Texte intégral
Madame la Présidente,
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous avez souhaité que nous consacrions nos travaux d'aujourd'hui au prochain Conseil européen de Biarritz. Ce sera là, en effet, une étape importante de ce semestre de présidence du Conseil.
Le Conseil européen a pris désormais l'habitude de se réunir, presque toujours, deux fois par semestre. Ce rythme correspond, je crois, à une véritable nécessité, même si cette réunion supplémentaire - je devrais dire plutôt, surtout si cette réunion supplémentaire - revêt un caractère informel.
En effet, loin d'en diminuer la portée, le caractère informel d'un tel sommet permet au contraire qu'au plus haut niveau, les sujets sensibles soient débattus très librement. Seront ainsi à l'ordre du jour de Biarritz essentiellement deux questions majeures : la Conférence intergouvernementale sur la réforme des Institutions et la Charte des Droits fondamentaux.
Quant à la date, nous l'avons choisie de façon, là encore, à garantir la plus grande utilité à ce sommet. Nous nous trouverons à Biarritz, les 13 et 14 octobre, au mitan de notre présidence. Les travaux seront déjà bien avancés et le moment sera venu de faire le point pour nous permettre de franchir un cap en vue du Conseil européen de Nice.
Il ne s'agira donc pas, comme vous le voyez, de parler de tous les sujets. Cela n'aurait pas eu grand sens.
La Présidence française est désormais entrée en rythme de croisière et les dossiers progressent, je crois, de manière tout à fait satisfaisante. Quelques observateurs ont pu se montrer critiques, mais sans doute ont-ils placé en cette présidence, comme toujours trop courte - quatre mois utiles, je le rappelle -, de trop grandes espérances et oublié que nous devions, comme toute autre Présidence, tenir compte de très nombreuses et lourdes contraintes.
Certains événements, abondamment relayés par la presse, ont pu aussi occulter en partie les travaux de ces dernières semaines : je pense notamment à la flambée des prix du pétrole - dont parleront aussi les membres du Conseil européen -, aux fluctuations des cours de l'euro, ou encore au référendum danois.
Je puis néanmoins vous assurer que nous poursuivons nos efforts selon le calendrier établi et je crois que les résultats sont tout à fait à la hauteur. Prenons l'exemple du dernier Conseil Affaires générales, avec un début d'accord sur MEDA II, la poursuite du débat sur l'amélioration de l'aide extérieure de l'Union, la déclaration adressée au peuple serbe, et le premier état des lieux sur le processus d'élargissement, dont nous reparlerons cet après-midi. Progrès aussi au dernier Conseil Justice et Affaires Intérieures, qui a vu l'adoption du règlement sur le Fonds européen pour les réfugiés, l'extension des compétences d'Europol au domaine du blanchiment et, enfin, un accord politique en vue de créer Eurojust. De même, le Conseil informel des ministres de la Défense, qui s'est tenu le 22 septembre, laisse augurer de résultats tout à fait satisfaisants d'ici la fin du semestre en matière d'engagement de capacités. Sans parler des priorités que nous avons qualifiées de "citoyennes", parce qu'elles sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens européens - l'emploi et la croissance, l'éducation de leurs enfants, l'avenir de la protection sociale ou encore la sécurité des transports dans un contexte renouvelé, marqué par la flambée des cours pétroliers : mais, là encore, les choses sont engagées et la Présidence, en bonne intelligence avec la Commission et le Parlement, est à pied d'oeuvre.
Permettez-moi de revenir maintenant à l'ordre du jour proprement dit du Conseil européen de Biarritz, c'est-à-dire tout d'abord à la Conférence intergouvernementale.
Comme je l'avais indiqué lors du débat organisé, le 11 juillet dernier, à l'invitation du président Napolitano - que je salue - notre souci, dès le départ, a été de reprendre les discussions sur une base plus ouverte afin de nous donner toutes les chances d'aboutir à un accord satisfaisant à Nice. Ainsi, nous avons, d'une part, tenu à souligner le lien entre les trois questions non réglées à Amsterdam, et d'autre part, à engager une réflexion approfondie sur la question majeure des coopérations renforcées.
Mais ces questions sont très difficiles et c'est pourquoi nous avons eu d'abord le sentiment de ne pas pouvoir avancer aussi vite que nous le souhaitions. Je crois que vous l'avez bien perçu, vous aussi ; votre présidente n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler, chaque fois qu'elle en a eu l'occasion, au début des sessions ministérielles mensuelles de la CIG, combien il était important de se mobiliser pour que cette négociation progresse et aboutisse selon le calendrier fixé.
Aussi, la Présidence, tout comme la Commission, a souligné avec force, dès le Gymnich d'Evian, début septembre, qu'il y avait un vrai risque d'échec à Nice et que la France, en tant que Présidence en exercice, préférerait assumer un tel échec qu'un mauvais accord. Ce message semble avoir été compris et j'ai pu percevoir, lors du Conseil Affaires générales du 18 septembre et de la réunion restreinte que j'ai présidée, le soir même, à Bruxelles, les signes d'une prise de conscience.
Concrètement, où en est cette négociation ?
Sur la Commission, nous sentons bien que la difficulté vient du fait qu'une majorité d'Etats membres se montre réticente à la fois au plafonnement du nombre de Commissaires et à une véritable restructuration interne du Collège, alors même que nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'avoir une Commission forte et efficace. Il nous semble qu'il y a là un paradoxe dont il faut sortir. C'est essentiel pour l'avenir de l'Union, car la Commission est bien le pivot du système communautaire.
Chacun a pu exposer ses arguments de manière précise. Mais il y a un moment où il faudra pouvoir dépasser certaines contradictions. Il me paraît en tout cas impossible qu'on puisse, à vingt, vingt-cinq ou trente Etats membres, poursuivre avec le système actuel sans le réformer.
Sur la question de la repondération, je crois que des évolutions se font jour et qu'un grand nombre d'Etats membres perçoit l'avantage de cette formule par rapport à celle d'une double majorité, qu'elle qu'en soit la forme. Mais cette question est étroitement liée à la précédente et ne pourra être réglée qu'en fin de négociation. Rassurez-vous, nous n'attendons pas Biarritz et encore moins Nice pour la traiter. Des travaux préparatoires, indispensables, sont engagés. Néanmoins, je crois qu'il n'y aura d'avancée plus substantielle que plus tard.
Sur la majorité qualifiée, en revanche, le travail important qui a été effectué commence à porter ses fruits. La Commission, et je tiens à l'en remercier, a fait des propositions très constructives pour nous permettre d'avancer, tout en tenant compte des principales difficultés de chaque délégation. Ainsi, la liste des articles susceptibles de passer à la majorité qualifiée commence à devenir substantielle, et je crois qu'au total, les résultats seront à la hauteur. Car ce sujet est capital, nous le savons tous. Tout comme l'est pour le Parlement la question de l'extension concomitante de la procédure de co-décision. Là encore, je crois que la discussion progresse bien au sein de la CIG.
Enfin, sur les coopérations renforcées, comme vous le savez, la difficulté était que de nombreux Etats membres y voyaient a priori le risque que l'on crée une Europe à deux vitesses, voire que l'on essaie, par ce moyen, de faire l'économie de véritables avancées, à Quinze, sur le champ de la majorité qualifiée.
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Nous avons eu plusieurs échanges approfondis, au niveau ministériel, sur cette question et je crois qu'ils ont permis de clarifier le concept de coopération renforcée et de vaincre les réticences des plus sceptiques. Le débat parallèle sur l'avenir de l'Europe élargie y a, à sa manière, contribué.
En effet, dès lors qu'une majorité d'Etats membres ne semble pas envisager de réformes radicales vers un modèle institutionnel d'un autre type - disons beaucoup plus fédéral -, force est d'admettre que les coopérations renforcées sont un bon outil, qui répond au constat réaliste que, dans l'Europe élargie, tous les Etats membres ne pourront pas ou ne voudront pas toujours avancer au même rythme. Un élément de flexibilité s'avère donc indispensable, afin que ceux qui souhaitent aller plus vite puissent le faire, tout en ménageant toujours aux autres la possibilité de rejoindre ceux qui sont plus avancés.
Alors, bien sûr, il reste encore du travail à faire, notamment pour préciser les conditions dans lesquelles on pourrait simplifier les principes et assouplir les conditions de déclenchement de ce mécanisme, tout en maintenant un certain nombre de garanties. Il faudra sans doute aussi examiner les dispositions particulières à prendre dans le domaine de la PESC.
Enfin, la Présidence examinera, en accord avec les Etats membres, la possibilité de compléter l'article 7 du traité sur l'Union européenne, notamment sur la base des propositions déjà déposées par des Etats membres et la Commission : il est clair, en effet, que pour mieux garantir à l'avenir le respect des valeurs de l'Union et des Droits fondamentaux, un dispositif de vigilance et d'alerte sera nécessaire.
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J'en viens précisément maintenant au deuxième sujet fondamental à l'ordre du jour du Conseil de Biarritz : la Charte des droits fondamentaux.
Vous le savez, le projet de Charte a été adopté solennellement par la Convention, hier, le 2 octobre, avec le soutien des représentants de votre Assemblée.
Votre Commission des affaires constitutionnelles, par la voix de son président Giorgio Napolitano, s'interroge néanmoins sur "l'avenir" de ce projet de Charte et sur la possibilité de l'intégrer dans les traités lors du Conseil européen de Nice.
Je déduis donc de cette question que le Parlement, ou tout au moins sa Commission constitutionnelle, approuve le texte issu de la Convention, ce dont je ne peux que me réjouir. Nous aurons sans doute l'occasion d'en débattre à nouveau, de manière plus approfondie, lors du débat prévu ici même, en novembre, sur la proclamation du texte par les trois Institutions.
Mais, avant de répondre précisément à la question de la Commission constitutionnelle, permettez-moi de dire en quoi le travail de la Convention constitue une double réussite.
Premièrement, c'est une réussite quant à la procédure retenue. Celle d'une instance, la Convention, composée de membres du Parlement européen, de parlementaires nationaux, de la Commission européenne et de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement.
La diversité et la qualité des membres désignés ont constitué, incontestablement, un facteur de richesse.
De même, me paraît tout aussi remarquable le double souci qu'a eu la Convention de travailler en toute transparence et en parfaite interactivité avec les citoyens via l'Internet. Ainsi, dans un souci d'ouverture, elle a auditionné, au cours de ses travaux, les grandes organisations non gouvernementales, les partenaires sociaux et les pays candidats à l'adhésion. Cette transparence, cette ouverture, ont activement contribué à l'amélioration progressive des différentes versions du projet de Charte.
Je suis, pour ma part, convaincu que l'expérience de la Convention nous indique clairement l'un des chemins que l'Europe pourrait désormais suivre, afin d'être plus transparente et plus à l'écoute de ses citoyens.
La deuxième grande réussite c'est, bien sûr, le résultat auquel est parvenue la convention.
La Charte est, en premier lieu, et c'est suffisamment rare pour être souligné, un document clair et bien ordonné. En rassemblant une cinquantaine d'articles, répartis en six chapitres - dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice - elle répond indéniablement aux soucis de concision et de clarté que nous avions exprimés et donc aussi aux attentes de nos concitoyens.
La charte est, ensuite, un texte cohérent. Ses rédacteurs ont su respecter la double exigence de ne pas créer de droit ex nihilo et de faire la photographie, exacte mais évolutive, de l'étendue des droits fondamentaux en vigueur dans l'Union.
Mais c'est surtout par la force de son contenu que la charte fera date.
