Déclarations de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, sur l'état des négociations sur l'élargissement de l'UE et les institutions communautaires, ainsi que sur la conférence de Marseille entre l'UE et les pays méditerranéens, Bruxelles le 21 novembre 2000.

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Circonstance : Auditions de M. Pierre Moscovici devant la commission des affaires étrangères et la commission constitutionnelle du Parlement européen, Bruxelles le 21 novembre 2000

Texte intégral

Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui pour vous rendre compte, conformément à la tradition que la Présidence française a inaugurée en juillet dernier, des résultats de la session du Conseil Affaires générales, qui s'est tenue hier et aujourd'hui, mais aussi des discussions que les ministres des Quinze, en présence de votre président, Elmar Brok, ont tenues, dimanche, dans le cadre d'un nouveau conclave consacré à la CIG.
Comme vous le savez, cette session du Conseil, à quinze jours seulement du Conseil européen de Nice, était particulièrement chargée sur le plan des relations extérieures, avec, en particulier, un important débat que la Présidence a souhaité avoir sur l'élargissement de l'Union européenne. J'y ajoute une série de six négociations d'adhésion au niveau ministériel avec la Bulgarie, la Lettonie, la Lituanie, Malte, la République slovaque et la Roumanie, que j'ai présidées lundi soir et ce matin. Et, dans ce contexte encore, les ministres ont évoqué la question du partenariat d'adhésion avec la Turquie - question qui, je le sais, vous préoccupe tout particulièrement à la suite de vos travaux sur le rapport de M. Morillon.
Ce bref détour par la Méditerranée me donnera l'occasion de vous dire également quelques mots sur l'état du dialogue euro-méditerranéen, à la suite de la Conférence qui s'est tenue jeudi dernier à Marseille.
Par ailleurs, ce Conseil a été marqué par la très importante réunion conjointe des ministres des Affaires étrangères et de la Défense des Quinze, consacrée à l'engagement des capacités nécessaires pour atteindre les objectifs ambitieux qui ont été fixés par le Conseil européen d'Helsinki.
Enfin, je vous rendrai compte, comme convenu, des résultats du conclave de dimanche relatif à la réforme des Institutions.
Notre ordre du jour est chargé et notre temps limité. Je vous propose donc d'entrer sans plus attendre dans le vif du sujet.
I - Premier point, donc, l'élargissement de l'Union européenne
Comme je vous l'avais indiqué, ici même, en juillet dernier, et sur la base des conclusions du Conseil européen de Feira - qui indiquait que le Conseil européen de Nice devrait "prendre la mesure du chemin parcouru vers l'élargissement, et réfléchir à la manière dont le processus d'adhésion devra se poursuivre" - la Présidence française a jugé utile que le Conseil ait un débat sérieux sur cette question.
Comme vous le savez aussi, la Commission a fort utilement nourri nos travaux, en remettant, le 8 novembre dernier, un document de stratégie, des tableaux de bord relatifs à chacune des douze négociations qui ont été engagées, et, enfin, ses treize rapports annuels sur le progrès de chaque candidat. Je tiens, à cet égard, à féliciter et à remercier le commissaire Verheugen et ses services pour la qualité de leur travail.
Au total, nous disposons donc aujourd'hui d'une série d'instruments nous permettant de mesurer précisément le respect des critères politiques et économiques de Copenhague, ainsi que les progrès réalisés par chaque candidat dans la reprise de l'acquis. Je salue en particulier l'innovation que constituent les tableaux de bord, véritable photographie des progrès réalisés par chaque pays, dans chaque chapitre, et qui sont ainsi une illustration pratique du principe de différenciation qui est, pour l'Union - et pour la Présidence française en particulier - une garantie absolument essentielle du sérieux de la négociation.
