Déclaration de Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, sur la proposition de loi sur la contraception d'urgence, et la législation sur les contraceptifs, Paris le 5 octobre 2000.

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Circonstance : Présentation en première lecture de la proposition de loi relative à la contraception d'urgence à l'Assemblée nationale le 5 octobre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Madame les Rapporteuses,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Au nom de l'ensemble du Gouvernement, je suis heureuse de soutenir devant vous avec Dominique GILLOT la proposition de loi dont vous débattez ce matin,, relative à la contraception d'urgence.
Je tiens particulièrement à remercier la Délégation parlementaire aux droits des femmes et à 1'égalité des chances pour son initiative si rapide sur ce sujet, qui nous tient à cur ; je remercie sa présidente, Mme Lignères-Cassou, le Président de la Commission Jean Le Garrec et les rapporteuses Hélène Mignon et Marie-Françoise Clergeau.
Vous le savez, cette proposition de loi répond à l'annulation par le Conseil d'Etat le 30 juin dernier, du protocole mis au point par Ségolène Royal, alors qu'elle était Ministre déléguée à l'Enseignement scolaire. Ce protocole organisait l'administration du Norlevo en cas de besoin aux adolescentes par les infirmières en milieu scolaire.
Cette initiative va nous permettre de franchir un obstacle et d'affirmer dans les faits notre détermination à faire progresser les droits des femmes.
Car si cette proposition de loi répond aujourd'hui à une urgence et à un contexte particulier, elle s'inscrit aussi dans la lignée d'une politique d'ensemble en faveur des femmes conduite depuis plus de trois ans par le Gouvernement de Lionel Jospin.
C'est la même politique qui va de l'adoption d'une loi favorisant l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions (loi dite de la parité homme-femmes), aux actions innovantes menées en faveur de l'amélioration de la situation des femmes dans l'emploi. (Je pense à la proposition de loi déposée au nom de votre commission par Catherine Génisson).
C'est la même politique qui va de la mise en place de dispositifs permettant de lutter contre la violence faite aux femmes et contre la prostitution, à la grande enquête nationale sur les violences envers les femmes qu'a lancée Nicole Péry.
Et bien sûr cette politique s'inscrit dans l'ensemble de notre action sur la contraception et l'IVG.
Si une politique spécifique et audacieuse en direction des femmes a été menée par le gouvernement depuis trois ans, il m'a toujours semblé que les questions relatives aux droits des femmes dépassaient en quelque sorte les clivages politiques.
Dans l'après mai 1968, quand le MLF a émergé, les femmes aimaient dire que " le féminisme est, en soi, politique ". Pour elles, il était politique en lui-même et c'est pour cette raison que les femmes avaient souvent quitté les partis politiques traditionnels qu'elles considéraient alors comme " machistes ".
Je me souviens aussi de la bataille qu'a constituée, au milieu des années 1970, la loi Veil. J'ai encore en mémoire ce débat retransmis en direct à la télévision. Et je me souviens des images de Simone Veil dans cet hémicycle. Elles ont marqué notre génération.
La loi Veil demeure un texte majeur de l'histoire de notre République ; il a été voté grâce à une inhabituelle alliance entre moins d'un tiers de députés de la majorité (UDR), la moitié des centristes et la quasi-totalité des socialistes, radicaux de gauche et communistes.
La défense des droits des femmes devrait dépasser d'une certaine façon, les clivages politiques. Dans les réunions du MLF aux Beaux Arts, dans les meetings de Choisir, au procès de Bobigny ou d'Aix, au MLAC, et encore aujourd'hui à la CADAC ou dans l'association " Les Chiennes de garde ", beaucoup des femmes n'appartiennent pas a un groupe ou a un parti : les femmes qui s'engagent sont avant tout " femmes ".
C'est la raison pour laquelle j'espère que nos discussions d'aujourd'hui se dérouleront dans un climat de tolérance et de respect mutuel.
1- Lutter contre la survenue de grossesses non désirées est une priorité de santé publique.
Dans notre débat aujourd'hui nous ne devons jamais perdre de vue que les problèmes que nous évoquons concernent souvent des femmes très jeunes, que ce sont souvent des jeunes filles en difficulté et que ces problèmes touchent leur vie privée et concernent leur intimité.
