Texte intégral
Q - Monsieur Douste-Blazy, bonjour. L'image de la France a pris un mauvais coup, la presse internationale a présenté - chaque pays à sa manière - les émeutes dans les banlieues comme une insurrection sociale, ethnique, raciale, contre un pouvoir dépassé et répressif. Qu'en pensez-vous et que pouvez-vous faire ?
R - D'abord, il ne faut pas caricaturer ce qui a été dit. On le fait souvent en France, on se caricature nous-mêmes. Lorsqu'on lit les éditoriaux, on voit bien qu'ils ont tous dit que cela peut arriver à tous et c'est vrai.
De plus, depuis quelques jours, on parle beaucoup de la décrue et du sondage qui montre que trois Français sur quatre sont derrière Dominique de Villepin, derrière le couvre-feu et derrière les mesures fermes pour faire revenir l'esprit des valeurs de la République partout. Mais il est vrai qu'il y a un problème d'image à cause des émeutes.
Q - Quelques envoyés spéciaux à Aulnay-sous-Bois ou Clichy-sous-Bois qui étaient en tenue de combat, comme à Bagdad, ils évoluent maintenant alors ?
R - Vous ne pouvez pas en vouloir à vos confrères et à un pays comme le nôtre d'avoir une liberté d'expression totale.
Q - Pas du tout, on les y encourage au contraire !
R - Oui, voilà ! Je ne sais pas s'il faut les encourager à être en treillis à Clichy-sous-bois, mais ils sont là pour regarder. Nous avons fait deux choses : nous avons d'abord rencontré tous les correspondants de presse des journaux étrangers en France. Jeudi matin, j'ai pu avoir un long entretien de plusieurs heures pour présenter les mesures du gouvernement. Par ailleurs, j'ai demandé à tous les ambassadeurs d'être présents sur les ondes, dans les journaux et à la télévision dans leur pays.
Q - Les membres du gouvernement, le Premier ministre sur les télévisions américaines, cela ne s'imagine pas ?
R - S'il y a des propositions, nous le ferons et nous serons présents sur les télévisions ou autres pour expliquer quelle politique nous menons, quels sont les sujets que nous abordons, les problèmes d'intégration qui ne sont pas propres à la France mais qui existent dans de nombreux pays dans lesquels il y a eu, en particulier, des flux d'immigration.
Q - Nicolas Sarkozy a décidé d'expulser des étrangers pris en flagrant délit dans ces émeutes vers leur pays d'origine. Le Quai d'Orsay, c'est vous. Négociez-vous avec ces pays d'origine ?
R - Ce qu'il y a, c'est une politique de l'immigration en général qu'il faut mener et là, il y a deux possibilités :
D'abord, une agence mise en place au niveau européen qui préfigure une police européenne des frontières. C'est vrai qu'il faut être solidaire avec des pays comme l'Espagne. Il faut regarder ce qui se passe au Maroc, ne pas laisser ces deux pays seuls. Oui, c'est le problème de tous les Européens ce qui s'est passé à Ceuta et Melilla.
De plus, ce n'est pas avec des mitraillettes seules que nous y arriverons. Ce n'est pas la politique sécuritaire seule qui empêchera des centaines ou des millions de personnes venues du Sahel, de traverser les pays du Maghreb, qui deviennent des pays de transit aujourd'hui, pour entrer en Europe. C'est avec une politique du co-développement, un outil financier très spécial, dont nous parlerons à Barcelone à la fin du mois quand les chefs d'Etat et de gouvernement s'y retrouveront. Nous ne pouvons pas laisser les problèmes de l'immigration dans cet état.
Oui, ceux qui sont délictueux, ceux qui ont commis des crimes doivent repartir chez eux, mais ça, c'est une politique générale.
Q - Ce n'est donc pas la peine de les renvoyer, de les expulser brutalement ?
R - A une seule condition, c'est qu'il n'y a qu'une loi. Il ne peut pas y avoir un Français qui a commis un crime ou un délit en France et qui serait traité d'une certaine manière et un étranger en situation régulière, je dis bien régulière, qui serait traité d'une autre manière.
Q - Un mot, vous avez parlé du Sahel. Est-il vrai qu'il héberge, aujourd'hui, des camps d'entraînement de terroristes ?
R - En tout cas, tous les services de renseignement montrent que plus on laissera le désespoir envahir l'Afrique et en particulier le Sahel, plus il y aura d'hommes et de femmes qui seront mal intentionnés et qui vont profiter de ce désespoir pour envoyer des gosses de 18 ou 20 ans, avec des bombes à leur ceinture, à Londres, à Paris, à Madrid ou à New York.