Sur cette base, que la Présidence a traduite sous la forme d'un questionnaire adressé à chaque Etat membre, le Conseil a eu un important débat, dont je retiens les deux éléments suivants :
- d'abord, un accord d'ensemble sur le fait que la reprise intégrale de l'acquis doit rester le principe de base de la négociation. Dès lors, en ce qui concerne les demandes exprimées par les candidats en matière de périodes transitoires, nous sommes convenus qu'il faudra conserver un traitement au cas par cas, sans distinguer artificiellement, au sein de l'acquis, ce qui serait négociable (par exemple, certaines politiques communes) et ce qui ne le serait pas (par exemple, le marché unique). L'acquis communautaire forme un tout, et il faut en garder la cohérence : procédons, en conséquence, avec pragmatisme.
- ensuite, le Conseil a largement examiné la "feuille de route", proposée par la Commission pour la poursuite des négociations, et qui répartit, au cours des trois semestres prochains - jusqu'à la mi-2002, donc - les difficultés à traiter. Là encore, comme le souhaitait la Présidence, le débat a confirmé que l'Union se prépare à accueillir de nouveaux membres au 1er janvier 2003, sur la base du calendrier indicatif et qui est suggéré par la Commission.
Au total, cette feuille de route est, à la fois, un élément extrêmement utile de clarification du débat, mais aussi un signal politique très important pour les candidats, témoignant de l'engagement de l'Union à aborder rapidement toutes les questions, même les plus sensibles.
Un mot enfin, sur les négociations d'adhésion, au niveau ministériel, que j'ai présidées avec les six candidats du groupe d'Helsinki, lundi soir et ce matin.
Je crois, là encore, que grâce aux efforts conjugués de la Commission et de la Présidence, mais aussi, naturellement, des pays concernés, la Présidence est en train de tenir l'objectif qu'elle s'était fixé, qui est de progresser substantiellement dans ces négociations. Au total, depuis leur ouverture, en février dernier, les négociations avec les six "candidats d'Helsinki", les négociations ont pu aboutir sur une dizaine de chapitres avec les pays les plus avancés (ainsi, 12 chapitres provisoirement clos avec Malte, 10 avec la Slovaquie). Je vous rendrai compte, le 5 décembre prochain, des résultats enregistrés avec les "six pays candidats de Luxembourg".
Un mot sur le partenariat d'adhésion avec la Turquie, que nous avons également évoqué, lors du déjeuner des ministres. Comme vous le savez, la Présidence cherche une solution pour satisfaire les demandes de la Grèce, tout en surmontant les objections des autorités turques, et c'est pourquoi nous n'avons pu conclure à ce stade. Nous devons le faire d'ici au prochain Conseil Affaires générales, le 4 décembre prochain ; à défaut de quoi, ce problème sera renvoyé à la Présidence suédoise.
II - Quelques mots, à présent, sur le partenariat euro-méditerranéen qui a fait l'objet - vous le savez - de la Conférence qui s'est tenue, les 15 et 16 novembre dernier, à Marseille, et dont les ministres ont tiré, hier à l'occasion du Conseil Affaires générales, les enseignements.
Je crois d'abord que cette réunion a permis de confirmer l'engagement financier de l'Union en faveur de la Méditerranée, la Présidence française étant parvenue à un accord sur le montant de 5,35 milliards d'euros, dans le cadre du programme MEDA, pour la période 2000-2006. A ce montant s'ajoute le volume de 6,4 milliards d'euros de prêts de la BEI pour la même période, auquel il faut ajouter 1 milliard d'euros supplémentaires que la Banque a décider de mobiliser sur ses fonds propres pour contribuer au financement d'opérations d'intérêt régional.
Par ailleurs, je veux souligner qu'en dépit de la gravité des événements du Proche-Orient, tous les ministres présents ont confirmé l'intention de préserver le partenariat euro-méditerranéen, et de le maintenir à l'écart des aléas de la situation politique dans la région. C'est là - j'en suis convaincu - un élément très important, car le processus euro-méditerranéen est, à l'évidence, un projet ambitieux, qui implique de travailler dans la durée, sur chacun de ses trois volets : politique, économique, mais aussi social et culturel. A cet égard, je note que tous les participants ont souhaité que le projet de Charte de paix et de stabilité soit finalisé dès que la situation le permettra.