Il ne faut jamais oublier non plus que pour une femme mettre un enfant au monde est un événement trop important pour que chacun et chacune d'entre nous ne soit pas intimement convaincu de la nécessité d'éviter à nos filles la survenue d'une grossesse non désirée.
Elles peuvent conduire, dans certains cas, à de véritables drames humains.
La majeure partie de ces grossesses se concluent par une interruption, dont on sait le traumatisme qu'elle représente, pour les femmes majeures et ô combien pour les mineures. On ne le redira jamais assez.
Les dernières statistiques ne sont guère rassurantes :
- 10 000 grossesses non désirées chaque année chez les mineures,
- dont 7 000 aboutissent à une IVG,
- un taux de recours à l'IVG qui a plutôt tendance à augmenter chez les 15-18 ans : il est passé de 6 pour 1 000 à 7 pour 1 000 entre 1990 et 1997.
Il s'agit là d'une situation dont nous ne pouvons nous satisfaire en termes de santé publique et qui justifie que toutes les mesures soient prises pour faciliter l'accès de ces femmes aux progrès récents faits en matière de contraception.
C'est le sens de la politique active et résolue que nous avons engagée en faveur de la contraception. Permettez que je vous en rappelle ici les principaux éléments :
Alors qu'il n'y en avait pas eu depuis 1982, nous avons lancé en janvier dernier une vaste campagne d'information sur ce sujet.
- une campagne de plus de 20 millions de francs ;
- prenant pour cible privilégiée les populations les plus vulnérables : les jeunes, les femmes des zones rurales ou appartenant aux gens du voyage, les femmes en difficulté d'insertion sociale ou économique ;
- la campagne médias a été relayée par plus d'un millier d'initiatives locales, ayant pour objectif une information de proximité sur la contraception, à partir d'un guide de poche, diffusé à plus de 12 millions d'exemplaires, notamment dans les collèges et lycées.
Surtout, le Premier ministre, conscient de la nécessité de réitérer année après année l'information sur la contraception, notamment pour qu'elle puisse toucher les nouvelles générations d'adolescents concernés a accepté le principe d'une campagne régulière en faveur de la contraception.
Dans le domaine de l'information, l'effort doit en effet être constant et la vigilance permanente.
Nos efforts en faveur de la contraception ne se sont pas résumés à la campagne sur la contraception.
J'ai aussi uvré, vous le savez, pour prendre toutes dispositions visant à faciliter l'accès de toutes les femmes à l'ensemble des contraceptifs disponibles sur le marché.
Je ne m'étends pas sur les efforts que nous avons déployés, il y a plus d'un an maintenant, pour inciter à la mise sur le marché des premières pilules du lendemain, la tétragynon d'une part, le lévonorgestrel-Norlevo, d'autre part.
J'ai été amenée à discuter avec le laboratoire qui commercialise le Norlevo et a bénéficié, soit dit en passant, d'une formidable opération publicitaire gratuite de notre part.
Il y a quelques semaines, ce laboratoire a brutalement décidé d'augmenter son prix en pharmacie de près de 20 %, le faisant passer de 55 F à plus de 65 F. Mes arguments ont dû le convaincre car il a rapidement accepté de revenir à son prix antérieur.
Je me félicite que mes arguments aient été entendus et qu'une solution " amiable " ait pu être trouvée. Je rappellerai cependant que la législation en vigueur aurait, de toute façon, permis d'arriver au but recherché. En effet, l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la liberté des prix et la concurrence permet de fixer par voie réglementaire le prix des produits en situation de monopole, ce qui est aujourd'hui le cas du Norlevo.
Jusqu'à il y a quelques jours encore, le recours au stérilet était pénalisé pour des raisons financières. Le prix de vente au public était libre et se situait aux alentours de 300 F, le remboursement par la Sécurité Sociale étant lui limité à 44 F. Depuis le 29 août dernier, un prix maximal de vente au public a été fixé, sur la base duquel l'assurée est remboursée à 65 % par la Sécurité sociale.
Grâce à cette opération, le reste à charge pour les femmes ne sera plus que de 50 F environ, alors qu'il pouvait atteindre plus de 250 F. Je vous rappelle, par ailleurs, que les stérilets sont pris en charge à 100 % pour les bénéficiaires de la couverture maladie universelle.
Je ne reviens pas sur la pilule de 3ème génération. J'en ai parlé hier en réponse à ma question.