C'est comme cela. Non seulement moralement mais éthiquement, il faut régler ce problème, il faut aider, c'est ce que le président Chirac fait grâce à ses propositions de financements innovants pour la pauvreté, le sida, la tuberculose et le paludisme, mais c'est surtout ce que nous devons faire aussi si on n'est pas bêtes, idiots, car on risque un effet de boomerang très vite.
Q - Dans le grand rendez-vous d'Europe1-TV5 d'hier, M. Barroso a appelé Tony Blair à un compromis sur le chèque rabais, obtenu en 1984 par Mme Thatcher. "Il ne se justifie plus aujourd'hui" a-t-il dit. Tony Blair doit accepter d'actualiser le rabais. Etes-vous d'accord avec M. Barroso qui, en plus, est venu le dire à Paris ?
R - Il a tout à fait raison, les perspectives financières de l'Union européenne sont urgentes à trouver. Ce sont les Britanniques qui ont, aujourd'hui, la clef de la solution avec leur chèque. On n'en sortira pas sans "actualiser le chèque", comme dit M. Barroso. Il s'agit d'un moment décisif pour Tony Blair qui doit ici prouver ce qu'il est, c'est-à-dire un grand Européen. Sa stature européenne est en jeu.
Cela est nécessaire. Pourquoi ? Parce que c'est l'argent de l'élargissement à l'Est. Nous ne pouvons pas avoir accueilli tous ces pays de l'Est, leur avoir dit que les dictatures étaient terminées, qu'ils sont enfin à la table européenne et, maintenant, discuter entre nous sur quelques euros, alors qu'eux attendent pour enfin se développer.
Q - C'est bien que l'Union européenne et M. Barroso fassent pression sur les Britanniques et Tony Blair ?
R - Mais les Britanniques font partie de l'Europe, il est donc normal de dire aujourd'hui à la présidence du Conseil que nous devons avoir un budget 2007-2013. Nous avons décidé de donner 11 milliards d'euros de plus pour financer l'élargissement. Tous les pays paient, il n'y a aucune raison que l'un d'entre eux, le Royaume-Uni, non seulement ne paie pas, mais gagne un peu sur le nouveau paquet financier. Cela n'est pas possible, la solidarité européenne cela existe.
Q - Le président de la Commission de Bruxelles voit des risques d'échecs partout, on l'entendait hier, y compris à Hong Kong pour la conférence de l'OMC, qui concernent nos intérêts industriels, intellectuels et agricoles. Selon vous, y a-t-il ce risque aussi ?
R - Bien sûr, il y a l'Europe d'un côté qui fait des propositions en particulier sur le plan agricole et, en face, vous avez les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil qui n'en font pas.
Nous acceptons de faire des propositions à condition qu'en face, nous puissions y trouver aussi des intérêts.
Q - Vous parlez comme M. Barroso, M. Barroso parle comme vous, c'est une nouveauté ?
R - En tout cas, comme le président à Hampton Court, récemment au Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, je crois que c'est le bon sens, il n'y a pas de raison que l'Europe soit la seule, soit le banquier de l'OMC.
Un mot de plus qui est directement lié à ce que nous disions sur l'immigration. Le cycle de Doha, l'OMC doit être, avant tout, le cycle du développement pour aider les pays pauvres. Les propositions que font les Européens aident les pays pauvres. 85 % des exportations agricoles des pays pauvres viennent dans l'Union européenne. Alors, avant de nous faire des leçons sur l'OMC, qu'ils commencent à prendre les mêmes dispositions que nous sur l'agriculture et ensuite, nous en discuterons !
Q - Et ce matin, Monsieur Douste-Blazy, confirmez-vous la menace d'un éventuel veto de la France et qu'il demeure pour Hong Kong ou alors la politique de la chaise vide ?
R - Non, la France souhaite qu'il y ait un accord à Hong Kong. La France souhaite que les négociations se déroulent correctement, mais la France, comme les autres pays européens, veut qu'en face des propositions que nous faisons, nos partenaires en fassent aussi. Il n'y a aucune raison que les industriels français, que les services français ne soient pas servis aussi à l'OMC.
Q - Vous avez reçu, cette nuit au Quai d'Orsay, Paul Wolfowitz, reconverti à la tête de la Banque mondiale qui fera une conférence de presse à 8h30 avec vous et le Docteur Lee qui est le directeur général de l'OMS. Je lis que vous allez parler du sida, du paludisme, de la tuberculose, ceci veut-il dire qu'aujourd'hui, les problèmes de santé sont des problèmes diplomatiques ?