Au total, alors qu'elle s'est tenue dans des circonstances politiques extrêmement tendues, alors quelle a été boycottée par la Syrie et le Liban, la Conférence de Marseille a confirmé l'attachement des pays du sud à ce processus de coopération, tout en donnant l'occasion à ces derniers d'appeler l'Union à faire entendre sa voix plus nettement au Proche-Orient. C'est dans cet esprit que le Conseil Affaires générales d'hier a adopté une déclaration encourageant au retour à la paix dans cette région.
III - Un mot, à présent, en ce qui concerne la Défense européenne et, en particulier, la Conférence d'engagement de forces, qui s'est tenue hier matin, à Bruxelles, et qui a été suivie d'une réunion conjointe des ministres des Affaires étrangères et de la Défense des Quinze.
Sans déflorer un sujet qu'Hubert Védrine viendra présenter devant la plénière du Parlement le 29 novembre prochain, à l'occasion de votre débat annuel sur la PESC, je ne peux que souligner - les travaux qui ont été conduits aujourd'hui en sont une nouvelle illustration - les progrès qui ont été accomplis depuis 18 mois sur le terrain de la Défense européenne, et qui constitueront l'un des résultats essentiels du Conseil européen de Nice.
Hier, en effet, en procédant à l'identification des forces de chaque Etat membre susceptibles de participer à la Défense européenne, nous avons apporté un élément essentiel de crédibilité aux objectifs que nous nous sommes fixés à Helsinki.
Au total, à Nice, nous enregistrerons plusieurs résultats très importants :
- d'abord, je l'ai dit, l'identification des forces nationales susceptibles d'être mobilisées dans le cadre de la force européenne de réaction rapide, en 2003, selon le calendrier prévu à Helsinki ;
- ensuite, la réflexion - désormais finalisée - sur la gestion civile des crises ;
- par ailleurs - et j'y insiste - nous déciderons de la création des structures permanentes : le Comité politique et de sécurité, le Comité militaire et l'Etat-major européen.
Comme prévu à Feira, celles-ci seront donc "mises en place le plus rapidement possible après le Conseil européen de Nice".
En somme, sur le papier, la Défense européenne s'apprête à voir le jour. Il restera, à partir de Nice, à lui donner une réalité et, bien sûr, une réalité opérationnelle. La volonté politique existe, il reste donc à faire monter en puissance la capacité effective de l'Union à assumer, sur le terrain, la gestion opérationnelle d'une crise, en visant, pour cela, la date de 2003, comme nous l'avons décidé à Helsinki.
C'est dire qu'il nous faut encore travailler, notamment sur le plan qualitatif, tant en termes de préparation des forces que d'harmonisation des matériels ou d'acquisition de matériels communs, afin de donner à cette force européenne sa véritable disponibilité opérationnelle. De même, il faut tester les nouvelles structures que nous avons créées afin de garantir leur pleine efficacité. Enfin, il faut que ces nouveaux organes travaillent à des scénarios de crise.
Mais - et j'y insiste encore - la défense européenne que nous souhaitions va voir le jour. Il lui restera certes encore à organiser ses relations avec les autres acteurs majeurs de la défense en Europe - je pense bien sûr à l'OTAN, mais aussi aux relations avec les membres européens de l'Alliance atlantique, non-membres de l'Union européenne. Mais - et ce sera ma conclusion - nous sommes en train de donner à l'Union un moyen supplémentaire d'affirmation et de crédibilité au plan des relations internationales, au service, naturellement, de la paix et du respect du droit international.
IV - Le dernier point de mon intervention sera consacré à la CIG sur la réforme des Institutions, à la suite du conclave qui s'est réuni, avant hier, dimanche, ainsi que de la traditionnelle réunion avec le président de votre Assemblée, qui s'est tenue hier, en marge du Conseil Affaires générales.
La réunion en conclave était la première depuis Biarritz et l'avant-dernière avant le Conseil européen de Nice.