Elle réaffirme tout d'abord, avec netteté, les droits civiques fondamentaux, tels qu'ils sont issus de la Convention européenne des Droits de l'Homme. A ce titre, les rédacteurs de la charte ont eu le souci constant d'éviter tout risque de divergence de jurisprudence entre la Cour européenne des Droits de l'Homme, responsable du respect de la Convention, et la Cour de justice des Communautés européennes, notamment en reprenant la rédaction issue de la convention du Conseil de l'Europe lorsque celle ci paraissait la plus aboutie .
Bien évidemment, la Charte ne se contente pas de réaffirmer des droits préexistants. Elle consacre de nombreux droits nouveaux, correspondant aux évolutions de nos sociétés, qu'il s'agisse du développement des technologies, de l'apparition de nouvelles dépendances ou encore de la complexité de nos systèmes administratifs.
Je me réjouis enfin, bien sûr, de l'importance que ce texte accorde aux droits économiques et sociaux.
La France a plaidé avec force pour que ce volet soit substantiel, mais c'était aussi la volonté de nombreux autres Etats membres - ce dont la Présidence ne peut que se réjouir. Il en allait de la force novatrice de la Charte et de la consolidation du modèle social européen, auquel nous sommes profondément attachés.
Ainsi, la Charte garantit-elle le droit à une éducation gratuite, le droit des travailleurs à être informés et consultés , ainsi que le droit de négociation et d'action collective, y compris la grève, le droit de protection contre tout licenciement injustifié, le droit à la protection sociale, ou encore l'interdiction du travail des enfants.
Au total, la Charte représente, je crois, la plus grande avancée collective, en matière d'affirmation des droits sociaux, depuis le début de la construction européenne. Elle mérite donc d'être saluée.
Alors, demandez-vous, pourquoi une telle réussite ne serait-elle pas couronnée par l'intégration de la Charte dans les traités ?
En premier lieu et pour répondre très précisément à la question soulevée par le président Napolitano, je tiens à rappeler le texte même des conclusions du Conseil européen de Cologne qui avait lancé le processus : "Le Conseil européen proposera au Parlement européen et à la Commission de proclamer solennellement conjointement avec le Conseil, une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne". Aussi, le Conseil doit lui-même s'accorder politiquement sur le projet de Charte - ce qu'il fera informellement lors du Conseil européen de Biarritz - et laisser aux autres institutions, la Commission, votre Parlement, mais aussi, pourquoi pas, à certains Parlements nationaux, le temps de se prononcer, sur le fond, sur le contenu de ce document. Dès lors, en termes de calendrier, la proclamation ne pourra avoir lieu qu'à l'occasion du Conseil européen de Nice.
En outre, les conclusions de Cologne ont toujours précisé que la question de l'intégration dans les traités ne pourrait être examinée qu'après la proclamation de la Charte à Nice. Et d'ailleurs, à ce jour, le Conseil n'a pas abordé ce point. Je dois cependant confirmer qu'une très large majorité d'Etats semble demeurer opposée à cette intégration.
Je suis alors tenté de répondre à votre interrogation par une autre question : faut-il prendre le risque d'un rejet à Biarritz de ce texte ou faut-il avoir confiance dans la force de cette Charte, qui, j'en suis sûr s'imposera d'elle-même, à la fois comme référentiel des valeurs de l'Union et comme source d'inspiration pour la Cour de Justice de Luxembourg ?
Laissons un peu de temps au temps. La réflexion sur l'avenir de la Charte rejoint, à mon sens, la réflexion sur l'avenir de l'Europe. Certains ont ainsi évoqué la nécessité de doter l'Union européenne, un jour, d'une Constitution. A titre personnel, cela me paraît une bonne idée, à condition que l'on se soit, auparavant, mis d'accord sur son contenu, c'est-à-dire sur une éventuelle clarification des compétences, sur le rôle de chaque institution au sein de l'Union, sur l'équilibre entre elles. On pourrait imaginer - je suis en tout cas tout prêt pour ma part à le faire - qu'alors la Charte trouve sa place dans un tel "traité constitutionnel", sous la forme d'un préambule.
Mais beaucoup de travail reste à faire avant de s'engager vers cette nouvelle étape et il me semble prématuré de vouloir en esquisser le calendrier dès aujourd'hui. Nous devrons, à Nice, et en fonction des résultats de la CIG, préciser ce qu'il est raisonnable d'envisager pour la suite.
Ainsi, la réflexion sur "l'après-Nice" recouvre plusieurs thématiques, parfois présentées de façon simplificatrice.
Il y a, d'abord, la thématique de l'amélioration du fonctionnement institutionnel de l'Union à 30 membres. Nous y travaillons déjà dans la Conférence intergouvernementale en cours, mais nous savons bien qu'il faudra aller plus loin dans l'adaptation de la méthode communautaire si nous voulons en préserver l'essentiel : j'en ai dit un mot à propos des coopérations renforcées ; celles-ci nous paraissent constituer l'instrument majeur pour favoriser l'évolution pragmatique d'une Europe communautaire demain beaucoup plus élargie et hétérogène. Je n'y reviens pas.
Il y a, ensuite, la question de la constitutionnalisation des traités pour répondre à une double exigence : celle d'une clarification des textes, que nous devons rendre plus cohérents et plus accessibles à nos concitoyens et celle d'une meilleure articulation des compétences. Ces questions ne sont pas nouvelles et, surtout, nous savons bien à quel point elles sont ardues.
Et puis il y a un troisième axe de réflexion que nous ne devons pas perdre de vue et qui concerne l'amélioration de la gouvernance de l'Union ; je veux évoquer là, la réforme du fonctionnement des Institutions, indépendamment de la réforme des traités, qui répond au besoin, fortement ressenti par les opinions publiques, que les orientations de l'Europe soient plus claires, que les instruments soient mieux maîtrisés, que le gouvernail, en un mot, soit mieux tenu. Cela suppose que nous soyons capables de "rehausser" politiquement chacune des Institutions et, par conséquent, l'équilibre politique entre elles.
A cet égard, les propositions que le président Prodi prépare, pour l'année prochaine, seront des plus utiles. En lui laissant maintenant la parole, je suis sûr qu'il nous fera part des premières réflexions, en la matière, de l'Institution qu'il préside.
Mais, je le répète, dans l'immédiat, et c'est la Présidence en exercice qui parle, concentrons-nous sur les tâches qui sont les nôtres. Efforçons-nous de les mener à bien, tous ensemble.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour avoir organisé ce débat sur l'élargissement, dont je salue l'opportunité à un double titre :
- d'abord, parce que l'élargissement de l'Union n'est pas une priorité comme une autre, mais - faut-il le rappeler ? - la toile de fond de toute l'activité de l'Union européenne aujourd'hui, une perspective politique qui conditionne l'ensemble de nos travaux, à commencer naturellement par celui de la réforme de nos Institutions.
A cet égard, je veux saluer le travail qui a été accompli par le Parlement européen, sous la forme de rapports consacrés à chacun des douze pays candidats entrés en négociation, et d'un rapport d'ensemble du président Brok sur lequel j'aurai l'occasion de revenir plus particulièrement au cours de mon intervention ;
- il me semble ensuite que, sur la base des travaux qui ont été engagés par les Présidences précédentes et par la Commission, la Présidence française sera en mesure, lors du Conseil européen de Nice, de parvenir à une vue assez précise du processus d'adhésion.
Je me propose donc de vous dire très concrètement comment agit la Présidence française, au cours de ce semestre, afin de parvenir au résultat que je viens d'indiquer.
I. Première orientation : nous devons aller, bien sûr, aussi loin que possible dans les négociations d'adhésion, afin d'en faire un bilan aussi précis que possible à Nice, pays par pays et chapitre par chapitre.
Dans cette perspective, je rappelle d'abord que nous prévoyons d'organiser, pour chaque pays candidat, deux sessions de négociation au niveau des suppléants et une session au niveau ministériel, répartie en deux vagues, les 21 novembre et 5 décembre, adossées aux sessions du Conseil Affaires générales. La Présidence française informera immédiatement la Commission des Affaires étrangères du résultat de ces négociations, dès le mardi après-midi, comme c'est désormais la coutume entre nous.
Comme vous le savez, le Conseil européen d'Helsinki a mis l'accent sur le principe de différenciation entre les pays candidats. Ceci signifie concrètement, tant pour la Présidence que pour la Commission, qui travaillent vraiment main dans la main dans la conduite des négociations - et je veux souligner devant vous la parfaite convergence de vues qui existe avec le Commissaire Verheugen, dont je salue ici la très grande qualité du travail - ceci signifie donc que chaque candidature doit être jugée, et sera jugée in fine, sur ses mérites propres.
Je n'entrerai naturellement pas dans le détail de chacune de ces négociations, laissant peut-être cette présentation au débat qui va suivre sur les douze rapports. Mais je veux néanmoins rappeler en quelques mots l'ampleur du travail qui a été engagé avec ceux que, par commodité de langage, on appelle les "Six de Luxembourg" et les "Six d'Helsinki".
Avec les "Six de Luxembourg", tous les chapitres de l'acquis, sauf un (le chapitre relatif aux Institutions) ont été ouverts, certains étant clos provisoirement (de 12 à 16 selon les pays), d'autres restant en négociation (de 13 à 18). Je crois donc que nous commençons à avoir une vue assez précise des difficultés qui demeurent dans chacune de ces négociations, tant du côté des pays candidats que de l'Union elle-même, et qu'on peut ranger - me semble-t-il - en trois catégories :
- d'abord, la reprise de l'acquis : où en sont les pays candidats ? Comment évaluer concrètement les engagements qu'ils prennent dans le cadre des négociations et leur capacité à transposer concrètement cet acquis ?
C'est pourquoi, tout comme le Parlement européen, la Présidence française a souhaité disposer de tableaux de suivi de la reprise de l'acquis, régulièrement mis à jour, étant entendu que le principe de base des négociations doit rester une reprise intégrale de cet acquis ;
- ensuite, la question des périodes transitoires, qui est évidemment liée à la précédente : comme vous le savez, les candidats ont exprimé un certain nombre de demandes en ce sens : c'est le signe que les négociations d'adhésion sont entrées, clairement, dans une nouvelle phase et qu'il faut désormais, comme le souhaite la Présidence française, entrer dans les discussions de fond. Je signale, à cet égard, que le Conseil a engagé, sur la base d'un premier document de la Commission, un travail de réflexion qui doit permettre à l'Union d'avancer dans les négociations ;
- enfin, bien sûr, il y a les positions de négociation s'agissant des chapitres les plus difficiles de l'acquis, compte tenu notamment de leurs implications budgétaires pour l'Union : je pense naturellement à la politique agricole commune et aux politiques de développement régional.
Je l'ai dit : la Présidence française n'éludera aucune des difficultés qui se présentent. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que nous aurons le temps et les moyens de traiter chacune d'entre elles. Mais, pour nous, imprimer une nouvelle dynamique à ces négociations signifie que, s'agissant notamment de la question des périodes transitoires, nous ferons tout pour avancer, de façon pragmatique.
Quelques mots ensuite sur les "Six d"Helsinki", qui ont engagé les négociations au début de cette année : la moitié des chapitres de l'acquis aura été ouvert à la négociation à la fin de notre Présidence. Nous comptons en effet, en parfait accord avec le commissaire Verheugen, engager les négociations sur 42 nouveaux (de 4 à 9 selon les pays) chapitres, tout comme la Présidence portugaise avant nous. Ceci devrait permettre aux meilleurs candidats de rattraper assez rapidement - peut-être dès l'an prochain - ceux du Groupe de Luxembourg, et nous savons qu'il s'agit là d'un souhait que certains ont explicitement exprimé. Il est évident que le travail effectué par chacun des rapporteurs et les commissions parlementaires viendra nourrir utilement nos propres réflexions.