R - La diplomatie internationale comprend au moins deux énormes sujets aujourd'hui, les problèmes de l'énergie - et c'est là où le nucléaire civil et la France a un rôle majeur à jouer, et, bien sûr, le pétrole, le gaz - et de l'autre, tous les problèmes de santé. Le développement aujourd'hui, 4/5 de la population est de plus en plus pauvre, 4/5 de la population est dans le dénuement le plus strict. Pourquoi ? Parce qu'essentiellement il n'y a pas de système de santé publique. On peut, aujourd'hui, donner des médicaments à un million de personnes dans le Sud pour le sida, alors qu'il faudrait en donner à 6 millions de personnes.
Q - Ces populations africaines et pauvres sont malades, elles n'ont ni médecins, ni médicaments.
R - Exactement ! Et jusqu'à quel point pouvons-nous continuer ainsi ?
Hier soir, au Quai d'Orsay, nous avons tenu une réunion informelle entre le directeur général de l'OMS, le Docteur Lee, le président de la Banque mondiale, M. Wolfowitz et le Fonds mondial du sida, et c'était la première fois.
Ce ne sont pas des problèmes exclusivement médico-techniques, il y avait également Xavier Bertrand, ministre de la Santé. Nous étions ensemble pour parler de diplomatie. Que faire aujourd'hui ? Est-ce qu'on a le droit...
Q - Oui, que faire ? Le résultat, dites-nous ?
R - Je vais vous le dire : plutôt que d'avoir une approche purement américaine qui est bilatérale - "moi, Etats-Unis, je vais essayer de signer un contrat avec tel pays africain qui ne peut pas vraiment se battre à armes égales avec moi, je vais leur donner des médicaments et en face, moi je vais demander des marchés". Cela, ce n'est pas l'approche française.
L'approche française, c'est une approche multilatérale. Nous allons décider tous ensemble, en particulier, sur des financements innovants. Pourquoi ne pas donner 2, 5 ou 10 euros par billet d'avion lorsque l'on fait un voyage international ?
Cet argent-là, dans tous les pays du monde arrivera dans une centrale d'achat, avec cela, nous pourrons baisser le prix des médicaments.
Q - A partir de quand ?
R - La grande réunion se fera autour de Jacques Chirac à la mi-février pour savoir quel est le nombre de pays qui viennent avec nous et ensuite, nous ferons des propositions concrètes car, plus les médicaments seront faibles en coût, plus nous pourrons soigner de personnes.
Q - On peut donc utiliser les génériques ?
R - Oui, mais tout cela est basé sur les génériques.
Q - A Tunis, un journaliste du journal "Libération", Christophe Boltanski a été agressé, blessé par quatre individus dont ce doit être le rôle de surveiller au moins les observateurs des Droits de l'Homme et la liberté d'expression, en Tunisie qu'est-ce que vous faites ?
R - Je vous dis très franchement, j'ai fait savoir hier aux autorités tunisiennes, à Paris comme à Tunis, que nous comptons sur elles pour faire toute la lumière sur l'agression de ce journaliste et nous leur avons demandé de nous tenir informés minute par minute de cette enquête et j'ai souligné à cette occasion la nécessité d'assurer la sécurité des représentants de la presse à la veille de l'ouverture du Sommet mondial de la société de l'information en Tunisie.
J'ai dit, lorsque j'étais là-bas, que les Droits de l'Homme devaient être respectés dans tous les pays du monde.
Q - Oui, mais c'est une gageure d'organiser là-bas, dans ces conditions, et de faire cautionner par l'ONU, une conférence sur la liberté de la presse, alors que le régime "tabasse" la presse, qu'il enferme des internautes ?
R - C'est la raison pour laquelle j'ai non seulement demandé qu'il y ait cette enquête mais que je sois informé, personnellement, de cette enquête jour après jour.
Q - N'y a-t-il pas un risque de demander au régime tunisien de vous informer alors que c'est lui qui décide de "tabasser" ?
R - Déjà, pouvoir le faire internationalement, il y a un communiqué de presse.
Q - Sauf s'ils démontrent le contraire bien sûr ?