Sur la base des travaux approfondis menés depuis un mois par le Groupe préparatoire, nous avons travaillé sur quatre sujets : la Commission ; la pondération des voix au Conseil ; l'extension du vote à la majorité qualifiée ; - la possibilité de faire référence à la Charte des Droits fondamentaux à l'article 6 du Traité.
A ce stade de nos travaux, la volonté de la Présidence est de commencer à esquisser des compromis afin de permettre aux chefs d'Etat et de gouvernement de parvenir à un bon accord à Nice. La Présidence a pu constater avec satisfaction que tel était aussi l'esprit de toutes les délégations.
Ainsi, sur la Commission, la Présidence a pu constater que si beaucoup préféraient la formule d'un Commissaire par Etat membre, la plupart des délégations manifestaient désormais une compréhension de la difficulté que cela peut poser dans l'Europe élargie. Aussi, une majorité s'est montrée prête à travailler sur l'idée d'un plafonnement par étapes de la Commission avec, à terme, un système de rotation parfaitement égalitaire.
Certaines délégations ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas aller au-delà d'une simple évocation de ce schéma, à Nice. La dominante est toutefois que, si ce schéma voit le jour, alors il doit être inscrit dans le traité et il paraît normal, en effet, que l'on donne toutes les garanties sur un tel dispositif, en particulier sur le caractère parfaitement égalitaire de la rotation.
En outre, nous allons poursuivre les travaux sur la réorganisation de la Commission.
Sur la pondération des voix au sein du Conseil, la Présidence ayant noté la disponibilité des délégations à travailler sur la repondération simple, à partir de quelques hypothèses chiffrées, a soumis des propositions en ce sens. Un premier échange a pu avoir lieu. Des divergences demeurent, ce qui ne saurait surprendre et il faudra poursuivre les travaux.
S'agissant du vote à la majorité qualifiée, la discussion a confirmé que nombre d'articles pourront passer à la majorité qualifiée, mais aussi que des difficultés demeurent pour plusieurs délégations sur certains articles importants et sensibles. Vous les connaissez : il s'agit de la coordination des régimes de sécurité sociale ; de la fiscalité ; des domaines de l'asile, des visas et de l'immigration ; et des négociations multilatérales dans le domaine des services.
La Présidence a entamé, avec le concours de certaines délégations, un travail fin sur les articles posant difficulté, afin de circonscrire les aspects qui devront rester à l'unanimité, et faire en sorte qu'ils soient, à Nice, le moins nombreux possible.
Sur les questions relatives à l'asile, aux visas et à l'immigration, l'idée d'une déclaration du Conseil relative au passage à la majorité qualifiée en 2004, semble acceptable par un grand nombre de délégations.
Enfin, la possibilité d'introduire, à l'article 6 du Traité, une référence à la Charte des Droits Fondamentaux a été évoquée, conformément à la demande formelle de la Commission en ce sens, ainsi qu'au souhait de votre Assemblée. C'est d'ailleurs sur la base d'une proposition des représentants du Parlement européen - MM. Brok et Tastsos - que cet échange a eu lieu.
La Présidence a malheureusement dû constater que six délégations étaient fermement opposées à une telle référence, voire que l'une d'entre elles, dans l'éventualité où une telle référence serait faite, serait dans l'impossibilité de se joindre à la proclamation de la Charte, à Nice.
Faute de temps, les coopérations renforcées n'ont pu être évoquées mais le seront, de manière approfondie, au conclave du 3 décembre prochain. Beaucoup d'interrogations demeurent s'agissant de la mise en oeuvre de coopérations renforcées dans le deuxième pilier.
En conclusion, je crois pouvoir dire que ce conclave a été particulièrement utile, en particulier, sur la question de la Commission. Mais il reste du travail à faire jusqu'à Nice et la Présidence ne ménagera pas ses efforts. Je dirai pour répondre aux préoccupations exprimées par votre Présidente devant le Conseil Affaires générales, hier, que le niveau d'ambition reste le même, mais qu'à deux semaines de la fin, la Présidence doit essayer aussi de faciliter les évolutions et faire preuve aussi de réalisme.