II. Permettez-moi d'évoquer à présent la seconde orientation selon laquelle la Présidence souhaite faire évoluer, au cours de ce semestre, le processus d'élargissement.
Je viens de rappeler le travail technique très important qui a été engagé depuis 3 ans, et j'ai dit aussi que, s'agissant de certains pays candidats au moins, nous aurons très prochainement une vue assez précise des difficultés qui demeurent.
Le moment nous semble donc venu de porter ce travail à un niveau plus politique, en rassemblant toutes les informations dont nous disposons.
C'est pourquoi nous préparons un débat ministériel de fond - qui aura lieu à l'occasion du Conseil Affaires générales du 20 novembre - sur la base de documents précis que fournira la Commission, s'agissant notamment de la reprise de l'acquis par les pays candidats et des progrès accomplis par chacun.
Sur la base de ce débat, la Présidence aura ainsi les éléments nécessaires pour que les chefs d'Etat et de gouvernement aient, à Nice, une discussion sérieuse concernant la suite du processus d'élargissement.
C'est dans cet esprit aussi que la Présidence française a décidé d'organiser deux réunions de la Conférence européenne, l'une au niveau ministériel, le 23 novembre prochain, à Sochaux, l'autre au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, le 7 décembre, à Nice. Ces débats seront d'abord l'occasion d'informer les pays candidats de l'état des travaux concernant la réforme des Institutions, bien sûr, mais aussi d'engager, avec ces pays, une réflexion politique sur le fonctionnement de l'Union élargie.
Bien entendu, il n'est pas exclu que les pays candidats saisissent ces occasions pour évoquer, une fois encore, la question de la date de ces élargissements. Cette question est, bien sûr, parfaitement légitime. Mais, à cet égard, je veux rappeler ici que, d'une certaine façon, cette question est déjà réglée, puisque le Conseil européen d'Helsinki a fixé au 1er janvier 2003 la date à laquelle l'Union devra être prête à accueillir les premiers adhérents, c'est-à-dire ceux qui se seront le mieux préparés, à la condition, naturellement, que, d'ici là, un bon traité ait été conclu à Nice et ratifié par les parlements de l'Union.
Je demeure personnellement convaincu que, dans le débat sur la date des premières adhésions, l'Union doit éviter de multiplier les effets d'annonce. Chacun comprend bien l'intérêt d'une date pour les pays candidats, à la fois objectif et facteur de mobilisation. Mais la date du 1er janvier 2003, qui est la seule dont l'Union soit convenue, constitue, pour les candidats comme pour nous, un objectif extrêmement ambitieux, et c'est dans cette perspective que la Présidence mobilisera tous ses efforts.
Loin de moi, bien sûr, l'idée que nous aurons terminé toutes les négociations en 2001, ce qui permettrait ensuite de les ratifier en 2002. Il ne s'agit pas de cela, et, pour certains pays candidats, les négociations vont se poursuivre encore quelques années.
Mais il est vrai aussi que le travail qui a été entrepris, et auquel nous souhaitons donc apporter une impulsion forte, devrait permettre, dès la fin de cette année 2000, d'une part, de mieux appréhender l'équilibre général de chacune des négociations, et, d'autre part - en tout cas pour les pays candidats qui sont les plus avancés - d'identifier clairement les difficultés à résoudre prioritairement pour faire aboutir ces négociations.
Travaillons donc dans cette direction, avec l'idée que nous devrons examiner, dans la perspective de 2003, quels sont les candidats qui sont prêts à nous rejoindre à cette date.
Un mot enfin sur la Turquie qui, pour l'Union, fait désormais clairement partie du processus d'élargissement et constitue le 13ème candidat à l'adhésion. Je sais d'ailleurs que M. Morillon prépare actuellement sur ce pays un rapport que nous attendons avec intérêt.
Nous ne pouvons que nous réjouir qu'un certain nombre d'obstacles aient été surmontés quant à la reconnaissance, à Helsinki, de la candidature de ce pays. En même temps, nous sommes parfaitement conscients des hypothèques qui demeurent à cette adhésion, en commençant par les questions liées au respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans ce pays, sur lesquelles les progrès accomplis sont très loin de satisfaire aux critères de Copenhague.
En accord, là encore, avec la Commission, la Présidence française s'efforcera de parvenir à un double résultat : d'abord, bien sûr, l'adoption d'un Partenariat pour l'adhésion, qui est nécessaire tant pour la Turquie que pour l'Union ; ensuite, la mise en place du règlement financier permettant à l'Union d'honorer les engagements qu'elle a contractés vis-à-vis de ce pays, et que nous souhaiterions adopter d'ici la fin de l'année.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à suivre, avec la plus grande attention, le débat très important qui nous réunit aujourd'hui./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)
Q - Concernant la coordination des politiques économiques, on a le sentiment que vous avez contredit M. Prodi en estimant que les Etats sont assez grands pour coordonner tout seuls leurs politiques économiques, mais la lecture du projet du budget français pour 2001 ne donne pas vraiment cette impression puisque nous nous écartons très nettement du programme de stabilité qui a été signé par l'ancien ministre des Finances et qui prévoyait d'affecter les surplus budgétaires à la réduction du déficit français. Ne croyez-vous pas que le discours de M. Prodi mériterait d'être examiné un peu plus profondément que vous ne l'avez fait ?
R - D'abord, peut-être, une appréciation générale sur le discours de M. Prodi. C'est un discours qui est important et nous l'avons bien vu. Un discours avec lequel je marque de très nombreux points d'accord, beaucoup plus que de points de différence, car je crois qu'il a le mérite, effectivement, de rappeler le caractère irremplaçable de la méthode communautaire dans le passé, le présent et dans l'avenir. Il a raison aussi de ne pas souhaiter que le mode intergouvernemental devienne la façon exclusive de gérer les relations au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas une bonne chose. Je crois, enfin, qu'il a tout à fait raison de rappeler le rôle central de l'institution qu'il préside qui est la Commission, qui, je le rappelle, est à la fois chargée de gérer, d'impulser et de garder les traités. Je salue donc ce discours. Il a aussi, il faut le noter, touché le coeur du Parlement européen. Mais, se sont manifestées - et cela est bien normal dans la position qui est la mienne - quelques interrogations sur un certain nombre de points. D'abord, une interrogation générale : si je suis d'accord pour affirmer que le "tout intergouvernemental" est une mauvaise chose, je ne crois pas non plus qu'il faille passer au "tout communautaire". Je ne le pense sincèrement pas. Je pense que les institutions telles quelles sont, définissent un équilibre. Et comme je l'ai dit, dans ma propre intervention, avant la sienne et sans connaître la sienne, je pense qu'il faut rehausser chacune des institutions. Nous avons besoin d'une Commission plus forte et cela passera peut-être par une précision que j'ai attendue du Président de la Commission. Pour cela, il faut une Commission plus restreinte en nombre, plus concentrée. Il faut un Conseil plus fort, un Parlement européen concentré sur ses missions qui deviennent de plus en plus importantes et qui le seront encore, après la Conférence Intergouvernementale, puisqu'il y aura sans doute une extension forte du champ de la codécision avec le passage à la majorité qualifiée.
Et puis, j'ai manifesté deux interrogations immédiates. Ce discours est important et méritera d'être examiné d'une façon plus approfondie. Il y a un sujet sur lequel il m'a semblé que M. Prodi était prêt à opérer un transfert d'un système qui est intergouvernemental vers un système qui est plus communautaire, plus centré sur la Commission. Sur la PESC, je disais, il y a une seconde, que la Commission était la gardienne des traités. Nous avons ensemble, à Amsterdam, et je crois que M. Prodi était à l'époque membre du Conseil européen, créé cette institution, M. PESC, pour coordonner les politiques étrangères et de sécurité commune qui demeurent tout de même très largement des politiques nationales. Et il est clair que, si la Commission doit jouer son rôle, la PESC, pour le coup, demeure très largement dans le champ de l'intergouvernemental. Et c'est comme ceci que les choses avancent. Peut-être un jour passera-t-on à autre chose. Mais il n'est pas opportun dès maintenant, alors que nous avons cet homme, M. PESC, et ses fonctions qui se mettent en route, d'envisager qu'ils cessent d'exister. Quant à la coordination des politiques économiques, je crois que nous sommes dans un système où il est très important que le Conseil et la Commission collaborent ensemble avec la Banque Centrale européenne. Mais il est clair que, pour beaucoup, nous souhaitons que cette coordination s'exerce au sein de l'Eurogroupe. Il me semble qu'il serait préférable qu'il y ait une coordination forte entre la Commission et l'Eurogroupe plutôt que de transférer ce pouvoir de gouvernance économique à la Commission seule. Nous voyons bien, dans les circonstances actuelles, à quel point le Président de l'Eurogroupe est important.
Nous sommes dans un dialogue sain. Je ne suis pas là pour défendre le Conseil contre la Commission. Le Conseil n'est pas agressé par la Commission. Mais je suis là aussi pour exprimer un point de vue qui peut être celui de l'équilibre institutionnel et qui suppose le respect de chaque institution par l'autre.
Quant aux lignes directrices en matière de finances publiques, je peux vous rassurer, elles seront respectées par un projet de loi de finance 2001 qui commencera par être discuté par les parlements dès la semaine prochaine. Peut-être même avant.
Q - Concernant les propos de M. Prodi sur M. Solana, vous y voyez un problème de fond. Vous y voyez une certaine critique à la gestion qui a été faite ?
R - Non, je pense d'ailleurs que ce n'est pas comme cela que M. Prodi l'a présenté. Il a salué M. Solana dont, tous, nous apprécions absolument le travail. D'ailleurs, cela n'était pas une remise en cause du rôle de la fonction de celui-ci. C'était plutôt une interrogation sur ce qu'il fallait faire pour la suite. Enfin, c'est comme ceci que j'ai compris l'interrogation du Président Prodi. Mais pour ma part, je suis à la fois attaché à la personne et à la fonction. On aurait pu faire autre chose que de créer M. PESC. Mais nous l'avons fait. C'est dans le traité d'Amsterdam et la Commission se doit d'être d'abord gardienne des traités. Et si nous l'avons fait, c'est que nous avons souhaité que la coordination de la politique étrangère et de sécurité commune ne soit pas située en apesanteur, mais qu'elle soit associée au Secrétariat général du Conseil, donc placée auprès du Conseil. Je défends donc la personne et l'institution. Encore une fois cette institution n'est pas la perfection mais je crois que nous devons, au contraire, maintenant, faire en sorte qu'elle se renforce et qu'elle fonctionne en bonne intelligence avec la Commission. C'est très important. Il ne doit pas y avoir de conflit entre M. Patten et M. Solana, entre le Commissaire aux relations extérieures et le Haut représentant.
Q - Vous avez donné le sentiment de ne pas partager l'approche de M. Prodi sur l'avenir de l'Union européenne ?
R - Un débat est toujours utile. J'ai donné ma réponse qui n'est pas exactement la sienne. Mais les débats sont sains. Nous sommes à un moment où chacun doit donner son point de vue sur l'Union européenne qu'il voit dans le futur.
Q - Que pensez-vous de l'idée de M. Prodi d'avancer vers une clarification des compétences entre les niveaux européen et national ?