R - Sauf de pouvoir le faire internationalement et le dire, c'est déjà montrer l'importance que la France porte aux Droits de l'Homme et en particulier à la liberté d'expression, ce que j'ai fait dans une conférence de presse en Tunisie lorsque j'y étais. Il y a longtemps que cela n'avait pas été fait.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2005)
R - D'abord, il ne faut pas caricaturer ce qui a été dit. On le fait souvent en France, on se caricature nous-mêmes. Lorsqu'on lit les éditoriaux, on voit bien qu'ils ont tous dit que cela peut arriver à tous et c'est vrai.
De plus, depuis quelques jours, on parle beaucoup de la décrue et du sondage qui montre que trois Français sur quatre sont derrière Dominique de Villepin, derrière le couvre-feu et derrière les mesures fermes pour faire revenir l'esprit des valeurs de la République partout. Mais il est vrai qu'il y a un problème d'image à cause des émeutes.
Q - Quelques envoyés spéciaux à Aulnay-sous-Bois ou Clichy-sous-Bois qui étaient en tenue de combat, comme à Bagdad, ils évoluent maintenant alors ?
R - Vous ne pouvez pas en vouloir à vos confrères et à un pays comme le nôtre d'avoir une liberté d'expression totale.
Q - Pas du tout, on les y encourage au contraire !
R - Oui, voilà ! Je ne sais pas s'il faut les encourager à être en treillis à Clichy-sous-bois, mais ils sont là pour regarder. Nous avons fait deux choses : nous avons d'abord rencontré tous les correspondants de presse des journaux étrangers en France. Jeudi matin, j'ai pu avoir un long entretien de plusieurs heures pour présenter les mesures du gouvernement. Par ailleurs, j'ai demandé à tous les ambassadeurs d'être présents sur les ondes, dans les journaux et à la télévision dans leur pays.
Q - Les membres du gouvernement, le Premier ministre sur les télévisions américaines, cela ne s'imagine pas ?
R - S'il y a des propositions, nous le ferons et nous serons présents sur les télévisions ou autres pour expliquer quelle politique nous menons, quels sont les sujets que nous abordons, les problèmes d'intégration qui ne sont pas propres à la France mais qui existent dans de nombreux pays dans lesquels il y a eu, en particulier, des flux d'immigration.
Q - Nicolas Sarkozy a décidé d'expulser des étrangers pris en flagrant délit dans ces émeutes vers leur pays d'origine. Le Quai d'Orsay, c'est vous. Négociez-vous avec ces pays d'origine ?
R - Ce qu'il y a, c'est une politique de l'immigration en général qu'il faut mener et là, il y a deux possibilités :
D'abord, une agence mise en place au niveau européen qui préfigure une police européenne des frontières. C'est vrai qu'il faut être solidaire avec des pays comme l'Espagne. Il faut regarder ce qui se passe au Maroc, ne pas laisser ces deux pays seuls. Oui, c'est le problème de tous les Européens ce qui s'est passé à Ceuta et Melilla.
De plus, ce n'est pas avec des mitraillettes seules que nous y arriverons. Ce n'est pas la politique sécuritaire seule qui empêchera des centaines ou des millions de personnes venues du Sahel, de traverser les pays du Maghreb, qui deviennent des pays de transit aujourd'hui, pour entrer en Europe. C'est avec une politique du co-développement, un outil financier très spécial, dont nous parlerons à Barcelone à la fin du mois quand les chefs d'Etat et de gouvernement s'y retrouveront. Nous ne pouvons pas laisser les problèmes de l'immigration dans cet état.
Oui, ceux qui sont délictueux, ceux qui ont commis des crimes doivent repartir chez eux, mais ça, c'est une politique générale.
Q - Ce n'est donc pas la peine de les renvoyer, de les expulser brutalement ?
R - A une seule condition, c'est qu'il n'y a qu'une loi. Il ne peut pas y avoir un Français qui a commis un crime ou un délit en France et qui serait traité d'une certaine manière et un étranger en situation régulière, je dis bien régulière, qui serait traité d'une autre manière.
Q - Un mot, vous avez parlé du Sahel. Est-il vrai qu'il héberge, aujourd'hui, des camps d'entraînement de terroristes ?
R - En tout cas, tous les services de renseignement montrent que plus on laissera le désespoir envahir l'Afrique et en particulier le Sahel, plus il y aura d'hommes et de femmes qui seront mal intentionnés et qui vont profiter de ce désespoir pour envoyer des gosses de 18 ou 20 ans, avec des bombes à leur ceinture, à Londres, à Paris, à Madrid ou à New York.