J'en ai à présent terminé avec la présentation des principaux points à l'ordre du jour du Conseil Affaires générales. Comme vous le voyez, nos débats ont été très constructifs et constituent autant d'étapes très importantes dans la préparation du Conseil européen de Nice..

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 novembre 2000)
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
C'est avec grand plaisir que je vous retrouve aujourd'hui, et je remercie votre président Giorgio Napolitano, de me donner l'occasion de vous présenter les résultats de nos travaux sur la réforme des Institutions.
Ma dernière intervention sur ce point date du 24 octobre. J'étais alors venu rendre compte, devant l'Assemblée plénière du Parlement, du Conseil européen informel de Biarritz, dont la CIG avait constitué, vous vous en souvenez, le point principal de l'ordre du jour.
C'était, je le rappelle, la première fois depuis Amsterdam, que les chefs d'Etat et de gouvernement avaient l'occasion de parler de manière approfondie de ces sujets. Le caractère informel de ce Conseil a permis, en outre, des échanges francs, dont chacun a reconnu ensuite l'utilité.
Ainsi, Biarritz a marqué une étape décisive de la Conférence intergouvernementale et donné des impulsions fortes en vue d'un résultat satisfaisant à Nice.
J'ai entrepris, quelques jours après ce Sommet, à la demande du président de la République et du Premier ministre, des déplacements dans quelques capitales afin de pouvoir, sans attendre le conclave de dimanche dernier, recueillir auprès de nos partenaires leur sentiment sur chaque question, et rassembler de premiers éléments en vue de commencer à élaborer des compromis.
Contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, la Présidence ne travaille pas en ayant à l'esprit des intérêts strictement nationaux. La Présidence est, au contraire, déterminée à tout faire pour parvenir à un bon accord à Nice, dans moins de trois semaines. J'entends également certains regretter un certain manque d'ambition ou une relative baisse du niveau d'ambition fixé au départ. Il n'en est rien. La Présidence demeure ambitieuse, mais pour être efficace et jouer pleinement son rôle, elle doit trouver des solutions acceptables par tous. C'est le propre d'un compromis et il revient à une Présidence, de l'élaborer avec impartialité, mais aussi avec volonté. Je tiens à le redire encore une fois devant vous, car je sais que ces préoccupations sur le niveau d'ambition sont en partie les vôtres - Mme Fontaine l'a redit hier devant les membres du Conseil Affaires générales -, il n'y aura pas de compromis, à n'importe quel prix à Nice.
Nous sommes tous ambitieux dans cette CIG, mais pas toujours sur les mêmes points. Il faut aussi reconnaître que chacun a des difficultés, là encore, pas sur les mêmes points. La Présidence doit tenir compte des positions en présence et rechercher à concilier les points de vue. C'est ce que nous faisons maintenant depuis plusieurs semaines.
Le calendrier n'avait pas permis de tenir de réunion ministérielle entre Biarritz et la fin du mois de novembre. La Présidence a fait néanmoins en sorte de mettre à profit ces quelques semaines pour avancer sur les points les plus difficiles de l'ordre du jour. C'est donc aussi pour cette raison que j'ai effectué les déplacements dont j'ai parlé tout à l'heure. Je n'ai pas pu me rendre partout, faute de temps, et du fait des contraintes qui pèsent sur les agendas des uns et des autres. Mais ces quelques visites ont été, je crois, utiles. Au demeurant, la "tournée des capitales", au sens traditionnel du terme, sera faite, dans les prochains jours, par le Président du Conseil européen.
Je vais donc, sans plus attendre, vous indiquer à présent quels ont été les principaux résultats des travaux du conclave de dimanche, puis du Conseil Affaires générales où, comme chaque mois, un point CIG figurait à l'ordre du jour, permettant aux ministres, notamment, de pouvoir entendre la Présidente du Parlement.