R - J'ai dit moi-même que cette clarification des compétences devrait faire partie, d'une façon ou d'une autre, d'une prochaine réflexion. La méthode reste à définir. Mais cela ne résume pas toutes les problématiques constitutionnelles. Cela doit être aussi une problématique d'examen de la répartition des pouvoirs.
Q - Pensez-vous que l'Eurogroupe a fait suffisamment pour défendre l'euro ou traiter de la question de la hausse des prix du pétrole ?
R - Je me suis peut-être mal fait comprendre, mais il me semble que je n'ai pas du tout minimisé le rôle de l'Eurogroupe. S'il y a un pays en Europe qui ne minimise pas le rôle de l'eurogroupe, c'est la France. Vous avez évoqué tout à l'heure un ministre des Finances qui n'est plus en activité, reconnaissons quand même que l'Eurogroupe lui doit beaucoup. Reconnaissons tout de même que c'est à Dominique Strauss-Kahn que nous devons cette idée, pour beaucoup cette réalisation et que nous sommes parmi les plus attachés à cela. Et, justement, dans ma réponse à M. Prodi, ce que j'ai souligné, c'est qu'il fallait, au contraire, développer les rôles de l'Eurogroupe et de l'ECOFIN, en liaison avec la Commission parce qu'encore une fois, je ne souhaite pas exclure la Commission de cela. Mais je ne souhaite pas non plus faire en sorte que la Commission ait un rôle exclusif en la matière. Donc, c'est affirmer le rôle de l'Eurogroupe qui me paraît très important et j'observe que, face aussi bien aux problèmes de l'euro que face à la crise pétrolière, l'Eurogroupe et l'ECOFIN ont joué leur rôle, notamment vendredi dernier. C'est un exemple de ce qu'il faut faire dans ce type de situation. La parole du Président de l'Eurogroupe est et sera de plus en plus importante pour l'avenir. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas chercher les moyens de pérenniser, de réformer, etc....
Q - Actuellement, la voix de l'Eurogoupe change tous les 6 mois, à chaque nouvelle Présidence. Alors n'est-il pas temps qu'au-delà de la collaboration entre la Commission et le Conseil ce soit un membre de la Commission qui préside cet Eurogroupe ?
R - Il me semble que j'ai fait comprendre ce qu'était ma position.
Q - Tout de même sur la PESC, n'y a-t-il pas conflit de compétence ?
R - Il ne faut pas s'imaginer qu'à partir du moment où il y a deux personnes qui s'occupent d'une question il y a un conflit de compétence. L'Union européenne, c'est exactement l'inverse. L'Union européenne, c'est un système de coopération intelligente entre au moins trois institutions (Parlement européen - Conseil et Commission). Et de facto, il y a sans doute à clarifier les compétences, mais il y a aussi à voir comment tout cela se coordonne et s'articule. Votre réflexion pourrait valoir sur chaque sujet de l'Union européenne. Ma conviction profonde c'est que l'avenir, c'est la coordination. Par ailleurs, s'agissant de M. PESC, on peut rappeler qu'il a déjà rendu des services tout à fait éminents ; je citerai trois exemples :
La Turquie : on se souvient que lors du Conseil européen d'Helsinki la décision d'accepter la Turquie comme candidat était extrêmement difficile. Nous étions arrivés à un point de blocage lors de la première journée du Conseil. Nous avons envoyé M. Solana en Turquie et il est revenu avec un texte qui a pu être acceptable pour tous ;
Son action dans les Balkans, saluée par tous ;
La politique européenne de sécurité commune et de défense. Il est clair qu'il y contribue d'une part et que, d'autre part, il y joue un rôle.
Donc je disais que, théoriquement, un jour, nous pourrons revoir les choses, mais ce n'est pas un sujet d'actualité. Voilà le sens de ma réponse.
Question : Faut-il prévoir des députés européens pour les pays candidats dès 2004 ?
R - Je vous rappelle que nous avons une date : 1er janvier 2003. C'est à cette date que l'Union européenne doit être prête à accueillir les pays candidats. Je ne suis pas en faveur du changement de cette date. Cette date signifie que, si certains pays sont prêts à ce moment-là ils puissent avoir des représentants. En même temps, je ne crois pas que l'on pourra avoir tous les pays candidats présents lors des élections européennes en 2004. Je voudrais que l'on garde un peu la raison. Par ailleurs, je vous le dis aussi très clairement : la France n'a pas l'intention d'inscrire une date pour l'élargissement, date qui pourrait être contre-productive car elle risquerait fort de n'être pas celle que souhaitent les pays candidats.
Q - Partagez-vous l'opinion de M. Napolitano quand il a dit que les travaux de la Conférence intergouvernementale n'avancent pas.
R - Je partage toujours une bonne partie des opinions de M. Napolitano qui est un ami. Mais en l'occurrence, je crois que ce point de vue date peut-être un tout petit peu. J'ai été moi-même extrêmement clair à plusieurs reprises sur les travaux de la Conférence Intergouvernementale. J'ai dit, premièrement, que nous préférerions qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité. Je le redis aujourd'hui. Personne ne doit penser que, de la part de la Présidence, c'est une position tactique. C'est une position de fond que nous tiendrons jusqu'au bout et que nous affirmerons à Biarritz.
J'ai également souligné, comme M. Védrine, que les travaux de la Conférence intergouvernementale avaient eu du mal à embrayer et que nous étions restés très longtemps dans l'échange statique de positions répétitives. Donc, j'étais plutôt inquiet. Je n'ai pas versé dans l'inquiétude absolue ni dans l'optimisme absolu. Je ne vous dirais pas que tout va bien. Mais, pour être très franc, j'ai le sentiment que nous entrons dans une phase où nous commençons à négocier. On observe, effectivement, certains frémissements. Et j'espère bien que Biarritz sera le lieu, le moment où la négociation commencera à se nouer. Je vous rappelle que Biarritz sera le premier échange entre les chefs d'Etat et de gouvernements depuis Amsterdam, sur la réforme institutionnelle. C'est dire que c'est une rencontre importante. Vous voyez où nous en sommes ? Une négociation difficile qui commence à se nouer, mais en aucun cas une négociation bloquée, car c'est au contraire un moment où peut-être nous observons un léger déblocage. Donc je suis toujours attentif et peut-être un peu moins négatif sur les travaux.
Q - La méthode de la Convention utilisée pour la Charte peut-elle être réemployée après Nice ?
R - Je redis ce que j'ai dit tout à l'heure. Je pense effectivement que la méthode est innovatrice et intéressante. Elle permet d'associer tout de suite les parlements, ce qui est tout à fait important. C'est une méthode qui est ouverte sur la société à travers Internet mais aussi par les consultations nombreuses avec les représentants de la société civile que sont les associations, les organisations non-gouvernementales, donc la méthode est positive. Cette méthode, j'en suis sûr, sera une des voies d'inspiration pour l'avenir. Je dis bien " une des ", car je ne crois pas pour autant que ce soit "la" méthode pour l'avenir. C'est une source d'inspiration mais je ne veux pas de quelque chose qui pourra être utilisé systématiquement.
Quant à savoir si on parlera de méthode à Biarritz où à Nice, il me paraît évident qu'il y aura Nice et qu'il y aura l'après-Nice. Et dans l'après-Nice, on voit bien qu'il y a plusieurs positions qui sont sur la table. Un gouvernement demande une nouvelle Conférence intergouvernementale. D'autres personnalités demandent une Constitution. Il est clair que dans les conclusions de Nice, il devra y avoir quelque chose sur la méthode pour réfléchir à l'avenir. Nous en parlerons à Biarritz et nous verrons, car il me semble qu'il faut d'abord franchir l'étape de Nice. Mais à Nice, dans les conclusions, il devra y avoir des éléments de méthode pour continuer les réformes institutionnelles et politiques de l'Union européenne qui sont nécessaires et qui le demeureront évidemment.
Q - Sur la double majorité et la Charte, pouvez-vous nous rappeler les positions de la France ?
R - Sur la double majorité et la repondération, je dis avec clarté que la préférence qui est la notre va en faveur de la repondération simple - et j'ajoute substantielle - des voix au sein du Conseil. Non pas pour accroître le poids des grands pays mais pour maintenir l'équilibre dans une Union européenne élargie. C'est pour nous une position qui est extrêmement claire et importante. Je note d'ailleurs qu'il y a des évolutions plutôt favorables qui se font au sein du groupe préparatoire. Le groupe le plus important et le plus compact me semble être sur cette thèse. Il s'agit donc plutôt d'une progression de la repondération.
En ce qui concerne la Charte, le rôle de la Présidence est celui d'un maître courtier qui trouve des consensus en évitant d'exprimer une position nationale. Je dois simplement faire deux réflexions : la première c'est qu'il faut être conscient que dans le contexte compliqué de l'élaboration de ce texte original, un certain nombre de délégations et pas des moindres, ont dit oui à l'extension des droits économiques et sociaux à condition que le texte ne soit pas immédiatement contraignant. Le risque, c'est qu'en revenant vers une Charte contraignante on perde en substance. Donc le choix à Nice, entre une charte substantielle ou une charte contraignante ? Ma conviction personnelle, qui je crois est aussi celle de mon pays, c'est que nous devons faire le choix de la substance. Que celle-ci doit s'imposer ensuite et de cette façon là la Charte pourra devenir le préambule.
Je crois que la Charte est un texte important et que ce texte aura un avenir majeur.
Deuxième point : l'article 6 du Traité fait référence aux valeurs que nous devons respecter. A partir du moment où nous avons une charte qui reprend pour l'essentiel les dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme, pourquoi ne pas introduire la Charte dans l'article 6, ce qui ne serait pas une incorporation, mais une référence ? Je crois que cela serait un geste très significatif. Nous y sommes ouverts et il faudra vérifier si tout le monde est dans la même disposition, ce dont je ne suis pas convaincu, mais je suis prêt à tenter le coup. Je crois que cela serait une manière à la fois élégante et efficace de montrer que cette Charte est tout de même une inspiration directe pour les Européens et non pas uniquement un texte européen.
Q - On n'avait pas entendu le président de la Commission depuis très longtemps. Considérez-vous que son discours donne un coup de pouce à la Présidence française ou au contraire un croc-en-jambe à la Présidence puisqu'il est un peu critique par rapport à celle-ci ?
R - Je ne raisonne absolument pas dans cet ordre. Je vous répète que c'est un discours important dont je me réjouis parce qu'il est essentiel que la Commission se porte bien, que son président soit aussi reconnu et, de ce point de vue, le succès qu'il a connu devant le Parlement est un aspect positif. Pour le reste, chaque institution demeure dans sa logique et nous, nous pouvons continuer librement à développer nos thèses comme le président Prodi a développé les siennes. Il ne s'agit pas d'y voir un croc-en-jambe ou une bataille. Quand M. Prodi intervient, je ne vois pas là une offense contre le Conseil. Et quand le Conseil répond, je crois qu'il ne faut pas que la Commission y voit une offense contre elle. Je le répète. Le débat entre les institutions est plutôt sain. Il permet que chacun puisse y affirmer ses positions avec force.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2000)
Monsieur le Président de la Commission européenne,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Vous avez souhaité que nous consacrions nos travaux d'aujourd'hui au prochain Conseil européen de Biarritz. Ce sera là, en effet, une étape importante de ce semestre de présidence du Conseil.
