Déclaration de M. Guy Hascoët, secrétaire d'Etat à l'économie solidaire, sur le projet de loi sur l'épargne salariale, notamment l'accès au crédit et aux fonds d'investissement des entreprises de l'économie solidaire, à l'Assemblée Nationale le 3 octobre 2000.

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Intervenant(s) : 
  • Guy Hascoët - Secrétaire d'Etat à l'économie solidaire

Circonstance : Présentation en première lecture de l'article 9 consacré à l'économie solidaire, à l'Assemblée Nationale le 3 octobre 2000

Texte intégral

Au moment où votre Assemblée va procéder à l'examen de l'article 9 du projet de loi, article qui porte sur l'économie solidaire, sans doute est-il utile d'en préciser les objectifs.
En effet, pourquoi évoquer l'économie solidaire dans un texte traitant de l'épargne salariale ?
Il existe, en fait, une forte proximité entre les mécanismes d'épargne salariale et le financement de l'économie solidaire, proximité mise en exergue dans leurs travaux par Jean-Pierre Balligand et Jean-Baptiste de Foucauld.
L'épargne salariale a pour caractéristique forte d'être collectée puis gérée de façon collective au sein de l'entreprise, le projet de loi offrant d'ailleurs aux salariés encore davantage de capacité de maîtrise de ces mécanismes de collecte et de gestion.
Les salariés ont donc leur mot à dire quant à l'utilisation de cette épargne, orientée en grande partie par les fonds communs de placement d'entreprise.
Dans le même temps, il est devenu banal de constater que les épargnants souhaitent " donner un sens " à leur épargne et en contrôler l'affectation, jusqu'au bénéficiaire final. Cela légitime la responsabilité forte confiée aux salariés, qui ont à débattre collectivement des lignes directrices du mandat confié à la société de gestion des fonds. Par exemple, les salariés de telle entreprise souhaiteront qu'une partie de leur épargne soit mobilisée en faveur de projets locaux de développement, projets dont ils peuvent aisément constater les réalisations, et qui souvent mobilisent les acteurs de l'économie solidaire.
Alors qui sont ces acteurs ?
Ce sont pour la plupart des unités économiques de taille petite ou moyenne, empruntant à diverses formes juridiques (association, coopérative, SARL, etc.) qui souhaitent mener des activités dégageant une forte utilité sociale et qui placent l'humain au cur du système économique. N'étant pas mues par la seule recherche du profit, bien que soucieuses de leur rentabilité économique et de leur capacité d'autofinancement, ces " entreprises solidaires " interviennent souvent dans des projets originaux, ou mobilisent des pratiques économiques et partenariales innovantes ou peu usitées. Et ceci toujours dans le but de renforcer, à l'occasion de la vie économique, le lien social, la proximité, la participation, bref le développement humain, c'est-à-dire tout ce qui garantit très concrètement le bien-être fondamental des individus dans une société organisée et solidaire.
Sur la base de cette " autre façon d'entreprendre ", les initiatives foisonnent et vous les voyez sans doute dans vos circonscriptions : services de proximité, protection de l'environnement, accès à l'emploi, soutien à la création d'activités, culture, commerce équitable, artisanat, agriculture biologique... Mais aussi : production de biens, construction, transports, crédit, distribution, recherche, bureaux d'études, formation, services sur l'internet... Aucun secteur n'est a priori exclu de l'économie solidaire !
Émerge ici une véritable " nouvelle économie ", mobilisatrice, responsable et dynamique, ou à tout le moins une nouvelle vision de l'économie, éloignée de l'image caricaturale et réductrice qu'on lui attribue parfois, d'économie du don ou d'économie de l'insertion.
Le problème est qu'à tort ou à raison, les financeurs traditionnels de l'économie voient dans ces démarches originales, humanistes, alternatives, une source de risques et de coûts supplémentaires. Il faut bien reconnaître ici que l'époque n'est pas à la reconnaissance de la pluralité des formes d'organisation économique. Seul le marché " standard " inspire la confiance, et encore !
Dès lors, les entreprises de l'économie solidaire, alors qu'elles sont foncièrement citoyennes, souffrent d'une discrimination dans l'accès au crédit et aux fonds d'investissement. Les ressources qui leur sont proposées -lorsqu'elles le sont- s'avèrent chères, instables et gourmandes en garanties de tous ordres.
