députés BIRRAUX et BATAILLE, qui synthétise les enjeux de cette échéance : "il nous appartient, après avoir bénéficié de l'électricité nucléaire, de mettre en place le plus vite possible des solutions opérationnelles correspondant à la sûreté maximale".
Pour ce faire, le projet de loi de 2006 pourrait, par exemple, dresser une "feuille de route" des différentes étapes nécessaires à la mise en place de filière de gestion de long terme pour les déchets existants et pour les déchets futurs. Pour chaque type de déchets, une solution de référence pourrait être définie, assortie de conditions de sûreté et d'acceptabilité et d'un calendrier cible. Ne me demandez pas aujourd'hui ce qui sera écrit plus précisément sur cette feuille de route. Cela dépend des évaluations scientifiques qui seront faites et du débat public qui va être lancé !
Les autorisations de création de telle ou telle installation interviendraient plus tard, conformément aux procédures et au calendrier qui serait fixé par le Parlement. Dans l'intervalle, les études pourraient se poursuivre sur les trois axes, en fonction de leur maturité respective.
Ce projet de loi devra prévoir, outre cette feuille de route, des mesures sur l'information du public, sur l'organisation et le financement de la gestion des déchets et enfin sur l'accompagnement économique autour des laboratoires de recherches.
Sur le financement de la gestion des déchets, notre objectif est clair : nous devons avoir l'assurance que les fonds nécessaires à la gestion des déchets seront disponibles au moment voulu et qu'ils seront bien gérés. A cet effet, les industriels intègrent déjà au prix du kWh, un coût de recyclage et de gestion des déchets, de l'ordre de 5% du coût de production : pour un foyer moyen cela représente 10 par an. Ces sommes devront permettre aux industriels de financer, le moment venu, les installations de gestion des déchets, dont la loi prévoira la création. Il importe donc qu'elles soient gérées avec efficacité et sécurité.
Je terminerai cette intervention en évoquant l'accompagnement économique des territoires qui ont accueilli le laboratoire de Bure.
5. Dans l'hypothèse où la loi prévoirait la poursuite des études à Bure, cet accompagnement serait naturellement maintenu et développé.
Pour marquer la reconnaissance de la Nation à l'égard des territoires qui accepteraient de contribuer à ce programme d'importance nationale et pour faciliter l'implantation des laboratoires de recherche dans le tissu économique local, la loi de 1991 a en effet prévu un tel dispositif d'accompagnement économique. Deux groupements d'intérêt public (GIP) ont ainsi été constitués dans les départements de Meuse et de Haute-Marne. Ils ont bénéficié depuis l'an 2000 d'une ressource annuelle de 9,2 millions d'euros chacun.
Pour renforcer l'efficacité du dispositif mis en place et mobiliser les industriels concernés, j'ai proposé au Premier Ministre, qui l'a accepté, de mettre en place un Comité, qui réunira, sous ma présidence et en liaison avec le Délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, le DATAR, les Présidents d'EDF, d'AREVA et de l'Andra, et l'Administrateur général du CEA, les principaux élus, les préfets et les services de l'Etat concernés. Ce comité pourra, sur la base de travaux menés sous l'égide des Préfets et des réflexions engagées par les industriels, proposer des moyens propres à améliorer le dispositif d'accompagnement existant et identifier les projets qui pourraient être développés si le Parlement décidait de la poursuite des recherches et des activités dans ce secteur.
Une première réunion de ce comité pourra intervenir en novembre après que les industriels auront approfondi les projets qu'ils envisagent de mener. A ce stade, deux pistes sont déjà évoquées : les bioénergies et la maîtrise de la demande énergétique. A l'ère du pétrole cher, ces sujets apparaissent en tout cas comme des sujets d'avenir. Nous n'avons pas de pétrole mais nous avons une ressource : ce sont les économies d'énergie.
Je vous remercie de votre attention et je passe maintenant la parole au président GONNOT, président de l'ANDRA, après quoi vous pourrez nous poser les questions que vous souhaitez.
(Source http://www.industrie.gouv.fr, le 25 août 2005)