Le Conseil européen a pris désormais l'habitude de se réunir, presque toujours, deux fois par semestre. Ce rythme correspond, je crois, à une véritable nécessité, même si cette réunion supplémentaire - je devrais dire plutôt, surtout si cette réunion supplémentaire - revêt un caractère informel.
En effet, loin d'en diminuer la portée, le caractère informel d'un tel sommet permet au contraire qu'au plus haut niveau, les sujets sensibles soient débattus très librement. Seront ainsi à l'ordre du jour de Biarritz essentiellement deux questions majeures : la Conférence intergouvernementale sur la réforme des Institutions et la Charte des Droits fondamentaux.
Quant à la date, nous l'avons choisie de façon, là encore, à garantir la plus grande utilité à ce sommet. Nous nous trouverons à Biarritz, les 13 et 14 octobre, au mitan de notre présidence. Les travaux seront déjà bien avancés et le moment sera venu de faire le point pour nous permettre de franchir un cap en vue du Conseil européen de Nice.
Il ne s'agira donc pas, comme vous le voyez, de parler de tous les sujets. Cela n'aurait pas eu grand sens.
La Présidence française est désormais entrée en rythme de croisière et les dossiers progressent, je crois, de manière tout à fait satisfaisante. Quelques observateurs ont pu se montrer critiques, mais sans doute ont-ils placé en cette présidence, comme toujours trop courte - quatre mois utiles, je le rappelle -, de trop grandes espérances et oublié que nous devions, comme toute autre Présidence, tenir compte de très nombreuses et lourdes contraintes.
Certains événements, abondamment relayés par la presse, ont pu aussi occulter en partie les travaux de ces dernières semaines : je pense notamment à la flambée des prix du pétrole - dont parleront aussi les membres du Conseil européen -, aux fluctuations des cours de l'euro, ou encore au référendum danois.
Je puis néanmoins vous assurer que nous poursuivons nos efforts selon le calendrier établi et je crois que les résultats sont tout à fait à la hauteur. Prenons l'exemple du dernier Conseil Affaires générales, avec un début d'accord sur MEDA II, la poursuite du débat sur l'amélioration de l'aide extérieure de l'Union, la déclaration adressée au peuple serbe, et le premier état des lieux sur le processus d'élargissement, dont nous reparlerons cet après-midi. Progrès aussi au dernier Conseil Justice et Affaires Intérieures, qui a vu l'adoption du règlement sur le Fonds européen pour les réfugiés, l'extension des compétences d'Europol au domaine du blanchiment et, enfin, un accord politique en vue de créer Eurojust. De même, le Conseil informel des ministres de la Défense, qui s'est tenu le 22 septembre, laisse augurer de résultats tout à fait satisfaisants d'ici la fin du semestre en matière d'engagement de capacités. Sans parler des priorités que nous avons qualifiées de "citoyennes", parce qu'elles sont au coeur des préoccupations de nos concitoyens européens - l'emploi et la croissance, l'éducation de leurs enfants, l'avenir de la protection sociale ou encore la sécurité des transports dans un contexte renouvelé, marqué par la flambée des cours pétroliers : mais, là encore, les choses sont engagées et la Présidence, en bonne intelligence avec la Commission et le Parlement, est à pied d'oeuvre.
Permettez-moi de revenir maintenant à l'ordre du jour proprement dit du Conseil européen de Biarritz, c'est-à-dire tout d'abord à la Conférence intergouvernementale.
Comme je l'avais indiqué lors du débat organisé, le 11 juillet dernier, à l'invitation du président Napolitano - que je salue - notre souci, dès le départ, a été de reprendre les discussions sur une base plus ouverte afin de nous donner toutes les chances d'aboutir à un accord satisfaisant à Nice. Ainsi, nous avons, d'une part, tenu à souligner le lien entre les trois questions non réglées à Amsterdam, et d'autre part, à engager une réflexion approfondie sur la question majeure des coopérations renforcées.
Mais ces questions sont très difficiles et c'est pourquoi nous avons eu d'abord le sentiment de ne pas pouvoir avancer aussi vite que nous le souhaitions. Je crois que vous l'avez bien perçu, vous aussi ; votre présidente n'a d'ailleurs pas manqué de rappeler, chaque fois qu'elle en a eu l'occasion, au début des sessions ministérielles mensuelles de la CIG, combien il était important de se mobiliser pour que cette négociation progresse et aboutisse selon le calendrier fixé.
Aussi, la Présidence, tout comme la Commission, a souligné avec force, dès le Gymnich d'Evian, début septembre, qu'il y avait un vrai risque d'échec à Nice et que la France, en tant que Présidence en exercice, préférerait assumer un tel échec qu'un mauvais accord. Ce message semble avoir été compris et j'ai pu percevoir, lors du Conseil Affaires générales du 18 septembre et de la réunion restreinte que j'ai présidée, le soir même, à Bruxelles, les signes d'une prise de conscience.
Concrètement, où en est cette négociation ?
Sur la Commission, nous sentons bien que la difficulté vient du fait qu'une majorité d'Etats membres se montre réticente à la fois au plafonnement du nombre de Commissaires et à une véritable restructuration interne du Collège, alors même que nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'avoir une Commission forte et efficace. Il nous semble qu'il y a là un paradoxe dont il faut sortir. C'est essentiel pour l'avenir de l'Union, car la Commission est bien le pivot du système communautaire.
Chacun a pu exposer ses arguments de manière précise. Mais il y a un moment où il faudra pouvoir dépasser certaines contradictions. Il me paraît en tout cas impossible qu'on puisse, à vingt, vingt-cinq ou trente Etats membres, poursuivre avec le système actuel sans le réformer.
Sur la question de la repondération, je crois que des évolutions se font jour et qu'un grand nombre d'Etats membres perçoit l'avantage de cette formule par rapport à celle d'une double majorité, qu'elle qu'en soit la forme. Mais cette question est étroitement liée à la précédente et ne pourra être réglée qu'en fin de négociation. Rassurez-vous, nous n'attendons pas Biarritz et encore moins Nice pour la traiter. Des travaux préparatoires, indispensables, sont engagés. Néanmoins, je crois qu'il n'y aura d'avancée plus substantielle que plus tard.
Sur la majorité qualifiée, en revanche, le travail important qui a été effectué commence à porter ses fruits. La Commission, et je tiens à l'en remercier, a fait des propositions très constructives pour nous permettre d'avancer, tout en tenant compte des principales difficultés de chaque délégation. Ainsi, la liste des articles susceptibles de passer à la majorité qualifiée commence à devenir substantielle, et je crois qu'au total, les résultats seront à la hauteur. Car ce sujet est capital, nous le savons tous. Tout comme l'est pour le Parlement la question de l'extension concomitante de la procédure de co-décision. Là encore, je crois que la discussion progresse bien au sein de la CIG.
Enfin, sur les coopérations renforcées, comme vous le savez, la difficulté était que de nombreux Etats membres y voyaient a priori le risque que l'on crée une Europe à deux vitesses, voire que l'on essaie, par ce moyen, de faire l'économie de véritables avancées, à Quinze, sur le champ de la majorité qualifiée.
* * *
Nous avons eu plusieurs échanges approfondis, au niveau ministériel, sur cette question et je crois qu'ils ont permis de clarifier le concept de coopération renforcée et de vaincre les réticences des plus sceptiques. Le débat parallèle sur l'avenir de l'Europe élargie y a, à sa manière, contribué.
En effet, dès lors qu'une majorité d'Etats membres ne semble pas envisager de réformes radicales vers un modèle institutionnel d'un autre type - disons beaucoup plus fédéral -, force est d'admettre que les coopérations renforcées sont un bon outil, qui répond au constat réaliste que, dans l'Europe élargie, tous les Etats membres ne pourront pas ou ne voudront pas toujours avancer au même rythme. Un élément de flexibilité s'avère donc indispensable, afin que ceux qui souhaitent aller plus vite puissent le faire, tout en ménageant toujours aux autres la possibilité de rejoindre ceux qui sont plus avancés.
Alors, bien sûr, il reste encore du travail à faire, notamment pour préciser les conditions dans lesquelles on pourrait simplifier les principes et assouplir les conditions de déclenchement de ce mécanisme, tout en maintenant un certain nombre de garanties. Il faudra sans doute aussi examiner les dispositions particulières à prendre dans le domaine de la PESC.
Enfin, la Présidence examinera, en accord avec les Etats membres, la possibilité de compléter l'article 7 du traité sur l'Union européenne, notamment sur la base des propositions déjà déposées par des Etats membres et la Commission : il est clair, en effet, que pour mieux garantir à l'avenir le respect des valeurs de l'Union et des Droits fondamentaux, un dispositif de vigilance et d'alerte sera nécessaire.
* * *
J'en viens précisément maintenant au deuxième sujet fondamental à l'ordre du jour du Conseil de Biarritz : la Charte des droits fondamentaux.
Vous le savez, le projet de Charte a été adopté solennellement par la Convention, hier, le 2 octobre, avec le soutien des représentants de votre Assemblée.
Votre Commission des affaires constitutionnelles, par la voix de son président Giorgio Napolitano, s'interroge néanmoins sur "l'avenir" de ce projet de Charte et sur la possibilité de l'intégrer dans les traités lors du Conseil européen de Nice.
Je déduis donc de cette question que le Parlement, ou tout au moins sa Commission constitutionnelle, approuve le texte issu de la Convention, ce dont je ne peux que me réjouir. Nous aurons sans doute l'occasion d'en débattre à nouveau, de manière plus approfondie, lors du débat prévu ici même, en novembre, sur la proclamation du texte par les trois Institutions.
Mais, avant de répondre précisément à la question de la Commission constitutionnelle, permettez-moi de dire en quoi le travail de la Convention constitue une double réussite.
Premièrement, c'est une réussite quant à la procédure retenue. Celle d'une instance, la Convention, composée de membres du Parlement européen, de parlementaires nationaux, de la Commission européenne et de représentants personnels des chefs d'Etat et de gouvernement.
La diversité et la qualité des membres désignés ont constitué, incontestablement, un facteur de richesse.
De même, me paraît tout aussi remarquable le double souci qu'a eu la Convention de travailler en toute transparence et en parfaite interactivité avec les citoyens via l'Internet. Ainsi, dans un souci d'ouverture, elle a auditionné, au cours de ses travaux, les grandes organisations non gouvernementales, les partenaires sociaux et les pays candidats à l'adhésion. Cette transparence, cette ouverture, ont activement contribué à l'amélioration progressive des différentes versions du projet de Charte.
Je suis, pour ma part, convaincu que l'expérience de la Convention nous indique clairement l'un des chemins que l'Europe pourrait désormais suivre, afin d'être plus transparente et plus à l'écoute de ses citoyens.
La deuxième grande réussite c'est, bien sûr, le résultat auquel est parvenue la convention.
La Charte est, en premier lieu, et c'est suffisamment rare pour être souligné, un document clair et bien ordonné. En rassemblant une cinquantaine d'articles, répartis en six chapitres - dignité, liberté, égalité, solidarité, citoyenneté et justice - elle répond indéniablement aux soucis de concision et de clarté que nous avions exprimés et donc aussi aux attentes de nos concitoyens.
La charte est, ensuite, un texte cohérent. Ses rédacteurs ont su respecter la double exigence de ne pas créer de droit ex nihilo et de faire la photographie, exacte mais évolutive, de l'étendue des droits fondamentaux en vigueur dans l'Union.
Mais c'est surtout par la force de son contenu que la charte fera date.