Nous attendons les résultats d'une étude de l'Agence Européenne du Médicament sur d'éventuels risques associés à cette pilule.
La facilitation de l'accès des adolescentes à la contraception d'urgence dans les établissements scolaires procède de la même volonté politique.
C'était le sens du dispositif d'accès au Norlevo dans les collèges et les lycées prévu par Ségolène Royal, c'est le sens de l'instruction que Jack Lang vient d'adresser à tous les recteurs, inspecteurs d'académie, directeurs départementaux de l'éducation nationale et chefs d'établissements publics locaux d'enseignement, dans l'attente d'une base légale incontestable.
C'est enfin le sens de la proposition de loi dont vous avez à débattre aujourd'hui et dont le Gouvernement se réjouit.
2- La contraception d'urgence est une innovation en matière de contraception.
Dans le champ de la contraception, le fait de disposer d'une contraception d'urgence est une réelle innovation, susceptible de faire reculer significativement le nombre de grossesses non désirées et d'IVG.
La contraception d'urgence est une " pilule du lendemain ", susceptible de réduire considérablement le risque de grossesse lié à un rapport sexuel non ou mal protégé.
Aucune contraception de ce genre n'était disponible en France jusqu'il y a quelques mois. La situation est différente aujourd'hui puisque grâce, notamment à l'insistance des pouvoirs publics, deux pilules du lendemain sont désormais sur le marché.
Ces deux produits peuvent être pris sans examen gynécologique préalable. Surtout, il faut insister sur le fait qu'ils sont d'autant plus efficaces qu'ils sont pris précocement après le rapport non protégé.
En effet, leur efficacité diminue avec le temps : ainsi du Norlevo par exemple, qui est efficace à 95 % dans les 24 premières heures et à 58 % seulement entre la 48ème et la 72ème heure.
Permettez-moi d'insister sur ces deux caractéristiques tout à fait particulières du Norlevo : son innocuité d'une part, son efficacité fortement dépendante du temps d'autre part.
Ce sont ces deux caractéristiques qui nous ont conduits à décider conformément à l'avis de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), que l'accès au Norlevo pourrait se faire sans prescription médicale.
Le Tétragynon est officiellement sur le marché depuis décembre 1998 et le Norlevo depuis juin 1999. Plus de 500 000 boîtes de Norlevo ont été vendues à ce jour, ce qui confirme la réelle attente des femmes vis-à-vis de cette pilule d'urgence.
Le recul n'est pas suffisant pour savoir quelles en seront les conséquences sur le recours à l'IVG. Mais nous en espérons les mêmes résultats que ceux qu'ont obtenu nos voisins : un recul important.
En Finlande par exemple, le taux de recours à l'IVG était particulièrement élevé dans les années 80 (supérieur à 20 femmes pour 1 000) ; il a diminué de plus de 50 % sur les dix années qui ont suivi la mise sur le marché de la pilule du lendemain. Aujourd'hui, le taux de recours est inférieur à 9 femmes pour 1000 (chiffre 1997).
Quant au taux de recours aux contraceptifs classiques, alors qu'il n'est que de 80 % chez nous, il est aujourd'hui de 95 %, tous âges confondus, en Finlande. Ce bon score est en partie lié, disent les experts, au fait que l'accès à la pilule du lendemain favorise l'efficacité de la politique globale en faveur de la contraception.
Dans les pays où elle est disponible, elle n'a jamais diminué le recours à la contraception classique, bien au contraire. Elle favorise la prise de conscience que la contraception est instrument de liberté et de maîtrise de son destin. Elle favorise aussi le dialogue : à l'occasion du recours à la contraception d'urgence, les femmes parlent de leur angoisse d'une grossesse non désirée et de leurs interrogations sur la contraception.
3- Le texte adopté par la Commission, Mesdames les Rapporteuses, introduit en un article unique trois exceptions à la législation actuelle sur les contraceptifs, en faveur du seul Norlevo.
D'abord il réaffirme qu'une prescription médicale n'est pas nécessaire à son obtention.
Cette précision est nécessaire tant que nous n'aurons pas révisé l'ensemble de la loi de 1967 relative à la régulation des naissances. En effet, celle-ci confère un statut particulier aux contraceptifs, qui n'a plus lieu d'être puisque nous disposons maintenant d'une législation d'ensemble sur les médicaments.