C'est comme cela. Non seulement moralement mais éthiquement, il faut régler ce problème, il faut aider, c'est ce que le président Chirac fait grâce à ses propositions de financements innovants pour la pauvreté, le sida, la tuberculose et le paludisme, mais c'est surtout ce que nous devons faire aussi si on n'est pas bêtes, idiots, car on risque un effet de boomerang très vite.
Q - Dans le grand rendez-vous d'Europe1-TV5 d'hier, M. Barroso a appelé Tony Blair à un compromis sur le chèque rabais, obtenu en 1984 par Mme Thatcher. "Il ne se justifie plus aujourd'hui" a-t-il dit. Tony Blair doit accepter d'actualiser le rabais. Etes-vous d'accord avec M. Barroso qui, en plus, est venu le dire à Paris ?
R - Il a tout à fait raison, les perspectives financières de l'Union européenne sont urgentes à trouver. Ce sont les Britanniques qui ont, aujourd'hui, la clef de la solution avec leur chèque. On n'en sortira pas sans "actualiser le chèque", comme dit M. Barroso. Il s'agit d'un moment décisif pour Tony Blair qui doit ici prouver ce qu'il est, c'est-à-dire un grand Européen. Sa stature européenne est en jeu.
Cela est nécessaire. Pourquoi ? Parce que c'est l'argent de l'élargissement à l'Est. Nous ne pouvons pas avoir accueilli tous ces pays de l'Est, leur avoir dit que les dictatures étaient terminées, qu'ils sont enfin à la table européenne et, maintenant, discuter entre nous sur quelques euros, alors qu'eux attendent pour enfin se développer.
Q - C'est bien que l'Union européenne et M. Barroso fassent pression sur les Britanniques et Tony Blair ?
R - Mais les Britanniques font partie de l'Europe, il est donc normal de dire aujourd'hui à la présidence du Conseil que nous devons avoir un budget 2007-2013. Nous avons décidé de donner 11 milliards d'euros de plus pour financer l'élargissement. Tous les pays paient, il n'y a aucune raison que l'un d'entre eux, le Royaume-Uni, non seulement ne paie pas, mais gagne un peu sur le nouveau paquet financier. Cela n'est pas possible, la solidarité européenne cela existe.
Q - Le président de la Commission de Bruxelles voit des risques d'échecs partout, on l'entendait hier, y compris à Hong Kong pour la conférence de l'OMC, qui concernent nos intérêts industriels, intellectuels et agricoles. Selon vous, y a-t-il ce risque aussi ?
R - Bien sûr, il y a l'Europe d'un côté qui fait des propositions en particulier sur le plan agricole et, en face, vous avez les Etats-Unis, l'Inde, le Brésil qui n'en font pas.
Nous acceptons de faire des propositions à condition qu'en face, nous puissions y trouver aussi des intérêts.
Q - Vous parlez comme M. Barroso, M. Barroso parle comme vous, c'est une nouveauté ?
R - En tout cas, comme le président à Hampton Court, récemment au Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement, je crois que c'est le bon sens, il n'y a pas de raison que l'Europe soit la seule, soit le banquier de l'OMC.
Un mot de plus qui est directement lié à ce que nous disions sur l'immigration. Le cycle de Doha, l'OMC doit être, avant tout, le cycle du développement pour aider les pays pauvres. Les propositions que font les Européens aident les pays pauvres. 85 % des exportations agricoles des pays pauvres viennent dans l'Union européenne. Alors, avant de nous faire des leçons sur l'OMC, qu'ils commencent à prendre les mêmes dispositions que nous sur l'agriculture et ensuite, nous en discuterons !
Q - Et ce matin, Monsieur Douste-Blazy, confirmez-vous la menace d'un éventuel veto de la France et qu'il demeure pour Hong Kong ou alors la politique de la chaise vide ?
R - Non, la France souhaite qu'il y ait un accord à Hong Kong. La France souhaite que les négociations se déroulent correctement, mais la France, comme les autres pays européens, veut qu'en face des propositions que nous faisons, nos partenaires en fassent aussi. Il n'y a aucune raison que les industriels français, que les services français ne soient pas servis aussi à l'OMC.
Q - Vous avez reçu, cette nuit au Quai d'Orsay, Paul Wolfowitz, reconverti à la tête de la Banque mondiale qui fera une conférence de presse à 8h30 avec vous et le Docteur Lee qui est le directeur général de l'OMS. Je lis que vous allez parler du sida, du paludisme, de la tuberculose, ceci veut-il dire qu'aujourd'hui, les problèmes de santé sont des problèmes diplomatiques ?