Elle réaffirme tout d'abord, avec netteté, les droits civiques fondamentaux, tels qu'ils sont issus de la Convention européenne des Droits de l'Homme. A ce titre, les rédacteurs de la charte ont eu le souci constant d'éviter tout risque de divergence de jurisprudence entre la Cour européenne des Droits de l'Homme, responsable du respect de la Convention, et la Cour de justice des Communautés européennes, notamment en reprenant la rédaction issue de la convention du Conseil de l'Europe lorsque celle ci paraissait la plus aboutie .
Bien évidemment, la Charte ne se contente pas de réaffirmer des droits préexistants. Elle consacre de nombreux droits nouveaux, correspondant aux évolutions de nos sociétés, qu'il s'agisse du développement des technologies, de l'apparition de nouvelles dépendances ou encore de la complexité de nos systèmes administratifs.
Je me réjouis enfin, bien sûr, de l'importance que ce texte accorde aux droits économiques et sociaux.
La France a plaidé avec force pour que ce volet soit substantiel, mais c'était aussi la volonté de nombreux autres Etats membres - ce dont la Présidence ne peut que se réjouir. Il en allait de la force novatrice de la Charte et de la consolidation du modèle social européen, auquel nous sommes profondément attachés.
Ainsi, la Charte garantit-elle le droit à une éducation gratuite, le droit des travailleurs à être informés et consultés , ainsi que le droit de négociation et d'action collective, y compris la grève, le droit de protection contre tout licenciement injustifié, le droit à la protection sociale, ou encore l'interdiction du travail des enfants.
Au total, la Charte représente, je crois, la plus grande avancée collective, en matière d'affirmation des droits sociaux, depuis le début de la construction européenne. Elle mérite donc d'être saluée.
Alors, demandez-vous, pourquoi une telle réussite ne serait-elle pas couronnée par l'intégration de la Charte dans les traités ?
En premier lieu et pour répondre très précisément à la question soulevée par le président Napolitano, je tiens à rappeler le texte même des conclusions du Conseil européen de Cologne qui avait lancé le processus : "Le Conseil européen proposera au Parlement européen et à la Commission de proclamer solennellement conjointement avec le Conseil, une Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne". Aussi, le Conseil doit lui-même s'accorder politiquement sur le projet de Charte - ce qu'il fera informellement lors du Conseil européen de Biarritz - et laisser aux autres institutions, la Commission, votre Parlement, mais aussi, pourquoi pas, à certains Parlements nationaux, le temps de se prononcer, sur le fond, sur le contenu de ce document. Dès lors, en termes de calendrier, la proclamation ne pourra avoir lieu qu'à l'occasion du Conseil européen de Nice.
En outre, les conclusions de Cologne ont toujours précisé que la question de l'intégration dans les traités ne pourrait être examinée qu'après la proclamation de la Charte à Nice. Et d'ailleurs, à ce jour, le Conseil n'a pas abordé ce point. Je dois cependant confirmer qu'une très large majorité d'Etats semble demeurer opposée à cette intégration.
Je suis alors tenté de répondre à votre interrogation par une autre question : faut-il prendre le risque d'un rejet à Biarritz de ce texte ou faut-il avoir confiance dans la force de cette Charte, qui, j'en suis sûr s'imposera d'elle-même, à la fois comme référentiel des valeurs de l'Union et comme source d'inspiration pour la Cour de Justice de Luxembourg ?
Laissons un peu de temps au temps. La réflexion sur l'avenir de la Charte rejoint, à mon sens, la réflexion sur l'avenir de l'Europe. Certains ont ainsi évoqué la nécessité de doter l'Union européenne, un jour, d'une Constitution. A titre personnel, cela me paraît une bonne idée, à condition que l'on se soit, auparavant, mis d'accord sur son contenu, c'est-à-dire sur une éventuelle clarification des compétences, sur le rôle de chaque institution au sein de l'Union, sur l'équilibre entre elles. On pourrait imaginer - je suis en tout cas tout prêt pour ma part à le faire - qu'alors la Charte trouve sa place dans un tel "traité constitutionnel", sous la forme d'un préambule.
Mais beaucoup de travail reste à faire avant de s'engager vers cette nouvelle étape et il me semble prématuré de vouloir en esquisser le calendrier dès aujourd'hui. Nous devrons, à Nice, et en fonction des résultats de la CIG, préciser ce qu'il est raisonnable d'envisager pour la suite.
Ainsi, la réflexion sur "l'après-Nice" recouvre plusieurs thématiques, parfois présentées de façon simplificatrice.
Il y a, d'abord, la thématique de l'amélioration du fonctionnement institutionnel de l'Union à 30 membres. Nous y travaillons déjà dans la Conférence intergouvernementale en cours, mais nous savons bien qu'il faudra aller plus loin dans l'adaptation de la méthode communautaire si nous voulons en préserver l'essentiel : j'en ai dit un mot à propos des coopérations renforcées ; celles-ci nous paraissent constituer l'instrument majeur pour favoriser l'évolution pragmatique d'une Europe communautaire demain beaucoup plus élargie et hétérogène. Je n'y reviens pas.
Il y a, ensuite, la question de la constitutionnalisation des traités pour répondre à une double exigence : celle d'une clarification des textes, que nous devons rendre plus cohérents et plus accessibles à nos concitoyens et celle d'une meilleure articulation des compétences. Ces questions ne sont pas nouvelles et, surtout, nous savons bien à quel point elles sont ardues.
Et puis il y a un troisième axe de réflexion que nous ne devons pas perdre de vue et qui concerne l'amélioration de la gouvernance de l'Union ; je veux évoquer là, la réforme du fonctionnement des Institutions, indépendamment de la réforme des traités, qui répond au besoin, fortement ressenti par les opinions publiques, que les orientations de l'Europe soient plus claires, que les instruments soient mieux maîtrisés, que le gouvernail, en un mot, soit mieux tenu. Cela suppose que nous soyons capables de "rehausser" politiquement chacune des Institutions et, par conséquent, l'équilibre politique entre elles.
A cet égard, les propositions que le président Prodi prépare, pour l'année prochaine, seront des plus utiles. En lui laissant maintenant la parole, je suis sûr qu'il nous fera part des premières réflexions, en la matière, de l'Institution qu'il préside.
Mais, je le répète, dans l'immédiat, et c'est la Présidence en exercice qui parle, concentrons-nous sur les tâches qui sont les nôtres. Efforçons-nous de les mener à bien, tous ensemble.
Je vous remercie de votre attention./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)
Messieurs les Présidents,
Monsieur le Commissaire,
Mesdames et Messieurs les Rapporteurs,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Permettez-moi d'abord de vous remercier pour avoir organisé ce débat sur l'élargissement, dont je salue l'opportunité à un double titre :
- d'abord, parce que l'élargissement de l'Union n'est pas une priorité comme une autre, mais - faut-il le rappeler ? - la toile de fond de toute l'activité de l'Union européenne aujourd'hui, une perspective politique qui conditionne l'ensemble de nos travaux, à commencer naturellement par celui de la réforme de nos Institutions.
A cet égard, je veux saluer le travail qui a été accompli par le Parlement européen, sous la forme de rapports consacrés à chacun des douze pays candidats entrés en négociation, et d'un rapport d'ensemble du président Brok sur lequel j'aurai l'occasion de revenir plus particulièrement au cours de mon intervention ;
- il me semble ensuite que, sur la base des travaux qui ont été engagés par les Présidences précédentes et par la Commission, la Présidence française sera en mesure, lors du Conseil européen de Nice, de parvenir à une vue assez précise du processus d'adhésion.
Je me propose donc de vous dire très concrètement comment agit la Présidence française, au cours de ce semestre, afin de parvenir au résultat que je viens d'indiquer.
I. Première orientation : nous devons aller, bien sûr, aussi loin que possible dans les négociations d'adhésion, afin d'en faire un bilan aussi précis que possible à Nice, pays par pays et chapitre par chapitre.
Dans cette perspective, je rappelle d'abord que nous prévoyons d'organiser, pour chaque pays candidat, deux sessions de négociation au niveau des suppléants et une session au niveau ministériel, répartie en deux vagues, les 21 novembre et 5 décembre, adossées aux sessions du Conseil Affaires générales. La Présidence française informera immédiatement la Commission des Affaires étrangères du résultat de ces négociations, dès le mardi après-midi, comme c'est désormais la coutume entre nous.
Comme vous le savez, le Conseil européen d'Helsinki a mis l'accent sur le principe de différenciation entre les pays candidats. Ceci signifie concrètement, tant pour la Présidence que pour la Commission, qui travaillent vraiment main dans la main dans la conduite des négociations - et je veux souligner devant vous la parfaite convergence de vues qui existe avec le Commissaire Verheugen, dont je salue ici la très grande qualité du travail - ceci signifie donc que chaque candidature doit être jugée, et sera jugée in fine, sur ses mérites propres.
Je n'entrerai naturellement pas dans le détail de chacune de ces négociations, laissant peut-être cette présentation au débat qui va suivre sur les douze rapports. Mais je veux néanmoins rappeler en quelques mots l'ampleur du travail qui a été engagé avec ceux que, par commodité de langage, on appelle les "Six de Luxembourg" et les "Six d'Helsinki".
Avec les "Six de Luxembourg", tous les chapitres de l'acquis, sauf un (le chapitre relatif aux Institutions) ont été ouverts, certains étant clos provisoirement (de 12 à 16 selon les pays), d'autres restant en négociation (de 13 à 18). Je crois donc que nous commençons à avoir une vue assez précise des difficultés qui demeurent dans chacune de ces négociations, tant du côté des pays candidats que de l'Union elle-même, et qu'on peut ranger - me semble-t-il - en trois catégories :
- d'abord, la reprise de l'acquis : où en sont les pays candidats ? Comment évaluer concrètement les engagements qu'ils prennent dans le cadre des négociations et leur capacité à transposer concrètement cet acquis ?
C'est pourquoi, tout comme le Parlement européen, la Présidence française a souhaité disposer de tableaux de suivi de la reprise de l'acquis, régulièrement mis à jour, étant entendu que le principe de base des négociations doit rester une reprise intégrale de cet acquis ;
- ensuite, la question des périodes transitoires, qui est évidemment liée à la précédente : comme vous le savez, les candidats ont exprimé un certain nombre de demandes en ce sens : c'est le signe que les négociations d'adhésion sont entrées, clairement, dans une nouvelle phase et qu'il faut désormais, comme le souhaite la Présidence française, entrer dans les discussions de fond. Je signale, à cet égard, que le Conseil a engagé, sur la base d'un premier document de la Commission, un travail de réflexion qui doit permettre à l'Union d'avancer dans les négociations ;
- enfin, bien sûr, il y a les positions de négociation s'agissant des chapitres les plus difficiles de l'acquis, compte tenu notamment de leurs implications budgétaires pour l'Union : je pense naturellement à la politique agricole commune et aux politiques de développement régional.
Je l'ai dit : la Présidence française n'éludera aucune des difficultés qui se présentent. Ce qui ne signifie pas, bien sûr, que nous aurons le temps et les moyens de traiter chacune d'entre elles. Mais, pour nous, imprimer une nouvelle dynamique à ces négociations signifie que, s'agissant notamment de la question des périodes transitoires, nous ferons tout pour avancer, de façon pragmatique.