Tout d'abord, donc, le conclave.
Sur la base des travaux approfondis menés depuis un mois par le Groupe préparatoire, nous avons travaillé sur quatre sujets :
- la Commission
- la pondération des voix au Conseil
- l'extension du vote à la majorité qualifiée
- la possibilité de faire référence à la Charte des Droits Fondamentaux à l'article 6 du Traité.
La Commission est sans aucun doute le point sur lequel nos échanges ont été les plus productifs. La Présidence ne peut que s'en réjouir car c'est, vous le savez bien, un des sujets les plus sensibles.
Ainsi, j'ai pu constater que si beaucoup, notamment les Etats les moins peuplés, tenaient à la formule d'un Commissaire par Etat membre, la plupart des délégations manifestaient désormais une compréhension de la difficulté que cela peut poser dans l'Europe élargie. Cette prise de conscience me paraît tout à fait essentielle. Elle s'est traduite par le fait qu'une majorité de délégations s'est montrée prête à travailler - je dis bien à travailler, non à accepter - l'idée d'un plafonnement par étapes de la Commission avec, à terme, un système de rotation parfaitement égalitaire.
Certaines délégations ont indiqué qu'elles ne souhaitaient pas aller au-delà d'une simple évocation de ce schéma, à Nice. Elles ne sont toutefois pas majoritaires. De nombreuses délégations insistent au contraire - et avec raison, je crois - sur la nécessité, dans l'hypothèse où un tel système serait retenu, de l'inscrire de manière aussi précise que possible dans le traité.
La Présidence va donc poursuivre les travaux vers la recherche d'un compromis en prolongeant la réflexion en particulier sur deux points :
- la réorganisation de la Commission, en particulier deux aspects que j'ai souvent évoqués devant vous : le renforcement des pouvoirs du Président et l'augmentation du nombre de vice-présidents.
- la rotation égalitaire : les modalités de mise en oeuvre de ce système doivent encore être précisées, ainsi que, bien sûr, le calendrier. Surtout, des garanties sur le caractère parfaitement égalitaire de cette rotation devront être prévues dans le traité.
Sur la pondération des voix au sein du Conseil, la Présidence ayant noté la disponibilité des délégations - sans préjuger de l'issue de la négociation - à travailler sur la repondération simple, à partir de quelques hypothèses chiffrées, a soumis des propositions en ce sens. Nous avons soumis trois propositions présentées par différentes délégations. Elles ont donné lieu à un premier échange qui a permis de constater que des divergences demeurent. La Présidence a bien noté qu'il est nécessaire de prendre en compte deux critères - celui de la population et celui des Etats membres - selon des modalités qui restent à définir. Mais il est clair que, sur ces sujets, les discussions devront reprendre au prochain conclave, afin de permettre à la Présidence d'affiner les propositions qui sont sur la table.
Je retiens en tout cas que plusieurs délégations ont insisté sur la nécessité d'aboutir à une vraie repondération. Enfin, la Présidence a également relevé le souhait de certaines délégations que l'on réfléchisse aux regroupements actuels entre Etats membres.
S'agissant du vote à la majorité qualifiée, la discussion a confirmé qu'un grand nombre d'articles pourront passer à la majorité qualifiée mais que des difficultés demeurent pour plusieurs délégations sur quelques articles particulièrement importants et sensibles :
- la coordination des régimes de sécurité sociale ;
- la fiscalité ;
- les domaines de l'asile, des visas et de l'immigration ;
- les négociations multilatérales dans le domaine des services.
La Présidence a entamé, avec le précieux concours de certaines délégations, un travail de "découpage fin" des articles posant difficulté, afin de circonscrire les aspects qui devront rester à l'unanimité, et faire en sorte qu'ils soient, à Nice, le plus limités possible.
Sur les questions relatives à l'asile, aux visas et à l'immigration, l'idée d'une déclaration du Conseil relative au passage à la majorité qualifiée en 2004, semble acceptable par un grand nombre d'Etats membres.