En attendant, la disposition qu'introduit la proposition de loi d'aujourd'hui met en conformité les conditions d'accès au Norlevo avec notre droit commun du médicament : elle permet que la décision prise par le Gouvernement sur proposition du directeur de l'agence en charge du médicament s'applique de plein droit : le Norlevo est accessible sans prescription médicale.
Il est du reste le seul contraceptif à ce jour, accessible sans prescription médicale. Au-delà de son effet contraceptif d'urgence, il est innovant également à ce titre. Nous en suivrons les conséquences avec intérêt. Car, pour la première fois, ce sont les femmes qui décident elles-mêmes de " s'auto-prescrire " une contraception.
Or. toutes les études le disent, plus l'accès à la contraception est libre, plus les femmes s'approprient la responsabilité de son contrôle, et moins il y a d'IVG. L'intérêt de cet accès sans ordonnance du Norlevo n'est donc pas seulement d'éviter les délais liés à l'obligation de prendre rendez-vous chez un médecin. Il est aussi de rendre les femmes plus autonomes et donc plus responsables vis-à-vis de la maîtrise de leur sexualité et de leur fécondité.
Les deux autres aménagements introduits par la proposition de loi, Mesdames les Rapporteuses, autorisent l'accès libre des mineures au Norlevo et son administration par les infirmières en milieu scolaire.
Le Gouvernement est très favorable à ces dispositions, ce n'est pas un mystère. Je vous l'ai dit, notre objectif - partagé avec vous - est tout particulièrement d'arriver à faire reculer la fréquence de survenue des grossesses non désirées chez les jeunes adolescentes.
Or ces jeunes forment une population particulièrement vulnérable à cet égard, du fait de leur grande fertilité et de leur plus faible connaissance des risques encourus lors des relations sexuelles.
Le premier argument qui incite à ouvrir la possibilité pour les infirmières d'administrer le Norlevo aux adolescentes dans les établissements scolaires est lié aux conditions de son efficacité. Je vous l'ai dit, le Norlevo est d'autant plus efficace pour éviter le risque de grossesse qu'il est pris précocement.
Son administration en urgence par une infirmière intervenant en milieu scolaire peut permettre de gagner plusieurs heures sur le délai qui serait sinon nécessaire à la jeune fille pour se procurer ce médicament.
Un deuxième argument milite dans le sens de votre initiative. La pilule du lendemain permet de faire progresser notre politique d'éducation à la santé et à la sexualité. Les experts ne cessent de nous le répéter : il faut parler de sexualité avec les jeunes adolescents, si l'on veut faire reculer le nombre de grossesses non désirées.
Or, les enquêtes et les témoignages des infirmières scolaires le prouvent : les adolescents ont souvent moins de mal à nouer un dialogue autour de ces questions avec les infirmières, au collège, qu'avec les parents, a la maison.
Ségolène Royal reviendra tout à l'heure sur le rôle des infirmières scolaires et sur le renforcement de leur nombre.
Là encore, la pilule du lendemain sert de vecteur à l'éducation sexuelle et à l'information sur la contraception.
Je souhaite pour toutes ces raisons vivement que ce texte recueille un vote largement positif, sur tous les bancs de cette assemblée.
Nous saurons accompagner cette réforme par les mesures complémentaires qui sont nécessaires. Pour cela, il conviendra notamment de mettre en place des actions de formation à la contraception d'urgence en direction des professionnels de la santé les plus concernés, particulièrement les infirmières travaillant en milieu scolaire. Un projet de formation est en cours d'élaboration dans cet esprit avec la collaboration du Planning Familial.
Vingt-cinq années depuis l'adoption de la loi Veil. Bien des choses. ont changé dans notre pays pour les femmes. Avec le recul, on peut même affirmer que le féminisme et les droits des femmes furent parmi les évolutions les plus importantes qu'aient connues notre pays dans la seconde moitié du vingtième siècle. Mais nous savons aussi que les droits des femmes ne sont jamais acquis.
Aujourd'hui, les femmes ministres qui sont au banc du Gouvernement sont fières de contribuer avec vous à perpétuer ce mouvement à travers la modernisation de la loi et d'inscrire ainsi l'action du Gouvernement dans la continuité des luttes en faveur des droits des femmes.
Mesdames et Messieurs, je vous remercie.


(source http://www.sante.gouv.fr, le 11 octobre 2000)