Quelques mots ensuite sur les "Six d"Helsinki", qui ont engagé les négociations au début de cette année : la moitié des chapitres de l'acquis aura été ouvert à la négociation à la fin de notre Présidence. Nous comptons en effet, en parfait accord avec le commissaire Verheugen, engager les négociations sur 42 nouveaux (de 4 à 9 selon les pays) chapitres, tout comme la Présidence portugaise avant nous. Ceci devrait permettre aux meilleurs candidats de rattraper assez rapidement - peut-être dès l'an prochain - ceux du Groupe de Luxembourg, et nous savons qu'il s'agit là d'un souhait que certains ont explicitement exprimé. Il est évident que le travail effectué par chacun des rapporteurs et les commissions parlementaires viendra nourrir utilement nos propres réflexions.
II. Permettez-moi d'évoquer à présent la seconde orientation selon laquelle la Présidence souhaite faire évoluer, au cours de ce semestre, le processus d'élargissement.
Je viens de rappeler le travail technique très important qui a été engagé depuis 3 ans, et j'ai dit aussi que, s'agissant de certains pays candidats au moins, nous aurons très prochainement une vue assez précise des difficultés qui demeurent.
Le moment nous semble donc venu de porter ce travail à un niveau plus politique, en rassemblant toutes les informations dont nous disposons.
C'est pourquoi nous préparons un débat ministériel de fond - qui aura lieu à l'occasion du Conseil Affaires générales du 20 novembre - sur la base de documents précis que fournira la Commission, s'agissant notamment de la reprise de l'acquis par les pays candidats et des progrès accomplis par chacun.
Sur la base de ce débat, la Présidence aura ainsi les éléments nécessaires pour que les chefs d'Etat et de gouvernement aient, à Nice, une discussion sérieuse concernant la suite du processus d'élargissement.
C'est dans cet esprit aussi que la Présidence française a décidé d'organiser deux réunions de la Conférence européenne, l'une au niveau ministériel, le 23 novembre prochain, à Sochaux, l'autre au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, le 7 décembre, à Nice. Ces débats seront d'abord l'occasion d'informer les pays candidats de l'état des travaux concernant la réforme des Institutions, bien sûr, mais aussi d'engager, avec ces pays, une réflexion politique sur le fonctionnement de l'Union élargie.
Bien entendu, il n'est pas exclu que les pays candidats saisissent ces occasions pour évoquer, une fois encore, la question de la date de ces élargissements. Cette question est, bien sûr, parfaitement légitime. Mais, à cet égard, je veux rappeler ici que, d'une certaine façon, cette question est déjà réglée, puisque le Conseil européen d'Helsinki a fixé au 1er janvier 2003 la date à laquelle l'Union devra être prête à accueillir les premiers adhérents, c'est-à-dire ceux qui se seront le mieux préparés, à la condition, naturellement, que, d'ici là, un bon traité ait été conclu à Nice et ratifié par les parlements de l'Union.
Je demeure personnellement convaincu que, dans le débat sur la date des premières adhésions, l'Union doit éviter de multiplier les effets d'annonce. Chacun comprend bien l'intérêt d'une date pour les pays candidats, à la fois objectif et facteur de mobilisation. Mais la date du 1er janvier 2003, qui est la seule dont l'Union soit convenue, constitue, pour les candidats comme pour nous, un objectif extrêmement ambitieux, et c'est dans cette perspective que la Présidence mobilisera tous ses efforts.
Loin de moi, bien sûr, l'idée que nous aurons terminé toutes les négociations en 2001, ce qui permettrait ensuite de les ratifier en 2002. Il ne s'agit pas de cela, et, pour certains pays candidats, les négociations vont se poursuivre encore quelques années.
Mais il est vrai aussi que le travail qui a été entrepris, et auquel nous souhaitons donc apporter une impulsion forte, devrait permettre, dès la fin de cette année 2000, d'une part, de mieux appréhender l'équilibre général de chacune des négociations, et, d'autre part - en tout cas pour les pays candidats qui sont les plus avancés - d'identifier clairement les difficultés à résoudre prioritairement pour faire aboutir ces négociations.
Travaillons donc dans cette direction, avec l'idée que nous devrons examiner, dans la perspective de 2003, quels sont les candidats qui sont prêts à nous rejoindre à cette date.
Un mot enfin sur la Turquie qui, pour l'Union, fait désormais clairement partie du processus d'élargissement et constitue le 13ème candidat à l'adhésion. Je sais d'ailleurs que M. Morillon prépare actuellement sur ce pays un rapport que nous attendons avec intérêt.
Nous ne pouvons que nous réjouir qu'un certain nombre d'obstacles aient été surmontés quant à la reconnaissance, à Helsinki, de la candidature de ce pays. En même temps, nous sommes parfaitement conscients des hypothèques qui demeurent à cette adhésion, en commençant par les questions liées au respect des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales dans ce pays, sur lesquelles les progrès accomplis sont très loin de satisfaire aux critères de Copenhague.
En accord, là encore, avec la Commission, la Présidence française s'efforcera de parvenir à un double résultat : d'abord, bien sûr, l'adoption d'un Partenariat pour l'adhésion, qui est nécessaire tant pour la Turquie que pour l'Union ; ensuite, la mise en place du règlement financier permettant à l'Union d'honorer les engagements qu'elle a contractés vis-à-vis de ce pays, et que nous souhaiterions adopter d'ici la fin de l'année.
Je vous remercie de votre attention et suis prêt maintenant à suivre, avec la plus grande attention, le débat très important qui nous réunit aujourd'hui./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 octobre 2000)
Q - Concernant la coordination des politiques économiques, on a le sentiment que vous avez contredit M. Prodi en estimant que les Etats sont assez grands pour coordonner tout seuls leurs politiques économiques, mais la lecture du projet du budget français pour 2001 ne donne pas vraiment cette impression puisque nous nous écartons très nettement du programme de stabilité qui a été signé par l'ancien ministre des Finances et qui prévoyait d'affecter les surplus budgétaires à la réduction du déficit français. Ne croyez-vous pas que le discours de M. Prodi mériterait d'être examiné un peu plus profondément que vous ne l'avez fait ?
R - D'abord, peut-être, une appréciation générale sur le discours de M. Prodi. C'est un discours qui est important et nous l'avons bien vu. Un discours avec lequel je marque de très nombreux points d'accord, beaucoup plus que de points de différence, car je crois qu'il a le mérite, effectivement, de rappeler le caractère irremplaçable de la méthode communautaire dans le passé, le présent et dans l'avenir. Il a raison aussi de ne pas souhaiter que le mode intergouvernemental devienne la façon exclusive de gérer les relations au sein de l'Union européenne. Ce n'est pas une bonne chose. Je crois, enfin, qu'il a tout à fait raison de rappeler le rôle central de l'institution qu'il préside qui est la Commission, qui, je le rappelle, est à la fois chargée de gérer, d'impulser et de garder les traités. Je salue donc ce discours. Il a aussi, il faut le noter, touché le coeur du Parlement européen. Mais, se sont manifestées - et cela est bien normal dans la position qui est la mienne - quelques interrogations sur un certain nombre de points. D'abord, une interrogation générale : si je suis d'accord pour affirmer que le "tout intergouvernemental" est une mauvaise chose, je ne crois pas non plus qu'il faille passer au "tout communautaire". Je ne le pense sincèrement pas. Je pense que les institutions telles quelles sont, définissent un équilibre. Et comme je l'ai dit, dans ma propre intervention, avant la sienne et sans connaître la sienne, je pense qu'il faut rehausser chacune des institutions. Nous avons besoin d'une Commission plus forte et cela passera peut-être par une précision que j'ai attendue du Président de la Commission. Pour cela, il faut une Commission plus restreinte en nombre, plus concentrée. Il faut un Conseil plus fort, un Parlement européen concentré sur ses missions qui deviennent de plus en plus importantes et qui le seront encore, après la Conférence Intergouvernementale, puisqu'il y aura sans doute une extension forte du champ de la codécision avec le passage à la majorité qualifiée.
Et puis, j'ai manifesté deux interrogations immédiates. Ce discours est important et méritera d'être examiné d'une façon plus approfondie. Il y a un sujet sur lequel il m'a semblé que M. Prodi était prêt à opérer un transfert d'un système qui est intergouvernemental vers un système qui est plus communautaire, plus centré sur la Commission. Sur la PESC, je disais, il y a une seconde, que la Commission était la gardienne des traités. Nous avons ensemble, à Amsterdam, et je crois que M. Prodi était à l'époque membre du Conseil européen, créé cette institution, M. PESC, pour coordonner les politiques étrangères et de sécurité commune qui demeurent tout de même très largement des politiques nationales. Et il est clair que, si la Commission doit jouer son rôle, la PESC, pour le coup, demeure très largement dans le champ de l'intergouvernemental. Et c'est comme ceci que les choses avancent. Peut-être un jour passera-t-on à autre chose. Mais il n'est pas opportun dès maintenant, alors que nous avons cet homme, M. PESC, et ses fonctions qui se mettent en route, d'envisager qu'ils cessent d'exister. Quant à la coordination des politiques économiques, je crois que nous sommes dans un système où il est très important que le Conseil et la Commission collaborent ensemble avec la Banque Centrale européenne. Mais il est clair que, pour beaucoup, nous souhaitons que cette coordination s'exerce au sein de l'Eurogroupe. Il me semble qu'il serait préférable qu'il y ait une coordination forte entre la Commission et l'Eurogroupe plutôt que de transférer ce pouvoir de gouvernance économique à la Commission seule. Nous voyons bien, dans les circonstances actuelles, à quel point le Président de l'Eurogroupe est important.
Nous sommes dans un dialogue sain. Je ne suis pas là pour défendre le Conseil contre la Commission. Le Conseil n'est pas agressé par la Commission. Mais je suis là aussi pour exprimer un point de vue qui peut être celui de l'équilibre institutionnel et qui suppose le respect de chaque institution par l'autre.
Quant aux lignes directrices en matière de finances publiques, je peux vous rassurer, elles seront respectées par un projet de loi de finance 2001 qui commencera par être discuté par les parlements dès la semaine prochaine. Peut-être même avant.
Q - Concernant les propos de M. Prodi sur M. Solana, vous y voyez un problème de fond. Vous y voyez une certaine critique à la gestion qui a été faite ?
R - Non, je pense d'ailleurs que ce n'est pas comme cela que M. Prodi l'a présenté. Il a salué M. Solana dont, tous, nous apprécions absolument le travail. D'ailleurs, cela n'était pas une remise en cause du rôle de la fonction de celui-ci. C'était plutôt une interrogation sur ce qu'il fallait faire pour la suite. Enfin, c'est comme ceci que j'ai compris l'interrogation du Président Prodi. Mais pour ma part, je suis à la fois attaché à la personne et à la fonction. On aurait pu faire autre chose que de créer M. PESC. Mais nous l'avons fait. C'est dans le traité d'Amsterdam et la Commission se doit d'être d'abord gardienne des traités. Et si nous l'avons fait, c'est que nous avons souhaité que la coordination de la politique étrangère et de sécurité commune ne soit pas située en apesanteur, mais qu'elle soit associée au Secrétariat général du Conseil, donc placée auprès du Conseil. Je défends donc la personne et l'institution. Encore une fois cette institution n'est pas la perfection mais je crois que nous devons, au contraire, maintenant, faire en sorte qu'elle se renforce et qu'elle fonctionne en bonne intelligence avec la Commission. C'est très important. Il ne doit pas y avoir de conflit entre M. Patten et M. Solana, entre le Commissaire aux relations extérieures et le Haut représentant.
Q - Vous avez donné le sentiment de ne pas partager l'approche de M. Prodi sur l'avenir de l'Union européenne ?
R - Un débat est toujours utile. J'ai donné ma réponse qui n'est pas exactement la sienne. Mais les débats sont sains. Nous sommes à un moment où chacun doit donner son point de vue sur l'Union européenne qu'il voit dans le futur.