Enfin, la possibilité d'introduire, à l'article 6 du Traité, une référence à la Charte des Droits fondamentaux a été évoquée, conformément à la demande formelle de la Commission en ce sens, ainsi qu'au souhait de votre Assemblée. C'est d'ailleurs sur la base de sa proposition que les représentants du Parlement européen ont bien voulu transmettre à la CIG que cet échange a eu lieu. Malheureusement, - et je sais que je vais vous décevoir -, la Présidence a dû constater que six délégations étaient fermement opposées à une telle référence, voire que l'une d'entre elles, dans l'éventualité où une telle référence serait faite, serait dans l'impossibilité de se joindre à la proclamation de la Charte, à Nice.
Faute de temps, les coopérations renforcées n'ont pu être évoquées mais le seront, de manière approfondie, au conclave du 3 décembre prochain. Comme vous le savez, sur ce point, les propositions relatives aux coopérations renforcées dans le premier et le troisième pilier font désormais l'objet d'un large accord. Mais de fortes interrogations demeurent encore sur la manière de procéder à leur extension aux domaines de la PESC et de la défense.
En conclusion, je crois pouvoir dire que ce conclave a été particulièrement utile, en particulier, sur la question de la Commission. Mais il reste des travaux à faire pendant les deux semaines et demi qui nous séparent de Nice.
Au Conseil Affaires générales, nous avons eu le plaisir d'écouter l'intervention de votre Présidente, qui a rappelé les attentes de votre Assemblée sur chacune des questions à l'ordre du jour.
Encore une fois, et je veux par là répondre aux préoccupations dont Mme Fontaine s'est fait l'écho, la Présidence n'a pas baissé la garde. Le niveau d'ambition reste le même. Mais, en même temps, il y a une négociation avec des points de vue en présence très différents que nous travaillons depuis plusieurs mois à rapprocher.
Vous conviendrez que la Présidence à moins d'un mois de Nice, se doit de faire preuve d'un peu de réalisme ! Nous savons aussi, vous comme moi, que les questions à l'ordre du jour - nous l'avons dit dès juillet - sont étroitement liées entre elles, et il est clair que la marge de manoeuvre de chacun dépendra, in fine, de la facture du paquet final.
Soyez assurés que la Présidence en bon artisan, veillera à ce que ce paquet soit de la meilleure facture. Mais ne préjugeons pas de l'issue de la négociation. Continuons à travailler. Il reste du pain sur la planche, comme je l'ai dit hier, devant le Conseil Affaires générales.
Et puis, encore une fois, le fait que la Présidence ait souhaité, jusqu'au bout, se concentrer sur les questions peu nombreuses, mais difficiles qui sont à l'ordre du jour, ne veut pas dire qu'elle ignore les débats sur l'avenir de l'Europe et sur l'après Nice. Mais les faits lui donnent, je crois, raison. Nous ne devons pas, surtout maintenant, nous écarter de cette voie.
Pour autant, nous savons que d'autres questions majeures devront être traitées plus tard, selon des modalités et un calendrier à définir, avec nos partenaires. Nous le ferons d'autant mieux que nous aurons toutes les cartes en mains, c'est-à-dire les résultats de Nice.
J'ai eu le plaisir d'être invité à intervenir, la semaine dernière, par l'intergroupe Constitution européenne, sous la présidence d'Alain Lamassoure, et j'ai eu ainsi l'occasion de dire à toutes celles et ceux qui étaient là, combien le débat qui s'est engagé au sein de votre assemblée sur ces questions était utile. Car je suis convaincu que, plus nous serons au clair sur ce que nous voulons pour l'Europe de demain, plus nous serons à même de bien organiser les travaux, tant sur la forme que sur le contenu. Je ne saurais, au nom de la Présidence, en dire plus aujourd'hui, car il est encore trop tôt. Mais je ne puis que vous inviter à poursuivre et à nourrir ce débat sur le fond, comme vous avez déjà largement contribué à le faire.

(Source http://www.diplomatie.gouv.fr,, le 23 novembre 2000)