R - La diplomatie internationale comprend au moins deux énormes sujets aujourd'hui, les problèmes de l'énergie - et c'est là où le nucléaire civil et la France a un rôle majeur à jouer, et, bien sûr, le pétrole, le gaz - et de l'autre, tous les problèmes de santé. Le développement aujourd'hui, 4/5 de la population est de plus en plus pauvre, 4/5 de la population est dans le dénuement le plus strict. Pourquoi ? Parce qu'essentiellement il n'y a pas de système de santé publique. On peut, aujourd'hui, donner des médicaments à un million de personnes dans le Sud pour le sida, alors qu'il faudrait en donner à 6 millions de personnes.
Q - Ces populations africaines et pauvres sont malades, elles n'ont ni médecins, ni médicaments.
R - Exactement ! Et jusqu'à quel point pouvons-nous continuer ainsi ?
Hier soir, au Quai d'Orsay, nous avons tenu une réunion informelle entre le directeur général de l'OMS, le Docteur Lee, le président de la Banque mondiale, M. Wolfowitz et le Fonds mondial du sida, et c'était la première fois.
Ce ne sont pas des problèmes exclusivement médico-techniques, il y avait également Xavier Bertrand, ministre de la Santé. Nous étions ensemble pour parler de diplomatie. Que faire aujourd'hui ? Est-ce qu'on a le droit...
Q - Oui, que faire ? Le résultat, dites-nous ?
R - Je vais vous le dire : plutôt que d'avoir une approche purement américaine qui est bilatérale - "moi, Etats-Unis, je vais essayer de signer un contrat avec tel pays africain qui ne peut pas vraiment se battre à armes égales avec moi, je vais leur donner des médicaments et en face, moi je vais demander des marchés". Cela, ce n'est pas l'approche française.
L'approche française, c'est une approche multilatérale. Nous allons décider tous ensemble, en particulier, sur des financements innovants. Pourquoi ne pas donner 2, 5 ou 10 euros par billet d'avion lorsque l'on fait un voyage international ?
Cet argent-là, dans tous les pays du monde arrivera dans une centrale d'achat, avec cela, nous pourrons baisser le prix des médicaments.
Q - A partir de quand ?
R - La grande réunion se fera autour de Jacques Chirac à la mi-février pour savoir quel est le nombre de pays qui viennent avec nous et ensuite, nous ferons des propositions concrètes car, plus les médicaments seront faibles en coût, plus nous pourrons soigner de personnes.
Q - On peut donc utiliser les génériques ?
R - Oui, mais tout cela est basé sur les génériques.
Q - A Tunis, un journaliste du journal "Libération", Christophe Boltanski a été agressé, blessé par quatre individus dont ce doit être le rôle de surveiller au moins les observateurs des Droits de l'Homme et la liberté d'expression, en Tunisie qu'est-ce que vous faites ?
R - Je vous dis très franchement, j'ai fait savoir hier aux autorités tunisiennes, à Paris comme à Tunis, que nous comptons sur elles pour faire toute la lumière sur l'agression de ce journaliste et nous leur avons demandé de nous tenir informés minute par minute de cette enquête et j'ai souligné à cette occasion la nécessité d'assurer la sécurité des représentants de la presse à la veille de l'ouverture du Sommet mondial de la société de l'information en Tunisie.
J'ai dit, lorsque j'étais là-bas, que les Droits de l'Homme devaient être respectés dans tous les pays du monde.
Q - Oui, mais c'est une gageure d'organiser là-bas, dans ces conditions, et de faire cautionner par l'ONU, une conférence sur la liberté de la presse, alors que le régime "tabasse" la presse, qu'il enferme des internautes ?
R - C'est la raison pour laquelle j'ai non seulement demandé qu'il y ait cette enquête mais que je sois informé, personnellement, de cette enquête jour après jour.
Q - N'y a-t-il pas un risque de demander au régime tunisien de vous informer alors que c'est lui qui décide de "tabasser" ?
R - Déjà, pouvoir le faire internationalement, il y a un communiqué de presse.
Q - Sauf s'ils démontrent le contraire bien sûr ?
R - Sauf de pouvoir le faire internationalement et le dire, c'est déjà montrer l'importance que la France porte aux Droits de l'Homme et en particulier à la liberté d'expression, ce que j'ai fait dans une conférence de presse en Tunisie lorsque j'y étais. Il y a longtemps que cela n'avait pas été fait.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 novembre 2005)