Q - Que pensez-vous de l'idée de M. Prodi d'avancer vers une clarification des compétences entre les niveaux européen et national ?
R - J'ai dit moi-même que cette clarification des compétences devrait faire partie, d'une façon ou d'une autre, d'une prochaine réflexion. La méthode reste à définir. Mais cela ne résume pas toutes les problématiques constitutionnelles. Cela doit être aussi une problématique d'examen de la répartition des pouvoirs.
Q - Pensez-vous que l'Eurogroupe a fait suffisamment pour défendre l'euro ou traiter de la question de la hausse des prix du pétrole ?
R - Je me suis peut-être mal fait comprendre, mais il me semble que je n'ai pas du tout minimisé le rôle de l'Eurogroupe. S'il y a un pays en Europe qui ne minimise pas le rôle de l'eurogroupe, c'est la France. Vous avez évoqué tout à l'heure un ministre des Finances qui n'est plus en activité, reconnaissons quand même que l'Eurogroupe lui doit beaucoup. Reconnaissons tout de même que c'est à Dominique Strauss-Kahn que nous devons cette idée, pour beaucoup cette réalisation et que nous sommes parmi les plus attachés à cela. Et, justement, dans ma réponse à M. Prodi, ce que j'ai souligné, c'est qu'il fallait, au contraire, développer les rôles de l'Eurogroupe et de l'ECOFIN, en liaison avec la Commission parce qu'encore une fois, je ne souhaite pas exclure la Commission de cela. Mais je ne souhaite pas non plus faire en sorte que la Commission ait un rôle exclusif en la matière. Donc, c'est affirmer le rôle de l'Eurogroupe qui me paraît très important et j'observe que, face aussi bien aux problèmes de l'euro que face à la crise pétrolière, l'Eurogroupe et l'ECOFIN ont joué leur rôle, notamment vendredi dernier. C'est un exemple de ce qu'il faut faire dans ce type de situation. La parole du Président de l'Eurogroupe est et sera de plus en plus importante pour l'avenir. Ce qui ne veut pas dire qu'on ne peut pas chercher les moyens de pérenniser, de réformer, etc....
Q - Actuellement, la voix de l'Eurogoupe change tous les 6 mois, à chaque nouvelle Présidence. Alors n'est-il pas temps qu'au-delà de la collaboration entre la Commission et le Conseil ce soit un membre de la Commission qui préside cet Eurogroupe ?
R - Il me semble que j'ai fait comprendre ce qu'était ma position.
Q - Tout de même sur la PESC, n'y a-t-il pas conflit de compétence ?
R - Il ne faut pas s'imaginer qu'à partir du moment où il y a deux personnes qui s'occupent d'une question il y a un conflit de compétence. L'Union européenne, c'est exactement l'inverse. L'Union européenne, c'est un système de coopération intelligente entre au moins trois institutions (Parlement européen - Conseil et Commission). Et de facto, il y a sans doute à clarifier les compétences, mais il y a aussi à voir comment tout cela se coordonne et s'articule. Votre réflexion pourrait valoir sur chaque sujet de l'Union européenne. Ma conviction profonde c'est que l'avenir, c'est la coordination. Par ailleurs, s'agissant de M. PESC, on peut rappeler qu'il a déjà rendu des services tout à fait éminents ; je citerai trois exemples :
La Turquie : on se souvient que lors du Conseil européen d'Helsinki la décision d'accepter la Turquie comme candidat était extrêmement difficile. Nous étions arrivés à un point de blocage lors de la première journée du Conseil. Nous avons envoyé M. Solana en Turquie et il est revenu avec un texte qui a pu être acceptable pour tous ;
Son action dans les Balkans, saluée par tous ;
La politique européenne de sécurité commune et de défense. Il est clair qu'il y contribue d'une part et que, d'autre part, il y joue un rôle.
Donc je disais que, théoriquement, un jour, nous pourrons revoir les choses, mais ce n'est pas un sujet d'actualité. Voilà le sens de ma réponse.
Question : Faut-il prévoir des députés européens pour les pays candidats dès 2004 ?
R - Je vous rappelle que nous avons une date : 1er janvier 2003. C'est à cette date que l'Union européenne doit être prête à accueillir les pays candidats. Je ne suis pas en faveur du changement de cette date. Cette date signifie que, si certains pays sont prêts à ce moment-là ils puissent avoir des représentants. En même temps, je ne crois pas que l'on pourra avoir tous les pays candidats présents lors des élections européennes en 2004. Je voudrais que l'on garde un peu la raison. Par ailleurs, je vous le dis aussi très clairement : la France n'a pas l'intention d'inscrire une date pour l'élargissement, date qui pourrait être contre-productive car elle risquerait fort de n'être pas celle que souhaitent les pays candidats.
Q - Partagez-vous l'opinion de M. Napolitano quand il a dit que les travaux de la Conférence intergouvernementale n'avancent pas.
R - Je partage toujours une bonne partie des opinions de M. Napolitano qui est un ami. Mais en l'occurrence, je crois que ce point de vue date peut-être un tout petit peu. J'ai été moi-même extrêmement clair à plusieurs reprises sur les travaux de la Conférence Intergouvernementale. J'ai dit, premièrement, que nous préférerions qu'il n'y ait pas de traité à Nice plutôt qu'un mauvais traité. Je le redis aujourd'hui. Personne ne doit penser que, de la part de la Présidence, c'est une position tactique. C'est une position de fond que nous tiendrons jusqu'au bout et que nous affirmerons à Biarritz.
J'ai également souligné, comme M. Védrine, que les travaux de la Conférence intergouvernementale avaient eu du mal à embrayer et que nous étions restés très longtemps dans l'échange statique de positions répétitives. Donc, j'étais plutôt inquiet. Je n'ai pas versé dans l'inquiétude absolue ni dans l'optimisme absolu. Je ne vous dirais pas que tout va bien. Mais, pour être très franc, j'ai le sentiment que nous entrons dans une phase où nous commençons à négocier. On observe, effectivement, certains frémissements. Et j'espère bien que Biarritz sera le lieu, le moment où la négociation commencera à se nouer. Je vous rappelle que Biarritz sera le premier échange entre les chefs d'Etat et de gouvernements depuis Amsterdam, sur la réforme institutionnelle. C'est dire que c'est une rencontre importante. Vous voyez où nous en sommes ? Une négociation difficile qui commence à se nouer, mais en aucun cas une négociation bloquée, car c'est au contraire un moment où peut-être nous observons un léger déblocage. Donc je suis toujours attentif et peut-être un peu moins négatif sur les travaux.
Q - La méthode de la Convention utilisée pour la Charte peut-elle être réemployée après Nice ?
R - Je redis ce que j'ai dit tout à l'heure. Je pense effectivement que la méthode est innovatrice et intéressante. Elle permet d'associer tout de suite les parlements, ce qui est tout à fait important. C'est une méthode qui est ouverte sur la société à travers Internet mais aussi par les consultations nombreuses avec les représentants de la société civile que sont les associations, les organisations non-gouvernementales, donc la méthode est positive. Cette méthode, j'en suis sûr, sera une des voies d'inspiration pour l'avenir. Je dis bien " une des ", car je ne crois pas pour autant que ce soit "la" méthode pour l'avenir. C'est une source d'inspiration mais je ne veux pas de quelque chose qui pourra être utilisé systématiquement.
Quant à savoir si on parlera de méthode à Biarritz où à Nice, il me paraît évident qu'il y aura Nice et qu'il y aura l'après-Nice. Et dans l'après-Nice, on voit bien qu'il y a plusieurs positions qui sont sur la table. Un gouvernement demande une nouvelle Conférence intergouvernementale. D'autres personnalités demandent une Constitution. Il est clair que dans les conclusions de Nice, il devra y avoir quelque chose sur la méthode pour réfléchir à l'avenir. Nous en parlerons à Biarritz et nous verrons, car il me semble qu'il faut d'abord franchir l'étape de Nice. Mais à Nice, dans les conclusions, il devra y avoir des éléments de méthode pour continuer les réformes institutionnelles et politiques de l'Union européenne qui sont nécessaires et qui le demeureront évidemment.
Q - Sur la double majorité et la Charte, pouvez-vous nous rappeler les positions de la France ?
R - Sur la double majorité et la repondération, je dis avec clarté que la préférence qui est la notre va en faveur de la repondération simple - et j'ajoute substantielle - des voix au sein du Conseil. Non pas pour accroître le poids des grands pays mais pour maintenir l'équilibre dans une Union européenne élargie. C'est pour nous une position qui est extrêmement claire et importante. Je note d'ailleurs qu'il y a des évolutions plutôt favorables qui se font au sein du groupe préparatoire. Le groupe le plus important et le plus compact me semble être sur cette thèse. Il s'agit donc plutôt d'une progression de la repondération.
En ce qui concerne la Charte, le rôle de la Présidence est celui d'un maître courtier qui trouve des consensus en évitant d'exprimer une position nationale. Je dois simplement faire deux réflexions : la première c'est qu'il faut être conscient que dans le contexte compliqué de l'élaboration de ce texte original, un certain nombre de délégations et pas des moindres, ont dit oui à l'extension des droits économiques et sociaux à condition que le texte ne soit pas immédiatement contraignant. Le risque, c'est qu'en revenant vers une Charte contraignante on perde en substance. Donc le choix à Nice, entre une charte substantielle ou une charte contraignante ? Ma conviction personnelle, qui je crois est aussi celle de mon pays, c'est que nous devons faire le choix de la substance. Que celle-ci doit s'imposer ensuite et de cette façon là la Charte pourra devenir le préambule.
Je crois que la Charte est un texte important et que ce texte aura un avenir majeur.
Deuxième point : l'article 6 du Traité fait référence aux valeurs que nous devons respecter. A partir du moment où nous avons une charte qui reprend pour l'essentiel les dispositions de la Convention européenne des Droits de l'Homme, pourquoi ne pas introduire la Charte dans l'article 6, ce qui ne serait pas une incorporation, mais une référence ? Je crois que cela serait un geste très significatif. Nous y sommes ouverts et il faudra vérifier si tout le monde est dans la même disposition, ce dont je ne suis pas convaincu, mais je suis prêt à tenter le coup. Je crois que cela serait une manière à la fois élégante et efficace de montrer que cette Charte est tout de même une inspiration directe pour les Européens et non pas uniquement un texte européen.
Q - On n'avait pas entendu le président de la Commission depuis très longtemps. Considérez-vous que son discours donne un coup de pouce à la Présidence française ou au contraire un croc-en-jambe à la Présidence puisqu'il est un peu critique par rapport à celle-ci ?
R - Je ne raisonne absolument pas dans cet ordre. Je vous répète que c'est un discours important dont je me réjouis parce qu'il est essentiel que la Commission se porte bien, que son président soit aussi reconnu et, de ce point de vue, le succès qu'il a connu devant le Parlement est un aspect positif. Pour le reste, chaque institution demeure dans sa logique et nous, nous pouvons continuer librement à développer nos thèses comme le président Prodi a développé les siennes. Il ne s'agit pas d'y voir un croc-en-jambe ou une bataille. Quand M. Prodi intervient, je ne vois pas là une offense contre le Conseil. Et quand le Conseil répond, je crois qu'il ne faut pas que la Commission y voit une offense contre elle. Je le répète. Le débat entre les institutions est plutôt sain. Il permet que chacun puisse y affirmer ses positions avec force.
Je vous remercie./.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 9 octobre 2000)