D'où la pertinence d'aménager un " canal d'épargne ", depuis les dispositifs d'épargne salariale vers les entreprises de l'économie solidaire, via des " fonds solidaires ".
Permettez-moi de vous présenter en quelques mots les caractéristiques de ce canal d'épargne, telles que proposées dans l'article 9. Elles sont fort simples.
Les salariés se verront proposer, dans le cadre de leur plan d'épargne, une possibilité d'acquérir des parts de fonds solidaires, c'est-à-dire de FCPE dont l'actif est investi, pour une part pouvant varier entre 5 et 10% de leur portefeuille, dans l'économie solidaire.
Ces fonds disposeront de deux possibilités d'investissement.
Soit ils financeront directement des entreprises solidaires, telles que j'ai pu les décrire tout à l'heure, soit ils financeront des organismes financiers intermédiaires (ce peut être un autre fonds, ou un établissement de crédit solidaire), qui à leur tour financeront des entreprises solidaires, selon un schéma classique d'intermédiation.
Il me paraît important de mentionner qu'à partir de ces diverses combinaisons pourront naître des fonds locaux d'investissement ou de garantie, alimentés à titre principal par l'épargne salariale " locale ".
L'article propose une définition de l'entreprise solidaire, qui emprunte à plusieurs critères.
Tout d'abord, et cette caractéristique relève de l'évidence, l'entité ne doit pas émettre de titres donnant lieu à négociation sur un marché réglementé. En effet, l'objectif est d'apporter du financement aux entreprises qui n'en disposent pas ou peu. Ensuite, deux cas sont possibles.
Soit l'entreprise comprend dans ses effectifs au moins un tiers de personnes ayant connu de fortes difficultés d'accès à l'emploi. La référence est alors l'article L. 322-4-2 du code du travail, qui cite, notamment, les chômeurs de longue durée. L'article 9 prévoit aussi les personnes handicapées.
Soit, et c'est le second cas ouvrant droit à la qualité d'entreprise solidaire, l'entreprise est une société de personnes (association, coopérative, mutuelle, institution de prévoyance) ou une société de capitaux, mais dont les dirigeants sont désignés par voie élective. Ces sociétés de personnes et ces sociétés de capitaux devront en outre satisfaire une condition portant sur les salaires : aucun des salariés, adhérents, ou sociétaires relevant de l'entreprise ne doit recevoir une rémunération supérieure à 4 fois le SMIC.
Enfin, l'entreprise devra disposer d'un agrément ministériel pour être éligible à un financement par les fonds solidaires.
L'article 9 prévoit un mécanisme fiscal incitant à l'orientation de l'épargne vers les fonds solidaires. En l'état actuel du projet de loi, les entreprises soutenant l'effort d'épargne de leurs salariés en direction de ces fonds bénéficieront, au titre de cet abondement, d'une provision pour investissement au taux de 100%, en franchise d'impôt.
Vous aurez noté que le mécanisme décrit ici se veut simplement incitatif, et ne prévoit aucune obligation d'affecter une partie de l'épargne salariale aux fonds solidaires. Cette épargne appartient aux salariés. C'est à eux -et à eux seuls- qu'il appartient d'en décider l'affectation. Le financement de l'économie solidaire, par l'alimentation du " canal d'épargne " décrit tout à l'heure, résultera d'une démarche consciente de leur part.
Certes les besoins de financement de l'économie solidaire sont difficiles à évaluer, je dirais qu'ils se situent aujourd'hui, en fonction du périmètre choisi, entre quelques centaines de millions et plusieurs milliards de francs par an.
Si l'on retient comme hypothèse un flux annuel d'épargne salariale de 30 milliards de francs vers l'ensemble des plans d 'épargne d'entreprise (il était de 20 milliards en 1997, dernier chiffre connu), et qu'un fonds sur 10 s'oriente vers un profil de fonds solidaire, ce seront entre 150 et 300 millions de francs qui seront acheminés directement vers l'économie solidaire, chaque année. Bien sûr, tous les besoins ne seront pas satisfaits -ce n'est pas l'objectif- mais l'épargne salariale en couvrira une bonne partie néanmoins.
Mesdames et Messieurs les députés, l'épargne salariale va se développer dans les prochaines années, et l'économie solidaire est à la recherche de financements en provenance d'investisseurs " en quête de sens ". Il eut été dommage de ne pas valoriser cette coexistence entre une offre et une demande d'épargne.
Je ne doute pas que le débat qui va maintenant s'ouvrir nous permettra d'améliorer, ensemble, les dispositions énoncées dans le texte gouvernemental.

(source http://www.social.gouv.fr, le 12 octobre 2000)